La Magnifique Society : une bulle de Japon en Champagne

Parce que les festivals français laissant la part belle aux artistes japonais sont assez rares, nous n’avons pas boudé notre plaisir et avons envoyé un journaliste à La Magnifique Society, qui avait lieu à Reims du 19 au 21 mai. En ressortent une multitude d’interviews, des photos floues et des tweets excités. Ceci est son histoire.

Crédit photo : Moïse Poisson-Tokyo Space Odd

La Magnifique Society – Crédit photo : Moïse Poisson

Après avoir découvert la programmation de la scène Tokyo Space Odd du nouveau festival rémois La Magnifique Society, quelques amis et moi profitons de ce que l’économie partagée et la startup nation ont de meilleur à offrir, et louons à des particuliers un véhicule et une maison. L’objectif : passer le week-end du 19 au 21 mai 2017 sous le soleil de la Cité des Sacres, et voir les premières performances françaises d’une multitude d’artistes japonais des scènes électro et hip-hop.

19 mai 2017, 17h00. Après un trajet sans encombre entre Paris et Reims – malgré des travaux sur l’A4, nous arrivons à bon port. Je fais le truc le plus daron de toute ma vie en garant un Scénic dans l’entrée de garage d’une maison. Le temps de ranger nos affaires et prendre nos marques dans ce QG temporaire, et nous sommes partis pour le Parc de Champagne.

18h40. Arrivée sur les lieux du festival. Alors que Talisco chauffe les premiers arrivants, je file vers l’espace média pour une première interview avec Dotama (à lire très bientôt sur Journal du Japon). L’homme est charmant et fait des réponses complètes malgré le jetlag et le coup de froid qu’il a dû prendre à cause de la clim de l’avion qui l’a amené de Tokyo à Paris la veille. Un énorme merci à Yoko Yamada, qui a assuré l’interprétariat, ainsi qu’à Mutsuki no Mu pour les précieuses informations qu’elle a pu me fournir sur le rappeur. L’interview terminée, mon travail sur le festival ce jour est fini, je peux donc rejoindre mes amis et profiter des concerts.

20h00. Sur la scène Cristal, le groupe français Judy termine son concert. Pas le temps de niaiser, KOM_I de Suiyoubi no Campanella (interview à lire bientôt sur le Journal du Japon), étrangement accoutrée d’un masque de tengu, prépare son entrée en fanfare sur la scène Club toute proche. En ¾ d’heure de performance, elle électrise le public qui se fait de plus en plus nombreux. Escalade de pylônes qui fait peur aux membres de la sécurité, jeu avec les lunettes des spectateurs, slam dans la fameuse boule géante transparente… Elle fédère et conquiert le public en un clin d’oeil. Je fanboyise comme un dingue et me dit qu’on a quand même du bol de vivre à la même époque qu’une personnalité pareille. En fin de concert, je rencontre Ali, fan du groupe qui a fait le déplacement du Qatar, et qui assistait à son 5e concert de Suiyoubi no Campanella.

Tokyo Space Odd - Suiyoubi no Campanella.

Suiyoubi no Campanella – Crédit photo : Thomas Hajdukowicz

 

21h00. Pause ravitaillement devant Agnès Obel, puis direction l’espace Tokyo Space Odd, pour assister à la fin du premier set de 2080, artiste 8-bit français bien connu des amateurs, et surtout architecte de cette programmation japonaise inespérée du festival. Cet homme mérite a minima les clefs de la ville de Reims pour services rendus à la culture locale (et japonaise). Notons qu’en plus de la scène, Tokyo Space Odd est également constitué d’un bar, d’une trentaine de bornes d’arcade et de jeux vidéo old school, d’un enchevêtrement de câbles, micros et claviers pour faire de la musique rigolote, et d’un espace d’exposition de figurines de mechas. Ce ressemble à l’idée que je me fais du salon de Gwen Stefani en 2005, et c’est très bien.

22h00. Sur ces considérations, le set de PinocchioP commence. Hélas pour le duo, ils jouent en même temps qu’Air, et la fosse est quasiment déserte. Seule une poignée d’acharnés guinchent comme des fous : mes potes et moi.

