Gaming Memories #04 : Snatcher

Bienvenue dans ce quatrième numéro de Gaming Memories. Aujourd’hui, nous vous invitons à un voyage vers l’une des premières productions de Hideo KOJIMA, à l’époque où il n’était pas encore le créateur connu et reconnu qu’il est aujourd’hui. Prêts pour un retour en arrière ? Alors c’est parti, direction 1988… Direction Snatcher.

Snatcher

Entre Blade Runner et Terminator…

6 juin 1991. Le complexe Chernoton près de Moscou est détruit par une explosion mystérieuse. Lucifer Alpha, une arme biologique surpuissante qui y avait été développée est relâchée dans l’atmosphère. Portée par les vents, cette menace atteint l’Europe et l’Eurasie, tuant 80 % de la population. La moitié du monde est décimée… Le plus grand désastre de l’Histoire, bientôt connu sous le nom simple de « La Catastrophe ».

Cinquante ans plus tard, l’humanité fait face à sa plus grande crise : l’apparition d’une mystérieuse forme de vie androïde dont l’origine et le but sont totalement inconnus. Est-ce une nouvelle forme d’arme ? Ou bien une invasion venue d’un autre monde… ? Apparaissant pendant l’hiver, ils tuent les humains pour prendre leur place dans la société. Utilisant une peau artificielle, ils peuvent transpirer, et même saigner. Puisqu’ils volent les corps de leurs victimes, ces envahisseurs finissent par être connus sous le nom de… Snatchers.

NEC PC-8801

Le PC-8801, machine développée par la société NEC en 1981

Dans cette introduction, la plus cinématographique que puisse offrir le PC-8801KOJIMA montre directement ses influences que sont justement Blade Runner (Ridley SCOTT, 1982), Terminator (James CAMERON, 1984), mais aussi Invasion of the Body Snatchers (Walter WANGER, 1956). Sans les plagier, il offre un jeu plus proche d’un hommage tout en y ajoutant sa touche personnelle, si aisément reconnaissable de nos jours. Il propose alors un Light Novel (genre assez populaire au Japon) sombre et un peu glauque dans un univers cyberpunk des plus réjouissants.

Bien sûr, si l’on cite le plus directement Hideo KOJIMA, il n’est pas le seul à l’origine de ce soft. Encore nouvelle recrue chez Konami, il n’avait encore qu’un seul projet à son actif, Metal Gear, sorti l’année précédente (1987). Il rejoint alors la Team MetalSlave en tant que « Game Planner » et scénariste, où il est entouré de Naoki MATSUI (Nemesis, TMNT : Fall of the Foot Clan), Tomiharu KINOSHITA (SD Snatcher, Policenauts), Masahiro IKARIKO (Salamander, Metal Gear 2 Solid Snake) et Yoshihiko OHTA (pop’n’music 11 à 16, Final Fantasy X et XIII) dont les noms sont présentés à la manière d’un générique de film au démarrage du jeu… Ainsi commence le programme après lancement, d’une façon encore extrêmement rare pour l’époque (il faut savoir que quand il y en avait, les Credits de jeux se résumaient à des pseudonymes plus ou moins obscurs).

Act 1 : SNATCH

Gillian SeedGillian Seed, âge estimé : trente-et-un ans. Retrouvé trois ans auparavant avec son épouse Jamie (Jaime selon les versions) par une force militaire, amnésique, il s’est enrôlé parmi les JUNKER (Judgement Uninfeted Naked Kind and Execute Ranger). Cette organisation dépendante du gouvernement traque et chasse les Snatchers, seule chose dont Gillian puisse se rappeler : il sent qu’il doit les affronter pour savoir qui il est vraiment.

Très vite, il arrive dans l’agence, où une jeune femme appelée Mika Slayton l’accueille. Assise devant dans une cabine blindée, elle répond à toutes ses questions et le guide dans les locaux. Gillian fait donc le tour des lieux et la connaissance de ses nouveaux collègues : Benson Cunningham le patron des JUNKER, Harry Benson le responsable de la mécanique et surtout, Metal Gear Mk-II, un petit robot qui l’assistera durant son travail. Justement, alors qu’Harry donne son arme à Gillian et lui présente « Metal », ce dernier a juste le temps de se présenter à son nouvel utilisateur qu’il reçoit un appel d’un autre Navigateur, Little John. Celui-ci appartient à l’autre « Runner », Jean Jack Gibson, qui a lancé un appel d’urgence : il demande du renfort car il a suivi la piste d’un Snatcher dans une usine abandonnée…

Cyber Punk Adventure

Snatcher PC-8801

Capture d’écran de la version originelle.

