Saut dans le vide jubilatoire au milieu des yokai : ENFERS ET FANTÔMES D’ASIE au Quai Branly

Du 10 avril au 15 juillet 2018, l’un des plus beaux musées parisiens, le Musée du Quai Branly – Jacques Chirac, accueille une nouvelle exposition exceptionnelle. Sous la direction de Julien Rousseau, commissaire de l’exposition, c’est donc la promesse aux amoureux de culture asiatique d’une errance inoubliable et à pas de loup au milieu des spectres de la forêt, esprits tourmentés et rites ancestraux.

Enfers et fantômes d'asie

Impossible, même si nous le souhaitions, de nous montrer complets quant aux nombreuses surprises qui vous attendent une fois entrés dans la gueule du monstre. Une chose est sûre, ce tour d’horizon forcément non exhaustif des thématiques évoquées est volontairement floue afin de vous laisser le bonheur et la surprise d’arpenter ces allées. Puis, au détour d’un virage inattendu, vous abandonner dans les griffes plus ou moins bienveillantes de ces esprits malicieux…

Comme l’on peut le lire durant l’exposition : « La peur des fantômes est peut-être à la mesure de l’importance qu’une société accorde au culte de ses ancêtres » …

 

Histoires de fantômes chinois. Japonais. Thaïlandais…

Créatures chimériques ou cauchemars pelliculés et célébrés du J-Horror (Ring est bien évidemment présent dans une salle dédiée inoubliable), l’exposition ENFERS ET FANTÔMES D’ASIE présentée fait osciller son propos d’Asie Orientale et du Sud-Est aux influences contemporaines dans des illustrations aussi diverses que le cinéma, l’art religieux ou le manga.

De la spectaculaire estampe : La Princesse Takiyasha et le spectre-squelette d’Utagawa KUNIYOSHI (1844) à la salle de bornes de jeux vidéo mise en scène par la formidable association MO5, des peintures de fantômes signées Iguchi KASHU (1890-1930) aux découvertes de rites funéraires chinois, vietnamiens ou thaïlandais : l’exposition transpire l’érudition, le soin dans chacune de ses mises en scène et la volonté d’une médiation accessible et compréhensible de tous. Nous n’avions tout simplement pas vécu une telle harmonie dans la composition depuis l’exposition du Petit Palais : Estampes visionnaires, de Goya à Redon en 2015 / 2016.

Développée en marge de la toile peinte, qu’elle soit profane ou sacrée, la représentation des spectres ou esprits malins doit donc autant son imagerie aux origines du bouddhisme qu’aux rites ancestraux de récits mythiques et légendaires. Entremêlant les époques en suivant un parcours thématique et géographique, c’est toute la nécessité d’exprimer une (des) peur(s) universelle(s) qui se dévoile sous vos pas.

De la fébrilité face à une estampe d’Hokusai au magnétisme du culte des esprits en Thaïlande, le bonheur ressenti à s’égarer dans les allées est sans doute peu de chose face à l’engouement palpable de l’équipe créative du musée. Des œuvres à dévorer du regard, théâtralisées avec implication et imagination. Bien qu’on puisse regretter certains focus insuffisants sur des pans pourtant très importants mais ici survolés (le travail de Tezuka, les films Ju-on, les kappa…), ce n’est que faire la fine bouche tant l’expérience vous transportera.

Production de mannequins glauques ou création d’œuvres par des artistes contemporains, montages vidéo ou hologrammes (l’un de nos coups de cœurs), ce n’est que peu de chose que de raconter, à voix basse et à demi-mots, le travail accompli par l’équipe de médiation et notamment sa mise en scène. Boucle sonore aussi agressive que subtile et bienvenue, idées en trompe l’œil ou œuvre monumental, il serait plus que préjudiciable de trop en dire quant aux trouvailles de ce voyage.

Enfers et Fantôme d'Asie - Musée du Quai Branly

Enfers et Fantôme d’Asie – Musée du Quai Branly

En effet, jamais un labyrinthe n’a été aussi agréable à parcourir. Ce n’est pas toujours le cas tant certaines expositions sont parfois décevantes : aucune médiation, pas de mise en scène, parcours trop rapide, œuvres déjà exposées… Le travail cette fois est remarquable, et remarqué.

