La Mission Iwakura : un tour de l’Occident il y a 150 ans

En 2018 le Japon fêtera les 150 ans de la restauration Meiji, une époque riche en personnalités marquantes pour le pays, comme Sakomoto RYÔMA que nous évoquions il y a peu. L’un des événements marquants de cette période de renouveau se déroula de 1871 à 1873, lorsque le gouvernement japonais envoie une ambassade en Occident, la Mission Iwakura, dans une sorte de tour du monde sans précédent.

Premier mouvement diplomatique de l’ère Meiji, il fut également un mouvement profitable pour ce Japon en reconstruction. Quatre ambassadeurs et une cinquantaine de personnes vont partir ré-explorer le monde entier pendant plus de deux années : États-Unis, Angleterre, France, Belgique, Pays-Bas, Russie, Empire allemand, le Danemark, la Suède, l’Autriche, l’Italie, Suisse, Égypte, Inde, Chine… Un périple unique où vous emmène aujourd’hui Journal du Japon dans un dossier historique, pour faire un bon dans le temps et un grand voyage !

 

La mission IWAKURA entre rencontres officielles (en rouge) et étapes ou visites du voyage (en bleu)

 

Mission IWAKURA : les ambassadeurs japonais redécouvre le monde…

En 1868, le Japon entre dans une nouvelle ère. Par son abdication et son refus de nommer un successeur, Yoshinobu TOKUGAWA, 15e shogun, avait mis fin au shogunat. Ce fut l’occasion pour le nouvel Empereur Mutsuhito d’être le seul souverain du Japon et de mener à bien la réforme de son pays. Mais pour cela, il devait mettre fin à l’isolationnisme du Japon et faire en sorte que l’Occident ne mette pas la main sur son pays.

Il fut donc décidé de lancer une mission en l’Occident avec trois objectifs :

  • diplomatique : obtenir la renonciation des traités défavorables au Japon,
  • politique : donner une bonne image du Japon et une reconnaissance du nouveau pouvoir en place,
  • scientifique : gagner des connaissances sur la culture, la civilisation, la technologie occidentale.

Nommée Mission IWAKURA, elle fut dirigée par l’ambassadeur et Ministre des Affaires politiques Tomomi IWAKURA qui lui donna son nom, à ses côtés les vice-ambassadeurs OKUBO Toshimichi, KIDO Takayoshi et ITO Hirobumi

Portrait de Tomomi IwakuraIWAKURA Tomomi avait été chambellan de l’empereur Kômei. A cette époque, il était un fervent opposant à l’ouverture vers les pays étrangers. Il monta même un groupe d’opposition à un traité Japon – États Unis en 1858. Après l’assassinat de Ii Naosuke, Tomomi organisa l’alliance du shogunat avec la cour impériale par le mariage de la princesse KAZUNOMIYA et du shogun Iemochi Tokugawa, le Kôbu Gattai. En faisant cela, il fut vu comme un partisan du shogunat et de son ouverture vers l’Étranger. Après quelques années d’errance politique, il contribua à l’abdication du shogun puis, en 1868, il devient Ministre des affaires étrangères pour l’empereur avant de devenir en 1871 ministre d’État.

Portrait de Toshimichi OkuboOKUBO Toshimichi était un samouraï de Satsuma. Au départ partisan du Kôbu Gattai, il finit par se ranger à l’opinion que le meilleur choix pour le Japon est la chute du shogunat. A cette fin, il crée une alliance secrète avec Saigô Takamori et Kido Takayoshi, l’alliance Satchô. Tous les trois formèrent en 1868 le gouvernement provisoire après avoir proclamé la restauration Meiji. Par la suite, Toshimichi devint ministre des finances.

Portrait de Takayoshi KidoKIDO Takayoshi, fils de médecin, avait été adopté par la famille Katsura. Très tôt, il s’intéresse aux navires et à l’armement occidental. D’ailleurs, il supervisa la construction du premier navire de guerre à l’occidentale de Chôshû. Il fut aussi très proche du mouvement Sonnô Jôi qui prônait la fin du shogunat et l’expulsion des étrangers. Dans le gouvernement Meiji, il joua le rôle de conseiller impérial. C’est lui qui a inspiré le personnage de Katsura dans Gintama.

