Roman Porno : Film rose nouveau cru

Annoncé en début d’année par la Nikkatsu à l’occasion des 45 ans des débuts du label, la relance du roman porno a fait saliver plus d’un cinéphile dans le monde du cinéma japonais et international. Porté par cinq réalisateurs clefs du cinéma du Pays du Soleil Levant, le renouveau de ce sous-genre iconique du cinéma érotique s’annonçait dès lors à la fois comme un grand coup médiatique et comme une preuve du sérieux avec lequel le studio souhaitait ramener cette madeleine de Proust cinéphile à la vie.

Après quelques rappels historiques et thématiques sur le genre, nous sommes désormais fin prêts pour appréhender comme il se doit cette nouvelle cuvée de roman porno.

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Pour ce reboot du genre, on retrouve derrière la caméra un panel de cinq réalisateurs connus tant pour leurs films indépendants que pour leurs excursions dans le cinéma commercial. La seule contrainte imposée étant la présence d’une scène de sexe au moins toutes les dix minutes, chaque cinéaste pouvait au delà de ce cadre jouir d’une liberté cinématographique totale.

Hideo NAKATA, mondialement connu pour Ring et dont le film Ghost Theater était présenté l’an dernier à l’occasion de L’Étrange Festival, s’est naturellement tourné vers ce qui fait la force de son cinéma – à savoir ses rôles féminins – en réalisant le drame lesbien White Lilly. Akihiko SHIOTA a rajouté une corde à l’arc de sa carrière éparse – principalement reconnu pour les drames torturés Canary et Harmful Insect, mais également coupable d’adaptations de mangas à succès et de comédies romantiques – en proposant la comédie érotique Wet Woman In The Wind. Kazuya SHIRAISHI – dont la carrière en fin de compte peu fournie oscille entre le méconnu Lost Paradise In Tokyo et le thriller à succès The Devil’s Path a signé le film Dawn Of The Felines. Le retentissant Sion SONO, régulièrement mis à l’honneur dans les colonnes de Journal Du Japon, a comme à son habitude détourné le cadre du projet pour proposer le très arty Antiporno. Enfin, Isao YUKISADA – dont le nom est surtout associé aux dramas Crying Out Love In The Center Of The World et Parade – s’est attelé à la réalisation du film Aroused By Gymnopedies.

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De gauche à droite et de haut en bas, « Antiporno » de Sion SONO, « Aroused By Gymnopedies » d’Isao YUKISADA, « Dawn Of The Felines » de Kazuya SHIRAISHI, « Wet Woman In The Wind » d’Akihiko SHIOTA et « White Lilly » de Hideo NAKATA.

À l’annonce du projet de reboot, le public s’est justement interrogé sur ce que serait un roman porno en 2016. Le genre étant intrinsèquement lié au Japon des années 70, la Nikkatsu allait-elle jouer la carte de la nostalgie et servir cinq métrages sentant bon le réchauffé, ou était-il désormais nécessaire de créer un nouveau roman porno, davantage ancré dans son époque ? Rapidement, on réalise que le but de ce reboot est de parler « des femmes d’aujourd’hui ». « Les temps ont changé », annonce le très beau trailer concocté par la Nikkatsu, « les hommes aussi ont changé, mais la beauté des femmes reste la même ».

Véritable pari cinéphile plus que commercial, les films produits dans le cadre de ce reboot ont été présentés dans de nombreux festivals internationaux, de Locarno à Busan en passant justement par L’Étrange Festival, où le public parisien a pu découvrir deux des cinq métrages ; à savoir Antiporno de Sion SONO et Wet Woman In The Wind d’Akihiko SHIOTA.

En confiant la réalisation d’un de ces reboots au réalisateur Sion SONO, il fallait s’attendre à ce que le produit fini ne soit pas – au mieux – qu’une pâle copie des roman porno d’alors. Rapidement, le nom du film est révélé ; Antiporno. Compte tenu de ce titre, il semblait désormais évident que le réalisateur allait comme à son habitude dynamiter le cadre de ce nouveau projet pour le transformer en une œuvre personnelle empreinte de ses propres leitmotivs, comme il l’avait notamment fait l’an passé avec Tag.

Le film introduit rapidement le personnage de Kyoko, une star de la mode qui s’ennuie dans son appartement en attendant une interview. La jeune femme – interprétée par une Ami TOMITE qui ne cesse de surprendre après ses performances dans Tag et The Virgin Psychics, du même réalisateur – déambule dans son appartement aux couleurs criardes, se laissant aller à des monologues passionnés, qui ne sont pas sans rappeler l’esthétique du film Keiko Desu Kedo, film expérimental de la première heure de la carrière de Sion SONO. Rapidement, le personnage de Kyoko est rejoint par différents interlocuteurs ; son assistante personnelle qu’elle se plaît à humilier et à violenter, ainsi que l’équipe de journalistes chargée de l’interviewer, qui vont la mettre face à ses contradictions, la poussant jusqu’à une violente crise d’identité.

