Sôkyû GENYÛ, écrivain de la lumière

En cette semaine d’un triste anniversaire et de la récente sortie de La Montagne radieuserecueil de récits autour du tsunami du 11 mars 2011 et l’accident de la centrale de Fukushima (aux éditions Philippe Picqiuer), Journal du Japon vous fait découvrir Sôkyû GENYÛ, cet écrivain original, moine zen, qui livre au lecteur sa conception de la vie, de la mort, des relations humaines avec beaucoup d’humanité, de douceur, de lumière.

sokyu genyu

Sôkyû GENYÛ est né à Miharu, dans la préfecture de Fukushima, en 1956. Après des études en littérature chinoise, il se fait moine bouddhiste à 28 ans. Il publie son premier roman en 2000 et reçoit en 2001 le prix Akutagawa pour Au-delà des terres infinies. Il écrit aussi des essais sur le bouddhisme et des recueil d’entretiens avec des personnalités scientifiques qui connaissent beaucoup de succès au Japon (dont Le sûtra du cœur, discussion sur la vie avec la biologiste Keiko Yanagisawa). Il est « père prieur adjoint » au temple Rinzai Zen dans le département de Fukushima et a apporté son soutien aux sinistrés après la catastrophe (les récits de La Montagne radieuse sont tirés de cette expérience, ce partage).

 

Essayer de comprendre la vie, la mort

vers la lumiereLes livres de Sôkyû GENYÛ ne sont pas des traités sur le bouddhisme zen. S’ils mettent en scène un moine zen, les deux romans traduits en français aux éditions Picquier (Au-delà des terres infinies et Vers la lumière) sont avant tout des histoires d’hommes et de femmes qui tentent de comprendre la  vie, ses événements parfois troublants, à la limite du surnaturel, la mort et ce qu’il y a (ou pas) après. Le moine ne sait pas tout, n’apporte pas de réponses à toutes les questions, mais il est en quête d’explications (il n’hésite pas à se renseigner sur internet, à discuter d’astronomie, de physique des particules). Toujours dans l’échange, dans l’écoute, dans la tolérance, c’est un soutien précieux pour les peronnes qu’il côtoie.

Au-delà des terres infinies raconte le quotidien de Sokûdo, un moine zen qui vit avec sa femme Keiko et leur chien Namu. Entre repas, cérémonies et discussions autour d’un thé, c’est un quotidien apaisé qui se déroule jour après jour. Mais de petits phénomènes étranges se produisent, surtout depuis que Madame Ume, une médium reconnue, a annoncé le jour de sa mort. Ces phénomènes suscitent bien des interrogations et des échanges entre Sokûdo et sa femme. Comment les expliquer, comment appréhender les choses qui nous dépassent ? Sans livrer de doctrine ou de réponses, le moine cherche, donne son sentiment, sa vision, des pistes pour aider le lecteur pris dans ses propres questionnements. C’est une lecture apaisante malgré les sujets délicats qui sont abordés. Le quotidien du temple, les rituels, le jardin sont autant de bougies qui nous enveloppent de leur douce lumière.

Dans Vers la lumière, la narratrice est une vieille dame atteinte d’un cancer du foie qui passe ses journées dans une chambre d’hôpital à échanger avec ses proches sur la vie, la mort, l’après, surtout avec son gendre qui est moine zen, car elle a du mal à s’imaginer l’après : « Je ne peux pas me représenter ma conscience disparue ». Le livre est majoritairement fait de dialogues où la religion et la science se répondent pour tenter d’appréhender la mort prochaine qui attend la vieille dame. Que se passe-t-il juste après ? Quel est le poids de l’âme, comment la matière se convertit en énergie ? Chacun émet des hypothèses et ça part un peu dans tous les sens. Ce livre est aussi une histoire de famille, d’amour tendre entre la fille et sa mère. La fille fait tout ce qu’elle peut pour apaiser sa mère très courageuse ( « Quand un mal est passé, il est passé »), lui masse le ventre, lui caresse la main, lui apporte ses mets préférés. Petit à petit, la vieille dame oscille entre monde réel et souvenirs. Elle voit son mari mort, refait dans son esprit un voyage en minibus. Souvenirs, rêves, réalité, tout se mélange doucement au fil des pages. Et elle a cette interrogation : « Pourtant, qu’est-ce qui différencie les rêves que l’on a dans la tête et le souvenir des paysages où l’on s’est vraiment rendu ? Je finis par penser qu’au fond il n’y a pas grande différence. »

Ce roman est comme une grosse bulle dans laquelle le lecteur pénètre avec ses propres doutes, ses propres peurs, et dont il ressort triste mais calme et comme entouré d’une douce lumière.

 

Une écriture poétique et apaisante

au dela des terres infiniesComme le religieux se mêle au scientifique, la poésie se mêle à la précision des mots dans l’écriture de Sokyû GENYÛ. Ce mélange de factuel (détails précis sur le cancer du foie de la vieille dame, avec ses douleurs, ses traitements, les tuyaux et autres équipements médicaux) et de délicatesse (une fleur, un insecte, un rayon de soleil) produisent un effet rassurant chez le lecteur : Certes la vie est difficile, mais les petits bonheurs la rendent plus douce. Il suffit qu’il décrive les plats préférés de la vieille dame pour que tout s’illumine dans cette chambre d’hôpital.