 

Portrait de Hirobumi ItoITÔ Hirobumi était un fils de paysan qui par le jeu des adoptions devînt un membre de la famille Itô. Éduqué dans l’ambiance xénophobe de l’école de Matsumoto, il rejoint le Sonnô Jôi. Ce fut l’un des membres actifs de la lutte. Puis en 1863, il fit partie des 5 missionnés par le clan de Chôshû pour partir au Royaume Uni afin d’étudier les sciences et les mœurs des Européens. Ce voyage bouleversa ses convictions, il se rendit compte de l’énorme retard du Japon sur l’Occident. Lors de la restauration Meiji, il prit le poste de Conseiller chargé des affaires internationales. Puis en 1870, il part aux États-Unis étudier le système monétaire avant de devenir directeur du service des impôts et des taxes.

Le reste de la suite se composait de l’historien Kunitake KUME, de 48 administrateurs et enseignants ainsi que 60 étudiants, dont 5 femmes.

Le départ de la Mission Iwakura est donné le 23 décembre 1871. Leurs étapes étaient San Francisco, Washington, l’Angleterre, la France, la Belgique, les Pays-Bas, la Russie, l’Empire allemand, le Danemark, la Suède, l’Autriche, l’Italie et la Suisse. Pour le retour, ils sont passés par l’Égypte, Aden, Ceylan, Singapour, Saïgon, Hong Kong et Shanghai. Le 13 septembre 1873, ils étaient finalement de retour au pays.

 

Les États-Unis : 15 janvier au 6 août 1872

La Baie de San Francisco

Gravure du Golden Bridge, J. D. Smillie, 1872.

Le 15 janvier 1872, la Mission Iwakura débarque à San Francisco pleine d’assurance quant au fait de pouvoir mener sa mission à bien. Elle avait jusqu’au 1er juillet 1873 pour repousser les négociations d’un nouveau traité signé avec les États-Unis afin de le ré-équilibrer en faveur du Japon. Mais cela débuta du mauvais pied.

Lors de la première rencontre avec le secrétaire d’État Hamilton Fish, ce dernier réussit si bien à embrouiller les membres de la mission qu’il finit par leur faire croire que ce qu’ils voulaient était signer le brouillon de ce nouveau traité. Mais pour cela, les lettres de créances données par l’empereur Meiji n’étaient pas suffisantes selon Fish. Une partie de l’équipe dut rentrer en urgence au Japon pour obtenir les papiers manquants.

Hamilton Fish et les haut-commissaires en 1871

Hamilton Fish et les haut-commissaires réunis à Washington en 1871 pour rédiger le traité de Washington.

Puis, la Mission Iwakura tenta de convaincre Fish de conclure les négociations et de signer le nouveau traité en Europe après la fin de leur tournée diplomatique. Mais Fish considérait que la signature devait lieu avoir soit aux États-Unis soit au Japon et qu’il devait être le signataire. Il refusa toute autre option.

Néanmoins, le séjour aux États-Unis ne fut pas centré uniquement sur des questions diplomatiques. La Mission visita des industries, des écoles, des musées. C’est en visitant ces derniers que commença à germer chez eux l’idée de la préservation du passé pour aller de l’avant.

 

 

Royaume Uni : 17 août au 16 décembre 1872

Liverpool from Wapping de John A. Grimshaw

Liverpool from Wapping, 1875, John A. Grimshaw, Philadelphia Museum of Art.

Après onze jours de mer, la mission Iwakura débarqua enfin à Liverpool le 17 août. Malheureusement, lors de leur arrivée à Londres, la Reine Victoria et une partie de son gouvernement étaient absent. En plus, pour ne pas arranger leurs affaires, la mission dut aussi gérer les salutations constantes des étudiants japonais venus étudier en Angleterre. Bon an mal an, ce fut l’occasion de se rendre compte que certains des 80 étudiants menaient des recherches inutiles aux frais du gouvernement japonais !

Les problèmes ne s’arrêtèrent pas là. Lors de ce voyage, un étudiant devenu directeur de la filiale londonienne d’une branche américaine, MINAMI Teisuke, essaya de convaincre la mission et tous les Japonais résidant au Japon d’investir dans sa banque. Plusieurs d’entre eux lui confièrent leur argent et celui du gouvernement japonais. Mal leur en pris. La banque fit faillite et personne ne revit la couleur de son argent.

Ce même Minami se mit à promouvoir le mariage entre Japonais et Étrangers sous prétexte de renforcer la puissance du Japon au travers de tels unions. Derrière cet argument se cachait surtout le fait que Minami souhaitait épouser une certaine Liza… Ce qu’il fit en 1872, un an avant que la légalisation existe sur ce thème au Japon. Mais quelques années après être rentré au Japon, Minami divorça de sa belle. La raison : elle refusait de se comporter comme une bonne épouse japonaise.

Sir Harry Parkes, consul général du Japon, vers 1870

Sir Harry Parkes, consul général du Japon, vers 1870.