Sachez enfin qu’une précision notable est à souligner sur l’éclairage et la luminosité, afin de plonger avec délicatesse les âmes errantes dans ce cauchemar consenti. L’épouvante est une thématique universelle aussi ancienne que le lever du jour. Des morts qui reviennent à la vie ? Des errances ad vitam en forêt ? Des femmes vengeresses ? Toutes ses illustrations ne sont in fine pas si éloignées de nos coutumes. Impossible en effet de se dédouaner des influences plurielles qu’a eu cette obsession de l’au-delà sur le genre humain, quel que soit l’endroit de la carte où il a ouvert les yeux.

Enfers et Fantôme d'Asie - Musée du Quai Branly

Enfers et Fantôme d’Asie – Musée du Quai Branly

C’est ainsi que quelque soient vos coups de cœur, de la lecture d’un papyrus hypnotisant à Hannya, femme jalouse du théâtre nô se transformant en démon afin de faire payer rivale et ancien amant, vous verrez des chefs d’œuvre par dizaine. Des souvenirs imprimés sur la rétine pour longtemps.

Sous la cire : le masque du démon

De rouleaux japonais du 12e siècle imprimant les plus anciennes images de revenants connues à ce jour (les fantômes affamés – gaki zoshi) aux masques de Nô en bois sculpté, c’est toute la bienveillance, la crainte, la terreur ou le réconfort d’une civilisation que vous pourrez toucher du doigt durant ces trop fugaces instants.

Vous apprendrez ainsi en fixant les yeux sur Deja Jâtaka (les dix dernières vies du Bouddha, une toile cambodgienne du XVIIIe siècle), comment la déesse de la terre, en tordant ses cheveux, provoqua un raz-de-marée. Elle balaya ainsi l’armée de Mara: le démon de la mort. Alors, Bouddha accéda à l’éveil. Vous pourrez également perdre vos repères face à un film inouï de violence (Naroc de Tanit Jitnukul, Sathit Pradistarn et Teekayu Thamnitayakul), rencontre improbable entre 2001 odyssée de l’espace et Cannibal Holocaust dans un enfer ocre de feu et de sang (attention aux âmes sensibles) !

Enfers et Fantôme d'Asie - Musée du Quai Branly

Enfers et Fantôme d’Asie – Musée du Quai Branly

Les supplices infernaux illustrés sur les rouleaux du Sûtra des Dix Rois retrouvés en Chine, à Dunhang, sont également des pièces extraordinaires et d’une valeur inestimable. Datées du Xe siècle, utilisées lors de rites funéraires, il nous enseigne ainsi la succession de nos actes passés, dans cette vie ou dans une autre et invoque ses conséquences… De la cosmologie chinoise (le monde humain reflète le monde divin) aux Trois Mondes thaïlandais (enfer, terre, paradis), des récits terrifiants d’Oiwa au Japon ou Nang Nak en Thaïlande : toutes ces lectures, toutes ces découvertes donnent en tout cas l’impression immédiate de ne pouvoir qu’effleurer la pluralité et la richesse de ce vaste continent tout en donnant l’envie de dévorer livres, récits, films et de s’y rendre. Ce n’est pas là le moindre des compliments.

Plus haut, furent abordés les récits d’Hannya, du formidable cinéma J-Horror (ici exposé avec révérence et permettant enfin de comprendre l’influence historique millénaire de cette femme aux longs cheveux…) ou du survol anecdotique des kappa… Nous pourrions également évoquer la présence des fantômes de la période Edo (env. 1600 – 1868) magnifiés par Hokusai, des personnifications de yōkai (妖怪, intraduisible : « esprit », « fantôme », « démon », « apparition étrange ») ou du respect de la tradition Phi.

Enfers et Fantôme d'Asie - Musée du Quai Branly

Enfers et Fantôme d’Asie – Musée du Quai Branly

Cette croyance aux esprits mêlant plusieurs types d’entités surnaturelles : qu’ils soient spectres ou revenants affamés dont la bouche, si petite, empêche de se sustenter. Que ce soit donc à la vision de Rival, acrylique de 2017 d’Anupong CHANTORN dans lequel deux moines bouddhiste faméliques sont tombés en enfer en raison de leur avarice, aux sourires non feints à la vision d’affiches d’époque sur le « kung-fu zombies » (ils sautent à pieds joints car attachés une fois morts): l’ensemble des visiteurs trouvera de quoi satisfaire sa curiosité.

