Bakuman : bilan d’un shônen qui parlait de manga

 

Bakuman

 

Depuis 2010 Bakuman symbolise le retour du célèbre duo d’auteurs ayant officié sur Death Note : Takeshi Obata (dessin) et Tsugumi Ôba (scénario). Créé en 2008 pour le shônen Jump, le titre rencontre un succès immédiat à l’instar de son grand frère en prenant la forme d’un documentaire sur l’univers de l’édition de manga. Centré sur le département de la Shueïsha, les mangakas font le pari fou de faire un shônen sans action et sans une goutte de sang … Après dix-huit tomes et quatre ans de publication au Japon, regardons de plus près pour voir si cela fonctionne.

Bakuman, le docu-fiction

Bakuman nous livre un pan détaillé, quoique parfois fantasmé, de la vie des mangakas du Weekly Shônen Jump. On comprend alors que le monde de l’édition japonaise peut s’avérer cruel avec son système de vote qui détermine le chemin que devra ou non prendre une œuvre. Si vous vous demandiez comment Shaman King a pu connaître une fin aussi abrupte, ou pourquoi Dragon Ball a dû continuer malgré le refus de son créateur, la série lève voile sur ces zones d’ombres.

Chaque semaine, les titres sont classés par les lecteurs et il n’est pas rare qu’une série à peine commencée s’achève (Rash ! ! de Tsukasa Hôjo en deux tomes, en 1995). Pour rester dans le top 10 et ne pas être sommairement éjectés de l’hebdomadaire, les mangakas doivent fournir 19 pages hebdomadaires qui séduiront leur cœur de cible. Si ce n’est pas le cas, l’éditeur (ou tantô) intervient pour effectuer des changements. Ce fut réellement le cas pour Reborn ! qui fit la transition vers la baston pour délaisser la comédie.

Obata et Obâ appuient leur propos à partir de graphiques imaginaires, sans doute inspirés des véritables annales du JUMP. Les statistiques s’accompagnent des propos réalistes de tous les protagonistes, nous offrant des dialogues aussi longs qu’instructifs. Même s’ils sont nombreux, les textes inutiles n’existent pas et les grandes bulles sont plutôt là pour accroître le réalisme de l’œuvre. On excusera donc le fait que certains des héros parviennent à se faire publier en étant de simples adolescents.

NARUTO © 1999 by Masashi Kishimoto All right reserved

Tous les maillons importants de la chaîne sont représentés, de la conception du storyboard à la publication du chapitre ou d’un one-shot. Le tantô, par exemple, joue un rôle de l’ombre qui reste décisif : il effectue les corrections sur les nemus (storyboard), choisit l’orientation du manga en fonction de sa popularité, apporte ses propres idées et valide ou non le chapitre avant de le confier à l’éditeur en chef.

Néanmoins, Bakuman ne se cantonne pas à la découverte des coulisses du Weekly Shônen Jump. Les auteurs mettent l’accent sur le train de vie éreintant des mangakas et ses conséquences sur la santé. Kawaguchi Taro, l’oncle du héros, meurt quelques années avant le début de l’histoire, ayant accumulé les nuits blanches et le travail jusqu’à l’épuisement. Toutes ces difficultés seront aussi celles du duo phare qui navigue entre succès, échecs et recherche d’un genre qui leur convient. L’un d’entre eux ira même jusqu’à l’hôpital !

Face à toutes ces difficultés, le lecteur peut aussi réfléchir aux succès actuels, comme Naruto, Fairy Tail et One Piece, dont les talentueux auteurs durent depuis des années tout en conservant leur ligne de conduite initiale. Pour en revenir au manga, sachez qu’il expose d’ailleurs différents profils de mangakas : ceux qui font ce qu’ils souhaitent, de manière instinctive comme Hiramaru et Eiji et ceux qui réfléchissent et construisent leur scénario en pesant chaque éléments, comme Ashirogi Mûto, Aoki Ko et Nakaï. Les premiers semblent nés pour produire des shônens idéaux, alors que les seconds jouent souvent avec les codes du genre, en étant à la limite éditoriale du magazine, comme a pu l’être Death Note à son époque dans la réalité. Entre exceller dans un genre et le renouveler en repoussant ses frontières, le débat dans Bakuman est permanent.