Mais revenons-en à la Mission Iwakura. En attendant le retour de la reine à Londres, les émissaires décidèrent de visiter le nord du pays. Ils purent admirer les routes, rails et canaux qui facilitaient les voyages partout dans le pays, jusqu’au phare de Bell Rock, au large de l’Ecosse, qui existe toujours et qui est le plus vieux phare du monde encore en activité. R. H. Brunton, qui avait pour projet la mise en place de phares au Japon, les accompagna donc dans leur périple, tout comme l’ambassadeur anglais au Japon sir Harry Parkes, qui leur fit visiter des usines. Tomomi Iwakura montrant des problèmes de santé, ce fut aussi l’occasion de visiter la campagne écossaise. Ils furent surpris de voir que même les enfants se créaient leurs propres musées (avec diverses collections personnelles), mais également par la propension des femmes anglaises à poser des questions et avoir une opinion… Même s’ils les trouvèrent plus réservées et respectueuses que les Américaines.

Malheureusement, en dehors de ces découvertes, il faut bien avouer que, diplomatiquement, la mission ne menait à rien pour le moment. Ils ont pu découvrir ce qui faisait du Royaume Uni la première puissance industrielle d’Europe, mais cette vision fut entachée par la pauvreté, le problème de l’opium et les suicides… notamment celui d’une jeune femme ayant sauté d’un pont qui les marqua particulièrement.

 

France : 16 décembre 1872 au 17 février 1873

La Seine et Notre-Dame de Paris en 1864

La Seine et Notre-Dame de Paris, 1864, Johan Barthold Jongkind, © RMN (Musée d’Orsay).

Le 16 décembre 1872, la Mission Iwakura pose le pied en France, à Calais. Le Général Appert et le Commandant Chanoine étaient là pour les accueillir et les amener à Paris. Arrivés à la capitale, ils purent apprécier le temps clair et l’air pur, plus qu’appréciable après une Angleterre pluvieuse et à l’air pollué par l’industrie. Le temps ne fut pas le seul à être aimable. Le Président Thiers accueillit chaleureusement la mission et les autorisa à visiter ce qu’ils leur plairaient.

La Mission Iwakura put donc visiter la fabrique d’une des plus grandes parfumeries françaises, la Maison Violet. La Maison avait réussi à élever un petit artisanat à un niveau industriel ce que les Japonais n’auraient jamais pensé réalisable. De plus, en ce 21 janvier 1873, ce ne fut pas que leur nez qui fut émoustillé mais aussi leurs papilles, avec la visite d’une chocolaterie.

L'Usine de la parfumerie Violet en 1886

L’Usine de la parfumerie Violet en 1886.

Mais le voyage en France ne se résumait pas aux choses appétissantes. La Mission découvrit l’artisanat et l’industrie française. Ils visitèrent aussi une ferronnerie (le 10 janvier) suivi le lendemain par la Manufacture nationale de Sèvres avec ses porcelaines à la renommée internationale. Le 23, c’est autour de l’orfèvrerie Christofle. Christofle fournissait les tables des grands de ce monde et même des groupes sculptés pour l’Opéra Garnier. Le domaine du textile n’est pas oublié avec la visite de la Manufacture des Gobelins. Hirobumi fut le seul à s’éloigner de l’Île-de-France pour visiter les industries textiles d’Elbeuf.

La visite du Conservatoire des Arts et Sciences, de l’École des Ponts et Chaussés, de l’École des Mines, les installations d’eaux de Paris permirent aux Japonais de se faire une idée sur l’avancée de l’ingénierie française et l’importance de l’éducation. D’ailleurs, le 23 et le 25 janvier, ils visitèrent respectivement une école de sourds et une école d’aveugle. Le domaine financier et économique ne furent pas en reste avec les visites de l’Hôtel de la Monnaie, d’un prêteur sur gage puis de la Banque de France.

Le Palais du Luxembourg vers 1890

Le Musée du Luxembourg était hébergé dans le Palais du Luxembourg, (photo de Adolphe Giraudon, c. 1890).

La France, c’est aussi la culture, l’histoire. Et là, après une visite de la Bibliothèque National le 6 janvier, la Mission Iwakura prit des airs de touristes : visite du tombeau de Napoléon, des châteaux de Fontainebleau et de Saint-Germain, du musée du Luxembourg, de l’Arc de Triomphe, de l’Académie des Beaux-Arts et du château de Versailles. D’ailleurs, Kido profita que ses collègues soit à l’Assemblée National pour retourner à Versailles.