Car avec Sion SONO, rien n’est jamais simple. Les rôles s’inversent et se confondent, la réalité est intangible et la fiction la dépasse. Au-delà d’un simple roman porno, c’est une véritable réflexion sur le cinéma qu’offre le réalisateur avec Antiporno, renouant ainsi avec le message véhiculé par la comédie Why Don’t You Play In Hell? et plus succinctement avec son très court métrage réalisé dans le cadre de l’anniversaire de la Mostra de Venise. Dans Antiporno, Kyoko est une actrice, on peut la voir contempler sa performance à l’écran, exister dans les films et jouer dans sa réalité. Dans cette pièce surréaliste où le non-sens côtoie la surenchère, réalité et cinéma se confondent alors tant pour le personnage que pour le spectateur. La solution de facilité reviendrait à comparer ce nouveau métrage de Sion SONO au chef-d’œuvre de Satoshi KON, Perfect Blue. Mais si les deux films sont effectivement comparables dans l’idée, ils tendent à des fins différentes. Là où Satoshi KON s’attache à ausculter la véracité de la réalité, SONO fait de cette question sa situation initiale et interroge la question d’identité, en se focalisant sur ce personnage de femme moderne dans le Japon contemporain. Comme dans Tag, Sion SONO érige la femme, ses interrogations et sa sexualité comme un étendard symbolique opposé à ce Japon en proie au militarisme et au paternalisme.

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Antiporno jouit d’une esthétique travaillée et d’un minimalisme déconcertant. Le film se déroule dans un appartement clos et la réalisation fluide parvient à nous perdre entre les quatre murs de cette pièce, renforçant ainsi le sentiment d’égarement de Kyoko, ainsi que celui du spectateur. Car dans cette quête métaphysique où tout semble se confondre, le réalisateur prend une fois de plus à partie son public. Non content de jouer avec les nerfs de ce dernier, Sion SONO harangue le spectateur lubrique venu voir un roman porno et le place face à lui-même. À l’instar de Tag, où le message profondément féministe du film prenait à revers le spectateur balourd venu voir des lycéennes se faire démembrer à tours de bras, Antiporno explore la question de l’érotisme et de la sexualité féminine, incluant le public – a fortiori masculin – dans cette réflexion.

Plus encore qu’avec Love & Peace, Sion SONO fait avec Antiporno un véritable bilan de sa carrière cinématographique et artistique. Outre les similitudes notables entre ce dernier film et Keiko Desu Kedo, ainsi que les thématiques chères au réalisateur évoquant tour à tour Why Don’t You Play In Hell? et Tag, on retrouve dans Antiporno les aspirations de Guilty Of Romance couplées à l’atmosphère mystérieuse et fataliste de Suicide Club. De même, l’austérité patriarcale qui pèse sur le personnage de Kyoko n’est pas sans rappeler Strange Circus et le personnage interprété par Ami TOMITE va jusqu’à reprendre les ultimes mots prononcés par Reina TRIENDL dans Tag. De surcroît, non content de proposer une fois de plus un patchwork de sa carrière cinématographique, SONO élargit son panel et incorpore dans son métrage les récentes installations qu’il a conçu à l’occasion de sa première exposition dans la galerie du collectif d’artistes Chim↑Pom, et n’hésite pas à faire intervenir dans des caméos remarqués plusieurs de ses collaborateurs artistiques, l’actrice principale de Strange Circus Fujiko ainsi que la mannequin Manami USAMARU en tête.

Antiporno est véritablement un ovni cinématographique, et si on ne peut pas vraiment dire qu’il s’agit véritablement d’un bon film, il peut se targuer d’être intéressant dans son visionnage et son analyse. La première partie du métrage a de quoi inquiéter tant tout le maniérisme du film est livré brutalement au spectateur. Incarnant les pires affres d’un cinéma japonais braillard, Ami TOMITE est d’abord excessive et irritante, fidèle à son interprétation dans The Virgin Psychics. Évoluant avec le film, le jeu de la jeune actrice s’affine jusqu’à retrouver la justesse de Tag, une preuve que cette dernière mérite ce premier rôle principal face à la caméra de Sion SONO.

On retrouve donc bien dans Antiporno les leitmotivs de l’œuvre du cinéaste qui s’ancrent ici dans un discours profondément féministe et antimilitariste, à l’instar de Love & Peace. Malheureusement, le cinéma de SONO semble avoir perdu de sa délicatesse au profit d’un message martelé au spectateur. De même, tout cela semble être devenu quelque peu systématique dans l’œuvre du réalisateur, et on espère que le prochain métrage de Sion SONO nous donnera tort et saura nous surprendre.

