[Manga] Inspecteur Kurokôchi : quand le ripou le plus malin du Japon fait le ménage !

inspecteur-kurokochi-4-komikkuLa police japonaise, vous connaissez ? Si vous êtes déjà allés au Japon, vous avez sans doute pu admirer leur présence au cœur des villes, leur amabilité et leur promptitude à vous rendre service. De plus le Japon a longtemps eu la réputation d’être un pays sûr avec un taux de criminalité faible… Mais ça ne veut pas dire non plus que l’institution est blanche comme neige. Qu’en est-il des plus hauts étages du système, du travail peu évoqué sur la corruption, de leurs liens troubles avec des hommes politiques faiseurs de scandales ?

 

Créé par Takashi NAGASAKI, le partenaire scénariste de Naoki URASAWA (sur Billy Bat notamment) et dessiné par Kôji KÔNO (auteur de l’excellent Gewalt) Inspecteur Kurokôchi est LE seinen qui enquête et déballe tout sur les plus gros scandales policiers et politiques de ces quarante dernières années au Japon, avec un génie sans morale des plus jubilatoires. Passe-droit et indulgence, impunité et dessous de table, meurtre et détournement de fond, c’est en effet le monde dans lequel évolue  cet étrange lieutenant de la seconde brigade d’investigation qui connait tous les secrets inavouables de tous les hauts placés de la préfecture de Tokyo et les utilises copieusement pour mener la belle vie ! 

Avec la sortie du 9e tome ce mois-ci aux éditions Komikku, il était plus que temps que l’on dévoile tout sur la série et le monde terrifiant qu’elle dévoile…

L’plus pourri des détectiiiiives, oui c’est lui, Kurokôchi le voiciiiii ♫

Kurokochi et Shingo : la rencontre

Kurokochi et Shingo : la rencontre

Lorsque le jeune diplômé de Todai, l’administrateur Shingo Seike, est fraîchement muté de la première à la seconde brigade et fait sa première enquête sur le terrain, il n’a pas de chance : il faut qu’il se coltine l’inspecteur Kurokôchi comme partenaire ! Dans la seconde brigade où il a fait son nid, tout le monde craint ce dernier, et on le décrit comme un démon aux relations tentaculaires, qui a des dossiers sur tout le monde et qui en profite sans vergogne ! Dès qu’un politicien ou qu’une personne en vue a commis un acte répréhensible qui risque de nuire à sa réputation ou à sa carrière, Kurokôchi pointe souvent le bout de son nez pour lui proposer d’étouffer l’affaire ou de le sortir de ce mauvais pas. Mais accepter un coup de main de l’inspecteur n’est jamais gratuit et il vous en coûtera souvent très cher… Au point de rapidement regretter l’aide de ce serpent !

Shingo prend rapidement en horreur ce flic corrompu qui  va chaque jour, au volant de sa Porsche, ramasser ses sacs d’argent à travers la ville, et notre jeune idéaliste compte trouver de quoi le mettre sous les verrous. C’est d’ailleurs ce que lui a demandé son supérieur qui cherche à s’en débarrasser depuis des années sans y parvenir ! Mais devant cet homme à l’intelligence évidente et aux ressources inépuisables, notre jeune recrue finit par hésiter. Derrière ses multiples manigances et son manque effarant de scrupule, chaque pas de Kurokôchi semble avoir un but de bien plus grande envergure, un objectif colossal que nul ne soupçonne : l’inspecteur est sur la piste d’une corruption de bien plus grande envergure que la sienne et il est peut-être sur le point de résoudre le plus grand crime du Japon de l’après-guerre : le casse des 300 millions de yens. En creusant notre inspecteur à déterré l’existence d’une mystérieuse Assemblée du cerisier, une société secrète prête à tout pour étouffer tous les scandales liés à la police, y compris à éliminer ceux qui voudraient faire éclater la vérité. 

Shingo et Kurokôchi, le jeune col blanc et le vieux ripou vont former le plus improbable des duos : tandis que l’inspecteur tente de faire la lumière sur les origines des plus grands scandales de cinquante dernières années mêlant police, politique, terrorisme et religion – et qui vont jusqu’à dépasser les frontières japonaises – , l’administrateur cherche à découvrir les liens qui unissent les différentes organisations secrètes de la police et du gouvernement avec son père, policier lui aussi, mais mort il y a plusieurs années alors qu’il enquêtait sur une autre affaire mystérieuse, reliant la sécurité publique et une secte religieuse dans les années 90…

Qui pourra sortir vainqueur de cette guerre de l’ombre ?

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L’affaire de la rencontre entre Shingo et Kurokôchi

Ripoux contre Ripoux : un bilan désastreux de la police japonaise…

inspecteur-kurokochi-8-komikkuUne chose est sûre : Takashi NAGASAKI et Kôji KÔNO n’y vont pas avec le dos de la cuillère dans ce polar, certes fictif, mais aussi amoral que réaliste ! Le Japon, ce pays où les institutions font toujours tout pour sauvegarder les apparences et aime se targuer d’un sens de l’honneur irréprochable, a forcément du mal à supporter un de leur membre qui multiplie les coups tordus et cache à peine sa totale corruption. Tous les policiers et enquêteurs exècrent Kurokôchi et aimeraient le voir brûler en enfer – toute la sémantique démoniaque y passe dès les premiers tomes ! – mais pourquoi le craignent-ils tous et pour quelles raisons l’homme est toujours en poste après tant d’escroqueries ? Parce que corruption et scandales semblent augmenter proportionnellement avec le pouvoir que vous possédez dans la sphère publique japonaise !