Par ce défilé, la France voulait montrer que, malgré sa défaite contre l’Allemagne en 1870, elle était toujours un pays fort avec une armée forte. On ne pouvait donc se passer de la visite de site militaire comme l’école de Saint-Cyr (15 janvier), la forteresse du Mont Valérien (17 janvier) suivi le 18 de l’école d’artillerie et de la caserne à Vincennes.

Dans ce domaine militaire, la Mission Iwakura devait aussi renégocier la présence de l’armée française à Yokohama. Mais comme la France était encore en bisbille avec le Royaume Uni (présent lui aussi à Yokohama), ce type de décision ne pouvait être prise sans le gouvernement anglais.

Cela n’empêcha pas que Iwakura et sa suite de rencontrer le Ministre des Affaires Étrangères, le comte Rémusat à trois reprises,au Quai d’Orsay. La question des traités fut abordée. Rémusat leur indiqua que, bien que le traité actuel lui convienne, la France n’était pas fermée aux discussions. Les 29 et 30 janvier furent dédiés à des réceptions diplomatiques. Pour leur rencontre avec le président Thiers à l’Élysée, Iwakura fut escorté par deux troupes de cavalerie et reçu par une garde d’honneur. Lors de leur entretien, le président français donna ses encouragements et apporta son soutien à leur mission.

Rencontre entre la Mission Iwakura et le président Thiers

La Mission Iwakura avec le Président Thiers le 26 Décembre 1872, Le Monde Illustré, 1873.

Après toutes ces visites la Mission Iwakura considéra que la France était un pays en bonne santé, et malgré la défaite de 1870 : un pays d’élégance et de délicatesse où régnait un équilibre entre compétence humaine et machines, là où le Royaume Uni n’était que machine et production de masse. Ils ont aussi noté que notre pays était un réservoir de talents, en particulier dans les domaines de l’économie et du droit commercial. Paris était pour eux l’une des trois grandes capitales commerciales du monde, le centre de la mode et de l’artisanat en Europe. Du point de vue religieux, ils apprécièrent le peu d’intrusion de l’église dans la vie quotidienne des parisiens, surtout en comparaison des États Unis et de l’Angleterre, et ils ont particulièrement apprécier de savourer leurs dimanches, aux airs de vacances.

De leur visite aux Pays des Lumières, Iwakura et sa troupe retinrent qu’il ne fallait pas balayer le passé pour construire une identité nationale, qu’il fallait s’appuyer sur cet héritage. Avoir un empire colonial permettait aussi d’enrichir un pays grâce aux facilités d’acquisition de matières premières. Ils eurent à réfléchir sur l’histoire et la nature de la politique, des changement technologiques, de l’urbanisme prolétaire avec le Parc des Buttes-Chaumont et du développement de l’astronomie avec la visite de l’Observatoire de Paris.

 

Belgique : 17 au 24 février 1873

La Mission Tokugawa en Belgique

La Mission Tokugawa en Belgique, septembre 1867.

Après cette visite en France, la Mission Iwakura se dirigea vers la Belgique. Le parcours de la visite fut similaire à celle réalisé en 1867 par la mission du Bafuku menée par TOKUGAWA Akitake. La principale différence entre les deux fut les visées de ces missions : militaire pour la première, industriel pour Iwakura. En effet, grâce à la Révolution industrielle qui pris place sous Napoléon, la Belgique, maintenant indépendante, était la deuxième puissance industrielle d’Europe derrière le Royaume Uni. Mais le pays faisait face à un problème : la France et le Royaume-Uni avaient quasiment fini leur transformation. La Belgique devait donc trouver de nouveaux marché pour y vendre sa production. La Chine et le Japon leur semblaient donc des plus appétissants.

Le plat pays mit donc en avant son industrie, quassi-exclusivement : visites de Liège et Seraing, de la Filature et Tissage de Coton de M. F. Lousbergs à Gand, la cristallerie du Val-Saint-Lambert, la Société Anonyme Cockerill (sidérurgie). L’industrie du verre étonna tout particulièrement les Japonais. La discussion avec le représentant du gouvernement le 23 février porta également sur le plan commercial, afin de donner d’autoriser la Belgique, ou pas, à utiliser les ressources du sous-sol japonais.

Allemagne : 7 au 28 mars 1873

La villa Hügel en cours de construction, 1871

La villa Hügel en cours de construction, 1871, © Villa Huegel Essen.

Quand la Mission Iwakura arrive en Allemagne, cela faisait deux ans que le pays s’était unifié en tant qu’Empire allemand avec à sa tête Guillaume Ier, roi de Prusse, et trois ans qu’il savoure sa victoire sur la France.

