Et le Cesar(e) de la meilleure Renaissance est attribué à…

Après « Takehiko Inoue »:http://www.journaldujapon.com/2013/04/salon-du-livre-2013-rencontre-avec-takehiko-inoue.html et « Hikaru Nakamura »:http://www.journaldujapon.com/2013/04/hikaru-nakamura-tiens-voila-du-bouddha.html, notre troisième rencontre au dernier Salon du Livre de Paris fut avec un duo assez atypique : une mangaka et un professeur d’histoire. Fuyumi Soryo et Motohaki Hara, les deux auteurs de Cesare, nouveauté 2013 de l’éditeur Ki-oon qui se penche sur le destin de Cesare Borgia, personnage emblématique de la Renaissance italienne.

Fuyumi Soryo et Motohaki Hara

Il est 17h en ce dimanche après-midi et le salon se rapproche de sa conclusion. L’attachée de presse des éditions Ki-oon nous annonce que les deux auteurs viennent d’achever leur précédente interview et que nous allons fermer la marche de ces quelques jours très riches en rencontres pour les deux invités nippons.
Nous entrons dans la salle d’interview : Fuyumi Soryo est en pleine discussion avec Ahmed Agne, co-fondateur des éditions Ki-oon et après quelques éclats de rire – signes de l’ambiance détendue des fins de salons bien remplis – nous nous présentons et entamons la discussion…

Journal du Japon : Pour commencer, après ces quelques jours de dédicaces, d’interviews et de rencontres, dans quel état d’esprit êtes-vous ?

Fuyumi Soryo (dans un rire) : Je suis exténuée ! Morte de fatigue !
Motohaki Hara (avec le sourire lui aussi) : Mais nous faisons de notre mieux !
F.S. : Oui, c’est une bonne fatigue de toute façon !
M.H. : De plus nous sommes contents parce que les questions que l’on nous pose sont intéressantes.

Fuyumi Soryo et Motohaki Hara

Est-ce qu’il y a un moment qui vous a marqué particulièrement sur ce Salon du Livre ?

F.S. : En fait j’ai trouvé ça différent du Japon. Au Japon, il n’y a que des jeunes qui se déplacent sur les salons, que ce soit pour le manga ou pour d’autres choses. Et là je me suis rendue compte que les personnes présentes étaient plus âgées en moyenne.
M.H. : J’ai pu observer quelques livres qui sont des reproductions très réussies d’anciens ouvrages, qui m’ont plutôt impressionné. De plus, ce genre de Salon du Livre existe au Japon, à Kyoto, mais on n’y rencontre jamais autant de monde, et ça aussi ça m’a marqué.

Pour en venir à Cesare…Comment expliquez-vous que de nombreux mangakas, – vous, Mari Yamazaki et d’autres – soyez intéressés par l’Italie et l’histoire européenne d’une manière générale ?

F.S. : Je ne peux pas vraiment parler pour les autres. En ce qui me concerne j’ai commencé cette série il y a 8 ans, j’ai suivi des études aux Beaux-arts et j’ai travaillé sur l’époque de la Renaissance, c’est pour cette raison que j’ai toujours eu envie de raconter une histoire qui se déroule à cette période.
C’est vrai que j’ai commencé ma carrière par du shôjo, mais c’est parce que le seinen n’était pas encore très présent dans les magazines de prépublication et qu’on jugeait que mon trait convenait bien au style shôjo. Mais j’ai toujours gardé le thème de la renaissance en tête.

Fuyumi Soryo

Et vous monsieur Hara, vous qui êtes un universitaire, pouvez-vous nous expliquer ce qui intéresse les japonais dans l’histoire italienne ?

F.S. : (intervenant avec franc-parler) : Mais les Japonais ne s’y intéressent pas, il n’y a que nous pour nous passionner de ça ! (Hilarité générale)
Les Japonais ne connaissent rien de l’histoire de l’Europe, c’est pour cela qu’on essaye de les intéresser, de les éduquer sur ce sujet.
Fuyumi Soryo utilise alors le mot baka (idiot) pour décrire ces compatriotes ce qui fait rire notre traductrice et toutes les personnes parlant japonais dans la salle !

Reformulons donc… Monsieur Hara qu’est-ce qui fait que – à titre personnel – vous vous intéressiez à l’Italie et à son histoire ?