Si cette nouvelle collaboration entre Obata et Oba nous livre une œuvre moins sombre que Death Note, Bakuman n’en reste pas moins empreint des qualités de son aîné, à savoir une narration prenante et dynamique. Au fil des arcs, on se demande comment Ashirogi Muto va finir par atteindre son objectif tant il est dur de se faire sérialiser et de conserver sa popularité. Les chapitres se closent bien souvent sur l’attente des résultats des votes ou sur une idée géniale d’un des héros. La série rappelle aussi qu’elle est bien un shônen et y incorpore des éléments caractéristiques : la rivalité entre nos héros et Eiji, l’amitié au sein de la « troupe Fukuda », le nekketsu avec l’acharnement à se faire publier … Mais personne n’est parfait, et d’autres ingrédients viennent ternir la qualité du récit …

De l’eau de rose dans l’encre

BAKUMAN © 2008  by Tsugumi Ohba, Takeshi Obata

Nos héros sont des collégiens de 14 ans dans le premier tome et deviennent de jeunes adultes de 22 ans dans le 18e. Une évolution qui implique logiquement de découvrir leur quotidien. La difficulté de cumuler cours et vie professionnelle est bien illustrée en filigrane par le choix d’un lycée de seconde zone, les cours qui servent de séances de sieste, etc. Cette double vie a forcément des conséquences sur le travail de nos auteurs qui doivent parfois rendre les planches en retard, avant de devenir professionnel et de passer à d’autres problématiques.

Il ne faut pas non plus oublier que nos apprentis mangakas étant dans la fleur de l’âge, leurs sentiments sont mis en exergue au travers de relations très fantasmées. Impossible, en effet, de passer à côté du couple phare du manga, Mashiro et Miho. Sans le savoir, nos deux tourtereaux s’aiment depuis l’enfance et finissent par s’avouer leurs sentiments réciproques. On ajoute à cela une petite dose de « destin filial » puisque Kawaguchi Taro a vécu une liaison similaire à celle de son neveu avec la mère de Miho.

Rien de bien novateur, sauf que cette relation n’est jamais entamée et reste une romance en suspend : les deux amoureux se font la promesse de se marier uniquement une fois qu’ils auront réussi leurs rêves respectifs et de ne plus se fréquenter avant ce moment précis. Mashiro souhaite obtenir une adaptation animée de son manga, et Miho fera tout pour être la seiyû attitrée de son héroïne. Le temps que chacun parvienne à accomplir son but, une correspondance s’installe entre les deux adolescents qui s’échangent des mails très chastes.

Un simple « Bravo » de Miho suffit à faire perdre tous ses moyens à Mashiro et l’amour prend parfois le pas sur le reste. Ce second niveau de lecture « tranche de vie » de l’œuvre, plus romancé, est sans doute adressé à un public résolument féminin, mais il souffre malheureusement d’une certaine lourdeur de par sa répétition et son omniprésence dans les nombreux couples de la série.

BAKUMAN © 2008  by Tsugumi Ohba, Takeshi Obata

On peut prendre comme exemple Nakaï, le dessinateur trentenaire qui s’amourache de la jeune et hautaine Aoki Ko, sa scénariste. Il ira jusqu’à dessiner sous la neige pour lui montrer son envie de poursuivre leur collaboration. Il en est de même pour Aoki lorsqu’elle s’émeut dès que Takagi l’appelle pour un simple échange d’idées. Seul le couple Takagi/Kaya contrebalance ce côté un peu trop fleur bleue, mais n’empêchera pas, au final, de scinder les lecteurs entre les amateurs et les détracteurs de ces relations de contes de fées.

