Michel Régnier, amoureux des côtes japonaises et de ceux qui y vivent

Ce citoyen québécois né en 1934 est surtout un citoyen du monde. Réalisateur de documentaires, cherchant sans cesse à comprendre le monde et sa complexité (urbanisme, environnement, relations Nord-Sud), il est aussi un grand amoureux du Japon, qui, après une vingtaine de séjours dans ce pays, aime écrire sur ses côtes magnifiques, ses villages de pêcheurs, ces générations d’hommes et de femmes qui ont connu guerre, séismes et tsunamis.

Avec sensibilité et délicatesse, il brosse des portraits magnifiques de générations fières de leurs ancêtres et de leur petit bout de terre balayé par la mer. Journal du Japon vous fait découvrir ses deux romans fresques dépaysants et touchants.

16 tableaux du Mont Sakurajima : saga familiale entre Kyûshû et Nord-Est de Honshû

sakurajimaTakeru est conducteur de tramway à Kagoshima. Au printemps 2007, il visite une exposition de tableaux représentant le volcan Sakurajima (Naples a le Vésuve, Kagoshima sur l’île de Kyushu a le Sakurajima). Chaque peinture est l’occasion pour Takeru de faire venir à lui le souvenir de ses ancêtres.

Une fresque familiale qui s’étale sur un siècle, entre Kyushu (« Le climat, les fruits, le thé, une famille plus qu’attachante ; malgré le volcan et les typhons, la péninsule de Satsuma était presque un paradis ») et le nord-est de Honshu, avec le petit port baleinier d’Ayukawa.

Le grand-père de Takeru avait 13 ans lorsque le Sakurajima est entré en éruption en 1914, faisant de nombreux morts. L’adolescent fasciné par la mer décide de monter vers le nord pour aller chasser la baleine. Une véritable passion pour cette mer « plus insaisissable que le regard d’une fourmi », qu’il partage avec sa femme, fille de pêcheur, dont la vie s’articule autour des longues absences de son mari et de belles promenades sur cette côté sauvage à la beauté envoûtante. Leur fils Hideo sera à son tour chasseur de baleine alors que la guerre éclate et emporte des vies dans la famille restée sur Kyushu (la ville de Kagoshima sera détruite à plus de 90%). Les villes du nord ne sont pas épargnées, mais Sendai se reconstruit rapidement et sa modernité impressionne les marins lorsqu’ils vont en ville. Sous l’œil bienveillant de la vieille tante Aya, la vie se poursuit, la famille grandit malgré les colères de la mer et de la terre, et l’interdiction progressive de la pêche à la baleine, qui est pourtant une tradition ancestrale dans toute cette région.

Les années 1970 et le moratoire international sur la chasse à la baleine sonnent le glas du petit port baleinier : les bateaux sont désarmés, les pêcheurs doivent trouver une autre activité. Hideo décide donc à 48 ans de retourner sur la terre de ses ancêtres et de pêcher la bonite. Son fils Takeru y arrive à l’âge de 18 ans et s’émerveille devant les couleurs du volcan et la beauté de la ville de Kagoshima. Passionné par les moteurs, il commence à l’atelier de tramway avant de devenir conducteur dans cette ville colorée avec pour toile de fond son volcan majestueux. Il rencontre l’amour, se marie, a une fille. Une vie qui s’écoule lentement entre les promenades en pleine nature, les visites aux temples. Puis arrive le 11 mars 2011, l’impensable, l’inimaginable même si les catastrophes ont émaillé la vie de la famille (séismes, tsunami, guerre, éruption volcanique). Takeru, après trente ans d’absence, retournera dans sa région natale …

Un récit captivant, des vies qui se succèdent dans la beauté des côtes japonaises, du nord au sud, de coup de foudre en naissance, de coucher de soleil en pêche en haute mer. Avec en pointillé la fragilité de la vie humaine, la force de la nature, magnifique dans la flore exubérante de Kyushu, terrible lorsqu’elle détruit tout sur son passage. Un hommage aux chasseurs de baleine, ces hommes qui risquaient leur vie depuis plus de quatre siècles, à cette mer nourricière et sauvage que nul ne peut apprivoiser.