Comme sous l’effet d’un charme en papier ou d’un miroir magique, cette plongée fantastique, démoniaque, historique ou artistique est donc tout cela à la fois. Masques de Dixi, ombres chinoises, costumes de Phi ta Kon (danse masquée), ou amulette du bébé d’or (Kumanthong: embryon momifié devenu charme d’invincibilité) sont autant de merveilles qui vous attendent jusqu’au 15 juillet prochain.

Si vous souhaitez donc rencontrer la malheureuse Oiwa, défigurée et empoisonnée par son mari, depuis hanté par ce spectre hideux, admirer une planche originale de Dororo d’Osamu TESUKA et franchir la porte des enfers, vous savez donc où vous précipiter. Nous vous conseillons par ailleurs le weekend des 23 et 24 juin prochain afin de profiter d’activités gratuites : performances, rencontres… Si cela vous est impossible, un très riche hors-série « Connaissance des Arts » est consacré à l’exposition.

A vous désormais de vous abandonner ou non aux richesses culturelles d’un continent asiatique aussi impénétrable que fascinant !

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Toutes les informations sont disponibles sur le site internet du Musée du Quai Branly.

EDIT : Le 23 et 24 juin prochain durant 30h non stop, aura lieu au musée du quai Branly – Jacques Chirac, à Paris, un week-end entier autour de l’exposition « Enfers et Fantômes d’Asie ». Entièrement gratuit, cet évènement sera l’occasion pour tous les visiteurs d’être en immersion dans les enfers angoissants et exquis de la Chine, du Japon et de l’Asie du Sud-Est. Les fantômes apparaitront lors des nombreux jeux, ateliers, performances, conférences et spectacles, etc.  

  • Pour une première, le toit-terrasse sera accessible pour une nuit de projection de films, avec à l’aube un petit-déjeuner !
  • Chasse au fantômes en réalité augmentée
  • Performance de la danseuse butô, Yoko Higashi, dans le jardin du musée
  • Jardin hanté
  • Visites de nuit de l’exposition
  • DJ set

 


Commissaire : Julien Rousseau, responsable de l’Unité patrimoniale Asie au musée du quai Branly – Jacques Chirac
Conseiller scientifique pour le cinéma : Stéphane du Mesnildot, journaliste aux « Cahiers du cinéma », auteur, spécialiste du cinéma asiatique.

AVERTISSEMENT : Plusieurs films et installations de l’exposition peuvent heurter certaines sensibilités, notamment chez les enfants. L’exposition est conseillée à partir de 12 ans mais l’accès n’est pas interdit à des enfants plus jeunes, qui restent sous la responsabilité des personnes qui les accompagnent.

Un merci aucunement emprunté est adressé aux équipes du Quai Branly Jacques Chirac, à son pôle média et tout particulièrement Serena Nisti pour sa gentillesse et sa disponibilité.

Photos pour Journal du Japon : Aude Boyer ©journaldujapon.com – Tous droits réservés

3 réponses

  1. 7 juillet 2018

    […] chacun est libre d’y croire ou pas, c’est un pan important de la culture japonaise (NDR : cf l’exposition actuelle au Quai Branly « Fantômes d’Asie »). Mais je dirais que pour chaque enfant la notion d’ami imaginaire, très connue des […]

  2. 3 novembre 2018

    […] Si Yomawari a su séduire son public, il le doit notamment aux diverses qualités déjà évoquées dans notre article consacré à Midnight Shadows : une ambiance pesante, un sentiment de vulnérabilité constante, et une intégration judicieuse des yokai, créatures surnaturelles venant du folklore japonais (de quoi intéresser ceux qui auront apprécié l’exposition Enfers et fantômes d’Asie au quai Branly). […]

  3. 14 septembre 2020

    […] l’aurez compris à ce second billet qui vient compléter le premier, écrit en 2018 : l’exposition temporaire Enfers et fantômes d’Asie est une réelle réussite et […]

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