Nozokiana : dernier regard sur un voyeurisme romantique

C’est en septembre dernier qu’a pris fin le titre érotique de Kurokawa, l’intriguant Nozokiana de Wakō HONNA. Œuvre peu habituelle dans le catalogue de l’éditeur, celle-ci a tout de même su conquérir le cœur de nombreux lecteurs, et évidemment de celui qui l’a déniché au Japon : Grégoire Hellot, le directeur de collection de Kurokawa. Ce dernier a accepté de répondre à nos questions pour nous permettre de jeter un dernier coup d’œil sous les jupons de ce manga pas comme les autres.

Nozokiana T.1

NOZOKIANA © 2009 Wakoh Honna/ Shogakukan Inc

Nozokiana: tel est vu qui croyait voir…

Le titre nous raconte l’histoire d’un jeune garçon, Tatsuhiko Kido, sur le point de commencer sa nouvelle vie étudiante, tout ce qu’il y a de plus banal… C’est du moins ce qu’il pense, avant de découvrir un minuscule trou dans un mur, qui lui donne une vue directe sur la chambre d’à côté et accessoirement sur l’intimité de sa charmante voisine, la petite Emiru Ikuno. Soucieux de préserver sa vie privée il en informe cette dernière qui semble bien au fait de l’existence de ce petit trou. Elle va alors lui proposer, selon toute vraisemblance, un jeu de voyeurisme dans lequel Kido est entraîné malgré lui.

Au fil de l’histoire et des rencontres faites par Kido et Emiru, la relation qu’ils partagent bon gré mal gré prendra une toute autre dimension. Le jeu instauré par Emiru mettra à rude épreuve le jeune homme qui tente de résister. Pourtant, il y succombera plus d’une fois et portera une culpabilité de plus en plus lourde qui viendra envenimer ses relations avec les autres jeunes femmes qui vont traverser sa vie. Le mensonge et la dissimulation sont inhérents au récit et chaque personnage clé de Nozokiana passera régulièrement de victime à coupable de trahison… Un jeu du chat et de la souris avec les autres mais aussi avec soi-même, entre amour et morale, les deux ennemis inséparables de la série. Néanmoins la personnalité franche et innocente de Tatsuhiko Kido brisera petit à petit les remparts qu’Emiru avait érigé afin de se protéger.

Est-ce le récit mêlant romance et érotisme d’une façon originale qui a séduit Grégoire Hellot et tout un public ? Nous sommes allés demander à l’intéressé…

Journal du japon : Nozokiana se démarque forcément du reste de votre catalogue par sa thématique. Est-ce que vous cherchiez un titre érotique et c’est celui-là qui vous a plu ou au contraire,  est-ce en tombant sur Nozokiana que vous avez construit un nouveau pan de votre catalogue ? Comment ce titre est venu à vous finalement ?

Grégoire Hellot

Grégoire Hellot

Grégoire Hellot (photo ci-contre) : Un peu des deux en fait… j’ai toujours eu l’ambition de faire un titre qui s’adresserait aux gens d’aujourd’hui sans les prendre pour des idiots… à vingt ans, personne ne met quinze chapitres à s’échanger un baiser. Et d’un autre côté, ce manga résonnait avec une conviction personnelle qu’il existait quelque part un manga érotique qui n’était pas humiliant pour les femmes, et qui possédait un véritable scénario riche en rebondissements. Mais aussi étrange que cela puisse paraître, c’est en faisant des recherches sur le développement numérique que je suis tombé sur ce manga. En effet, il faut savoir qu’au Japon, Nozokiana était publié en ligne au chapitre, et c’est d’abord par son modèle économique très particulier (et incroyablement efficace, plus de 40 millions de chapitres vendus au Japon !!) que je me suis mis à m’y intéresser… Au final nous n’aurons pas réussi à refaire la même chose en France, mais j’y aurai malgré tout gagné une belle rencontre éditoriale.

Nozokiana T.8

NOZOKIANA © 2009 Wakoh Honna/ Shogakukan Inc

Un petit mot sur cette idée de couverture plus chouette que la japonaise ?

Les couvertures japonaises de Nozokiana sont très joyeuses et pastels, très dépouillées en fait. Et sans vouloir nous vanter, elles ressemblaient à n’importe quel manga érotique ou coquin disponible chez nos concurrents, ce que l’on ne voulait absolument pas. Le but était de présenter un titre érotique mais de qualité, que l’on n’aurait pas honte d’acheter en magasin. C’est Fabien Vautrin, le directeur artistique de Kurokawa, qui a eu l’idée d’une couverture qu’il faudrait « déshabiller » en enlevant la jaquette pour découvrir l’héroïne nue. Un petit côté chic comme dans une pub pour parfum, par exemple…. L’idée a tellement plu à l’éditeur japonais qu’il a imposé son design à l’éditeur allemand du manga, ce dont nous ne sommes pas peu fiers.