Forcément plus classique que la production de Sion SONO, le film Wet Woman In The Wind d’Akihiko SHIOTA n’est cependant pas non plus à inscrire dans les carcans du roman porno. Alors que SHIOTA est surtout connu pour ses drames sombres liés à l’enfance, l’idée de le voir réaliser une comédie érotique s’annonçait surprenante, même si le réalisateur s’était déjà frotté au genre du film rose avec Moonlight Whispers, sorti en 1999 pour le compte de la Nikkatsu.

Wet Woman In The Wind suit les mésaventures de Kosuke, un acteur de théâtre vivant en ermite au fond d’une forêt et harcelé par une jeune femme qui cherche absolument à avoir une relation sexuelle avec lui. Alors que le schéma du harceleur et de l’innocente victime féminine est un classique inéluctable du roman porno et du cinéma érotique en général, Akihiko SHIOTA moque ce gimmick scénaristique en retournant la situation. Ici, le personnage masculin est harcelé par cette jeune femme à la sexualité débridée. Le réalisateur enchaîne les scènes cocasses et ne manque pas une occasion de dépeindre l’absurdité de la situation en donnant à son film un ton résolument comique. Dans la scène d’ouverture du métrage – donnant à elle seule le ton du film – le personnage de Kosuke lit calmement au bord de la mer alors que la jeune femme déboule à vélo, se jetant sans préavis dans la jetée, avant de ressortir de l’eau trempée jusqu’à l’os, ôtant son haut afin de l’essorer et demandant seins nus au jeune homme de l’héberger chez lui. L’extravagance du personnage féminin et son caractère excessif sont suffisamment loufoques pour que Wet Woman In The Wind ne soit pas pris au pied de la lettre. En multipliant ainsi les situations burlesques, Akihiko SHIOTA met en exergue l’absurdité de la grande majorité des scénarios de roman porno et de films pink, souvent un brin tirés par les cheveux.

Si Wet Woman In The Wind est assez classique dans son esthétique et sa mise en scène afin de coller au mieux aux films roses qu’il parodie gentiment, le film est réellement porté par les échanges fleuris entre les deux personnages. L’acteur Tasuku NAGAOKA, suffisamment impassible pour être crédible dans son rôle de reclus désabusé se heurte à l’incroyable performance de l’actrice Yuki MAMIYA, véritable révélation de cette année 2016 au cinéma, qui s’ouvre avec ce roman porno à une carrière des plus prometteuses.

Le film se perd malheureusement très vite dès qu’il vient entacher cette joute sexuelle entre les deux protagonistes avec de nouveaux personnages. Le film n’excédant pas une heure vingt – comme le veut la tradition des roman porno – notre plaisir est rapidement gâché par ce changement de cap scénaristique. L’humour loufoque et les scènes hautement burlesques laissent alors place à une suite de gags poussifs où l’intention parodique des premières minutes peine à exister, noyée sous une surenchère accablante. Ne reste alors que le bagou de la belle Yuki MAMIYA, qui ne cesse d’impressionner jusqu’aux derniers ébats du métrage.

Avec toutes ces cartes en main – et le fabuleux atout qu’est l’actrice Yuki MAMIYA, on ne le dira jamais assez – Wet Woman In The Wind s’écarte malheureusement très vite des bonnes bases établies par le début du métrage jusqu’à devenir un brin surfait. Une petite déception pour un film pourtant plein de bonnes intentions.

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Avec seulement deux films diffusés en France sur les cinq produits par la Nikkatsu, il est difficile de se faire une idée claire de ce que peut être le roman porno en 2016. Alors que Wet Woman In The Wind prend le contre-pied du genre pour s’en moquer gentiment et qu’Antiporno dynamite totalement le projet, force est de constater que ce nouveau cru cherche à dépasser son héritage pour créer une nouvelle vague rosée. Dommage que L’Étrange Festival n’ait pas été en mesure de proposer une thématique complète autour de ce reboot, dont les titres ont été éparpillés dans plusieurs festivals internationaux.

Il va sans dire que nous sommes pour le moins impatients de voir le reste des métrages qui constituent cette première fournée, en espérant que le roman porno saura rester pérenne dans sa deuxième vie, que l’on souhaite pleine de belles surprises.

1 réponse

  1. 27 juin 2018

    […] Journal du Japon était déjà revenu sur Wet Woman In The Wind à l’occasion de son article Roman Porno : Film rose nouveau cru à l’occasion de son retour sur les cinq films en hommage au Roman Porno pour les 45 ans de […]

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