Le 7 mars, la Mission part de La Haye pour se diriger vers Berlin. Ayant pris du retard sur le plan originel, le nombre de membres de la mission se réduit à 30. Okubo, lui, rentrera au Japon après avoir visité Berlin. À la frontière avec les Pays-Bas les attendaient le colonel Wright, le lieutenant colonel Roerdansz et L. Kniffer, ancien consul à Nagasaki pour accompagner la Mission japonaise en train. Arrivé à Bentheim, il est décidé de passer par Essen pour visiter l’aciérie Krupp, fabricant de mitrailleuses. Kume fut impressionné par la taille de l’usine et par la sécurité l’entourant, de même que par la taille du nouveau manoir de la famille Krupp, nommé la villa Hügel, alors en cours de construction (photo ci-contre).

Les Japonais n’arrivèrent à Berlin que le 9 mars au matin. Sur le quai de la gare les attendaient l’envoyé Sameshima Naonobu, venu de Paris, et des étudiants japonais berlinois (en 1869, Berlin comptait environ 70 étudiants japonais).

Otto von Bismarck

Otto von Bismarck, Kunstverlag Carl Krause & Co. Berlin.

Deux jours plus tard, l’empereur Guillaume Ier organise une réception en leur honneur au palais royal dans la Salle Blanche. Le lendemain, ils se rendirent au Reichstag (le parlement), et s’en suivit un dîner chez l’Empereur. La mission profita de courses de chevaux avec les Princes de sang royal. Le 15 mars eut lieu un dîner chez le ministre-président Bismarck. Malheureusement, la renégociation des traités ne donna pas de meilleures résultats que précédemment. On leur expliqua qu’un pays faible était toujours en désavantage. En clair : le Japon était trop faible pour espérer quoique ce soit.

Lors d’une dernière entrevue avec l’Empereur à l’occasion de la grande Exposition de la Pêche, la mission fut surprise de voir la proximité entre l’empereur et la foule venue en visite. Mais ne perdant pas le nord, les Japonais revinrent à leur intérêt premier la technologie et en particulier des filets de pêche de Itzehoe tressés par un processus mécanique.

La visite du 16 mars de l’Arsenal de Berlin (utilisé alors surtout comme musée de l’armée) fut l’occasion pour Kume de se moquer gentiment de la politique maritale des grands d’Europe : le mariage entre familles dirigeantes n’empêchait nullement les guerres. Il s’amusa aussi de l’histoire du quadrige de la porte de Brandebourg et du lion du monument de Waterloo (chaque vainqueur piquant une statue au vaincu, qui récupère sa statue une fois vainqueur).

Prison de Moabit en 1855

Prison de Moabit en 1855, ©Wikipedia Commons.

Le parcours de la mission n’oublia pas des casernes dont une caserne de pompier, l’Hôtel de la Monnaie, l’Imprimerie royale, le Bureau du Télégraphe et la prison de Moabit. Kume déplora le traitement des prisonniers, masqués et séparés par des écrans de bois dans la chapelle qui lui rappela celui réservé aux prisonniers américains.

Du coté des industries, après avoir visité le Bureau du Télégraphe, les Japonais virent la fabrication des télégraphes par Siemens. Dans l’usine de Borsig, ce fut la fabrication des locomotives à vapeur. Comme en France, il y eut une visite d’une manufacture de porcelaine. Et pour changer, Iwakura et sa troupe purent découvrir le site de fabrication des eaux minérales artificielles de Soltmann.

A la demande de l’impératrice japonaise, trois hôpitaux furent parcourus dont l’hôpital Augusta. Université Friedrich-Wilhelm, Académie des Beaux-Art, l’Observatoire, Musée royale et le château Monbijou, zoo et aquarium furent aussi au programme.

 

Russie : 29 mars au 15 avril 1873

Saint Pétersburg au XIXe siècle

St. Pétersbourg : Palais d’Hiver, Payne Albert Henry, XIXe siècle.

Les relations entre la Russie et Japon n’étaient pas vraiment au beau fixe en ce temps-là. Il y avait de nombreuses frontières contestées et le Japon ne voyait pas dans la Russie un pays digne d’intérêt pour sa refondation. Mais, la Russie étant un grand pays, il était tout de même nécessaire d’y faire un tour.

Pour préparer cette visite le gouvernement japonais avait envoyé NISHI Tokujiro étudier à l’université de Saint-Pétersbourg. Il communiquait régulièrement avec la mission Iwakura pour lui parler de ce qui se passait en Russie. Dans ce contexte épineux, la présence d’étudiants japonais en Russie donnait une raison valable à la mission pour se rendre dans le pays.