Snatcher est une aventure graphique améliorée : là où pendant cette décennie, la plupart des jeux demandaient d’entrer son action au clavier (« Commande : Prendre >> Clé », par exemple), la production de la Team MetalSlave permet de les choisir dans une liste déjà pré-définie. Ce système s’accompagne par ailleurs de graphismes soignés et d’une ambiance sonore permanente pour donner une nouvelle dimension plus immersive au joueur. Ainsi, il faudra la majorité du temps « Se déplacer » (touche 0), « Observer » (touche 1), « Investiguer » (touche 2), « Parler à » (touche 3), entre autres. Le but sera de vivre une aventure, comme si l’on lisait une histoire captivante, avec quelques images pour illustrer le tout.

Parmi les choix disponibles, on trouve également une option assez singulière et unique à cette production : « S : Blaster ». Même s’il est interdit de le sortir sans raisons, appuyer sur la touche Shift de votre clavier lors de phases de tir à des moments clés de l’histoire fera se munir Gillian de son arme, et chaque touche du pavé numérique sera une direction dans laquelle faire feu. Il est donc possible jouer ces scènes « à la bourrin » en martelant les touches pour dégommer à tout va, ou jouer le jeu en tirant là où les ennemis arrivent. Peu importe la façon de faire, le héros ne peut subir que quelques attaques avant de succomber et de faire subit un game over (pour lequel le Chef Cunnigham vous gratifiera d’une remarque… les débuts du cassage du quatrième mur à la Kojima). Ces scènes ajoutent ainsi un peu de piment et d’immersion à l’aventure, créant de petites montées d’adrénaline là où on ne s’y attendait pas.

Snatcher Metal GearLa partie principale du soft se résume plus rapidement, mais cela ne la rend pas mauvaise pour autant. Les personnages parlent beaucoup, et il faut garder l’oeil ouvert pour observer l’environnement, mais la narration est telle qu’elle parvient à tenir le joueur en haleine, pour le meilleur comme pour le pire, car le jeu est plutôt dirigiste. Bien que cela soit inhérent au genre du light novel, Snatcher s’avère l’être particulièrement : s’il a été décidé que vous devrez aller rendre visite à telle personne avant une autre – alors que vous pourriez très bien faire l’inverse –, alors vous devrez en faire ainsi. Dès lors, le titre perd toute replay value : impossible de couper une scène pour se rendre à l’essentiel, et un peu plus de souplesse dans la progression aurait été la bienvenue.

Que cela ne vous décourage pas pour autant si vous souhaitez l’essayer. Les différents lieux visités ont leur charme et leur intérêt, et cachent même parfois quelques petits secrets, comme l’écran publicitaire de l’Altamira (une grande place commerciale) qui affiche le numéro des hotlines Konami, auquel il est possible de passer des appels. Bien que dispensables la plupart du temps, ils servent l’histoire dans certaines scènes lourdes en révélations. On pourra aussi s’immerger un peu plus dans l’aventure en appelant Jamie, avec laquelle Gillian parlera de choses et d’autres, sans toutefois abuser de la situation sous peine qu’elle lui raccroche au nez (à cause de leur amnésie, ils ont décidé de vivre séparément et forcer les choses mènera à ce résultat). En somme, discuter et fouiner sont de bonnes choses… mais pas n’importe comment.

Capture d'écran PC-8801.Le soft vous demandera aussi de parfois « lever le nez de votre livre interactif » et réfléchir, et quelques recherches seront nécessaires pour trouver des renseignements. Par exemple, la fille de Jean Jack ne vous ouvrira la porte de sa demeure que si vous répondez à ses questions concernant des informations précises à son propos. Plus tard, il vous faudra dresser le portrait-robot d’un suspect en suivant les indices qu’on vous aura donnés. Cette diversité dans les situations empêche donc une répétitivité et une lassitude qui pourraient s’installer au fil du temps et l’histoire se suit donc avec plaisir, de rebondissements en surprises.

Floppy Disk Adventure

Un vilain Snatcher sur le point de nous attaquer.Production des années 80 sur micro-ordinateur oblige, Snatcher tient sur plusieurs disquettes (cinq, pour être précis, et quatre sur MSX2, version quasiment identique sortie le mois suivant). Il fallait donc jongler entre les diverses parties en fonction de l’endroit traversé (une disquette pour l’introduction et le lancement, une pour le QG des JUNKER, une pour les logements des Gibson et Gillian, etc…), ce qui peut s’avérer assez long et casser totalement le rythme. Par chance, il était toutefois possible d’installer le jeu sur sa machine.

Si certains des environnements visités sont en partie fixes, d’autres offrent de petites animations (un ventilateur qui tourne, un écran géant qui diffusé des spots publicitaires…). Tous sont en tous cas assez finement modélisés, pour l’époque, et les visages des personnages avec qui l’on parle sont agréables à regarder… ou pas, car de ce fait, les scènes horrifiques que vous vivrez feront d’autant plus d’effet.

