[Chronique + Live Report] Asian Kung-Fu Generation : un groupe transgénérationnel

Deux ans après leur live triomphant, Asian Kung-Fu Generation revenait par chez nous en novembre dans le cadre d’une tournée européenne express promouvant son dernier album, Wonder Future datant de mai dernier. L’occasion pour nous de faire un point sur le groupe, entre son best-of sorti il y a peu en Europe qui fait le bilan de 19 années de carrière, et ce fameux futur exprimé dans ce live parisien de La Machine du Moulin Rouge…

Le best-of d’une génération…

Best Hit AKGPlonger dans la carrière d’Ajikan, c’est s’immerger dans un océan de sons, mais aussi d’images car le parcours du groupe est jalonné de génériques d’animes populaires. A l’image d’une colonne vertébrale, une dizaine de singles japanimisés ont permis d’ancrer le groupe dans le haut des classements nippons et d’articuler sa notoriété à l’international.

Mais résumer 19 ans de carrière à ces seuls morceaux, surtout après 8 albums et plus de 90 titres,  serait occulter l’essentiel …  Heureusement leur premier best-of, sorti le 6 novembre dernier, en dit beaucoup plus sur l’identité du groupe que son palmarès japanime.

AKFG s’est fait connaître au-delà de ses frontières via Haruka Kanata, le second générique de Naruto, en 2004. On débute donc l’album par la fougue et l’innocence de la jeunesse… et pas seulement chez les ninjas de Konoha. On la perçoit dans la voix du chanteur, conquérante quitte à se briser, et dans les riffs de guitare martelés jusqu’à l’explosion. Mais à ceux qui pensent que cette énergie appartient au passé, le groupe prouve le contraire et enchaîne avec un titre de 2015 : Mirainokakera – Piece of the Future. Onze années séparent les deux morceaux et Masafumi Gotoh a depuis mûri, mais par les similitudes entre ces titres il assène l’identité du groupe : Asian Kung-Fu Generation a été, est, et restera un groupe de rock engagé.

Une fois la revendication faite, le groupe peut désormais dérouler son histoire et l’on repart en arrière, en 2003, pour débuter un voyage dans le temps. On pourrait, dès lors, s’attendre à voir défiler les génériques d’animes les uns après les autres, mais seule la moitié d’entre eux figure au sein des dix-sept morceaux choisis. Le retour aux origines se fait d’abord avec Understand et Kimi to lu Hana où l’on retrouve un rock simple et entraînant qui se veut positif et enjoué, à l’image des « wouhou – wouhou » de Understand, qui font merveille en live :

Après cette dose de bonne humeur, une nouvelle vertèbre emblématique du groupe revient déchaîner les passions : Rewrite, le célèbre générique de Fullmetal Alchemist, à la composition variée avec des changements de rythme qui entourent un refrain survolté. Dans ce morceau comme dans les deux suivants de 2004, To My Town et Loop & Loop, on en apprend un peu plus sur l’une des thématiques fortes du groupe: le passage à l’âge adulte. En effet, le livret traduit en anglais nous dévoile les paroles de l’ensemble du best-of, un effort trop rare qu’il convient de noter. On comprend alors qu’Ajikan évoque une époque de désillusions, un combat contre soi-même pour être à la hauteur de ses rêves, un flashback plein de nostalgie sur une enfance dorée…

On retrouve dans ce best-of toute l’alternance entre rêve et révolte qui caractérise si bien ce groupe, engagé rappelons-le dans l’anti-nucléaire et cherche à semer dans les esprits nippons les graines d’un futur alternatif. Cette lutte connait ses hauts et ses bas comme dans Black Out, une balade rock aux teintes oniriques qui hésite à se laisser engloutir par la nuit et la monotonie froide du quotidien, tandis que Blue Train, un morceau beaucoup plus incisif joue sur le contraste d’une ambiance faussement calme et une multitude de soubresaut, difficiles à contenir.