Quelle a été la réception de ce titre original par votre public/lectorat  et par des professionnels comme les libraires ?

Je parlais de la fierté des jaquettes, mais voici un autre point dont je suis très fier sur Nozokiana en France : le public a été au rendez-vous et a complètement compris notre démarche de faire une véritable œuvre pour adulte, qui ne ment pas, mais qui ne dégrade personne. Cette grande fierté, je la divise en deux faits : le premier, c’est que notre distributeur nous a avoué être parvenu à placer ce manga dans des librairies érotiques qui avaient toujours refusé les mangas en général, trop vulgaires et pas assez racés à leur goût. Enfin, la chose qui me fait le plus plaisir, et de très loin, c’est qu’une majorité de lecteurs sont en fait des lectrices. Au départ je pensais que c’était uniquement mon entourage, mais que ce soit à Japan Expo, au Salon du Livre ou autres événements, il a fallu se rendre à l’évidence : un grand nombre de filles lisent, achètent, et adorent Nozokiana !

J’en profite pour saluer le travail excellent des traductrices françaises Nathalie Bougon et Satoko Fujimoto qui ont fait une adaptation admirable, moderne, ludique et jamais vulgaire. Je pense que c’est leur sensibilité et leurs choix de traduction qui ont aussi aidé au succès de l’œuvre, en décomplexant à la fois les scènes de sexe, de manipulation ou de jeu de séduction.

 

Du sexe, oui, de la fesse à gogo, non !

Nozokiana

NOZOKIANA © 2009 Wakoh Honna/ Shogakukan Inc

Nozokiana nous propose deux degrés de lecture : d’abord celle qui nous invite à parcourir l’histoire au travers d’une broderie tissée par ce fil conducteur qu’est le « jeu » de voyeurisme ; mais aussi celle qui nous positionne secrètement en tant que voyeur en nous incitant à nous plonger d’avantage dans l’œuvre. En effet, c’est en tant qu’observateur passif que l’auteur semble placer le lecteur qui lui aussi joue le jeu malgré lui. Le thème du voyeurisme choisi par le mangaka est étudié de telle sorte qu’il nous touche directement en nous donnant nous aussi un accès direct à l’intimité des protagonistes tant sur le plan physique que moral.

Une technicité qui nous immerge volontairement dans l’histoire. Combien d’entre nous ont, au détour d’une scène montrant sans complexe un Kido en plein ébat ou une Emiru en train de se caresser, détourné le regard, par pudeur, pour ensuite, poussé par une curiosité inexplicable, laisser cette pudeur de côté ? En effet, essayez de lire ce titre dans les transports en commun et vous allez tout de suite comprendre où l’auteur a probablement voulu en venir avec tous les regards fuyants qui vous entourent. Nous aussi, lecteurs, avons l’impression d’observer par un petit trou les protagonistes se mettre à nu sans artifice, dans leur intimité la plus profonde.

D’abord révolté par ce petit jeu qu’il considère malsain, Kido va tout de même accepter, souvent à contre cœur, de se prêter au jeu de sa voisine et un lien très particulier va alors se créer entre les deux protagonistes. Ce qui lie Emiru à Kido résulte d’un élément déclencheur dans le passé de la jeune fille qui a construit sa personnalité présente. Malgré tout, en dépit de ce qu’il aura appris de cette dernière, le jeune homme sera plus que jamais déterminé à s’en rapprocher, de lui avouer ses réels sentiments après avoir compris qui se cachait réellement derrière toutes ces provocations. Un lien complexe qui se solidifiera, avec des hauts et des bas, tout au long d’un scénario bien ficelé et enrobé de scènes érotiques.

Sans jamais tomber dans le vulgaire, ces scènes de sexe ne semblent être que le prolongement du quotidien de nos deux personnages. Grégoire Hellot nous donne d’ailleurs son avis sur la question de différence entre le pornographique et un érotisme plus désinvolte qui définit Nozokiana.

Journal du japon : Il y a souvent un débat en coulisse sur ce seinen que beaucoup qualifie d’hentaï, un mot sur ce sujet ?

