Saru : à la découverte des singes du Japon

Vous avez probablement tous en tête une image d’un macaque japonais se baignant dans les sources chaudes entourées de neige. Journal du Japon vous emmène à la découverte de ces singes en compagnie d’un photographe et de deux primatologues, qui leur ont consacré un très beau livre, Saru.

saruLes éditions Issekinicho, qui publient entre autres de très beaux livres photographiques sur le Japon, ont sorti il y a quelques mois un grand et beau livre consacré aux macaques japonais.

Intitulé Saru (qui veut dire singe en japonais), il permet de découvrir ces singes dans leur milieu naturel, du nord glacial du pays au sud plus doux.

En fonction des îles où ils se sont installés, les singes ont développé des comportements spécifiques originaux que le photographe Alexandre Bonnefoy a su capter magnifiquement et que les primatologues Cédric Sueur et Marie Pelé expliquent de façon claire et simple au lecteur.

Entre carnet de voyage, photographies exceptionnelles et éléments de primatologie, ce livre permet de découvrir les singes dans leur environnement du nord au sud du Japon. Un régal pour les yeux et une découverte de comportements parfois surprenants !

 

Un voyage au pays des singes

sarucarteSaru, c’est avant tout un voyage : d’île en île, Alexandre a passé des heures sur les routes, dans les montagnes, au bord de la mer à chercher les singes (certains sont très habitués à l’homme, d’autres sont très sauvages et difficiles à trouver dans les forêts escarpées du nord du Japon), se faire accepter du groupe (s’approcher, se montrer un peu, garder ses distances, se montrer humble, respectueux), et essayer de photographier les moments de leur quotidien. Cela veut dire des jours de quête, des heures de patience parfois dans un froid mordant. Mais le résultat est tout simplement beau : des petits qui se chamaillent, des adultes stoïques sous la neige ou jouant avec des pierres, lavant leurs patates douces … et des yeux qui vous fixent (cela ne dure qu’un quart de seconde car regarder dans les yeux est perçu comme une provocation) ! 

Le livre se déroule comme un journal de bord : 7 chapitres correspondant aux 7 sites visités par le photographe (accompagné sur certains lieux par les primatologues). Des sites très différents et des singes tout aussi variés dans leur façon de vivre, dans leur rapport aux humains qu’ils ne voient quasiment jamais ou dont ils profitent allègrement !

Chaque milieu est présenté par Alexandre : la nature, la saison, les singes rencontrés, comment il a procédé, les difficultés qu’il a rencontrées, ses impressions mais aussi la spécificité des singes dans la région concernée. Puis il laisse ensuite la parole aux primatologues qui expliquent les comportements photographiés, les premières fois où ces comportements ont pu être observés, ce que cela signifie etc. Ces informations permettent de comprendre les photographies présentées et sont un apport très fort par rapport à un livre de photographies « classique ».

Observer et comprendre

Si le travail photographique est remarquable, les informations récoltées permettent également aux chercheurs de progresser dans la compréhension du comportement des macaques japonais. 
Ainsi sur l’île de Kojima, depuis plusieurs dizaines d’années, les macaques lavent les patates douces. C’est Imo, une femelle, qui a été la première à le faire. D’autres l’ont fait par « exposition » (la voyant faire, ils ont fait pareil), et depuis, tous les macaques sur cette île lavent leurs aliments.

pierresA Arashiyama (un site très prisé des touristes qui visitent Kyoto), dès les années 70, les primatologues ont observé des singes jouant avec les pierres. Une cinquantaine de variantes de manipulation de cailloux ont été observées,  uniquement chez ces singes qui sont nourris par l’homme. Est-ce parce qu’ils ont du « temps à perdre » ?

Dans la région de Nikko, Alexandre a pu observer les singes chapardeurs. Ils volent tout ce qu’ils trouvent, y compris les sucrettes pour le café au comptoir des boutiques. Ils ouvrent même les frigos !

A Jigokudani, dans la préfecture de Nagano se trouvent les fameux singes des sources chaudes. Dans les années 60, les macaques sont descendus des montagnes, « chassés » par la construction de stations de ski. Ils ont alors voulu imiter les humains en se baignant dans les onsen, mais la cohabitation n’étant pas possible (difficile pour les touristes de se baigner dans la même eau que les singes), on leur créa leur propre onsen. Les touristes peuvent ainsi venir les photographier (et il faut voir dans le livre les photographies où quelques singes sont entourés de plusieurs dizaines de touristes !). Il est également possible de voir ces singes faire des boules de neige (ils ne les lancent pas mais s’amusent à manipuler la neige).

neigeWakinosawa est le point de la planète le plus au nord où l’on peut observer des singes. Les conditions de vie sont difficiles, même si leur peau et leur pelage sont adaptés aux grands froids. Se nourrir est délicat, ils se contentent d’écorces en hiver et bougent peu pour ne pas dépenser de calories inutilement.

