[Classiques cinéma] TOKYO : THE LAST MEGALOPOLIS

Retour sur une production atypique du cinéma japonais des années 80, Tokyo : The Last Megalopolis. Adapté d’un livre culte ayant engendré de nombreuses adaptations sur divers supports, dont la plus célèbre reste l’OAV signé Rintarô entre 1991 et 1992, et qui mériterait d’être redécouvert et réhabilité en occident. Une oeuvre particulièrement ambitieuse, dont la transposition cinématographique mérite d’être évoqué à travers sa genèse, ses qualités comme ses défauts et son important héritage. 

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UNE GENÈSE PRESTIGIEUSE

En 1985 Hiroshi ARAMATA écrivain, spécialiste et traducteur d’études consacrées à Lafcadio HEARN, Bram STOKER, H.P. LOVECRAFT, J.R.R. TOLKIEN et Robert E. HOWARD publie le premier volet de sa saga Teito Monogatari. Une série de romans se déroulant sur plusieurs décennies, du début du 20e siècle jusqu’en 1998, narrant les péripéties de plusieurs personnes et familles, dont certaines biens réelles, luttant contre Yasunori Kato, un sorcier démoniaque cherchant à détruire Tokyo. Une fresque dans laquelle ARAMATA mêle son érudition historique et topographique au folklore ésotérique, tout en payant son tribu aux maîtres de la littérature fantastique qu’il affectionne. Une réussite comparable par son ambition à La tour sombre de Stephen KING en occident. Douze volumes seront publiés jusqu’en 1989, vendu à plus de 5 millions d’exemplaires. Récompensé par un Nihon SF Taisho Award et bénéficiant de couvertures signées Yoshitaka AMANO (la saga vidéoludique Final Fantasy, voir notre interview) pour la réédition des premiers volumes en 1987, ces best-sellers attirent l’attention de Akio JISSÔJI.

Ce dernier est un touche à tout ayant débuté sa carrière de réalisateur dans les années 60 avec la série Ultraman, avant d’œuvrer dans le drame avec Mujô en 1970. Par la suite ce cinéaste alternera entre le plus célèbre des super héros et les drames sadomasochistes. Pour ce nouveau projet de ARAMATA, JISSÔJI s’associe à Takashige ICHISE à la production. L’adaptation est confiée à Kaizô HAYASHI futur réalisateur des polars Maiku Hama. Ce dernier écrit un scénario qui condense les quatre premiers tomes. JISSÔJI retrouve son compositeur Maki ISHII et son directeur artistique Noriyoshi IKEYA  secondé par Takeo KIMURA ancien collaborateur de Seijun SUZUKI. La photographie est confiée Masao NAKABORI qui travaillera plus tard avec Hirokazu KOREEDA et SABU, tandis que l’ancien monteur de Nagisa ÔSHIMA, Keiichi URAOKA se charge d’assembler le métrage. Reste l’épineux problème des effets spéciaux.

La compagnie Marbling Fine Arts, qui a travaillé sur de nombreux Kaiju Eiga et films catastrophes, se charge des divers effets sous le patronage de Tetuzo OSAWA actif sur de nombreux Godzilla et La légende des huit samouraïs. Parmi ses assistants on retrouve Shinji HIGUCHI futur spécialiste des SFX sur la trilogie Gaméra et réalisateur de l’adaptation live de L’attaque des Titans ainsi que de Godzilla Résurgence. L’équipe invite l’artiste biomécanique suisse H.R. GIGER, connu dans le monde entier pour la création d’Alien, à concevoir le design du Gohô dôji. Quand à Etsuko EGAWA, (S.O.S. fantômes) elle se charge des maquillages. L’une des premières caméras HD, la Sony HDVS, est utilisée pour certaines scènes.