Cet écrivain moine a une sensibilité à la nature très forte et livre ses observations naturaliste à la manière d’un poète de haïku : des moments saisis sur le vif, croqués à la manière d’un peintre saisissant une lumière, une couleur, une oscillation.

Voici par exemple comment est décrit le jardin dans Au-delà des terres infinies :

« Sokudô, à son tour, comme s’il suivait le regard de sa femme, se mit à observer le jardin dans son état matinal : diverses variétés d’azalées, lilas des Indes, houx, et ses trois pins à la forme immuable depuis des années, et puis, se détachant sur la verdure entourant l’étang devant la maison, des pivoines tardives aux larges pétales d’un rose profond. On aurait dit que la lumière du soleil, tamisée par le feuillage des pins, n’était là que pour rehausser délicatement le rose vif des fleurs. Mais cette clarté, pourtant légère, semblait parfois trop forte pour de si fragiles pivoines qui, de temps en temps, oscillaient imperceptiblement sans qu’on aperçoive pourtant le moindre souffle de vent. »

Des récits sur la catastrophe comme des plaies que l’on panse

montagne radieuseSokyû Genyû écrit dans sa postface : « Les récits rassemblés ici ont tous été écrits en plein milieu de la terrible transformation qui a affecté le réel après la catastrophe du 11 mars (…) écrire des romans m’était tout aussi indispensable pour vivre que respirer, quels que soient les taux de radioactivité relevés dans l’air ».

Les six récits plongent le lecteur au cœur de familles, ou de « fragments » de familles, ravagées par la catastrophe. Certains ont perdu une mère, d’autres un mari, un enfant, et tous tentent de vivre avec leurs cauchemars, leurs angoisses, leurs douleurs. 

Il y a Michihiko qui vivait dans un temple avec son père bonze et sa mère. La mère a disparu, le père (qui a vécu avec lui le tsunami et a récité des soutras pendant que la vague les emportait, père et fils, dans une pièce devenue radeau) est en maison de repos. Il ne parle plus et récite des soutras en tournant sur lui-même. Michiko a accueilli au temple la jeune Aya qui a perdu ses parents et son frère, et qui n’arrive même plus à boire une tasse de thé, car tout ce qui est liquide la terrorise. Et avec eux la petite Mî qui se réveille la nuit en appelant sa mère, disparue avec son père.

Prier, parler, et ne pas retenir ses larmes même quand on travaille dans un temple au service des autres.

Et dans le silence de la nuit, les stridulations des grillons : « Ces stridulations de vie qui vibraient dans tout son corps éveillaient en lui une joie immense ».

Il y a Maki et son petit garçon Kotarô, 3 ans, dont le papa pompier est porté disparu. Comment aller de l’avant et retrouver la joie de vivre ?

Il y a aussi ce qu’on ne voit pas, la radioactivité qui a poussé Chiharu à partir avec sa fille de 5 ans pour Hokkaidô en laissant son mari. Lorsqu’elle revient chez une amie pour la fête de Obon (fête des morts) un an et demi après la catastrophe, Chiharu se sent perdue entre honte d’être partie et peur de la radioactivité (les fruits et les légumes, elle les choisit d’une autre région au supermarché). Son amie Sayuri est restée avec son mari et son fils de 5 ans.

sokyu genyuDeux mères, deux choix, et beaucoup d’interrogations : est-ce dangereux, le mari qui a une entreprise de jardinage prend-il des risques en passant ses journées dehors ? L’écrivain ne juge pas, il montre la difficulté de savoir, de faire des choix, de simplement vivre. Certains restent, d’autres partent.

Il y a ces déplacés installés dans des préfabriqués provisoires qui durent. Il y a la vie qui s’y organise. Il y a la décontamination que fait Yamaguchi tous les jours. Il a 66 ans, sa femme chérie est morte dans le tsunami. Cette mante religieuse sur les plantes devant son préfabriqué prend les mêmes postures que sa  défunte épouse … Et la vie continue malgré le cancer du foie, la fatigue, les doutes sur l’utilité de la décontamination. Et il y a des moments magiques : Yamaguchi qui gérait un établissement de noces et de banquets est sollicité pour organiser le mariage entre un médecin venu de la capitale pour aider et une employée de la mairie. Ce couple est bien décidé à vivre ici.

Le dernier récit projette le lecteur dans le futur. Une trentaine d’année après la catastrophe, un homme organise dans la région de Fukushima des visites sur une montagne qui est en fait un tas de déchets radioactifs empilés après la catastrophe par un vieil homme (son père) qui voulait aider en stockant sur son terrain tous les déchets dont personne ne voulait. Sa devise était « Pas de problème, pas de problème ». Cette montagne accueillera ses cendres lorsqu’il mourra à l’âge de 95 ans et brillera d’une belle lumière mauve encore longtemps après sa crémation.

Ces récits sont à la fois tristes, douloureux, mais aussi doux, lumineux. Chaque personne meurtrie trouve une oreille pour l’écouter, une épaule pour poser sa tête. Après la sidération, les larmes, les deuils vient le temps de la vie, de la nature qui bruisse : grillons, cigales, araignées d’eau, mantes religieuses s’agitent pour montrer que la vie est toujours là.

Retrouvez informations et extraits d’ouvrage sur le site des éditions Philippe Picquier.

 

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