Golden Kamui : une quête en or en territoire aïnou

Parmi les très nombreuses nouveautés manga de la rentrée (que vous pouvez retrouver ici), Journal du Japon s’arrête aujourd’hui sur une des plus prometteuses de l’année : Golden Kamui, aux éditions Ki-oon. Aventure et action avec un joli coup de crayon, richesse culturelle et historique avec le peuple aïnou au début du XXe siècle, le tout servi par une intrigue sans pitié mais avec de nombreux rebondissements…

Alors ne tardons plus : en route pour l’île d’Hokkaido, son peuple et ses mystères avec Satoru NODA, le mangaka derrière ce seinen multi-primé au Japon !

Golden Kamui

 

Sugimoto l’immortel et le trésor des 75 kilos d’or…

Hokkaido, début du XXe siècle… L’Empire du Japon sort victorieux d’un affrontement de près de deux ans avec l’Empire de Russie, s’imposant aux occidentaux comme une grande puissance d’Asie. Mais ce conflit a engagé près de deux millions d’hommes et beaucoup de combattants se retrouvent désormais seuls et sans argent, à errer sur l’île la plus septentrionale du Japon, sauvage et glaciale.

Golden Kamui planche Guerre

La guerre russo-japonaise, en ouverture du premier tome…

C’est ce qui attend Saichi Sugimoto, une des figures de la première division de l’armée nippone. Il a beau avoir gagné le surnom de « l’Immortel » et être une légende des champs de batailles, il n’y a plus grand chose à combattre désormais… Son unique motivation est une promesse, les dernières volontés d’un ami d’enfance et frère d’armes, tombé au combat : Sugimoto doit s’occuper de la belle mais malade Umeko et de son enfant, à son retour dans leur ville natale. Pour cela il a besoin d’argent, mais la ruée vers l’or qui a lieu depuis une décennie sur l’île d’Hokkaido semble toucher à sa fin. Notre ex-soldat a beau chercher, il n’a toujours pas trouvé la moindre paillette dorée !

C’est alors qu’il apprend l’existence d’un immense trésor : le peuple aïnou, méprisé et malmené par l’envahisseur japonais depuis plusieurs années, a décidé de récolter de l’or en secret pour en faire un trésor de guerre… qui avoisine désormais les 75 kilos du précieux métal ! Mais les gardiens de ce pactole ont tous été tués par un homme mystérieux, qui a caché son butin. Aujourd’hui détenu dans la pire prison d’Hokkaido, cet homme a tout de même laissé quelques indices à ses complices, sous la forme de tatouages inscrits sur la peau de ses compagnons de cellule, qu’il a réussi à faire évader…

Golden Kamui planche Tatouage

Le premier prisonnier tatoué que découvre Sugimoto

Avec le premier tatouage en main, la quête de Sugimoto ne fait que commencer et s’annonce des plus périlleuses, surtout dans une nature et une faune des plus hostiles… Heureusement, la chance n’a pas peut-être pas quitté notre Immortel et il fait la connaissance d’Ashirpa, une jeune indigène Aïnou, qui le sauve des pattes d’un ours brun. Quand Ashirpa lui explique qu’elle est liée au clan massacré par le voleur du trésor, ils décident de s’associer et partent sur la route de l’or des Aïnous. Mais ils ne sont pas les seuls !

 

Hokkaido, ses guerres et ses aïnous…

Si, parmi les nombreux mangas sortis cette rentrée, nous avons choisi ce seinen de la Shueisha, ce n’est pas par hasard. Golden Kamui prend place à un carrefour historique et culturel d’une incroyable richesse, alors que les sujets qu’il aborde ont jusqu’ici été très peu traités dans les œuvres nippones qui arrivent dans l’hexagone. S’il existe déjà une mangaka, Hiromu ARAKAWA, qui défend avec vigueur la province actuelle d’Hokkaido pour son incroyable agriculture (Silver Spoon, Nobles Paysans), Satoru NODA revient lui sur les premières décennies d’Hokkaido en tant que province japonaise, à la fin du XIXe siècle…

En effet, la fameuse unification du Japon au XVIe siècle par les légendaires NOBUNAGA, TOYOTOMI et TOKUGAWA se fait sans la mal-aimée Hokkaido, que l’on appelle à l’époque Yezogashima ou l’île des barbares, un surnom qu’elle gardera pendant des siècles. C’est finalement la prospérité du Japon (due à cette unification après plusieurs siècles de guerre) et le développement de son commerce extérieur qui pousse des milliers de pécheurs, cultivateurs et marchands à débarquer sur l’île. Ils rencontrent alors les Aïnous, le peuple le plus ancien connu du Japon, qui est venu s’installer par le nord depuis la Russie vers 1300 avant J.C. (des théories les relient aux peuplades mongols). Ils arrivent donc sur l’archipel 1 000 ans avant les peuples de Wa, fondateurs de la future ethnie Yamato, d’où provient une large majorité des Japonais actuels. Ce sont pourtant les Yamato, beaucoup plus nombreux, qui vont progressivement envahir Hokkaido et non l’inverse.