AKFG 016BLa nuit, la couleur bleue, les rêves et le réveil difficile… tant de choses que l’on retrouve aussi dans les thèmes de film ou d’anime avec A Town in blue (aka Aru Machi no Gunjou, thème du film Amer Béton) ou After Dark (7e générique de Bleach). Au beau milieu du best-of,  on en oublie la renommée de ces titres et leur sens premier reprend le dessus, maintenant remis dans le contexte chronologique et philosophique de ce best-of.

Toutes ces révoltes intérieures semblent parfois marquer une courte pause comme dans Rock’n Roll, Morning light falls on you (Korogaru Iwa, Kimini ni Asa ga Furu) ou Mustang qui datent de 2008. Comme si le groupe, alors très populaire, cherchait désormais autre chose. Le batteur Kiyoshi Ijichi y débute par un tempo plus posé, loin de ses habituelles doubles croches, en étant suivi par des guitares douces et mélodieuses.

Mais, là encore, c’est sans compter sur Gotoh qui cache sous ses airs tempérés une envie irrépressible de laisser sortir ses émotions. Les morceaux s’envolent alors et finissent en feu d’artifices avant de retomber au sol, de crépiter et de s’éteindre. Comme si le plus important est, à chaque fois, de briser le moule du Japonais lambda dans lequel le leader du groupe est fait,  de réfuter ce modèle atone et amorphe du salaryman établit par la génération précédente, dans lequel tout un Japon ne se retrouve plus. Pas étonnant donc de retrouver Fujisawa Looser comme 14e piste de l’album, une course effrénée d’un adulte pris entre deux vies, la sienne et celle dont il rêve, sans être vraiment sûr de ce qui l’attend au bout de l’une comme de l’autre.

Ce message à une génération qui se cherche prend parfois des tournants musicaux inattendus, comme dans les relents de rap dans Love song of the new century (Shinseiki no Love Song) mais on la retrouve à son meilleur pour clore l’album, oscillant une dernière fois entre tristesse et colère, entre résignation et révolte : on profite alors de l’ultra-populaire et follement séduisant Solanin (lié au manga éponyme d’Inio Asano) mais aussi de Marching Band, beaucoup moins connu mais totalement envoutant, dont la musique aussi enveloppante qu’oppressante continuera de vous faire vibrer et frissonner, bien après l’écoute de cette compilation.

Vous l’aurez compris, ce best-of réussi avec brio à mélanger la popularité issue de la japanime avec toutes les autres facettes d’Asian Kung-Fu Generation, de son rock entre calme et tempête à la philosophie du groupe. A travers la traduction des morceaux, ou le visionnage des clips dont même les plus anciens ont été remis en ligne cette année, il est maintenant possible pour le public international de mieux découvrir ce « groupe à génériques », d’enfin comprendre les messages en se laissant porter par une musique qui, jusque là et sans eux, donnait l’impression de se répéter.

Dix neuf ans plus tard, difficile de savoir si le groupe sait se renouveler. Nous avons donc pu vérifier cela avec leur dernier album Wonder Future et leur concert à La Machine du Moulin Rouge.

Un concert qui fait le job, et puis c’est tout

AKFG 013Bien que n’ayant que peu fait parler d’elle, la date française d’Ajikan était honorablement remplie. Étonnamment, c’est un public très hétéroclite qui se présente devant La Machine du Moulin Rouge : De l’adolescent boutonneux au trentenaire, en passant par quelques japonais venus apprécier la musique de leurs compatriotes, mais aussi au salaryman japonais typique arrivant tout droit du bureau. Car oui, la date parisienne était en pleine semaine, et comme d’habitude dans ce genre de cas, de nombreux fans n’ont en conséquence pas pu faire le déplacement jusqu’à Paris, empêchant ainsi le groupe de renouveler l’exploit du sold-out.

Qu’à cela ne tienne, c’est tout souriant que AKFG débute le show sur les premières notes de Easter, titre aux accents très rock extrait de leur nouvel album Wonder Future. Le public, emporté par quelques irréductibles, se motive timidement mais ne cache pas sa joie de revoir le quatuor qui enchaîne directement avec Little Lennon, seconde chanson du même album, tout aussi entraînant et dans la veine directe de ce qu’AKFG a pu faire dans le passé.