 

La si courte vie du Taro Maru : une jeune femme et son bateau après le tsunami

taromaruLe livre démarre avec l’évocation des Philippines en 1984 : deux typhons, une éruption volcanique. L’Asie et ses catastrophes … L’auteur s’est rendu dans le Tohoku après le tsunami de 2011 : villes rasées, catastrophe nucléaire, souvenir de ces amis qui peignaient des images du bombardement atomique.

Puis démarre l’histoire de Mariko Nakashima, fille de pêcheur âgée de 18 ans. Elle habite Taro, sur la côte Est, avec son frère Teru (19 ans), son père, sa mère et sa grand-mère. Le père et le frère sont sur leur wasen (un beau bateau traditionnel de 8 mètres) lorsque survient le tsunami du 11 mars 2011. Elle est avec sa mère et sa grand-mère lorsque la vague monte trop vite et la sépare d’elles.

Après le choc de la perte, Mariko tente de vivre dans un logement provisoire, parmi d’autres rescapés souvent plus absents que vivants : enfants orphelins, pères veufs et ayant perdu leur enfant. Elle travaille à l’association de pêcheurs (47 pêcheurs de Taro ont disparu lors du tsunami, 850 bateaux sur les 947 ont été détruits). Une nuit, elle entend l’appel des siens, de la mer. Dans son rêve, elle doit succéder à son père et son frère, construire un wasen pour repartir pêcher en mer. Son voisin ingénieur est emballé par cette idée, ses grands-parents (ceux de la montagne et de la forêt) s’engagent à lui fournir du bon bois. Elle part ensuite pour Hokkaidô voir sa tante et découvrir d’autres pêcheurs solidaires. Dans les rues d’Hakodate, Mariko découvre que cette ville deux fois dévastée est une belle ville ouverte sur le monde. Puis elle poursuit son « tour de la parenté » à Aomori, où un cousin éloigné lui fait découvrir un musée de bateaux et un site Jômon (peuple de chasseurs-cueilleurs sur une période de 15 000 à 300 av J.C). Elle ressent la puissance de ces ancêtres et emporte le dogu (figurine Jômon) que lui offre ce cousin passionné. D’autres oncles l’aideront à trouver un bon moteur, le directeur de l’association de pêche placardera des affiches dans toutes la région, et au-delà son projet apparaîtra sur des yaourts, des chocolats, dans les écoles.

Une solidarité qui permettra à Mariko de prendre la mer avec son bateau, de sentir ce qu’ont vécu son père et son frère, de rapporter au port de superbes poissons, d’admirer la côte, les rochers, de sentir la force du vent, la morsure du soleil. Mais ce bonheur retrouvé pourra-t-il durer ?

La postface ramène le lecteur à la dure réalité, aux successions de catastrophes, à cet océan pas si « pacifique » et à cette menace nucléaire qui plane en permanence.

La plume de Michel Régnier est très fine et plonge le lecteur dans des paysages d’une beauté à couper le souffle : la mer sauvage, calme ou effrayante, les rochers découpés superbes et dangereux, les forêts profondes aux arbres imposants. Les hommes sont également l’objet de portraits attachants : pêcheurs respectueux de la nature, avec leurs croyances, leur ancrage familial, leur solidarité sans faille, leur Butsudan (petit autel familial) témoin des morts dans chaque génération. Le cycle des vies est toujours le même, la nature se rappelle toujours aux hommes par sa beauté mais aussi sa force destructrice. Arrière-grand-parent, grand-parent : des morts lors de tsunami (les dates se succèdent : 1896, 1933, 1960, 2011), de tremblement de terre … sur cette terre douloureusement belle.

 

Plus d’informations sur ces deux ouvrages sur le site de l’éditeur.

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