Groupe d'Aïnous, en 1904 © Ainu : Spirit of a Northern People

Groupe d’Aïnous, en 1904 © Ainu : Spirit of a Northern People

Néanmoins, et comme le suggère Golden Kamui, cette île n’a rien d’un endroit où il fait bon vivre : une fois passé les quatre mois d’un été tout relatif, le froid puis la neige reprennent leurs droits… Les loups et les ours brun y sont les rois des forêts et montagnes, plus tenaces et surtout plus gros que partout ailleurs au Japon, en raison des conditions de vie spécifiques à cette région. Les Aïnous étaient, eux aussi, plus grands que les Japonais, mais considérés comme des barbares, ce qui complétait une carte postale peu flatteuse, vue de l’île principale de Honshu. Ainsi, jusqu’au milieu du 19e siècle, Hokkaido demeurera peu peuplée, avec environ 50 000 habitants. Mais les aléas de l’Histoire, avec la fin de la période Edo, vont progressivement sortir la province de l’isolement…

Hijikata_Toshizo

Hijikata Toshizo, le dernier vice-commandant du Shinsengumi

En 1868 débute la restauration du pouvoir de l’Empereur Meiji – et l’ère qui porte le même nom. Comme on pourrait s’en douter, le shogunat, ce gouvernement de la période Edo, ne l’entend pas de cette oreille et la guerre de Boshin éclate dès le mois de janvier. Les troupes impériales finissent par l’emporter mais la résistance s’installe dans le nord du pays, d’abord sur l’île principale d’Honshu, puis à Hokkaido où l’affrontement final, la bataille de Hakodate, perdure d’octobre 1868 à mai 1869. Un symbole de cet affrontement et du shogunat apparaît à la fin du premier tome du manga, en la personne de Toshizo Hijikata, vice-commandant des troupes du Shinsengumi, censé être mort durant la bataille de Hakodate. Ce vieux samouraï, vestige d’une autre époque, est l’un des fameux prisonniers évadés et tatoués. Mais son sabre comme son talent de guerrier n’ont pas du tout l’air de s’être émoussés, et il s’annonce comme un adversaire de taille.

En tout cas, dans les livres d’histoire, la défaite du shogunat marque aussi le rattachement définitif d’Hokkaido au reste du Japon. Le gouvernement nippon, souhaitant aussi bien freiner l’expansion russe en extrême Orient qu’exploiter un territoire largement sous-développé, créa une commission de colonisation pour favoriser le peuplement de l’île en donnant des territoires à des soldats colons. En subissant la ruée vers l’or et en étant le théâtre de la guerre russo-japonaise que nous évoquions plus haut, la province d’Hokkaido et son peuple aïnou ont donc vécu un XIXe siècle plein de changements et de violence, forcés par les autorités japonaises d’homogénéiser leur mode de vie et leur culture aborigène avec celle du nouvel occupant (ce qui n’est pas sans rappeler un conflit similaire de l’autre coté du pacifique entre indiens et américains, à la même époque).

En l’espace de deux générations, plus de 500 000 colons nippons vont débarquer à Hokkaido, multipliant la population par dix et isolant complètement les Aïnous. Le XXe siècle n’est vraiment plus tendre avec cette ethnie, subissant l’assimilation forcée ou alors le mépris… Ce n’est qu’en 2008 que le gouvernement japonais a reconnu officiellement ce peuple indigène, mais la peur de la discrimination reste aujourd’hui suffisamment forte pour que beaucoup de descendants aïnous cachent leur origine. Au 31 décembre 2009, la province d’Hokkaido comptait 5.5 millions d’habitants… pour environ 150 000 Aïnous. Il faut espérer que la mise en lumière de ce peuple par Satoru NODA contribue à les faire ressortir de l’ombre, et c’est sans doute pour cela que l’auteur n’a pas ménagé ses efforts pour réaliser Golden Kamui. Il faut dire que le lien entre le mangaka et ce peuple remonte plus loin que ce simple manga…