23h00. Nouvel arrêt aux stands pour le ravitaillement, nouveau tour dans l’espace divertissement de Tokyo Space Odd. On y croise KOM_I qui s’essaye à la musique expérimentale ou qui joue à Street Fighter IV. Surtout, Dotama commence son premier set. Malgré un public d’abord clairsemé, il parvient, grâce à son énergie et son humour à se rallier un public qui ne le connaît pas forcément. On appréciera son freestyle sur la musique de Happy de Pharrell, où il en place une pour les malheureux PinocchioP, ainsi qu’un mini-tacle à Suiyoubi no Campanella. KOM_I s’en fout (un peu) et danse. Il conclut sur un morceau dont le titre a été traduit par Google Translate par “Essayer de Paresseux”. C’est depuis devenu notre devise.

 

20 mai 2017, 00h00. Après un tour rapide sur les autres scènes, retour au Tokyo Space Odd pour voir la fin du set de Sam Tiba de Club Cheval, et le début du set de kiLLa. Le collectif de rap/trap a de l’énergie à revendre, malgré quelques imbéciles dans le public qui jouent avec un parapluie, gênant le reste du public. En fin de set, je vais faire un tour vers la scène Club où jouent Alltta, le nouveau projet de 20syl et de Mr. J. Medeiros, un ancien des Procussions. On reconnaît les prods de 20syl à 1000 kilomètres, mais c’est aussi pour ça qu’on les aime.

01h00. Avec mes camarades, nous assistons à la fin du concert de Moderat, durant lequel j’ai perdu 10% d’acuité visuelle – le groupe allemand a une scénographie jouant sur les contrastes lumière/obscurité radicaux. Nous rentrons au QG, manger un plat de spaghettis bien mérités, avant de nous coucher.

10h30. Réveil. J’ai mal aux cervicales. On va rester plus tranquille aujourd’hui.

17h30. Lazy Saturday. Après un bon repas et une récupération bien méritée, nous bougeons enfin vers le Parc de Champagne pour la 2e journée du festival. Juste à temps pour voir et écouter Paradis. C’est sympacool.

19h30. Après un moment à chiller tranquillou en écoutant vaguement Alex Cameron, nous nous rendons au Tokyo Space Odd pour le 2e set de Dotama. Il chantera les mêmes chansons, mais aura peaufiné ses traductions. Ainsi, le “Essayer de paresseux” veut en réalité simplement dire “Soyez paresseux” – une assertion avec laquelle je suis on ne peut plus d’accord.

Tokyo Space Odd 3

Dotama – Crédit photo : Thomas Hajdukowicz

21h50. Après avoir glandé un peu en assistant à la fin du super concert de Gregory Porter, en observant les australiens de Parcels, puis en s’étant ravitaillé en rafraîchissements, nous nous rendons Scène Club. Tommy Cash a dû annuler son concert pour cause de grippe – et d’extinction de voix. Seiho prend donc son créneau. Cela se fait au grand dam de quelques esprits chagrins qui affirment avoir fait le déplacement uniquement pour Cash. Leur mépris pour les belles choses sera vite mouché lorsque les boucles électro house de Seiho auront commencé.

22h10. Après quelques photos de Seiho, je cours au Tokyo Space Odd pour revoir mes chouchous de Pinocchio P. Et là, joie ! La foule est au rendez-vous, et le duo est manifestement content. Quelques adolescentes cosplayées – dont une en Miku – renforcent le sentiment que ce deuxième set laissera un bien meilleur souvenir de la France au groupe que celui de la veille.

23h00. Tour rapide au milieu de la marée humaine amassée devant les infrabasses de Boys Noize, puis retour vers la scène japonaise pour refaire un peu de tentative de musique, reperdre aux jeux vidéo, et surtout se préparer pour DÉ DÉ MOUSE (interview à lire très bientôt sur Journal du Japon). La fosse se remplit peu à peu de millenials, je ne comprends pas trop pourquoi. Le set est incroyablement énergétique, avec un VJing zinzin jouant avec les emoji et les distorsions de terre vue du ciel. Malgré un blanc de quelques secondes, DÉ DÉ MOUSE est terriblement positif, super souriant et tout. C’est génial.