SnatcherAu niveau de la bande-son, nous sommes devant quelque chose de maîtrisé aussi. Bien qu’il faille être sensible à la musique chiptune, elle comporte certains thèmes marquants. Couplée aux décors, elle donne une ambiance de film noir saupoudré de science-fiction, retranscrivant bien l’émotion voulue – danger, suspicion, ou bonne ambiance de fêtes. Impossible également de passer à coté du thème de Metal Gear Mk-II, version alternative du « Theme of Tara » du premier épisode de la série du même nom (vous l’avez probablement déjà entendu dans le premier MGS, réorchestré et réutilisé pour les missions VR Training) ! Les personnages, ont quant à eux tous leur propre « voix »… c’est-à-dire leur propre tonalité de son qui représente une voix. Pas forcément toujours agréable à entendre, mais cela  donne une idée de ce à quoi elle pourrait ressembler.

La dernière question importante est donc à présent celle de la durée de vie d’un tel format de jeu. Elle dépendra avant tout de votre efficacité dans la résolution des discussions et évènements qui vous font face. Ainsi, quatre heures et demies ou cinq seront suffisantes si vous savez déjà quoi faire mais cette durée pourrait s’allonger si vous prenez bien votre temps et en passez dans la salle d’entraînement au tir. Les deux actes qui constituent le jeu permettent de toute façon sauvegarder quasiment à n’importe quel moment, mais n’apportent cependant pas une vraie fin satisfaisante au jeu. C’est d’autant plus dommage que c’est une belle production, marquante et devenue culte pour ce qu’elle propose. Il faudra attendre la deuxième « génération » de versions du jeu pour trouver un dénouement plus convenable.

Snatcher

L’invasion des Snatchers sur consoles de salon

En octobre 1992, Konami sort Snatcher CD-ROMantic sur PC-Engine CD-Rom², machine de NEC et Hudson Soft. Après un Pilot Disc, version d’essai incluant des bonus distribuée deux mois plus tôt, le jeu final voit enfin le jour, avec de nombreuses améliorations.

SnatcherLe jeu est en effet retouché graphiquement, le rendant plus fin, mais surtout, la capacité de stockage nettement supérieure d’un CD-Rom par rapport à celle d’une disquette permet à de nombreuses scènes de bénéficier d’un doublage. La bande-son s’est également vue recomposée, mais sans pour autant perdre ce qui faisait l’âme de l’originale. On notera aussi une nouvelle interface plus souple et directe au jeu : exit les commandes au clavier, on s’approche désormais plus d’une aventure graphique moderne.

Cette version, qui sera la base de toutes celles sorties après, ne s’arrête toutefois pas là. En effet, si l’on parlait de fin abrupte sur PC-8801 et MSX2, ce portage sur console compte désormais trois actes. Le dernier, beaucoup plus cinématographique, n’est certes pas le plus captivant en terme d’action (et de loin, bien qu’il se termine par plusieurs scènes de tir pouvant s’avérer assez corsées) mais permet d’enfin avoir une « vraie » fin. « Vraie », car elle laisse la porte grande ouverte à une suite qui ne vit malheureusement jamais le jour, mais au moins, les sentiments d’inachevé, et surtout de léger malaise face aux derniers évènements de l’Acte 2 sont balayés.

Snatcher controversy

Konami continue sur sa lancée l’année suivante avec une mouture MegaCD, l’extension CD-Rom de la Mega Drive de SEGA. Celle-ci, destinée en priorité aux marchés européens et américains, est cette fois intégralement en anglais (doublages comme textes) et d’assez bonne facture. Très cohérente et assez convaincante (même si l’on peut regretter que les samples de voix ne soient pas d’excellente qualité), elle permet d’enfin comprendre plus facilement les évènements, et fut supervisée par Jeremy Blaustein (qui a aussi été responsable des traductions US de Metal Gear Solid ou Castlevania : Symphony of the Night par exemple).

Bien qu’elle soit techniquement similaire à son ainée, cette version améliore encore un peu les graphismes et surtout, offre une nouvelle bande-son, plus fournie et de meilleure qualité. Tout en conservant l’âme des précédentes, elle se permet d’être encore plus touchante, inquiétante et même malsaine selon les situations. Cette fois encore, les thèmes restent en tête et marquent l’esprit par leur ambiance de thriller légèrement paranoïaque.