Grégoire Hellot : Il y a dans le mot « hentai » en japonais une notion de perversion et de « différence » avec la normalité qui n’a pas lieu d’être quand on parle de Nozokiana. Ici, les scènes de sexe sont tout ce qu’il y a de plus commun pour qui a une vie sexuelle que je qualifierai de normale. Il n’est pas question de tentacules géantes, d’élixirs qui rendent amoureux ou même de partouzes. Ce sont juste des couples qui ont des relations sexuelles tout ce qu’il y a de plus classique. Tout simplement parce qu’ils se désirent, ou parce qu’ils le désirent. Pour moi Nozokiana est un thriller psychologique avec des scènes de sexe « casuals ». Ce manga est plus réaliste qu’une série très portée sur la chose comme Nip/Tuck par exemple.

Nozokiana T.6

NOZOKIANA © 2009 Wakoh Honna/ Shogakukan Inc

Est-ce que vous pensez que l’érotisme nippon est quelque chose qui manque au panorama manga français ?

Je ne sais pas trop… je ne suis pas un grand spécialiste de l’érotisme nippon… comme tout le monde je connais l’imagerie populaire des estampes, j’ai lu quantité de mangas coquins ou culottes pour mon travail, et effectivement, des choses plus subtiles ou suggérées nous manquent peut-être. L’érotique du manga que l’on connaît en France se vautre généralement assez vite dans le cliché de la lolita aux cheveux roses et aux seins énormes, alors qu’il existe quantité de récits ancrés dans le quotidien où le sexe joue un rôle accessoire, puisqu’il fait partie de la vie quotidienne, mais n’est cependant pas central. Des histoires de prostituées ou d’hôtesses, le quotidien d’une auteure de romans érotiques, voilà le genre de sujets que l’on peut trouver traités dans les mangas japonais. Le sexe « naturel » et sa description, c’est aussi ce qui le rend intéressant, car bien raconté, il peut être le ciment d’un couple par exemple. Mais ce n’est pas quelque chose que l’on rencontre souvent dans le manga.

 

Nozokiana

NOZOKIANA © 2009 Wakoh Honna/ Shogakukan Inc

Nozokiana : bilan et perspectives…

Est-ce que le bilan des ventes est satisfaisant ?

Gregoire Hellot : Je n’ai pas les derniers chiffres sous la main, mais le tome 1 est autour des 12.000 exemplaires, ce qui en fait le second plus grand succès du manga érotique de tous les temps en France derrière Step-Up il y a plus de 15 ans.

Est-ce que le titre a réussi à ouvrir une nouvelle voie de votre catalogue et d’autres titres du genre suivront-ils chez Kurokawa dans le futur ?

Gregoire Hellot : S’ils ont la même qualité narrative et graphique, bien entendu. Mais il n’est pas question ici de faire du sexe pour le sexe. Le but est de faire des œuvres pertinentes, à l’histoire touchante. Le sexe, c’est aussi l’amour, et l’amour peut prendre de très nombreuses formes, parfois même les plus inattendues ! Je pense que vous serez TRES surpris par le successeur de Nozokiana qui sortira chez nous l’année prochaine. On vous tient au courant !

NOZOKIANA © 2009 Wakoh Honna/ Shogakukan Inc

NOZOKIANA © 2009 Wakoh Honna/ Shogakukan Inc

Que nous réserve-t-il encore comme surprise: nous le seront très bientôt ! En attendant, si vous êtes passé à côté de Nozokiana, c’est l’occasion de découvrir ce titre qui sort de l’ordinaire, il est disponible en 13 volumes terminés aux éditions Kurokawa et vous attend dans toutes vos librairies !

Rermerciements à Kurokawa et à Grégoire Hellot pour avoir accepté de répondre à nos questions.

5 réponses

  1. Courotcamehi dit :

    Un petit Domestic na Kanojo comme pronostic ? Le nouveau manga de l’auteur de Good Ending.
    Le début est quand même assez barré et pourtant c’est bien une ou plusieurs histoires d’amour qui sont relatées.

    • Paul Ozouf dit :

      Ah pas bête, c’est quoi le pitch ? On note le pronostic en tout cas, le pari est pris 😉

      • Courotcamehi dit :

        Le premier chapitre commencer par du sexe, le héros vient de perdre sa virginité avec une fille qu’il ne connaît pas et qu’il a rencontré lors d’un gôkon. Quand ils ont décidé de coucher ensemble, la fille lui a donné ses conditions : ils ne se reverront pas et c’est juste pour du sexe. Le héros a accepté pour essayer de ne plus penser à la fille qu’il aime (sa prof).
        Sauf que bien évidemment tout ne se passera pas comme prévu et très vite un triangle amoureux va se nouer autour de ces personnages. Le premier chapitre est savoureux en tout cas.

  1. 4 avril 2016

    […] : Ils nous l’avaient promis, le voici : après le sulfureux et original Nozokiana, les éditions Kurokawa nous jettent sans retenue au fond des choses sur le sujet d’un mal […]

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