[Interview] Tetsuya OKABE : Le Cinéma « do it yourself »

Pour sa dixième édition, le festival du cinéma japonais contemporain Kinotayo n’a une fois de plus pas failli à sa promesse de nous faire découvrir ce que le pays du Soleil levant a de plus frais en matière de septième art. À l’occasion de la projection du film Haman, première réalisation de Tetsuya OKABE entièrement autoproduite, Journal Du Japon a eu l’occasion de rencontrer le jeune réalisateur pour parler de la situation du cinéma indépendant sur l’archipel.

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Synopsis : La première fois d’une jeune fille est un moment inoubliable… Pour Haruka, il vire au cauchemar quand elle tue malencontreusement son petit ami au cours de leurs premiers ébats. La descente aux enfers ne fait que commencer… Une fable fantastique aux accents sombres sur la vie, le sexe, l’amour.

 

Journal Du Japon : Bonjour Tetsuya OKABE. Première question, le marché japonais est dominé par une poignée de gros studios, des réalisateurs aux noms importants et des acteurs et actrices qui assurent le succès du film avant même sa sortie. Comment fait-on pour réaliser et distribuer un film indépendant autoproduit sans célébrité au Japon aujourd’hui ?

Tetsuya OKABE : Avant, le schéma classique était de débuter en tant qu’assistant-réalisateur, et ensuite de devenir soi-même réalisateur. Mais depuis une dizaine d’années, beaucoup de gens se sont mis à tourner directement, à réaliser des premiers films indépendants sans suivre le parcours « classique ». Il y a plusieurs festivals de films indépendants au Japon. Il faut gagner des prix dans ces dernier pour passer au cinéma commercial. C’est un nouveau schéma devenu classique.

Pour ma part, j’ai travaillé sur des tournages pendant près de neuf ans. J’ai rencontré une cameraman et nous avons décidé ensemble de tourner ce premier film, Haman.

 

Vous avez longtemps été assistant. En quoi cette expérience vous a servi pour la réalisation de Haman ?

Sur ce tournage, l’équipe de production et celle de mise en scènes étaient très occupées. Donc j’ai un peu été obligé de me débrouiller tout seul. Par exemple, j’ai fait les repérages et ai dû m’occuper des réservations de lieux de tournage moi-même. Je pense que je savais faire tout ça car j’avais cette expérience en tant qu’assistant-réalisateur. J’étais réalisateur sur ce film, mais je pouvais également être mon propre assistant.

 

Quel a été votre premier contact avec le cinéma et y a-t-il un modèle qui vous inspire ?

Lorsque j’étais enfant et que je n’allais pas à l’école parce que j’étais malade, ma mère m’amenait dans un vidéo-club et on louait des cassettes. À l’époque, j’ai vu pas mal de films d’animation. J’aimais également beaucoup les films de Disney et Mary Poppins. De temps en temps, ma mère me montrait aussi les films qu’elle voulait voir dont un film intitulé Love Story, mais je ne me souviens plus du nom du réalisateur (Arthur MILLER, ndlr). Je me souviens également de Coup De Foudre À Notting Hill et des films avec Tim ROTH. Tout ça, ce sont plutôt des souvenirs de quand j’étais enfant, mais je pense que j’ai commencé à aimer les films à partir de cette époque là.

Pour ce qui est des réalisateurs qui m’ont influencé, il y en a trop. Je suis influencé par tout ce que je vois. Pour n’en citer que quelques uns, je dirais que j’aime beaucoup Kenji MIZOGUCHI, Ki-Duk KIM, Lars VON TRIER et Pedro ALMODÓVAR.

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Selon vous, ce film parle-t-il de rapports humains ou des « monstres », dans tous les sens du terme ?

Il y a un film qui peut être une référence pour Haman ; c’est Edward Aux Mains D’Argent de Tim BURTON. Je voulais montrer un personnage qui est une sorte de monstre et qui ne parvient pas à aimer à cause de ce complexe.

 

Le scénario du film a été élaboré il y a plus de dix ans. Il aurait pu devenir un film d’horreur, un thriller psychologique ou même une comédie. À quel moment s’est dessinée la direction du film ? A-t-elle évoluée depuis le début ?

À la base, je voulais vraiment parler d’amour. Effectivement, ça aurait pu devenir un film d’horreur. Mais je voulais surtout décrire un personnage qui surmonte un complexe. Ça n’aurait pas forcément marché avec un personnage de film d’horreur.

Pour ce qui est de la comédie, je pense qu’il y a justement trop de comédies. Et ça n’aurait été au final qu’une comédie parmi tant d’autres. Je voulais éviter ça. Je voulais que le personnage pense sérieusement à la situation dans laquelle elle se trouve, pas que ce soit un personnage comique.

 

Il existe plusieurs films sur ce sujet – allant de la comédie au film d’horreur en passant par le film d’exploitation – et tous embrassent un message éminemment féministe. Quel est selon vous le message véhiculé par Haman ?

Je ne pense pas que le film soit féministe. D’ailleurs, le personnage principal aurait pu être masculin. Mais la monstruosité du film étant liée au sexe féminin, je ne me suis jamais trop posé la question du genre du personnage principal.

 

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Avec le recul, de nombreux réalisateurs annoncent qu’ils changeraient de nombreuses choses à leurs premières réalisations. Avez-vous déjà un certain recul sur ce premier projet ? Qu’est-ce qui vous plaît dans ce film et que ce que vous aimeriez changer ?

Le fait que ce soit un film indépendant m’a permis de faire exactement ce que je voulais. De plus le film a été montré en festival et j’ai l’impression qu’il a été apprécié.

Sinon, ce que je regrette un petit peu, c’est le manque de budget. Avec un petit peu plus d’argent, j’aurais pu avoir plus de techniciens, plus de matériel. Je ne sais pas ce que je penserai du film dans cinq ans, mais j’ai l’impression d’avoir donné tout ce que j’avais. Bien sur, il y a des défauts ; niveau technique, au niveau de l’intrigue… Mais même si je refaisais le film maintenant, je ne pense pas que cela changerait grand-chose.

 

Quels sont vos prochains projets, en tant que réalisateur ou autre ?

Je suis en train d’écrire un scénario sur la relation entre un père et son fils, sur la question de l’amour paternel. Je ne sais pas encore si ce sera encore un film indépendant ou si le passage de Haman dans les festivals me permettra de faire produire le film par un studio, avec une vraie équipe.

 

Auriez-vous un conseil à donner à des jeunes réalisateurs indépendants et autoproduits ?

Le scénario de Haman a été beaucoup critiqué avant le tournage. Mais j’ai quand même réalisé le film, porté par ma seule conviction. Et j’aimerai que les autres croient également en leurs projets. Il faut qu’ils réussissent à réaliser leur film et à le montrer, car il y aura toujours des personnes qui l’aimeront.

 

Remerciements à Tetsuya OKABE pour son temps, à Philippe HENRIOT pour les photographies ainsi qu’à toute l’équipe du festival du cinéma japonais contemporain Kinotayo, et plus particulièrement à Megumi KOBAYASHI pour son aide.

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