Portrait de passionnée : Emilie et le papier washi

Journal du Japon vous fait découvrir le papier japonais washi grâce aux connaissances d’une passionnée, Emilie, une française qui vit au Japon et connaît ces feuilles délicates sur le bout des doigts.

Journal du Japon : Bonjour Emilie, peux-tu te présenter et nous parler de ton amour pour le Japon ?

Emilie : Je m’appelle Emilie Even et j’habite au Japon depuis 6 ans, d’abord à Osaka et maintenant à Kyoto. Je suis venue m’installer au Japon avec mon mari pour faire une thèse en chimie et géologie mais avant ça nous étions déjà effectué 3 voyages au Japon. Aujourd’hui, je me consacre à ma passion pour le papier japonais washi avec la visite d’ateliers d’artisans et une boutique en ligne, harikopaper.com.

Cela sonne comme un cliché mais j’aime le Japon parce qu’étant gamine, j’en ai mangé des émissions comme Récré A2, Youpi! L’école est finie et le Club Dorothée. Par contre, je n’avais aucune idée que les anime venaient du Japon, et qu’un grand nombre d’entre eux étaient imprégnés du quotidien nippon. Il faut dire aussi que tout ou presque était adapté pour la France…

Aujourd’hui, j’apprécie d’autres choses en parallèle des mangas. Etant sur place, on peut explorer l’archipel et beaucoup mieux appréhender sa culture. J’essaie surtout de voyager en conjuguant la découverte d’une région avec mon intérêt pour le washi !

Papier Yoshino WashiPapier japonais Yoshino Washi avec teinture naturelle aux plantes (artisan: Masayuki Fukunishi)

Tu es passionnée par le papier washi. Comment l’as-tu découvert, et qu’est-ce qui t’a poussé à rendre visite aux artisans, puis à créer une boutique en ligne ?

J’ai découvert le papier japonais à Kamiji Kakimoto, la plus vieille papeterie de Kyoto. J’ai été attirée par le papier yuzen, avec ses jolis motifs et couleurs inspirés des kimono. Et puis, je me suis intéressée à la fabrication du washi en lui-même. Je suis très manuelle, j’adore bricoler et j’aime comprendre comment les choses sont faites, donc j’ai plongé dans l’artisanat du washi !

Aujourd’hui, le papier yuzen et ses jolis motifs sont très populaires, mais je souhaite faire découvrir aux gens le fait que le washi ne se limite pas à ça. Alors j’ai créé la Washi Box sur le principe des box mensuelles : chaque mois, je fais une sélection de washi qui inclut bien sûr des papiers à motifs, mais aussi des washi plus artisanaux. J’espère que cela engendrera curiosité et inspiration aux abonnés et pourquoi pas, une future commande.

Malheureusement, faute d’une génération motivée au Japon, il y a un gros déclin de la production manuelle et une perte de savoir-faire. Pourtant, le washi artisanal est très prisé dans le monde entier, et la demande est de plus en plus importante. Mais il y a très peu de connections entre les artisans et les utilisateurs du washi en dehors du Japon.

Du coup, j’ai voulu relever le défi de faire le contact entre ces deux parties avec la boutique en ligne Hariko ! Je vis de très belles rencontres, autant avec les fabricants que les usagers du washi. J’apprends énormément et j’ai la chance de mettre la main sur des productions limitées. Les papiers artisanaux sur la boutique harikopaper.com sont souvent peu disponibles ailleurs ! La confidentialité et la confiance que m’accordent les artisans m’est précieuse.

Papiers de la washibox d'août 2015Sélection de papiers de la Washi Box d’Août 2015

Peux-tu expliquer à nos lecteurs comment est fabriqué le papier washi ? Quelles sont les différences de fabrication entre les artisans ?