21 mai 2017, 00h30. Dernier concert japonais de cette journée, YMCK (interview à lire très bientôt sur Journal du Japon) arrive, alors que les beats de Vitalic – qui joue au même moment sur la grande scène – parviennent jusqu’à nous. Mais il en faut plus pour décontenancer les darons de YMCK. Yokemura-san, qui assistait au set de DÉ DÉ MOUSE l’air approbateur en coulisse, monte avec un haut-de-forme vissé sur le crâne, guidant un Nakamura-san affublé d’un masque reprenant les traits de son personnage en 8-Bit. Enfin, Midori-san arrive, dans un costume inspiré de la NES. Tout est chatoyant et convivial. Le groupe fait jouer le public avec des morceaux interactifs. La rencontre de deux mondes – la 8bit kawaii de YMCK et le public parfois un peu éméché rémois – crée un mélange détonnant mais pas antinomique. En tout cas, le groupe gère très bien.

Tokyo Space Odd 4

YMCK – Crédit photo : Thomas Hajdukowicz

1h40. Retour au QG, au son de PNL. Les troupes sont fatiguées mais contentes. Plus qu’un jour à tenir. Mais quel jour ! Trois interviews à assurer. Cette nuit de sommeil ne sera pas de trop.

11h40. Nous disons adieu au QG. Avant de rejoindre le festival, nous cruisons un peu dans Reims, ville royale et tout et tout. Ils ont pas mal construit dans le temps, en fait.

14h30. Arrivée sur le Parc de Champagne. Je cours d’espaces média en scènes pour confirmer les différentes interviews prévues. Un peu stressé mais surtout très excité, j’ai une seule crainte : ne pas pouvoir assister au 2e set de Suiyoubi no Campanella en entier, contraint par les obligations journalistiques. Mais j’ai finalement peu le temps d’y penser. Car je dois déjà filer à ma première interview, avec l’incroyable DÉ DÉ MOUSE.

15h50. DÉ DÉ MOUSE est aussi énergique et enthousiaste en interview que sur scène. Merci à Sanae Kikuchi pour l’aide aux traductions des questions de l’anglais vers le japonais (et inversement). Je me rends à la conférence de presse bilan du festival, profitant des rayons d’un soleil qui ne nous aura pas lâché du week-end. Cette première édition aura réuni 12 000 visiteurs au total, un résultat plus qu’honorable pour un festival naissant, se tenant le seul week-end de mai sans pont. Le public régional, mais aussi national, voire international, a répondu présent. Les organisateurs annoncent d’ailleurs déjà une deuxième édition, et laissent entendre qu’un nouveau focus sur la scène japonaise serait à prévoir – en 2018, Reims officialisera son jumelage avec Nagoya, et cette année sera donc une année du Japon pour la ville. En somme, cette première édition de la Magnifique Society a permis aux organisateurs de faire leurs preuves sur un projet plus ambitieux que ce sur quoi ils ont pu travailler jusque là. C’est encourageant pour l’avenir.

Tokyo Space Odd (2)

DE DE MOUSE, à gauche, et votre serviteur – Crédit photo : Thomas Hajdukowicz

16h30. Je retrouve ma bande d’amis, et nous patientons à l’entrée du Tokyo Space Odd pour le 2e concert de YMCK. A l’extérieur, KOM_I de Suiyoubi no Campanella retrouve Fishbach (qui jouait la veille à Laval) pour la première fois depuis leur rencontre à Tokyo. Émotion. Dans la fosse, le public est bien différent de la veille. Nous sommes après tout dimanche, jour des familles. YMCK peut s’exprimer à son plein potentiel, avec des enfants jouant à scander “Yeah !” au bord de la scène. Pour l’occasion, Midori-san a revêtu sa tenue inspirée de la Famicom.

Tokyo Space Odd 5

YMCK – Crédit photo : Thomas Hajdukowicz

17h50. Le 2e concert de Suiyoubi no Campanella commence. KOM_I arrive dans un chariot Lidl, poussé par un Yéti. Elle fait le tour du Tokyo Space Odd, lançant au public des gâteaux, et s’amusant avec les joueurs d’arcade, avant de monter sur le bar. Je suis hypnotisé. Le set se déroule de manière impeccable : elle joue, danse, et rit avec le public, sur scène comme dans la fosse, plaisante sur l’expression “tchin-tchin” (proche du “chin” japonais, mot enfantin pour dire “pénis”), fait des vidéos avec les filtres de l’application MSQRD… Le tout se conclut en haut d’un escabeau. KOM_I est majestueuse, je suis tombé amoureux 15 fois.