AKFG 033Les choses sérieuses ne commencent vraiment que lorsque le groupe entonne After Dark : le public se sent plus en confiance, danse et chante en cœur. Le rythme est gardé avec Soredewa, Mata Ashita, générique de Naruto Shipudden qui ravira la foule.

Ceci étant, la suite ne passera pas vraiment comme une lettre à la poste : Ajikan entame un petit best-of de vieux titres issus de leurs quatre premiers albums, avec en bonus Uso To Wonderland, une Face B. La salle peinera alors à suivre le rythme, et seuls quelques fans de la première heure manifesteront leur exaltation à l’écoute de ces chansons d’une autre époque. Finalement, ce n’est que lorsque AKFG alignera (littéralement) les singles et chansons de générique que le concert décollera vraiment pour atteindre une certaine apogée avec Rewrite et Haruka Kanata, les grands tubes d’Ajikan. Calées au milieu de ces succès, Standard et Wonder Future, deux titres issus de leur dernier album, n’ont pas à rougir et se marient même très bien à l’ensemble.

Acclamé par la foule, Asian Kung-Fu Generation offrira un superbe rappel à la salle, terminant un spectacle de plus de deux heures (et c’est suffisamment rare pour être souligné) sur Opera Glasses, l’un de leur dernier single.

La setlist du concert aura ainsi été bien équilibrée, partagée entre titres du nouvel album, singles pour les animes fans et vieux titres pour les fans de la première heure. Asian Kung-Fu Generation aura donc contenté tout le monde, mais pas plus : leur jeu de scène quasi statique nuira quelque peu à l’ambiance générale du concert, laissant sur le bas côté les badauds venus par curiosité sans vraiment connaître le groupe. Le côté répétitif de leur musique s’ajoutant à cela, on obtient un cocktail assez peu convainquant, n’incitant pas à pousser plus loin la découverte.
Pourtant, comme souligné dans notre chronique, la musique d’AKFG est riche et intelligente… une intelligence qui n’est accessible qu’aux japonisants, et c’est bien dommage car Asian Kung-Fu Generation a su toucher plusieurs générations de par sa musique rock efficace et son discours engagé. Au final, est-ce vraiment cela que les personnes présentes ont retenu ? Car beaucoup étaient là pour entendre « le générique de Naruto/Bleach/FMA »… et c’est tout. Le message a donc visiblement du mal à passer, et on doute que le groupe réussisse à transfigurer son statut pour obtenir une étiquette plus méritante lui permettant de dépasser les frontières japonaises.

AKFG 037

Setlist :
Easter
Little Lennon
After Dark
Soredewa, Mata Ashita
Senseless
N.G.S.
Re:Re:
Uso to Wonderland
Caterpillar
Siren
Mugen Glider
Blue Train
Night Diving
Aru Machi no Gunjou
Marching Band
Ima wo Ikite
Standard
Rewrite
Haruka Kanata
Solanin
Wonder Future

Encore:
Korogaru Iwa Kimini Asagafuru
Kimi to iu Hana
Opera Glass

Remerciements à Charlotte Naudin de B7Klan.

Chronique par Paul Ozouf. Live report par Laure Ghilarducci.
Photos par Lolu Photography.

2 réponses

  1. 11 janvier 2016

    […] l’heure du bilan– Il était une fois… Le J-Noël de JDJ– [Chronique + Live Report] Asian Kung-Fu Generation : un groupe transgénérationnel– [English Interview] Coldrain : back to the […]

  2. 4 octobre 2016

    […] son contenu tout d’abord, puis grâce à un film réalisé en 2010 par Miki TAKAHIRO (avec Asian Kung-Fu Generation à la bande son s’il vous plait !). C’est avec Solanin qu’ASANO a commencé à […]

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Vous aimerez aussi...

Verified by MonsterInsights