dangoSur Shodoshima, c’est un autre comportement qui est photographié : le « saru-dango », littéralement brochette de singes (en référence aux dango, ces délicieuses brochettes de boulettes de pâte de riz typiquement japonaises). Les singes se regroupent pour former un gros « tas », ils supportent ainsi mieux les assauts du vent.

sikaLe septième et dernier chapitre est consacré à Yakushima, une île au sud du Japon dont les amoureux de l’oeuvre de Miyzaki connaissent probablement le nom. C’est en effet ses forêts magnifiques qui ont inspiré le réalisateur pour les décors de Princesse Mononoke, et que nous présentions il y a peu à travers un album photo. Les singes sur cette île ont une allure différente : les poils tachetés, longs et fins comme des plumes leur donnent un visage différent, ils sont également plus petits. Comme dans le grand nord à Wakinosawa, ces singes n’ont jamais été nourris par l’homme. Ils trouvent sur l’île une nourriture variée et même des plantes pour leur automédication. Ils cohabitent également avec les cerfs sika. Les cerfs mangent les feuilles et fruits que les singes laissent tomber et les singes se servent des cerfs comme « moyen de transport ». C’est là qu’Alexandre a pu filmer une scène qui a fait le « buzz » sur les réseaux sociaux : un jeune singe en manque de femelle qui passe ses ardeurs sur une biche. 

Le livre est également l’occasion d’aborder bien d’autres aspects de la vie des macaques japonais : les blessures, les malformations (et l’étonnante capacité de résilience des singes), les maladies (en particulier la tuberculose qui peut décimer des groupes entiers), les allergies aux pollens (eh oui, comme les humains !).

comportementsEn plus des commentaires des primatologues au fil des pages, de grandes doubles pages illustrées par Delphine Vaufrey permettent d’expliquer différents aspects de la primatologie : Les macaques dans le monde, Comportements culturels (transmission sociale, pas génétique), Hiérarchie et vie sociale, Journée type (d’un macaque japonais), L’expérience de Charles Menzel (un singe fait le rapprochement entre un fruit qu’on lui apporte et qu’il mange et l’arbre sur lequel pousse ce fruit et qui doit donc être en période de fructification), Mimiques faciales et vocalises (pour comprendre à quoi correspondent les cris entendus et les têtes que font les singes).

Le livre offre également des liens vers des vidéos réalisées par Alexandre, qui complètent les photographies pour mieux comprendre certains comportements.

Avec ce livre, le lecteur à l’impression de pénétrer dans le monde des singes japonais, de les connaître et de les comprendre un peu.

Plus d’informations et des extraits du livre à feuilleter sur le site de l’éditeur.

 

Rencontre avec les auteurs de Saru

auteur_aalexAlexandre Bonnefoy, le photographe des expéditions a répondu à quelques questions pour Journal du Japon .

JDJ : Quel est ton plus beau souvenir avec les singes ?
 
Alexandre BONNEFOY : Il y en a beaucoup, c’est difficile de mettre un souvenir plus en avant.
Il y a ma rencontre avec ce groupe de 5 singes que j’ai réussi à trouver au bout de 3 jours de recherches dans les forêts enneigées de la péninsule de Shimokita, l’endroit le plus au nord au monde où l’on peut trouver des singes à l’état sauvage. 
La rencontre en fin de projet avec les premiers nouveau-nés de l’année sur l’île de Yakushima.
Le fait de réussir à faire des cris de contact avec certains singes en forêt. Un cri de contact est un cri que pousse un singe pour savoir où sont ses congénères quand il ne peut les voir. Les autres singes lui répondent. Et certains singes que j’appelais me répondaient, c’est très pratique quand on n’a pas de visibilité en forêt pour les trouver.
Tout le livre finalement présente mes plus beaux souvenirs.
 
En fonction des îles où ils habitent, les singes ont des comportements spécifiques, quel comportement t’a le plus surpris ?
 
Le but du livre est de montrer la diversité de comportement. On reste souvent sur cette image des singes dans les sources d’eau chaude, alors que seulement 60 singes se baignent dans une seule source d’eau chaude au Japon. Ce phénomène très spécifique à quelques singes n’existe pas ailleurs dans le pays.
kojimaNous avons travaillé dans un premier temps à répertorier les comportements (très nombreux) : lavage de nourriture, jeux avec les pierres, regroupement en hiver à la façon des manchots, déplacement et jeu avec les daims…
En fait je ne suis pas vraiment surpris par la capacité que les animaux ont de s’adapter à leur milieu. Disons que j’étais surtout content de voir ces comportements car ils sont souvent très brefs. On m’avait prévenu que c’était rare d’être au bon moment pour voir certains comportements donc j’ai été très content de pouvoir les prendre en photo. Au final nous avons réussi à prendre en photo tous les comportements connus et même un qui n’était pas encore répertorié.
 
Tu expliques que les singes ne regardent pas plus d’un quart de seconde dans les yeux, pourtant tu as réussi à faire des portraits impressionnants avec des regards fascinants, tu peux nous raconter ?
 