Tokyo Space Odd 6

KOM_I – Crédit photo : Thomas Hajdukowicz

18h30. Je cours à nouveau à l’espace presse pour interviewer YMCK. Nakamura et Midori-san m’accueillent tout sourire et reconnaissent ce zouf qui sautait dans tous les sens pendant leur concert. Ils parlent dans un anglais très correct, et me font part de leur ressenti sur les deux publics très différents devant lesquels ils ont joué la veille et aujourd’hui.

19h00. Tout ce que j’ai pu faire dans ma vie jusqu’ici, mon attachement à la culture japonaise comme au rap en général, mes lectures, mes rencontres, mes découvertes… tout ça ne semble avoir eu pour seul but que l’interview que je m’apprête à avoir avec KOM_I. Pendant 45 minutes, je vais échanger avec cette future star internationale, terriblement talentueuse. Je vais boire ses paroles et retomber amoureux 23 nouvelles fois. Merci encore à Yoko Yamada pour l’interprétariat. En fin d’interview, un membre du staff de Suiyoubi no Campanella m’offre un exemplaire en vinyle de l’EP Triathlon, alors que KOM_I dédicace mon exemplaire de Zipang. Je suis sur un nuage. La vie ne va plus être qu’une longue descente à partir de ce moment.

Tokyo Space Odd 7

KOM_I – Crédit photo : Thomas Hajdukowicz

19h40. J’arrive à temps pour le début de set de DÉ DÉ MOUSE, toujours souriant, toujours sautillant, toujours énergique. Une nouvelle fois, le public est au rendez-vous, et le musicien shoote plusieurs vidéos sur scène. 40 courtes minutes plus tard, DÉ DÉ MOUSE quitte la scène. Au loin, Fishbach commence son concert. Mais il est temps pour moi de regagner Paris.

Le bilan de la Magnifique Society est plus que positif. Evidemment, les concerts de Air, Agnès Obel, Boys Noize, Vitalic ou Camille ont rameuté énormément de monde. Mais l’audacieuse programmation japonaise aura également permis de faire découvrir certains artistes émergeants de la scène tokyoïte à un public pas forcément intéressé par ce qu’il se passe sur l’archipel nippon en général.

Je me répète, mais un énorme merci à la Cartonnerie et à 2080 de nous avoir proposé sur un plateau ces artistes inespérés, dans un cadre superbe. Merci d’avoir offert leurs premières scènes européennes à Dotama et Suiyoubi no Campanella. Merci d’avoir rappelé à un public moins investi que l’auteur de ces lignes que la musique japonaise ne se réduit pas à des idols aux couleurs acidulées et des Johnny’s clonés. Merci à toute l’organisation pour cet événement qui s’est déroulé sans encombre. Et rendez-vous l’année prochaine !

8 réponses

  1. 2 juin 2017

    […] nous l’avons dit à plusieurs reprises, la Magnifique Society 2017 a accueilli plusieurs artistes japonais pour leurs premières scènes en France, voire en Europe. […]

  2. 13 juillet 2017

    […] de la sortie de son 6e album, dream you up, DÉ DÉ MOUSE a été invité par La Magnifique Society dans le cadre de la programmation japonaise du […]

  3. 14 juillet 2017

    […] ones like jazz. With dream you up, his 6th album, just released, DÉ DE MOUSE has been invited by La Magnifique Society, as a part of the Japanese program of the […]

  4. 14 juillet 2017

    […] ses premiers concerts en Europe lors de la Magnifique Society, il est accompagné de DJ YU-TA. Avant de commencer l’interview, il consulte l’interprète pour […]

  5. 16 juillet 2017

    […] its first edition, La Magnifique Society welcomed multiple Japanese artists as part of a specific program. Among them was Suiyoubi no […]

  6. 20 août 2017

    […] KURIHARA et de l’énigmatique Tomoyuki NAKAMURA qui ne quitte jamais son masque. Le festival La Magnifique Society les a invité pour sa première édition, dans le cadre de sa programmation dédiée aux scènes […]

  7. 28 mai 2018

    […] une première édition prometteuse l’année dernière, et une micro-édition japonaise les 10 et 11 mai 2018, La Magnifique Society revient en 2018, à […]

  8. 24 juin 2018

    […] prend les mêmes et on recommence ! Cette année encore, nous avons envoyé un journaliste couvrir La Magnifique Society, à Reims, dont la deuxième […]

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Vous aimerez aussi...

Verified by MonsterInsights