L’édition française de manga pour enfants : une filière en formation

Salon du livre et de la presse jeunesse de MontreuilLa 28e édition du Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil se tenait du 28 novembre au 3 décembre 2012. Rendez-vous incontournable des très nombreux éditeurs pour enfants (qui en 2011 se partageaient 372,8 millions d’euros de chiffre d’affaires, soit 14% de l’édition globale en France), c’est aussi l’occasion pour les maisons de bande dessinée de s’offrir une vitrine auprès d’un public jeunesse que l’on s’arrache. Au milieu des libraires, magazines et associations culturelles, on trouvait quelques éditeurs de manga. L’occasion de faire le point avec eux sur l’état du manga jeunesse en France.

 

Un travail de prospection

Kingdom Hearts II vol. 1  © 2013 Shiro Amano / Pika

Contrairement au Japon, où la bande dessinée est découpée en fonction du lectorat, de son âge et de son sexe (shôjo, shônen, josei, seinen…), le manga tel qu’il a été édité au départ en France n’a pas été pensé autrement que comme un médium pour jeune garçon (Récré A2 et Club Dorothée aidant). Cela explique la profusion de shônen dans nos rayonnages. Aussi, trouver ces éditeurs de manga sur un salon destiné au jeune public peut dans un premier temps sembler incongru, le cœur de cible de ces maisons ayant au minimum 2 ou 3 ans de plus que les visiteurs de Montreuil. « Nous sommes ici pour beaucoup de raisons ! explique Laure Peduzzi, attachée de presse chez Pika. D’abord pour défendre les mangas, puisqu’on entend encore souvent le discours affirmant que ce ne sont pas de « vrais » livres. Ensuite parce qu’on va pouvoir y rencontrer un public différent de Japan Expo ou du Salon du Livre de Paris. Enfin parce que c’est un des seuls salons importants où nous pouvons véritablement échanger avec les enfants et connaître leurs attentes. » Ces raisons sont aussi les arguments avancés par d’autres maisons d’édition.
Seul nobi nobi ! semble se détacher du lot. Pierre-Alain Dufour, co-fondateur et responsable éditorial de cette maison commente : « Dès notre création il y a bientôt 3 ans maintenant, nous nous sommes positionnés comme une maison d’édition jeunesse et japonisante. Il est donc logique que nous soyons présents à la fois sur les évènements marqués manga et sur les salons jeunesse. Notre travail ici ne diffère pas de celui d’un éditeur de livres jeunesse classique. »

 

Le manga jeunesse : des frontières floues qui se précisent

Quand on va plus loin dans la discussion, on se rend cependant compte que la frontière entre shônen, shôjo et manga pour enfants est très perméables pour certains éditeurs. Tous reconnaissent être parti du shônen. Ainsi, Fabien Vautrin, traducteur et éditeur chez Kurokawa, admet que « le cœur de cible, ça a toujours été le shônen, avec des titres comme Full Metal Alchemist, Soul Eater ou Blood Lad. Mais nous avons eu des titres pour le jeune lectorat dès le lancement de Kurokawa : Megaman Net Warrior ou Chocola et Vanilla lui était destiné. Plus récemment, Inazuma Eleven et Pokemon Noir et Blanc rencontrent un vrai succès. Je pense que les mangas jeunesse qui fonctionnent sont ceux se basant sur une licence : nous avons constaté une véritable envolée des ventes de Inazuma Eleven quand le jeu vidéo est sorti et que l’anime a été diffusé sur la chaîne Gulli. »
Le constat est assez similaire chez Pika, où des titres shôjo comme Card Captor Sakura ou Tokyo Mew Mew ont servi un premier temps de porte d’entrée du jeune lectorat au manga. « Cette année, nous avons lancé une gamme de mangas autour de l’univers Disney, ajoute Laure Peduzzi. Les titres Princesse Kilala et Kingdom Hearts s’adressent directement aux enfants. »

Chi: Une vie de Chat vol. 9 © 2012 Kanata Konami / Glénat

À l’instar de ces deux exemples, Glénat a aussi initié son jeune lectorat manga en passant par la case shônen/shôjo avec des titres comme Dragon Ball ou Kilari (voire seinen, Akira ayant été leur tout premier manga édité). Mais récemment, la maison d’édition a mis en place une collection Kids, à destination du public spécifique des 5 ans et plus. « Les éditions Glénat veulent toucher tout le monde, explique Sophie Caïola, chargée des relations presse chez Glénat. Aussi, comme nous l’avons fait pour nos bandes dessinées occidentales, nous avons souhaité créer une collection à destination des plus jeunes : la collection Kids. À l’heure actuelle, 3 titres composent cette collection : Heidi, Koko, et Chi – Une Vie de Chat, qui a été sélectionné pour Angoulême 2013 dans la catégorie Jeunesse. »