Regarder dans les yeux est un signe d’agression, je ne regarde donc jamais un singe en face. On regarde un peu en haut de sa tête ou alors on regarde ailleurs. C’est une gymnastique continuelle, car sinon ça peut dégénérer et quand on est seul avec 30 singes en forêt, il ne vaut mieux pas.
Une fois que l’on est derrière l’appareil, le singe ne voit plus notre regard donc on a plus de facilité.
Le singe lui aussi ne va pas vous regarder dans les yeux, il va rapidement jeter un œil dans votre direction et tout de suite détourner le regard, il faut donc anticiper le moment où il va lever la tête, ouvrir les yeux… Ça demande du temps, car le singe ne va pas non plus rester assis en face de vous très longtemps, il y a beaucoup d’échecs et quelques réussites.
 
On sent que tu as envie de poursuivre cette aventure, y a-t-il une suite prévue ?
 
C’est un très gros projet qui a mis 2 ans avant d’être publié. Aujourd’hui le projet continue sous forme d’expositions et de conférences pour aller à la rencontre du public, faire voyager et découvrir ces animaux fascinants. Nous sommes en perpétuelle recherche de lieux d’exposition et de conférence. La prochaine expo / conférence aura lieu en octobre prochain pendant la fête de la science à Saint Omer.
 
Tu as mis à la disposition des lecteurs des vidéos pour compléter le livre, ne souhaites-tu pas en faire un film, le diffuser plus « officiellement » ?
 
Non, les vidéos ont été réalisées en marge du projet, je gardais un jour pour chaque destination afin d’y faire de la vidéo. Pour bien faire, il aurait fallu faire beaucoup plus de jours de tournage avec un assistant pour s’occuper de la prise de son et même une deuxième personne pour filmer. Et surtout avoir une ligne, une écriture avant de partir. Les vidéos qui ont été tournées ne permettent de faire que des petits documentaires commentés de cinq minutes à chaque fois. Ils sont d’ailleurs diffusés lors des expositions.
 
 
 

auteur_marie_peleMarie Pelé
et Cédric Sueur, primatologues qui ont écrit les textes du livre, ont également répondu à quelques questions.
 
JDJ : Vous avez étudié des singes d’autres pays, qu’est-ce qui vous fascine chez le macaque japonais ?

MP et CS : Quand on étudie l’éthologie et la primatologie en particulier, deux espèces sont largement citées : les chimpanzés et les macaques japonais. Peu le savent, mais la primatologie est née au Japon d’un naturaliste du nom de Kinji IMANISHI. C’est lui qui, le premier, s’est intéressé aux macaques japonais et a considéré chaque singe comme un individu en particulier. Le groupe de macaques japonais qu’il a étudié sur l’île de Kojima est certainement le groupe de singes le plus cité en primatologie, puisque c’est grâce à lui que l’on peut désormais parler de cultures animales.

Quelles avancées scientifiques a permis ce travail avec Alexandre ?

Nous avons travaillé avec Alexandre sur ce projet pour faire connaître le macaque japonais au grand public. Nous n’étions pas dans une optique de recherche mais bel et bien dans une optique de diffusion des connaissances. Comme Alexandre, nous avions été très surpris, lors de nos différents séjours au Japon, de ne trouver que quelques livres photos sur cette espèce de singes qui est pourtant étudiée depuis les années 1950. Notre souhait, par le biais de ce livre mais aussi des vidéos et de l’exposition qui l’accompagnent, était de faire connaître le macaque japonais.

auteur_cedric_sueurLa cohabitation singes/humains semblent de plus en plus difficile, comment voyez-vous le futur pour les macaques japonais ?

La cohabitation homme-singe est difficile au Japon, mais elle l’est aussi en Afrique du Sud avec les babouins. Le plus souvent, les hommes empiètent sur le territoire des animaux qui viennent alors se nourrir dans les champs et les vergers. Chaque année, le Japon dépense des milliards de yens pour protéger les cultures et 20 000 singes sont tués par an. De telles solutions ne sont bien évidemment pas viables sur le long terme. Une meilleure connaissance des singes et de leurs besoins par les populations touchées semble déjà être une première étape importante. Nous espérons que Saru, une fois traduit, aidera à cela.

Il y a eu beaucoup de « buzz » autour de la vidéo du singe et de la biche. Ce « buzz » a-t-il été utile pour faire connaître la primatologie ?

Les gens ont été très curieux et surpris d’un tel comportement mais, pour la plupart, ils ne sont pas allés plus loin. Ce « buzz » aura au moins eu le mérite de faire rire le plus grand nombre. Plus sérieusement, nous comptons aller sur Yakushima à l’automne prochain pour essayer d’observer de nouveau ce comportement, et ce de manière plus contrôlée.

Quel message aimeriez-vous faire passer aux lecteurs ?

Nous espérons surtout que ce livre soit une porte d’entrée pour les lecteurs vers le Japon et le monde animal. Restez curieux  et observez !

Journal du Japon remercie Marie, Cédric et Alexandre pour leur disponibilité et leurs réponses.

 

 

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