De plus, inutile de croire béatement ceux qui vont diront que « ça, c’était avant » : si on en croit le quotidien économique Nikkei, « 2015 restera dans les annales comme un millésime de scandales à peine croyables de sociétés renommées« . Les Fushoji et shazai kaiken (les sales affaires et conférences d’excuses en VF) ont formé un vrai défilé dans le secteur privé l’an dernier : scandales de maquillages de comptes chez Toshiba, affaire des airbags viciés mais camouflés chez Takata, immeubles résidentiels carrément bancals chez Asahi Kasei … et du côté de l’Etat ce n’est guère plus reluisant :  on peut citer des fuites dans les données sur les retraites et les futurs JO de 2020 n’en finissent plus de poser des problèmes. Mais dans, ces affaires, ce qui peut passer pour, au mieux, une incompétence notable n’est que la partie visible de l’iceberg et, de toute façon, les plus grands scandales de chaque époque ne dévoilent souvent leur vérité que bien des années plus tard. 

Le casse des 300 millions de yen, le point de départ !

Le casse des 300 millions de yen, le point de départ !

Et c’est donc là qu’arrive Kurokôchi, notre improbable justicier. A force de chercher les secrets les plus enfouis dans les hautes sphères politiques pour en tirer profit, il s’est fait plus d’un ennemi et il a toujours besoin d’informations croustillantes pour se mettre à couvert. Cela dit ce n’est pas ce qui manque : nombre de députés nippons qui s’allouent les services de prostitués ou qui acceptent des pots de vins pour confier des marchés à des entreprises plus ou moins douteuses font les choux gras des journaux au Japon depuis plusieurs décennies. Mais parmi les corrompus certains sont évidemment plus malins que d’autres, et sont parfois des bandits d’une toute autre envergure, à l’image des crimes qu’ils sont prêts à commettre. Kurokôchi creuse donc de plus en plus profondément et rien ne semble pouvoir l’arrêter. Qu’il s’agisse des contrats mis sur sa tête ou des magouilles qu’on veut lui mettre sur le dos, personne n’arrive à en venir à bout : il a beau écoper de quelques suspensions et de tentatives d’assassinat, l’homme est inoxydable et semble avoir une veine de cocu qui le tire de tous les mauvais pas !

Vous l’aurez compris, face à tout des hauts dignitaires toujours propres sur eux et gardiens hypocrites de la morale, Kurokôchi et sa virtuosité à débusquer les pourris devient rapidement sympathique, d’autant qu’en quelques chapitres Kôji KÔNO a réussi à parfaitement transmettre les pensées de son personnage phare avec des expressions de malice, de vice, de folie, d’envie, de jubilation ou de malveillance. Des rictus qui mettent dans l’ambiance et insufflent un humour salvateur dans ce monde très sombre et qui convainc le lecteur de prendre parti pour notre cher ripou. Assumant totalement son amoralité, son flair est finalement employé contre une bureaucratie en partie vérolée et on lui pardonne facilement tout l’argent qu’il ramasse au passage car il se montre honnête sur ses intentions dès le départ et il fait preuve d’une redoutable efficacité, avec toujours quelques coups d’avances sur ses adversaires.

Shingo, le jeune idéaliste, comprendra avec le temps – comme le lecteur, en fait – qu’un bon inspecteur n’est ni tout blanc, ni tout noir et que s’il veut aller jusqu’au bout des affaires les plus sordides il devra sortir du rang. Tout le système n’est pas pourri et le manga prend garde à ne pas tomber dans ce cliché : il met en avant des factions internes qui tentent de faire le ménage et d’aider Kurokôchi et Shingo incognito. Mais personne n’est jamais au-dessus de tout soupçon et ceux qui semblent le plus immaculés sont souvent les plus redoutables !

 

Le crime paie : la luxueuse demeure de Kurokôchi

Le crime paie : la luxueuse demeure de Kurokôchi

Alors qu’en France, le jugement récent de l’affaire Cahuzac est une piqûre de rappel qui alimente la défiance croissante pour notre appareil politique, le Japon connait cette problématique depuis des décennies et ne semble pas en venir à bout. Dans ce contexte, Inspecteur Kurokôchi incarne une transgression pas si immorale que ça mais qui, clairement, se moque d’une manière jouissive des apparences. Dès lors, l’infernal lieutenant peut aller creuser plus profondément, aux vraies racines du mal, le long d’une troublante mais passionnante enquête qui passe à la loupe les vieux dossiers des systèmes policier et politique japonais, des années 60 à nos jours, sans négliger une cinglante dérision des penchants humains pour l’argent et le pouvoir. Fictif mais édifiant, drôle mais méchamment inquiétant !

 

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Paul OZOUF

Rédacteur en chef de Journal du Japon depuis fin 2012 et fondateur de Paoru.fr, je m'intéresse au Japon depuis toujours et en plus de deux décennies je suis très loin d'en avoir fait le tour, bien au contraire. Avec la passion pour ce pays, sa culture mais aussi pour l'exercice journalistique en bandoulière, je continue mon chemin... Qui est aussi une aventure humaine avec la plus chouette des équipes !

1 réponse

  1. 27 août 2017

    […] de manga a eu la cruelle désillusion d’apprendre que l’Inspecteur Kurokôchi (une série que l’on aime tout particulièrement, en plus) n’avait au final pas remporté le Fauve du […]

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