Billy Bat, de Naoki Urasawa et Takashi Nagasaki : la noire ou la blanche, qui de nous deux ?

Billy Bat. Un seul nom pour deux séries, pour deux chauves-souris qui auront baladé le lecteur pendant rien de moins que vingt tomes, malicieusement guidées par un grand maître du manga moderne, Naoki URASAWA.

Après Pluto, 20th Century Boys, Happy, Master Keaton ou encore Monster, revoilà le lecteur plongé dans l’un des thrillers palpitants dont URASAWA, cette fois aidé officiellement par Takashi NAGASAKI, a le secret, et qui vient d’ailleurs directement se placer au Panthéon de ses œuvres les plus ambitieuses. A l’occasion de la sortie du tome 20, et donc de la conclusion de l’intrigue, retour sur un des grands seinen des années 2010.

Au commencement il y avait…

Billy, évidemment, mais aussi Kevin Yamagata, qui est en 1949 l’auteur et le dessinateur de Billy Bat, une série mettant en scène une chauve-souris détective privée qui mène ses enquêtes dans un cadre de série noire. Il apprend presque par hasard que celui qu’il croyait être son personnage n’est en fait peut-être pas issu de sa propre imagination : la silhouette de Billy a été aperçue au Japon. Soucieux de ne pas déroger à ses valeurs, Kevin se rend aussitôt sur place, et se retrouve embarqué dans ce qui pourrait de prime abord presque sembler être un sketch : la chauve-souris parle. Pas question pourtant ici de sidekick animalier amusant : elle l’incite à dessiner ses histoires mais aussi ses visions, qui semblent toutes se réaliser, comme des prophéties à l’échelle de l’humanité. De nombreuses questions se bousculent alors dans la tête de Kevin comme dans celle du lecteur : qu’est-ce que cette chauve-souris ? Quel rôle joue-t-elle dans le destin de l’humanité ? Et depuis combien de temps ? Si Kevin est incapable d’y répondre dans le premier tome, d’autres semblent au contraire être bien mieux renseignés : tous ceux à qui elle est apparue sont formels, il existe une noire et une blanche, à qui faut-il faire confiance ?

L’histoire dans l’histoire, Billy Bat par Kevin Yamagata

Comme dans un bon URASAWA, pas question de suivre de manière linéaire le cours de l’Histoire : passé, présent (au moment de l’écriture), futur… L’auteur démontre à ceux qui pouvaient encore en douter son incroyable capacité d’adaptation et de narration. Sans être limpides, les premiers volumes permettent de suivre les péripéties de Kevin lorsqu’il commence à avoir les visions de la chauve-souris, et de découvrir certains personnages dont on ne sait pas encore le rôle. Une fois cette première base posée, Naoki URASAWA est libre de dérouler son intrigue comme bon lui semble, au fur et à mesure des grands événements du XXe siècle et du XXIe siècle (assassinat de JFK, premier pas sur la Lune ou encore attentats du World Trade Center, entre autres), et d’en proposer sa propre vision.

20 tomes, une seule question !

Des histoires multiples au service de celle de l’auteur

En effet, au-delà de la chauve-souris et des questionnements qui l’entourent, le principal thème du manga semble davantage être l’Histoire. L’histoire de l’humanité, les grands événements qui l’ont marquée, mais également la part d’ombre qui les entoure et qui laisse toujours une minuscule porte ouverte à un « et si ? » : « et si JFK n’avait pas été tué par Lee Harvey Oswald ? » « et si l’Homme n’avait jamais en fait mis le pied sur la lune ? », bien vite rattrapé par l’interprétation proposée par URASAWA : « et si lorsque l’on croit suivre la chauve-souris blanche, ce n’est pas plutôt la noire qui nous guide ? ». A la manière de Stephen KING dans 11.22.63, c’est en mettant en scène un personnage fictif pris dans les rouages d’un engrenage qui le dépasse que Naoki URASAWA développe sa propre histoire. Bien loin des thèses complotistes si faciles à retrouver sur Internet, il s’agit pour lui avant tout d’inviter le lecteur à la réflexion.

Une chauve-souris présente depuis la nuit des temps…

Parallèle historique le plus évident : celui entre Billy Bat, héros de bandes dessinées adulés par des générations d’enfants américains, et Mickey Mouse, symbole récurrent du soft power américain à travers le monde. L’occasion était presque trop belle pour URASAWA : un avatar animalier, personnage de cartoon, idolâtré depuis des décennies, on aurait presque pu lui reprocher de ne pas y avoir pensé. Surtout développée dans la seconde partie du manga, cette intrigue prend peu à peu une place prégnante : au fur et à mesure que Billy se popularise en tant qu’objet commercial aux yeux du public, celui-ci ne court il pas vers son propre aveuglement ? Seul le lecteur et les rares personnages qui connaissent les origines pour le moins troubles du héros-détective sont capables de prendre le recul suffisant pour en juger…

Des héros, des antihéros, et un seul but : la chauve-souris

Cette série ne déroge pas à la règle implicite de tous les URASAWA : il n’y a pas de héros qui monopolise l’attention, et cela nous est prouvé dès le tome 3, qui se déroule exclusivement dans le Japon du XVIe siècle. On pourrait donc davantage parler des personnages les plus importants comme de personnages « récurrents », y compris dans le cas de Kevin Yamagata, que l’on suit lors de son début de questionnement à propos de la chauve-souris mais qui s’efface peu à peu, au fur et à mesure des développements. Dès lors, la qualification de « héros » vient davantage qualifier les personnages « bons », opposés à des antagonistes inquiétants, et qui côtoient des personnages plus neutres, connaissant l’existence de la chauve-souris mais sans que l’on ne sache forcément toujours à quel point, ni ce à quoi pourraient leur servir ces connaissances.

Nouveauté malgré tout : leurs statuts sont en grande majorité inédits. Désormais, les personnages sont dessinateurs de comics, acteurs et réalisateurs voire chauffeurs de taxi à New-York… mais également leurs comportements. Sans doute est-ce lié à la teneur même de l’intrigue : l’essence même de la chauve-souris, ce qu’elle implique à la fois pour la vie privée des personnages comme pour l’ensemble de la population, fait que les personnages semblent davantage en proie au doute, voire au vertige, un sentiment profondément humain et que les dessins toujours aussi précis d’URASAWA soulignent de manière subtile.

En conclusion…

Difficile mission que de résumer en si peu de mots la fresque historique et fantastique qu’est Billy Bat, surtout après vingt tomes plus surprenants les uns que les autres, perdant le lecteur mais gardant toujours malgré cela un cap clair.

Disons simplement qu’il serait dommage de se laisser effrayer par les différents voiles de secrets et de mystères tous plus opaques les uns que les autres tissés au fil de l’oeuvre par URASAWA. Sans commenter ni spoiler la fin de ce long parcours, sachez que contrairement à ce qu’il pourrait parfois sembler, le lecteur ne fait jamais vraiment face à une oeuvre égoïste, venant uniquement saluer les talents de conteur de son auteur : chacun est amené à trouver sa place et à réfléchir à la place et l’influence de la chauve-souris y compris, pourquoi pas, dans sa propre vie…   

 

 

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