La fabrication d’un washi de belle qualité repose principalement sur la pureté de l’eau. C’est pour ça que l’artisan façonne son papier essentiellement en hiver, quand les nutriments et la minéralité de l’eau des rivières sont faibles. Le washi est fait à partir d’écorce de plantes arbrisseaux. Après la récolte du branchage de ces arbrisseaux, le travail de l’artisan consiste à :

  • récupérer la fine couche d’écorce en étuvant les branches
  • plonger cette écorce dans l’eau plusieurs jours
  • gratter la partie extérieure (noire) indésirable et garder les fibres blanches
  • passer les fibres restantes dans un bain alcalin pour dissoudre la lignine
  • retirer à la main les impuretés une à une
  • faire sécher les fibres en extérieur pour les faire blanchir
  • battre les fibres au maillet, éventuellement les passer dans une machine à lames
  • préparer la pulpe à papier en mélangeant les fibres battues et le liant
  • façonner les feuilles de washi une à une avec un tamis monté sur cadre.

fibres de mûrierFibres de mûrier à papier “kôzo” en trempe dans l’atelier de l’artisan Hasegawa

Les Japonais ont perfectionné la technique de façonnage (en nagashizuki) pour faire des papiers les plus fins au monde. Tous les artisans ne font pas du washi selon cette technique, certains utilisent le tamesuki pour des washi plus épais. C’est d’ailleurs celle utilisée pour faire du papier de lin, coton etc. en Europe. Les différences de fabrication se font aussi tout au long du procédé. Par exemple, un artisan pourra choisir de bouillir les fibres dans un bain de cendres de bois ou de la soude, de décolorer les fibres en les pendant au soleil, les étalant sur la neige ou les laissant flotter dans la rivière. Il pourra faire sécher le washi sur des planches en bois ou sur des plaques de métal chauffées. Tout est question de matériel à disposition, région de culture des plantes, utilisation finale du washi, sensibilité artistique de l’artisan, etc…

Du coup, il existe autant de washi que d’ateliers qui en fabriquent, et même plus ! Il y a quand-même des régions où le washi est fabriqué selon un procédé et un usage final communs. Par exemple, les washi de mitsumata (l’arbre à papier, une autre plante à papier) de la région Inshû (Tottori) est pareillement élaboré pour la calligraphie par différents ateliers.

Papiers de Norihito HasegawaDivers papiers japonais Washi de l’artisan Norihito Hasegawa pour harikopaper.com

As-tu un papier / un artisan préféré ?

Oui ! J’adore le washi Tsunagami. C’est un papier fait par Okuda-san qui habite sur l’île d’Awaji. Le Tsunagami est le papier typique de l’île mais avait disparu. Okuda-san a appris à faire du washi en autodidacte, et a fait des recherches pour faire revivre ce papier. Son washi est très chaleureux et lumineux. Il façonne aussi des washi teints à l’oignon et l’eucalyptus qui poussent partout sur Awaji !

Papier washi Tsunagami

Washi Tsunagami en teinture naturelle d’oignon et eucalyptus (artisan: Yoshiharu Okuda)

Artisans atelier Shoroku

Artisans atelier Shoroku – Yoshiharu Okuda et Emi Okuda devant leur atelier Shoroku / galerie Nagasawa.

 

Et au niveau des motifs, des couleurs ?

Avec le temps, je me tourne de plus en plus vers des motifs géométriques, notamment ceux du katazome qui sont un peu plus grossiers que ceux du papier yuzen. J’avoue qu’en étant au Japon depuis quelques années, j’ai un peu fait une overdose de “kawaii”, donc je suis moins attirée par les fleurs de sakura et autres dessins un peu chargés. Cela ne m’empêche pas de pousser des “Waouh!” dans les magasins quand je tombe sur des motifs exceptionnels.

J’aime beaucoup les papiers bruts, non blanchis, très végétal, surtout ceux avec des fibres apparentes comme les washi unryu. Unryu veut dire dragon dans les nuages: des fibres de papier visibles figurent des dragons dans le ciel (la matrice du washi). C’est poétique, non ?