Destinée à un public non-japonais, elle souffre cependant de quelques changements. La « Catastrophe » n’a plus lieu en 1991 mais 1996, le dernier repas de Jean Jack n’est plus de la viande de baleine (sujet relativement sensible à cette époque) mais de bison (ce qui n’est pas forcément mieux, mais passons). Sa jeune fille n’a plus quatorze ans mais dix-huit (sans doute pour se mettre à l’abri devant certaines scènes pourtant plus que légères). Peu importe, l’histoire et l’aventure restent les mêmes. Malgré sa rareté et son prix moyen exorbitant (entre cent-cinquante et mille euros…), c’est pourtant sans aucun doute la version à posséder, et pas seulement parce que c’est la seule compréhensible pour qui ne parle ou lit pas japonais.

Huit ans après le début de « la catastrophe »

En février et mars 1996, Snatcher gravit une nouvelle marche en arrivant sur PlayStation puis Sega Saturn. Ces nouveaux portages proposent à nouveau une refonte graphique légère ainsi qu’une interface calquée sur la précédente mais retravaillée. On peut également y trouver des petites cinématiques d’introduction (assez moyennes techniquement), et l’Acte 3 y est bien entendu présent. Une séquence « labyrinthe » a même été ajoutée lorsque Gillian doit s’enfuir d’un danger en passant par des bouches d’aération, et bien qu’elle ne soit pas spécialement utile, elle ajoute de la cohérence et de la logique dans sa fuite.

Pour le reste, l’ambiance ne fonctionne malheureusement pas aussi bien qu’avant, la faute notamment à une bande-son un peu hors-propos, pas vraiment aussi intense que les autres. Alors qu’elle joue normalement un rôle important dans le processus d’immersion, elle est ici composée de versions différentes et pas toujours très heureuses. Le thème du JUNKER se trouve même presque être une musique d’ascenseur sans saveur. La version Saturn reprendra, pour le coup, plus de BGM de la version MCD. Fort heureusement, dans tous les cas le doublage est très bon.

Ces deux versions 32 bits furent les toutes dernières de Snatcher. Un portage amateur sur Virtual Boy de Nintendo avait été commencé mais n’est pas allé bien loin, tout comme la tentative destinée à la Nintendo DS, qui partait pourtant bien. De fait, la seule façon de se replonger dans cet univers est de se tourner vers SD Snatcher, un RPG « parodique » sorti sur MSX2 en avril 1990. Celui-ci s’avère être une très bonne relecture qui dédramatise les évènements, avec un système de combat permettant de viser précisément l’endroit où tirer. L’humour y est bien présent et la difficulté aussi, ce qui en font un très bon épisode alternatif.

En 2007 se fit connaître le « Project-S ». Porté par Goichi SUDA/Suda51 (Killer7, Lollipop Chainsaw, …), il laissait sous-entendre qu’il avait un rapport avec Snatcher. Le nom de KOJIMA semblait également être lié à ce projet… et finalement, c’est en 2011 qu’il se révéla. Préquelle à Snatcher, « Suda51’s Sdatcher » est une nouvelle audio qui met en scène Jean Jack Gibson comme personnage principal. Sortie uniquement au Japon elle aussi, cette aventure avait carrément dans son équipe KOJIMA en tant que voix de Little John (le navigateur de Jean Jack) et Akira YAMAOKA à la bande-son. Ce n’était donc pas la suite que les fans attendaient, mais cette ultime apparition des robots tueurs s’avère être intéressante (disponible sur Internet avec des sous-titres).

Snatcher comparaison

De gauche à droite: PC-8801, PC-Engine CD-Rom² et PlayStation.

De nos jours, Snatcher reste plus une licence qui aura fait son petit effet sur ses joueurs. Lui imaginer une suite semble plus être un rêve qu’un espoir envisageable, mais c’est parfois mieux – les nouvelles graphiques ont toujours du succès au Japon mais cela ne sera peut-être pas autant le cas chez nous. Mais si cet article a réveillé des souvenirs en vous, vous pourrez toujours essayer de vous pencher sur un autre soft de KOJIMA, Policenauts, une très bonne suite spirituelle à notre jeu du mois.

Captures d’écran prises par JDJ. Crédits des autres visuels : Tous droits réservés ©Konami.

4 réponses

  1. xxiooup dit :

    Chouette article, bien complet. J’ai pour ma part découvert Snatcher Sur le tard, via l’émulation de la version méga cd. Le thème d’intro est grave a vie dans ma tête!

  1. 29 août 2019

    […] le temps d’une seconde ou deux (voire plus en tant que personnage jouable). On le voit ainsi dans Snatcher sur MegaCD, Contra : Shattered Soldier (PS2) ou encore New International Track & […]

  2. 30 août 2020

    […] cette décision et sont restés se cacher dans les sous-terrains. Un air de Blade Runner ? De Snatcher ? Sans aucun doute… mais pour l’heure, il est temps pour Slater d’arrêter cette invasion en […]

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