La mission Iwakura atteint Saint-Pétersbourg le 30 mars au soir après quarante heures de voyage. Appréciant le voyage dans un train très confortable, la mission s’aperçut qu’il n’y avait que de vastes plaines et les rares hameaux croisés étaient petits et pauvres. Hébergés à l’Hôtel de France, ils reçurent la visite du gouverneur de la ville. La ville les impressionna avec ses grands bâtiments et ses habitants qui se réjouissaient de patiner sur la Nera gelée.

Le Tsar les reçut à un banquet dans le Palais d’Hiver le 3 avril. Ils furent reçu par les grand-ducs Aleksandr et Konstantin dans leur palais ainsi que par Nicholas, le jeune frère du Tsar, dont la salle de bain impressionna Kido.

Aleksandr Gorchakov

Aleksandr Gorchakov, 1873, Nikolai Timopheevich Bogatsky.

D’un point de vue politique, la mission discuta des droits commerciaux et de placer les étrangers séjournant au Japon sous la juridiction japonaise. Mais le prince Aleksandr Gorchakov se débarrassa de la discussion, sous prétexte qu’elle était trop technique, et laissa l’affaire à son représentant au Japon. La question de l’île Sakhaline fut aussi discutée mais rien n’en ressorti non plus.

Après avoir présenté leur respect au Tsar, la mission repris la route pour se rendre à Copenhague en passant par l’Allemagne. Cela a été l’occasion pour eux de constater le fossé entre la prospérité et la richesse des champs allemands et les étendues de terre pauvre qu’ils avaient traversées en Russie.

Le Japon savait déjà que diplomatiquement cette mission en Russie n’avait que peu de chance de réussir. Par contre, elle a été un succès dans l’étude des royautés étrangères. Elle a permis aux Japonais de revoir la vision qu’ils avaient des Russes. Il en résulta une vision d’une Russie pleine de contradictions : d’un coté Saint-Pétersbourg, sa richesse, ses nobles, sa fierté, son ambition, de l’autre la pauvreté de la campagne et le sous-développement industriel.

Suède : 23 au 30 avril 1873

Oskar II roi de Suède

Oskar II roi de Suède, av. 1900.

Après un passage par l’Allemagne ou Kido quitta ses collègues pour retourner au Japon, la mission se dirigea vers Kiel où ils prirent le bateau pour Copenhague. Entre Malmö et Lübeck, Kume fut touché par le paysage des îles danoises qui lui firent penser à des bonzaïs flottants sur la mer. Quand la Mission Iwakura arriva en Suède le 23 avril, il neigeait. Pourtant, le moment était plutôt bien choisi pour ce voyage. Le nouveau roi, Oskar II, était monté sur le trône le mois de septembre précédent et souhaitait modifier sa politique étrangère. Cette visite d’une délégation japonaise quatre ans après les premiers contacts diplomatiques entre les deux nations tombaient donc parfaitement.

Cette visite d’officiels japonais étant une première pour la Suède, le pays fit en sorte de se renseigner sur les conditions de réceptions de la mission chez ses voisins. L’ambassade suédoise de Londres envoya un premier rapport de la visite de la mission Iwakura le 21 août 1872 dans lequel le secrétaire de l’ambassade décrivait les membres Japonais de la mission comme étant habillés à l’occidental et ayant un niveau de culture inhabituel pour des Asiatiques. La Suède eut aussi des retours de l’impression désagréable qu’avait eu la mission lors de son séjour en Hollande.

Stockholm en 1873

Stockholm en 1873, (photo de Johannes Jaeger).

 

Hôtel Rydberg à Stockholm en 1914

Hôtel Rydberg à Stockholm en 1914.

La mission Iwakura arriva finalement à Stockholm le 24 avril après-midi par un train spécialement affrété. Ils ont été accueillis par le directeur général Oscar Troilius, le super-intendant de la police Semmy Rubenson et le lieutenant de Champs. Une vaste de foule de curieux venus voir les Japonais était présente. 

Iwakura rencontra le premier ministre Björnstjerna puis le maître des cérémonies, le comte Philip von Saltza, avant sa rencontre officielle avec le roi de Suède. Sur le chemin de l’audience, la mission fit un crochet par l’Académie des Sciences. De nouveau une foule de curieux était présente dans la cour du palais pour l’audience publique auprès du roi. À 17 h eut lieu un dîner avec trois ministres dont un ministre norvégien. Après le dîner, cinq membres de la mission participèrent à l’Innocence Ball donné par l’Ordre de la Lumière.