M.H. : Mon père était un amateur de littérature française donc j’étais assez familier de la culture européenne. Au moment de choisir ma voie professionnelle j’ai voulu faire quelque chose de différent et je me suis plutôt intéressé à l’Italie.
F.S. : Alors que la plupart du temps au Japon, les fils suivent le chemin du père.
M.H. : Mais, en fait, tout le monde s’intéresse à l’histoire de l’Europe, ce n’est pas spécifique au Japon. Les Américains s’intéressent eux-aussi à l’histoire de la Renaissance, tout simplement parce que tout ce qui nous entourent dans notre vie aujourd’hui trouve son origine à cette époque.

Cesare est un personnage très controversé, comme vous l’avez expliqué lors de la conférence, dont il existe plusieurs versions et plusieurs adaptations. Mais en ce qui vous concerne et après avoir travaillé plusieurs années sur ce personnage, pourriez-vous nous décrire en deux mots VOTRE Cesare ?

M.H. : Je dirais que je le vois comme quelqu’un de très sérieux et naïf à la fois.
F.S. : En ce qui me concerne je dirais idéaliste et perfectionniste.

Cesare

 

Est-ce qu’après ces années de recherche il vous reste encore des zones d’ombres sur ce personnage ?

F.S. (réfléchit) : Je pense que nous sommes arrivés au bout. Pour l’instant tout est clair pour nous. Mais il est possible que nous retrouvions des documents ou des archives qui viendraient perturber ce que nous savons et faire évoluer notre vision du personnage.

Mais si vous pouviez retourner dans le temps et lui poser une question, vous lui demanderiez quoi ?

F.S. : Je lui dirais : « est-ce que vous croyez que vous êtes aimé par Dieu ? »
M.H. : Je suis tellement concentré sur les recherches que je ne me suis jamais posé la question ! (Rires)
F.S. : il aimerait plutôt rencontrer Machiavel je crois !

Pour revenir sur l’œuvre… Pourquoi avoir choisi le sous-titre « Il Creatore che ha distrutto » ?

F.S. : C’est moi qui l’ai choisi. Pour recréer il faut d’abord détruire, qu’il s’agisse de monument ou de structure de la société. Plus ces choses sont anciennes, plus il est difficile de les détruire mais tant qu’on ne les détruit il n’y a pas d’avenir possible.

Au début du tome 2 on voit que Cesare est en colère contre l’institution religieuse, c’est aussi ça qu’il veut détruire ?

F.S. : La morale de l’église était un outil politique. En cas de querelle entre personnes puissantes, il suffisait de parler de Dieu pour calmer la situation. Mais le problème c’est que l’Eglise usait et abusait de ce pouvoir, « au nom de Dieu », pour en réalité protéger ses propres intérêts.
M.H. : C’est ça qui met Cesare en colère, c’est pour cela que je le décrivais comme sérieux et naïf à la fois : il refuse qu’on abuse de la parole divine mais sans forcément comprendre que, malheureusement, c’est dans la nature humaine.

Fuyumi Soryo et Motohaki Hara

 

À cette époque les mœurs sont réputés pour être assez dissolus, comme on peut le voir dans la série TV par exemple… Comment vous avez abordé ce point ?

F.S. : Les enfants illégitimes sont une chose courante à cette époque, ce n’est pas que Cesare par exemple. Toutes les familles de pouvoir utilisaient tous les moyens à leur disposition – le sexe y compris – pour arriver à leur fin. En fait une famille de pouvoir qui n’est pas capable de cruauté n’en est pas vraiment une… Ou ne le reste pas longtemps.

Cesare

Comment avez-vous abordé, par exemple, l’histoire d’inceste entre Borgia et sa sœur ?

F.S. : Selon nous c’est impossible, cela n’a pas pu se produire. En tant que vrai croyant, Cesare n’aurait jamais pu commettre un tel acte.

Lorsqu’on regarde les deux premiers tomes on constate une chose : on ne voit que des garçons et des hommes… Où sont les femmes ?

F.S. : En fait les premiers tomes sont centrés sur la vie à Pise et sur l’université de Pise, où il n’y avait pas beaucoup de femmes car c’était un milieu plutôt misogyne. Nous avons donc voulu rester fidèles à la réalité historique.

Vous introduisez l’histoire avec le personnage d’Angelo. Il n’a pas existé, n’est-ce pas ? Comment l’avez-vous créé ?

