Publication : une baisse équivoque…

Commençons l’étude de ces chiffres de publication par une vue globale. Pour la première fois de son histoire, le nombre de manga, manhwas et manhuas publiés est en baisse : 1575 contre 1621 l’an dernier, soit un recul de 2.2% selon le « bilan de l’ACBD et de Gilles Ratier »:http://www.acbd.fr/2044/les-bilans-de-l-acbd/2013-lannee-de-la-deceleration/.

 Cette baisse n’est pas seulement le fait du manga car la publication de bande dessinée en général est en recul de 5,2% sur les nouveautés. La part de publication du manga dans le marché de la bande dessinée reste aux alentours de 40%, comme c’est le cas depuis 2008 et c’est finalement le comics qui s’en sort le mieux et qui le seul à augmenter son nombre de publication : 407 titres et une part de marché à 10,5%, contre 366 et 8,9% en 2012. On notera d’ailleurs que ce secteur a vu sa publication progresser de 50% ces cinq dernières années après avoir touché le fond en 2008.

 Publications du Japon et d’ailleurs

En regardant de plus près la production estampillée manga & compagnie, l’ACBD comptabilise 1456 mangas traduits du japonais. Les autres titres apparentées sont venus de Corée (79 titres), de Chine (9 titres), de Taïwan (1 titre), sans oublier l’Europe (31 titres). Au sein de ces cinq catégories, c’est la Corée qui accuse la régression la plus marquante : 27 titres au moins soit une baisse de 25,4% de la publication. En comparaison, la publication des œuvres japonaises est presque anecdotique : 9 titres en moins soit 0,6% de recul.

À première vue, cette baisse de la publication serait donc une baisse du manhwa, qui a toujours du mal à percer dans l’hexagone. Après les dépôts de bilan successifs de SEEBD (2008) et Samji (2011), seul l’éditeur Booken Manga y consacre la majeure partie de ses publications. On retrouve également des manhwas chez d’autres éditeurs comme Clair de Lune, Kana ou Ki-oon mais peu de titres parviennent à avoir un réelle visibilité.

En 2013, on citera surtout le titre Warlord grâce à la venue de son dessinateur « Kim Byung Jin »:http://www.journaldujapon.com/2013/09/rencontre-avec-kim-byung-jin-createur-de-warriors.html à Japan Expo. Ce dernier a déjà connu une autre voie dans son travail de mangaka, assez représentée chez nous : l’emploi d’auteurs coréens par des maisons d’éditions japonaises. On pense alors immédiatement au catalogue des éditions Doki-Doki ou des artistes comme Boichi (Sun-Ken Rock) et Lim Dall Young (Freezing, Cimoc) s’illustrent régulièrement par de bonnes ventes ou une production foisonnante.

Publication de mangas : des stratégies très différentes

Pour en revenir aux mangas… On parle depuis quelques années d’une offre pléthorique et d’un marché saturé. La baisse est donc accueillie comme une bonne nouvelle – par certains en tout cas – mais peut sembler mineur et rien ne nous dit qu’elle perdurera.

Pour mieux comprendre les véritables évolutions, il faut se pencher sur les politiques éditoriales, à commencer par le nombre de nouveautés de 2013 :

 Premier constat : la quantité de mangas publiés par les éditeurs de longue date accuse une baisse bien plus marquée que les 2% évoqués plus haut. En effet, si on excepte les derniers éditeurs arrivés sur le marché fin 2012 ou en 2013, Komikku, Isan Manga, Black Box Editions et Boy’s Love – IDP, ce ne sont plus 1575 mais 1486 titres qui sont finalement publiés. Le nombre de publications chez les éditeurs anciens et bien installés a donc chuté de 8,3%. Cette baisse a aussi pu se sentir chez les libraires car les œuvres de Black Box Editions (9 titres) ou d’IDP (61 titres) sont envoyés directement chez le lecteur.

La baisse de publication la plus notable nous vient de Kazé Manga. On peut même parler de changement de politique. Après avoir frôlé les 200 nouveautés en 2012, l’éditeur a décidé de réduire la cadence. Dans une « interview donné à notre confrère Paoru.fr »:http://www.paoru.fr/2013/12/31/interview-editeur-kaze-manga/, Medhi Benrabah, le nouveau directeur éditorial de Kazé Manga, explique que le nombre de nouveautés va suivre cette nouvelle tendance : Kazé manga passera de 16 nouvelles licences en 2013 à une dizaine environ en 2014. Une mouvement lancé par Raphaël Pennes dès 2011, qui avait constaté qu’une abondante production privait plusieurs titres d’une visibilité nécessaire pour exister.

Dans un autre registre, Glénat Manga réduit également la voilure en terme de nouveautés, de 120 à 99, mais on peut y trouver deux autres raisons : Stéphane Ferrand « expliquait fin 2012 »:http://www.paoru.fr/?p=8331 qu’il voulait lever le pied en attendant la fin de la crise financière. De plus, l’éditeur a dû fournir un effort important avec 45 rééditions, dont les 20 premiers tomes de One Piece… même si les tirages sont forcément mineurs vis à vis des nouveautés.

Troisième baisse notable et – sans doute – troisième cas de figure : Tonkam. Depuis plusieurs années, l’éditeur connaît des difficultés au niveau de ses ventes avec des pertes régulières de parts de marché. Pourtant, le nombre de publications de nouveautés a toujours été à la hausse …. une façon de diminuer le recul des ventes : en publiant plus de titres, on essaye d’arriver au même total de ventes. Mais même avec 152 nouveaux titres en 2012, Tonkam perdait encore 14,5% de part de marché en volume de ventes. Est-ce que 2013, avec 133 nouveautés publiés, est un changement de stratégie ou une simple respiration ? L’avenir nous le dira.