La distribution n’est pas en reste outre la présence de Shintarô KATSU (la saga Zatoïchi) dans le rôle de l’industriel Eichi Shibusawa, Mieko HARADA (Ran) dans celui Keiko Tatsumiya chargée par un esprit de protéger la famille Tatsumiya, et Jô SHISHIDO (comédien fétiche de Seijun SUZUKI) dans le rôle du constructeur du métro de Tokyo, on retrouve Mikijiro HIRA (Trois samouraïs hors la loi), Haruka SUGATA (Rêves), Shirō SANO (Violent Cop), Kôji TAKAHASHI (Godzilla vs. Biollante) et Kô NISHIMURA  (La harpe de Birmanie). Un débutant, Kyûsaku SHIMADA, incarne le démon Yasunori Kato. Le tournage eu lieu en 1987 pour un budget équivalent à 8 millions de dollars, une somme très importante pour l’industrie du cinéma japonais de l’époque, s’expliquant par la complexité des effets requis, la construction du décor principal et la fabrication de 3000 costumes.

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Concept art du Gohô dôji par H.R. GIGER.

L’HORREUR ÉPIQUE

Tokyo : The Last Megalopolis est une oeuvre à part dans le paysage cinématographique de l’époque. Tout comme les romans dont il est issu, le film de Akio JISSÔJI se veut une relecture occulte de l’histoire de la capitale, questionnant en arrière plan le contexte sociologique, politique et économique ayant façonné l’identité japonaise du 20e siècle. À travers trois époques (1912, 1923 et 1927) le film est d’une portée allégorique évidente comme en témoigne l’évocation du grand séisme de 1923. Le réalisateur mêle avec une aisance remarquable faits historiques et relectures occultes par l’intermédiaire de différents points de vues. Qu’il s’agisse de l’industriel Shibusawa, de la famille Tatsumiya ou même du docteur Makoto Nishimura (Kô NISHIMURA), JISSÔJI s’amuse avec beaucoup d’espièglerie à tisser des correspondances occultistes avec des personnalités ayant réellement existé. Cependant, loin de verser dans un sensationnalisme de bas étage, le film garde un point de vue humain et ouvertement fantasmatique à travers le soin apporté à la caractérisation de chaque personnage, y compris secondaires, témoignant d’un véritable amour de la part du réalisateur envers l’univers de ARAMATA. La grande force du long métrage est d’avoir fait de ses protagonistes issu de différentes catégories socio culturelles des héros dont chaque acte, aussi isolé soit t’il, aura des répercutions à l’échelle historique.

L’autre atout majeur de Tokyo : The Last Megalopolis réside dans Yasunori Kato, un Onmyoji (sorcier en japonais) cherchant à anéantir la cité par l’intermédiaire d’une réincarnation pouvant accueillir l’esprit de Taira no Masakado ancien combattant devenu une entité divine aux yeux des habitants. Brillamment incarné par SHIMADA, vêtu d’une tenue de général et souvent filmé en contre-plongée pour accentuer sa dimension iconique. Il n’apparait qu’à certains moments, mais son pouvoir sur les éléments donne l’impression au spectateur d’un sentiment de puissance qui le rapproche d’un monstre gothique à la Dracula. Quand à Keiko Tatsumiya, auquel Mieko HARADA apporte son extraordinaire charisme, il s’agit d’une héroïne chevaleresque. Une opposition radicale entre ses deux protagonistes étroitement lié au mysticisme animiste. La menace apocalyptique confère au film une dimension épique hérité de toute une tradition de l’horreur littéraire. Cependant, aussi passionnant et attachant que soit les protagonistes de Tokyo : The Last Megalopolis, leurs grandes profusions et leurs d’intrigues, pourtant riches et développées, à tendance à perdre le spectateur lors d’un deuxième tiers qui privilégie les ellipses narratives, gâchant la compréhension de l’intrigue. Malgré ses deux heures, le film aurait gagné en longueur pour clarifier l’ensemble des enjeux. Cependant les multiples climax rattrapent une partie des défauts, à travers différents groupes unis face à un objectif commun.

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Le redoutable Yasunori Kato.