F.S. : Effectivement il a été inventé afin d’introduire Pise, son université et bien sur Cesare au lecteur. Il fallait quelqu’un de neutre, sans influence particulière. Il nous était impossible de prendre un aristocrate, nous avons donc choisi un jeune homme du peuple.
M.H. : Vous êtes le pays de la Révolution Française et vous comprenez bien qu’il serait peu opportun de raconter cette révolution à travers le regard d’un aristocrate.
F.S. : Au fur et à mesure Angelo sera emmené dans un monde politico-religieux par Cesare et jouera, au milieu de ces hommes de pouvoirs, un rôle de reporter, d’enquêteur.

À la fin du tome 2, on peut lire votre interview et vous évoquez, madame Soryo, la Renaissance. Selon vous, d’un point de vue artistique, il s’agit de la période la plus brillante de l’histoire de l’humanité. Qu’est-ce qui vous fait dire cela ?

F.S. : À l’époque de la Renaissance toutes les peintures qu’il y avait dans les églises étaient l’équivalent de notre publicité, « la pub de l’église » en quelque sorte. Il y avait une vraie concurrence entre les artistes, sur le plan technique et artistique, chacun essayait de se démarquer.
Par exemple Leonard de Vinci, pour peindre le dernier repas du Christ dans son tableau « La Cène » a apporté une grande innovation. En effet, jusque là, tout le monde représentait ce dernier repas comme quelque chose de très funeste, avec un Christ et des apôtres tristes, dans une représentation christique, pleine de codes établis de longue date. Mais Da Vinci réinvente tout ça en créant un autre monde, plus vivant, où le Christ n’est pas uniquement le représentant de Dieu sur Terre mais où c’est aussi un homme. Il a été le premier à le faire.

Fuyumi Soryo et Motohaki Hara

 

De la même façon tous les artistes de cette époque ont essayé de révolutionner le monde de l’art. On peut citer Michel Ange et sa sculpture d’une femme nue qu’il a posé ainsi au beau milieu d’une chapelle. C’est une sorte de terrorisme artistique !
Il y avait donc un investissement sans précédent des artistes pour leur art grâce à cette formidable émulation. Ils étaient passionnés et défendaient chacun sa vision de l’art avec énormément de conviction, d’obstination même. Il se sentait investi d’une mission.
Vient ensuite le moment de la dédicace et pendant que madame Soryo crayonne un magnifique Cesare, nous terminons l’entretien en parlant, justement, des dédicaces…

Quels souvenirs gardez-vous des dédicaces ?

F.S. : Tout le monde était très chaleureux. Ils n’étaient pas là que par curiosité, ils aimaient vraiment mes mangas et ça m’a fait très plaisir.
M.H. : Tout le monde était vraiment fan des œuvres de madame Soryo. Il y avait beaucoup de lecteurs de Mars d’ailleurs, beaucoup plus que je n’aurais pas imaginé, ce qui montre que cette œuvre les a vraiment marqué car ce livre ressemblait un peu – pour certains – à un objet fétiche, quelque chose auquel ils sont très attachés.
J’espère que Cesare deviendra aussi leur livre favori ! (Rires)
On vous le souhaite… Merci beaucoup !

Cesare

Pour découvrir Cesare, nous vous conseillons également « la critique des deux premiers tomes »:http://www.paoru.fr/2013/03/20/preview-cesare-genese-dun-borgia-en-plein-coeur-de-pise/ chez notre partenaire Paoru. Nos photos du Salon du Livre 2013 vous attendent également « ici »:http://www.journaldujapon.com/albums/2013/salon-du-livre-paris/.

Remerciements à Fuyumi Soryo et Motohaki Hara pour leur temps et leur bonne humeur malgré la fatigue. Merci également à Victoire de Montalivet et toute l’équipe des éditions Ki-oon pour la mise en place de cette interview.

Paul OZOUF

Rédacteur en chef de Journal du Japon depuis fin 2012 et fondateur de Paoru.fr, je m'intéresse au Japon depuis toujours et en plus de deux décennies je suis très loin d'en avoir fait le tour, bien au contraire. Avec la passion pour ce pays, sa culture mais aussi pour l'exercice journalistique en bandoulière, je continue mon chemin... Qui est aussi une aventure humaine avec la plus chouette des équipes !

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