Au final, beaucoup d’éditeurs restent stables dans leur production, même si la tendance à la baisse l’emporte : Kana reste le second plus gros pourvoyeur de nouveautés avec 163 titres (170 en 2012, -7 titres) et pour 2014, il prévoit de continuer son ralentissement de publication. A l’inverse Soleil Manga poursuit la hausse de sa publication à l’occasion de ses 10 ans avec 130 titres.

Autre augmentation, nettement plus imposante, celle de Panini Manga. Après un cycle de baisses sur quelques années qui l’a conduit à 65 publications en 2011, l’éditeur franco-italien est reparti nettement à la hausse et a proposé cette année 123 nouveaux mangas … quasiment le double ! Cela dit, même constat que pour Tonkam : l’augmentation de 30% du nombre de nouveautés en 2012 ne lui avaient pas permis de rattraper la baisse du volume des ventes, qui accusait un recul d’environ 15%.

Dans la suite du tableau, on retrouve Taïfu / Ototo et Ki-oon ex-aequo à 92 nouveautés puis Akata-Delcourt, qui reste stable à 81 publications, mais dont la séparation en 2014 pourrait progressivement changer la donne. Ensuite vient Kurokawa, qui revient à 79 nouveautés comme en 2011, et qui pourrait dépasser les 80 l’an prochain pour faire face à la fin de plusieurs séries.

Avec 61 titres, Boy’s Love- IDP fait une entrée remarquée dans ce classement. La stratégie d’IDP est inédite et s’adresse à un public de niche : l’éditeur vend des mangas de type yaoi par correspondance, par pack et par abonnement. Un concept qui répond à un désir de consommation quantitatif plus que qualitatif, mais qui montre que la vente en direct éditeur-lecteur est une alternative pour les titres qui ne trouvent pas de visibilité en librairie. De plus, dans ce modèle économique, les coûts pour l’éditeur (site web, paiement de salariés) peuvent-être « pris en charge par la part habituellement attribuée au libraire »:http://www.paoru.fr/2013/03/16/vpc-de-manga-10-questions-a-pointmanga-com/.

Dans la dernière partie du classement on retrouve Clair de Lune, éditeur qui mixe aussi bien manga, manwha et BD Franco-Belge, avec 43 titres , puis Doki-Doki qui, comme beaucoup de plus petits éditeurs, favorisent les séries courtes mais rentables, comme il l’explique dans « son bilan 2013 »:http://www.doki-doki.fr/actu-bilan-2013-ce-qui-vous-attend-en-2014-730.html.

Pour fermer la marche, sous les 20 titres, on retrouve Booken (14 titres, -2 par rapport à 2012), Sakka (13 titres, -7) et IMHO (6 titres, -4) ainsi que d’autres nouveaux comme Komikku (14 titres), Black Box (9 titres) et Isan Manga (5 titres). D’autres éditeurs, comme Sarbacane, Ankama, les éditions Philippe Picquier ou pour la première fois nobi nobi ! publient les 41 titres restants.

En attendant un nouveau public

Que retenir, au final, de ce volet publication ? Que le nombre de publications baisse, certes, mais que la place que les éditeurs libère pourrait bien tenter de nouvelles vocations. Est-ce que le marché du manga perdra un jour son statut de saturé ? Rien n’est moins sûr, tant que les dépôts de bilans ne se multiplient pas et ne douchent les ardeurs des maisons d’éditions.
Plus que jamais, les tentatives pour trouver un nouveau public sont nombreuses : les mangas pour les plus petits se multiplient et ce secteur sera sans doute le prochain à connaître une prolifération de titres. Beaucoup d’éditeurs manga sont bien décidés à ne pas rater la développement de ce secteur, même si les stratégies sont encore à éprouver.

 Les mangas à vocation historique sont aussi de plus en plus nombreux, comme nous l’évoquions dans « notre récent article »:http://www.journaldujapon.com/2013/11/manga-historique-europe-japon.html, et pourrait être une nouvelle façon de capter le public, adulte cette fois-ci. Cette année par exemple, Kaoru Mori et ses fresques envoûtantes partiront à la conquête du grand public au prochain Salon du Livre de Paris. Deux nouvelles licences de mangas historiques ont également été annoncées pour 2014 : Ad Astra chez Ki-oon, Eurêka chez Komikku.

En attendant d’en savoir plus sur ces nouvelles tendances du manga et les évolutions à la hausse ou la baisse des publications de manga, les libraires apprennent à faire avec, comme nous allons le voir dans la partie suivante du dossier !

Dossier Bilan Manga 2013
* Bilan Manga 2013 : une année difficile, encore…
* Publication : une baisse équivoque
* 2013 du coté des libraires et des lecteurs…
* Ventes 2013 : le manga souffre mais le seinen fait de la résistance…
* Editeurs manga : la difficile équation de la visibilité

Paul OZOUF

Rédacteur en chef de Journal du Japon depuis fin 2012 et fondateur de Paoru.fr, je m'intéresse au Japon depuis toujours et en plus de deux décennies je suis très loin d'en avoir fait le tour, bien au contraire. Avec la passion pour ce pays, sa culture mais aussi pour l'exercice journalistique en bandoulière, je continue mon chemin... Qui est aussi une aventure humaine avec la plus chouette des équipes !

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