Sculpture du palais de Drottningholm, hiver 2012

Vue du lac Mälaren depuis le palais de Drottningholm (photo de Holger.Ellgaard, Wikipedia Commons).

Le 27 avril fut consacré aux discussions diplomatiques : la renégociation du traité de 1868. Mais rien n’en sortit : la Suède préférait passer par un représentant hollandais au Japon pour effectuer de telles négociations. Ce jour-là, ils purent tout de même profiter d’une balade sur le lac Mälaren à bord du Valkyria.

Ce nouvel échec diplomatique n’empêcha pas la découverte de la Suède avec la visite de chantiers navals, d’une usine textile employant des prisonniers, d’une fabrique de fromage, d’une industrie du bois et surtout de la fabrique d’allumettes de sûreté. Les allumettes de sûreté étaient une toute nouvelle invention et la Suède les produisait et les exportait en masse.

Pour le côté culturel, la mission se rendit au Musée Scandinave, alla à l’opéra voir La muette de Portici et Les dragons de Villars. Les entre-actes leur permirent d’observer les mécanismes mises en place sur la scène.

Italie : 9 mai au 2 juin 1873

Alessandro Fè d'Ostiani

Le Comte Alessandro Fè d’Ostiani.

Le comte Fè d’Ostiani, ministre plénipotentiaire de Chine et du Japon, accueillit la mission Iwakura à son arrivé le 9 mai à Florence et lui servit de guide durant son séjour en Italie. La visite de l’Italie était sous le signe de l’histoire et de l’art. La mission voulait voir les origines de la civilisation européenne, l’antiquité classique et l’art de la renaissance. 

Dès le jour de leur arrivée, les Japonais se promenèrent en calèche dans la ville et firent du tourisme. Profitant d’être à Florence, ils visitèrent la Manufacture de porcelaine de Doccia sous la conduite du marquis Ginori. Malgré un temps imparti trop court pour une visite complète, Iwakura prit le temps de signer le livre d’or ainsi qu’un plat.

Palais du Quirinal à Rome

Palais du Quirinal (photo de James Anderson).

Après avoir quitté Florence, l’ambassade arriva à Rome au petit matin du 12 mai. Ils seront reçus lendemain au palais du Quirinal par le roi. C’est une garde d’honneur de cuirassiers royaux et l’hymne national qui accueillit la mission. Le soir du 15 eut lieu une réception. Par la presse, on y apprend que tous les membres de la mission prenant part à ce dîner parlait parfaitement anglais, à l’exception d’Iwakura qui ne s’exprimait qu’en japonais.

Parti de Rome, l’ambassade arriva à Caserta au petit matin du 20 mai. Après avoir été reçu au Palais Royal, ils déjeunèrent dans la tour de la Pernesta situé dans les jardins du palais. Puis, le soir même, un membre de la mission se rendit au Teatro Politeama. Lors de ce séjour napolitain, la mission put visiter Pompéi et le chantier de fouilles d’Herculanum.

À Rome la rencontre entre Iwakura, Yamaguchi et le ministre Visconti Venosta au Ministère des Affaires Etrangères porta en particulier sur les relations commerciales et le besoin pour les Italiens impliqués dans l’industrie de la soie au Japon de circuler librement à l’intérieur des terres.

Place Saint-Marc au XIXe siècle

Place Saint-Marc au XIXe siècle (Wikipedia Commons).

Quittant Rome, la mission se rendit à Venise. Accueillis à la gare par le consul général, le conseiller délégué de la préfecture et le chef de la police, ils furent conduit en gondole jusqu’à leur hôtel New York. Alors qu’il était prévu que la mission reparte le lendemain pour Milan, Iwakura dut rester à Venise quelques jours du à nouveau à des problèmes de santé. Accompagnée du comte de Fè, la mission visita les fermes à ver à soie du Nord de l’Italie. A Venise même, la mission put explorer le Palais des Doges, l’Église Saint-Marc et les jardins de la ville. Le lendemain, ils allèrent visiter les archives générales de Frari, le portico du Séminaire où ils purent lire des documents japonais remontant à la première ambassade nippone en 1585.

 

Le Retour

L’Italie marqua la fin de la tournée diplomatique de la Mission Iwakura et le retour au Pays du Soleil Levant.

Tout au long du voyage, la mission fut prise à partie par les lobbies chrétiens. Cela alla de la discussion les yeux dans les yeux avec des officiels des gouvernements rencontrés aux protestations de la population sur le trajet comme ce fut le cas en Suède ou en Belgique, même si l’interdiction du christianisme sur le territoire japonais fut abolie le 26 février 1873. En France, s’étant fait forcer la main, Rémusat se contenta d’expliquer à Iwakura que la mise en place d’une tolérance religieuse serait une bonne chose pour le commerce et les relations diplomatiques.