 

Quand une histoire familiale devient un manga multi-primé…

Golden Kamui tome 2Satoru NODA est né à Hokkaido et c’est de sa propre histoire familiale qu’est né Golden Kamui : Saichi Sugimoto, notre fameux Immortel, est tout simplement le nom de son arrière grand-père, détaché en mission à Hokkaido puis envoyé combattre les Russes il y a plus d’un siècle. Quand notre mangaka finit son précédent manga fin 2012 (Supinamarada, un shônen sportif sur le Hockey), cette redécouverte de son passé l’inspire pour ce nouveau titre.

Le mangaka étant également chasseur, il envisage au départ un manga sur ce thème. Mais petit à petit des éléments historiques et culturels s’imbriquent dans le récit : le choc des cultures entre Japonais et Aïnous et les événements historiques marquant de cette fin XIXe – début XXe sont trop fascinants pour être mis de côté. Le mangaka s’y plonge et entame des recherches sur de nombreuses thématiques : traditions aïnous, ruée vers l’or, chasse, cuisine locale, bêtes sauvages… C’est un énorme travail qui commence, et NODA part également à la rencontre des derniers représentants aïnous pour écouter leurs souvenirs et leurs traditions. Rien d’étonnant donc que cette œuvre déploie des personnages chargés d’histoire, chacun représentant une facette d’un Japon méconnu et pas forcément très glorieux, délibérément passé sous silence… et que de nombreux amateurs français du Japon vont découvrir pour la première fois.

Néanmoins Golden Kamui n’est pas qu’un simple recueil historico-culturel, tel un livre d’histoire factuel et un peu figé, qui pourrait devenir ennuyeux à la longue. L’étude ethnologique de fond se transforme souvent en guide de survie : la rencontre entre Sugimoto et Ashirpa se fait d’ailleurs lors d’un combat contre un gigantesque ours brun, en compagnie d’un magnifique loup qui rappellera évidemment celui de Princesse Mononoke à de nombreux lecteurs. Entre deux batailles contre la nature, des prisonniers tatoués ou des militaires qui veulent eux aussi le trésor, notre duo va devoir survivre : par -10 -20°c, le savoir du peuple aïnou ne sera jamais de trop ! 

Golden Kamui planche cuisine bis

Avec Golden Kamui, apprenez à cuisiner l’écureuil !

De plus cette époque de conquête d’Hokkaido prend parfois des allures de pillage en règle (qui rappelle, là encore, la conquête de l’Ouest et les guerres indiennes), et le trésor du peuple aïnou aiguise toutes les convoitises. Golden Kamui est donc une quête qui mélange action et aventure, un seinen trépidant et savamment rythmé, avec une bonne gestion des scènes d’actions qui sont nombreuses et assez variées. L’humour y fait même quelques incursions inattendues et des plus rafraîchissantes. En tout cas cette alternance de combat et de découverte culturelle, qui a fait le succès de Bride Stories par exemple, pourrait bien faire mouche une fois de plus, en France y compris, si les prochains tomes sont à la hauteur du premier opus, dont on ressort conquis.

Golden Kamui planche combat

Les militaires s’affrontent pour le trésor des Aïnous !

Pour toutes ces raisons, au Japon, le succès est déjà notable : Grand prix du Manga Taishō 2016, nominé lors du Prix culturel Osamu Tezuka et du Prix du manga Kōdansha, second au Kono manga ga sugoi!… Après deux ans de parution et huit volumes sortis dans l’archipel, la série arrive chez nous avec un joli palmarès. Sa sortie en France le 26 août dernier est pour le moment accompagnée d’excellents retours du public (et de la presse aussi, globalement). On espère que le second tome, qui arrive chez nous le 13 octobre, continuera sur cette lancée !

Golden Kamui

Pour plus d’informations sur le titre, rendez-vous sur le site des éditions Ki-oon et jetez un œil aux premières planches ici.

Paul OZOUF

Rédacteur en chef de Journal du Japon depuis fin 2012 et fondateur de Paoru.fr, je m'intéresse au Japon depuis toujours et en plus de deux décennies je suis très loin d'en avoir fait le tour, bien au contraire. Avec la passion pour ce pays, sa culture mais aussi pour l'exercice journalistique en bandoulière, je continue mon chemin... Qui est aussi une aventure humaine avec la plus chouette des équipes !

7 réponses

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