Papiers washi Harikopaper.com

Papier japonais Washi en vente sur le site harikopaper.com

Quel est l’intérêt du washi par rapport aux papiers occidentaux ? Que peut-on faire avec ?

Contrairement au papier machine que l’on connaît tous qui est fabriqué à partir du bois d’arbre, le washi est issu de l’écorce interne d’arbrisseaux endémiques à l’Asie comme le mûrier à papier (kôzo en japonais). Cette écorce est très fibreuse et permet de produire un papier résistant à la déchirure et au temps. En 1967, après les inondations à Florence (Italie) qui ont détruit énormément d’oeuvres d’art et de manuscrits, le washi a été mis en lumière pour ses qualités dans la conservation et la restauration d’oeuvres graphiques.

Au Japon, la durabilité du washi est exploitée au quotidien avec les billets de monnaie ! Et puis il y a des usages plus triviaux comme l’origami, l’impression d’estampes ou les lanternes. Il est aussi possible de faire des vêtements en washi, cousu tel quel après traitement imperméabilisant ou bien filé en bobine et tissé. L’utilisation la plus dramatique du washi est surement celle qui consistait à fabriquer des ballons gonflables durant la Seconde Guerre Mondiale pour transporter des bombes sur le continent américain. Heureusement, la plupart des cibles n’ont pas été atteintes.

artisan au travailL’artisan Masayuki Fukunishi façonnant le washi Udagami, un papier très prisé par les musées pour la restauration d’oeuvres sur rouleau.

Des idées de DIY à proposer à nos lecteurs ?

Qui dit papier japonais, dit origami. Mais il y a beaucoup plus simple pour utiliser du washi. Par exemple, en recouvrir son livre de poche ou son agenda, c’est très classe ! Et puis, je donne des idées de DIY sur le site de la Washi Box, car la box explique quoi faire avec les papiers reçus.

exemple de DIYIdée créative avec le papier japonais : couverture de libre (Washi Box Novembre 2016; vidéo tuto sur washibox.com)

Des projets pour l’avenir autour du washi ?

Pour l’heure, je souhaite juste continuer à visiter des ateliers de fabrication de washi, rencontrer les artisans et démocratiser l’usage du washi ! Les gens me conseillent d’écrire un livre car il en existe peu en français sur le washi. Je n’ai pas encore assez de légitimité pour écrire un truc encyclopédique. Mais peut-être quelque chose de plus simple, avec beaucoup de photos et des échantillons de washi ?

Je voudrais aussi faire une version en anglais de la boutique Hariko, pour permettre à plus de monde de lire les reportages de mes visites en atelier. Pfiouh…traduire tout un site, c’est du boulot. It is twice the work I already do !

Merci pour l’opportunité de cette interview 🙂 J’espère que les lecteurs seront un peu curieux de l’artisanat du washi !

Journal du Japon remercie Emilie pour cette immersion passionnante dans l’univers du washi !

4 réponses

  1. Merci beaucoup pour ces explications. J’utilise le papier Washi pour éditer mes photographies et c’est une merveille. Le papier unruyu créé une ambiance toute particulière. C’est magique!

  2. HIRIART dit :

    merci pour les explications. Je dois décorer un tambour sur lequel je tape fort . La déco avec le washi résistera t-il aux coups sans se décoller.
    Merci d’avance pour la réponse

  3. Eric dit :

    Article très intéressant sur le papier Washi que j’ai découvert lors de recherches sur les lampadaires en papier. Encore une fois, le Japon nous enseigne l’art de la minutie et de la patience. A une époque ou l’on veut aller trop vite, je trouve que c’est parfaitement salutaire 🙂
    Merci !

  1. 5 février 2020

    […] cultive au Japon), une maiko de dix-neuf ans à Kyôto, un couple qui fabrique du papier artisanal (washi) à Mino, un cultivateur de wasabi dans l’eau pure des Alpes japonaises, un saliniculteur à […]

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