 

BLOCKBUSTER ARTISANAL

À l’instar de nombreuses productions américaines et Hong-kongaises des années 80, Tokyo : The Last Megalopolis utilise le renouveau des effets spéciaux de manière conséquente pour concrétiser des visions difficiles à matérialiser auparavant. Le point fort du film est d’avoir gardé une théâtralité des décors d’autrefois combiné aux dernières technologies de pointe, pour un résultat harmonieux encore très impressionnant aujourd’hui. Qu’il s’agisse du suitmation (interprète dans un costume), des maquillages, des mattes paintings, de l’animation, des marionnettes ou de la Stop Motion, les effets s’avèrent aussi convaincants que ceux employés à la même époque par une société prestigieuse comme Industrial Light & Magic où des spécialistes tels Phil TIPPETT et Rick BAKER malgré un budget beaucoup moins important que ces derniers. La raison principale est à chercher dans le soin apporté aux différents designs, dont un robot que n’aurait pas renié TEZUKA, ainsi qu’à la maximisation de chaque effet permettant la création de scènes mémorables : des manuscrits se transformant en corbeaux maléfiques, une femme vomissant un insecte, Kato contemplant la capitale après le séisme… Une plus-value que l’on retrouve également dans les effets pyrotechniques et les décors permettant une immersion totale dans le Tokyo du début du 20e siècle. À ce titre il est probable que le décor servant à l’affrontement final entre Keiko et Yasunori soit celui aperçu dans Kwaidan de Masaki KOBAYASHI et Kuroneko de Kaneto SHINDÔ.

Autant d’éléments qui ne sont pas sans préfigurer la démarche de Peter JACKSON sur Braindeadoù le cinéaste Néo Zélandais utilisait une combinaison ingénieuse d’effets spéciaux dans le cadre pour donner l’illusion du Wellington des années 50 malgré son petit budget. Tokyo : The Last Megalopolis utilise les dernières technologies de pointe afin de ressusciter tout un pan du folklore mythologique japonais. La photographie bien que tributaire de « la lumière bleue » des années 80, parvient à contourner les conventions esthétiques de l’époque à travers des effets maîtrisés et une utilisation spectaculaire du contre jour, tout en conservant un aspect pictural des cadres notamment lors d’un Hara Kiri. La mise en scène fait également la part belle aux panoramiques, ainsi qu’à un montage expérimental dans ces effets subliminaux en accord avec l’aspect épistolaire de l’histoire. Jamais gratuit tous ses effets s’avèrent cohérent avec l’ambiance épique et fantastique véhiculé par le récit faisant de Tokyo : The Last Megalopolis une vraie réussite lui permettant de traverser avec aisance l’épreuve du temps malgré ses défauts.

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Keiko Tatsumiya se prépare à l’affrontement final.

 

À REDÉCOUVRIR D’URGENCE

Sorti le 30 janvier 1988 au Japon, Tokyo : The Last Megalopolis sera un énorme succès critique et commercial rapportant près de 18 millions de dollars. Son succès engendra le tournage d’une suite Tokyo: The Last War avec Takashige ICHISE à la réalisation. Ce dernier s’imposera par la suite comme l’un des plus importants producteurs de J-Horror avec les franchises Ring et Ju-On. Le long métrage de Jissôji marqua également une étape importante dans le développement de l’industrie des effets spéciaux locaux. La popularité de Tokyo : The Last Megalopolis se traduisit par une influence considérable encore aujourd’hui. Outre les déclinaisons en OAV cités plus haut pour lequel Kyûsaku SHIMADA repris son rôle de Kato au doublage, son personnage fut l’inspiration principale de Washizaki dans le manga Riki-Oh et surtout du général Bison dans le jeux vidéo Street Fighter II. Tandis que le film fut cité dans quantités d’autres œuvres.

Bien que Tokyo : The Last Megalopolis ne soit pas un chef d’oeuvre, il n’en demeure pas moins une oeuvre passionnante et attachante. Le positif l’emportant largement sur le négatif grâce à la générosité et la dévotion de l’équipe à l’égard du matériau de base. Un long métrage qu’il serait grand temps de réhabiliter en occident, pour le faire découvrir au plus grand nombre, tout comme l’oeuvre de Hiroshi ARAMATA.

Tokyo : The Last Megalopolis est disponible en DVD Zone 1 chez ADV Films

Remerciements à Aurélien « Sanjuro » GOURIOU. 




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