En plus de leur répétition lassante, ces chapitres « à l’eau de rose » cassent le rythme et constituent un véritable point faible, là où les shônens se doivent de conserver un certain dynamisme. Malgré un nombre conséquent de dialogues et d’explications, les chapitres narratifs conservent tout leur intérêt grâce à un suspens bien entretenu … Mais les chapitres axés sur les sentiments des personnages traînent, eux, en longueur.

Heureusement, in fine, un autre couple parvient à ne pas s’enliser dans la guimauve : celui d’Aoki Ko et d’Hiramaru. Cette relation est rafraîchissante à souhait car débute sur un stratagème aussi drôle que machiavélique de Yoshida, le tantô d’Hiramaru, qui le manipule pour qu’il continue d’arrache-pied sa carrière de mangaka. Les choses ne se dérouleront évidemment pas comme l’avait prévu Yoshida, ce qui sera l’occasion pour Bakuman de livrer sa meilleure prestation humoristique.

En route vers le grand final

BAKUMAN © 2008  by Tsugumi Ohba, Takeshi Obata

Le tome 14 a introduit l’antagoniste principal de Bakuman avec Tôru Nanamine. Admirateur de Ashirogi Mûto depuis qu’il a lu leur premier one-shot, Argent et intelligence, il souhaite devenir un mangaka traitant de thématiques peu conventionnelles. Son implantation dans l’histoire marquait enfin l’arrivée d’un méchant digne de ce nom, là où Eiji Nizuma se présentait plutôt comme un rival et ami.

Nanamine part du principe que les éditeurs brident trop les auteurs, ce qui ne leur permet pas d’exploiter tout leur potentiel. Son mépris envers ses gêneurs et les codes du Shônen Jump permet de faire un parallèle intéressant entre le système qu’il va créer pour « vaincre » notre duo de mangakas et celui du magazine. La technique de Nanamine ne s’embarrasse pas du barrage qu’est l’éditeur, ce qui lui permet de se libérer des entraves du shônen qui finissent par tous se ressembler, pour finalement ne jamais sortir du lot.

Mais étant le grand méchant de l’histoire, ses défauts se voient exacerbés et de plus en plus nombreux afin qu’il soit le plus décrié possible. Bakuman lui donne donc tort et s’efforce de prouver que la relation avec un éditeur reste indispensable, mais il est difficile de certifier que ces derniers ne sont pas eux aussi un frein à la réussite des mangakas. Heureusement, la série met en place une certaine auto-critique du système avec le maladroit et inexpérimenté Miura dont les choix qu’il impose à ses auteurs seront souvent inadaptés, voire contre-productifs.

C’est sans doute ce qu’il reste au final de cette lutte : le système n’est pas vraiment remis en cause mais il présente des failles humaines, chez les tantô notamment. Le bon éditeur étant celui qui exploite au mieux les points forts de son auteur là où le mauvais ne se fie qu’à son point de vue et ses a priori.

Ce dilemme derrière soi, Bakuman démarre avec ce tome 18 sa dernière ligne droite et un final très shônen qui s’annonce grandiose : qui de Zombie Gun ou de Reversi remportera la tête du podium du Shônen Jump ? Reversi sera-t-il adapté en anime ou connaîtra-t-il le même destin que PCP ? Nanamine risque-t-il de revenir à la charge pour la troisième fois ? Tout ceci, nous le découvrirons à la sortie des deux derniers tomes de cette œuvre qui, tout en étant édifiante, a conquis tout un public grâce à ses qualités graphiques et narratives. C’est sans doute ça, la recette de tout bon manga ! A noter que comme nous vous l’annoncions sur notre compte Twitter, un film Live est en préparation pour 2015, promettant encore de beaux jours à l’œuvre !

 

Bakuman, le film

 

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