Les membres de la première ambassade japonaise en Europe à Utrecht en 1862

Les membres de la première ambassade japonaise en Europe habillés à la japonaise, Utrecht, 1862.

Un sujet plus trivial fut aussi soulevé en Europe. Comme les Suédois, d’autres Européens furent déçus de ne pas voir la suite japonaise en kimono de soie et or. Lors de la traversée de États-Unis, ils étaient bien habillés à la japonaise mais ils avaient été à plus d’une occasion la risée de la populace à cause de leurs bévues causées par une méconnaissance des coutumes occidentales. Pour que ces erreurs passent plus facilement inaperçues, arrivés à Washington, ils achetèrent des vêtements occidentaux, certes mal-taillés mais nettements discrets.

Les États-Unis furent globalement une véritable remise en question pour les Japonais. C’est là qu’ils prirent pleinement conscience du manque de connaissance concernant l’Occident et de la faiblesse engendrée, incapables de peser dans la balance des relations internationales. Malgré tout, le voyage combla une partie de ces lacunes et ils purent se faire une idée bien précise des forces de chaque pays. D’ailleurs, Kume conclut que l’Europe comptait cinq grandes puissances : le Royaume Uni, la France, l’Allemagne, la Russie et l’Autriche. Il ajoute que la France en est le pays le plus éclairé. Okubo n’est pas en reste en considérant Paris comme la première ville (la Grande Cascade du Bois de Boulogne avait fait son petit effet).

Mais la conclusion finale a été que France comme Royaume Unis et États-Unis étaient trop avancés pour servir de modèle au Japon dans sa propre révolution. Les modèles allemand et russe étaient probablement plus appropriés.

Salle de cours de l'Ecole des Mines à la fin du XIXe siècle

Salle de cours de l’École des Mines à la fin du XIXe siècle.

Les écoles et les musées ont particulièrement marquées Kume et le reste de la mission. Ils ont compris l’importance d’éduquer le peuple pour faire passer des réformes et avoir un système politique stable. L’éducation permettrait au Japon de créer ses propres ingénieurs et de ne plus avoir à se reposer sur les Occidentaux. A leur retour au Japon, les membres de la mission Iwakura ralentirent les réformes. Ils avaient compris que pour que le nouveau gouvernement fonctionne correctement et durablement, il fallait que toutes les couches de la société comprennent l’intérêt de tels changements. Cela passait donc par l’éducation.

 

Conclusion

L’un des objectifs de la mission Iwakura était de donner une bonne image du Japon. Cet objectif était partiellement accompli avant même le début de la mission. En fait, ce n’était pas la première fois que des Japonais venaient en Occident et dans certains pays comme la France, la presse ne fit pas de pleines pages de l’événement. Quant à l’objectif d’enquêter sur les systèmes de modernisation et étudier la culture et la civilisation occidentale, ce fut une réussite. Enfin l’objectif de pourparler sur la révision des traités fut mis à mal dès les États-Unis et passa au second plan. Deux succès pour un échec en somme.

Le tour de l’Occident de la Mission Iwakura fut riche en enseignements. Si riche que Kume publia cinq ans plus tard son rapport en cinq volumes sous le nom Tokumei zenken taishi : Beiô kairan jikki. Même sur le chemin du retour, les divers membres de la mission furent témoin de l’influence de l’Occident que ce soit au Moyen-Orient qu’en Orient. Des influences qui sont, 150 ans plus tard, sont plus que jamais réciproques, surtout entre la France et le Japon !

 

Pour en savoir plus :
NISG Ian (éditeur), The Iwakura Mission in America & Europe : a New Assessment, Surrey, 1998.
Site répertoriant les gravures des lieux visités par la Mission Iwakura
Les 150 ans de l’ère Meiji

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3 réponses

  1. 9 avril 2017

    […] pour la liberté et les droits du peuple. C’est lui qui gérera le Japon pendant qu’Iwakura se fera une balade en […]

  2. 3 septembre 2018

    […] de société occidentale remplaçant définitivement le modèle chinois. A l’image de la mission Iwakura, ou des ambassadeurs japonais partiront faire un passionant tour du Monde de 1871 à 1873, les […]

  3. 16 décembre 2018

    […] et en envoyant des Japonais se former en Europe ou aux États-Unis (voir notre article sur la mission Iwakura). Dès 1870, les chemins de fer se développent avec l’aide d’ingénieurs britanniques. […]

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