The Third Murder : Kore-Eda en quête de vérité

Mai fut le mois de la consécration pour Kore-Eda avec la palme d’or remportée par son drame familial Une affaire de famille à Cannes. Mais juste avant ce joli mois pour le réalisateur japonais, était sorti en avril sur les écrans français, The third murder son dernier long métrage attendu par tous les admirateurs du réalisateur. The Third murder a la particularité d’être un aparté, une singularité même, dans la filmographie du cinéaste très centrée sur la famille et ses grands et petits tracas.

Avec ce film, Kore-Eda se plonge dans un tout nouveau registre chez lui, le thriller. Voici notre verdict.

Shigemori, l'avocat, en pleine audience ©Toho

Shigemori, l’avocat en pleine audience ©Toho

 

C’est l’histoire d’un coupable idéal

Le film s’ouvre sur une scène en pleine nuit où, seul point de lumière dans la pénombre environnante, un corps calciné se consume le long d’une rivière. Dès les premières secondes, on retrouve l’ambiance et l’univers de Kore-Eda, sombre et mélancolique. La musique de Ludovico Einaudi accentue l’effet dramatique de cette scène d’assassinat.

Misumi, l'accusé ©Toho

Misumi, l’accusé ©Toho

 

Le coupable Misumi (YAKUSHO Koji) n’en est pas à sa première condamnation et son profil laisse à supposer qu’il est un assassin dans l’âme. D’ailleurs, il plaide lui-même coupable et avoue le meurtre de son patron. Toutes les preuves sont réunies, le juge comme les jurés sont convaincus de sa culpabilité.

Cependant, dès le premier entretien avec l’accusé, Shigemori (FUKUYAMA Masaharu), avocat prestigieux, va commencer à douter de sa culpabilité. Ce sont les contradictions dans le discours de Misumi qui vont le déstabiliser et le persuader de l’innocence de son client. Il réfléchit alors à la meilleure stratégie pour le défendre.

Si l’histoire n’est pas originale, il est rare de voir un film japonais traitant de la peine de mort qui est toujours de vigueur au Japon. Dans ce contexte, on se demande si l’accusé va bénéficier une nouvelle fois de la clémence de la justice ou s’il sera condamné à la pendaison. En effet, Misumi avait été libéré par le propre père de Shigemori, ancien juge, lors de sa précédente condamnation.

Le scénario joue sur le fait que rien n’est certain : l’accusé est-il un manipulateur ou veut-il simplement vivre ? La vérité semble se défiler tout au long du film.

Trois pères, mais pas de liens familiaux

Au fur et à mesure que l’intrigue avance, Misumi nous fait douter. Il change de version et se dénonce d’abord pour homicide, puis assure que ce meurtre a été commandité par autrui avant, enfin, de proclamer une troisième version dont on vous laisse la surprise.

La présence de la fille de la victime, YAMANAKA Sakie (SUZU Hirose) n’est évidemment pas anodine. Son air mystérieux, sa démarche boitillante, sa relation à Misumi…Qui est-elle vraiment ? Suite à son enquête, Shigemori découvrira des liens inattendus entre la jeune fille et un personnage clé du film. 

Sakie, la fille de la vicitme ©Toho

Sakie, la fille de la vicitme ©Toho

De son côté, l’avocat est divorcé, et il ne voit sa fille que lorsqu’elle se fait arrêter pour vol. Leur relation est assez neutre et distante. Son rôle de père est totalement inexistant, il ne la connaît pas. Quand fille et père se retrouvent dans un restaurant, un certain malaise s’installe. En effet, il découvre que sa fille est une vraie comédienne et peut faire semblant de pleurer.

Le trio Misumi (l’accusé), Shigemori (l’avocat) et la victime (le père de Sakie) ont finalement un point commun : leur rôle paternel non accompli. Koré-Eda a donc voulu centrer son film autour de ces trois personnages qui, chacun, a un rôle déterminé que ce soit dans le passé et dans le présent. Tout comme pour ses autres films, nous retrouvons une nouvelle fois des relations familiales compliquées, chères à Koré-Eda.

Un début intriguant, mais un rythme trop lent

Si les premières scènes tiennent vraiment en haleine, au bout d’une demi-heure, l’histoire n’avance guère. Les moments au parloir paraissent redondants et interminables. Le film est difficile à cerner et les discussions n’ont pas vraiment de sens. L’accusé met du temps avant de donner une réponse claire : « Oui, c’est moi », « non », « peut-être… ». Les interrogations sont très longues, on perd rapidement le bout du fil. 

Le débat philosophique et intellectuel auquel semble vouloir se livrer ici Kore-Eda peut ne pas être compris par tous. Le réalisateur voudrait répondre à certaines questions à travers ce scénario : « Quelle est la vérité ? », « En existe-t-il une ou plusieurs ? ». Autour de ces problématiques, les thèmes abordés sont plutôt intéressants : la culpabilité d’un homme, la peine de mort, le rôle de la justice…

On regrette le peu d’émotion de la part des personnages et le manque de rythme dans le scénario.

Le réalisateur Kore-Eda (à droite) en plein travail avec ses acteurs Fukuyama (de face) et Yakusho (de dos) lors d’une scène dans le parloir ©Toho

Une belle réalisation

La technique du CinemaScope est une réussite et le réalisateur met en valeur les détails comme les yeux, les mains ou la bouche grâce à de magnifiques gros plans. Un choix du chef opérateur et un challenge pour Kore-Eda qui n’avait jamais utilisé cette technique auparavant. On ne peut qu’apprécier le clin d’œil aux polars des années 50 avec le jeu de trois principales couleurs : le blanc, le noir et le rouge.

C’est surtout dans les scènes du parloir que l’immersion est la plus efficace. La caméra est souvent placée du côté de l’avocat, ce qui souligne davantage l’aspect intimiste entre les protagonistes. Ainsi, nous nous glissons facilement dans la peau de Shigemori, comme si le réalisateur nous montrait où se trouve la vérité.

Autre moment cinématographique à souligner et qui conclut parfaitement le film : dans la dernière scène au parloir, les reflets sur la vitre qui séparent les deux protagonistes donnent l’impression qu’il n’y a plus de mur et que d’une certaine manière, ces derniers sont enfin liés.

Si pour certains The Third Murder est un bon moment de cinéma, pour d’autres, il est un film qui manque d’action. Ce rythme lent est justement la signature de Kore-Eda qu’il a toujours su l’utiliser pour transmettre l’émotion dans la plupart de ses films comme, par exemple,  dans Nobody knows ou Tel père, tel fils. Ici, cet alliage semble manquer et ce malgré un terrain propice à l’expression de sentiments, confus, et aux revirements de l’âme.

2 réponses

  1. 13 juin 2018

    […] présents sur la scène internationale à obtenir un certain succès dans son pays. Pour preuve, The third murder, son dernier film sorti en salle fut les grands gagnants des César japonais […]

  2. 5 juillet 2018

    […] grâce à une réelle justesse de ton, faisant ainsi ressortir l’émotion. Même le récent The third murder qui semblait à priori annoncer un tournant surprenant vers le film d’enquête, voire le […]

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