 

Un public à capter

Les éditeurs commencent donc à se retrouver avec ce marché émergeant, d’où la constitution de collections adaptées. Pierre-Alain Dufour ajoute même : « Nous sommes parvenus à faire aller les lecteurs de mangas vers les rayons jeunesse des librairies ! De fait, nous avons tout de suite été identifiés et acceptés tant dans l’édition pour enfants que dans l’édition japonisante. En proposant des contes et légendes traditionnels japonais illustrés par de talentueux dessinateurs – dont la plupart n’ont quasiment pas d’expérience dans le dessin pour album jeunesse – nous nous sommes distingués. Aujourd’hui encore, nous sommes les seuls en France à proposer le type de contenu que nous éditons. »
D’après Sophie Caïola, la raison de ce nouvel intérêt pour le manga pour enfants est peut-être d’ordre sociologique : « Nous nous sommes rendus compte que les premiers lecteurs de Dragon Ball sont aujourd’hui des adultes responsables, et qu’ils ont des enfants ! Ils vont avoir envie à leur tour de faire découvrir cette culture du manga à leur progéniture. Et cette découverte peut passer par des titres jeunesse plus adaptés. »
Cependant, et paradoxalement, ce public naissant et intéressé est aussi le plus difficile à capter et à conserver. « Aujourd’hui, un enfant de 7 ans va avoir la fâcheuse tendance à aller naturellement vers le scantrad ou le fansub, sans avoir le réflexe d’aller acheter les volumes reliés après, contrairement à leurs aînés, se désole Laure Peduzzi. Beaucoup de gens viennent nous voir en connaissant Fairy Tail, mais sans avoir conscience que l’objet manga existe aussi. »

Le manga pour enfants : perspectives

Pokemon Noir et Blanc vol. 5 © 2012 Satoshi Yamamoto / Kurokawa

Cependant, le constat n’est pas si sombre que ça pour l’édition française de manga pour enfants. Si les chiffres de vente des collections à destination des plus jeunes restent bien en dessous des blockbusters shôjo et shônen (il faut descendre jusqu’à la 32e position pour voir un manga pour enfants se classer dans la liste des plus gros tirages mangas de 2012), toutes les maisons d’édition rencontrées s’accordent à dire que le marché est en pleine croissance et que les chiffres ne peuvent que croître. « Dans une optique d’élargissement des cibles et des publics, le manga pour enfants offre des résultats très satisfaisants, se félicite Fabien Vautrin. C’est aussi très encourageant pour nous, éditeurs, de constater que le lectorat ne se cantonne pas qu’au shônen mais cherche à découvrir d’autres choses. Pouvoir rééditer un manga à destination des personnes âgées de 7 à 77 ans comme Yotsuba, c’est réconfortant. On sait déjà quInazuma Eleven va s’achever en février – avec un one shot supplémentaire prévu au début du deuxième semestre 2013. Mais nous continuons la publication de Pokemon Noir et Blanc, et nous misons beaucoup sur Silver Spoon, le nouveau manga de Hiromu ARAKAWA, qui par les messages qu’il véhicule, pourra toucher les plus jeunes. »

Lika aux Cheveux Longs © Yûji Kanno / Matayoshi 2013 • nobi nobi !

Tous ont d’ailleurs prévu de sortir des titres jeunesse courant 2013. Chez Glénat, on sait que la collection Kids va être amenée à se développer, même si aucun titre n’a été donné. Pika avait préparé son salon de Montreuil en sortant une édition intégrale de Grimms Manga, une réinterprétation des contes et légendes des frères Grimm à la sauce nippone. Enfin, nobi nobi ! va jouer fort en proposant en février la suite tant attendue des aventures de Tamago, avec Tamago Transformation, et en proposant non pas une nouvelle légende japonaise mais Lika aux cheveux longs, un conte original dans une ambiance fantastique occidentale.
Le marché français du manga pour enfants se structure donc petit à petit. La scission d’avec les genres bien identifiés que sont le shôjo ou le shônen est en cours, et il est fort à parier que dans les années à venir, chaque maison d’édition de manga sera amenée à proposer des contenus spécifiques pour les plus jeunes.

 
Visuels  © 2012 Kanata Konami / Glénat , Visuels  © 2013 Shiro Amano / Pika, Visuels  © Yûji Kanno / Matayoshi 2013 • nobi nobi !, Visuels  © 2012 Satoshi Yamamoto / Kurokawa
Remerciements aux éditeurs pour leur participation

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