Dans un jardin qu’on dirait éternel : introduction à la cérémonie du thé

Tout comme le film Les délices de Tokyo mettait à l’honneur les dorayaki (sorte de pancake japonais), Dans un jardin qu’on dirait éternel, nous introduit à l’art de la cérémonie du thé avec la même finesse et la même poésie. Adaptation de La cérémonie du thé de Noriko MORISHITA paru chez nous en 2019, ce roman se présentait comme une véritable leçon de vie, dans lequel l’auteure essayait de nous transmettre les enseignements qu’elle avait retirés de la pratique de cet art. Adapter un livre dont la principale force réside dans l’appropriation qu’on se fait de sa lecture relève du véritable défi. Alors, pari réussi ? Réponse dans cet article et le 26 août au cinéma ! 




Dans un jardin qu’on dirait éternel est d’autant plus à saluer qu’il s’agit du premier film du réalisateur à sortir en France ! Et pourtant Tatshushi OMORI n’en est pas à son coup d’essai. En effet, son premier film The Whispering of the Gods avait été primé à Tokyo en 2005. Puis son second long métrage, sorti en 2010, A Crowd of Three avait été présenté en sélection au Forum du Festival de Berlin. Avec ce nouveau projet, le réalisateur s’attaque à l’art du thé, un monde qui lui était jusqu’alors totalement inconnu. Touché par la lecture de l’œuvre originale, qui lui rappelle ses films préférés comme La femme insecte ou Accords et désaccords, des films très introspectifs, qui racontent la vie d’un personnage. Le réalisateur se décide à faire la même chose avec ce film : parvenir à décrire la vie d’une femme à travers le monde du thé, comme a pu si bien le faire l’auteure de l’œuvre originale, Noriko MORISHITA.

Quand une passion se mue en art de vivre

Synopsis :
Dans une maison traditionnelle à Yokohama, Noriko et sa cousine Michiko s’initient à la cérémonie du thé. D’abord concentrée sur sa carrière dans l’édition, Noriko se laisse finalement séduire par les gestes ancestraux de Madame Takeda, son exigeante professeure. Au fil du temps, elle découvre la saveur de l’instant présent, prend conscience du rythme des saisons et change peu à peu son regard sur l’existence. Michiko, elle, décide de suivre un tout autre chemin.

Noriko a 20 ans, elle n’a pas vraiment de passion dans la vie, ni de plan de carrière très concret. Poussée par sa mère et sa cousine, elle décide finalement de s’initier à l’art du thé [on parlera de « thé », « art du thé », « cérémonie du thé » indistinctement] tous les samedis après-midi. Mais au fur et à mesure que le film avance, le spectateur va réaliser que la cérémonie du thé est seulement la partie visible, qui cache en réalité le voyage introspectif que vient d’entreprendre notre héroïne. À l’instar du livre, le réalisateur a conservé le point de vue interne du lecteur, mais pas son caractère omniscient ! En effet, là où le livre, écrit à la première personne, nous fait rentrer directement dans la tête du personnage principal, le film rend actif le spectateur en lui laissant une part d’interprétation. Le réalisateur alterne entre des plans larges, sur la pièce, le pavillon de thé, afin de montrer dans quel univers exigu évoluent les personnages ; puis, des plans très rapprochés sur Noriko, comme s’il voulait que l’on pénètre sa psyché. Cela permet de créer une certaine intimité avec le personnage, celui-ci parait même plus accessible. L’attention du spectateur est alors focalisée sur les regards, les expressions du visage afin de tenter de saisir les pensées et la psychologie des personnages.

Noriko et Michiko

Noriko et Michiko © Art House

Le film est à l’image de la cérémonie du thé, très lent et contemplatif. Alors il faudra parfois s’armer de patience, mais vous apprendrez ici votre premier enseignement : le thé est un art exigeant, qui requière observation, abnégation et dont on n’obtient pas forcément les fruits immédiatement. Le spectateur suit paisiblement aux côtés de Noriko, le rythme des saisons, symbolisés par les différentes pâtisseries et les mantras écrits sur les kakemono (rouleaux verticaux accrochés au mur) du pavillon de thé. Notre réflexion grandit avec elle, tout en prenant le temps de nous imprégner des scènes, des émotions, et des jeux de regards. Tout comme les personnages, on se retrouve absorbé par la précision et la rigueur des mouvements du thé. Ce qui avait commencé pour les deux filles comme une curiosité va peu à peu se muer en passion et en art de vivre. Mais l’art du thé reste très exigeant, et le film parvient bien à mettre en exergue cette ambivalence entre ces deux jeunes adultes qui s’adonnent à cet art traditionnel mais qui en même temps ont besoin de s’échapper du pavillon de thé qui se révèle parfois trop étouffant. On peut les voir, dans un plan, patientes en position seiza, et celui d’après, déclarer : « J’en ai marre de la cérémonie du thé » et les voir se défouler au karaoké comme le font la plupart des filles de leur âge.

Noriko et Michiko

© Art House

Mais peu à peu, Michiko s’éloigne des cours de Mme Takeda et de Noriko. Au début du film, elle nous était dépeinte comme la cousine franche et déterminée qui « croque la vie à pleine dent », rêve de voyage, d’amour, d’une famille à fonder. Noriko, à l’opposé, est présentée comme plus indécise et réservée. Même si le film place son action dans les années 90, il traite la thématique très actuelle de l’immédiateté et de la tyrannie de la vitesse dans nos sociétés modernes. Les personnes qui savent prendre des décisions rapidement y sont glorifiées, comme le démontre l’admiration que porte Noriko à cette cousine si « débrouillarde ». Mais plus le film avance et plus Noriko prend conscience qu’elle a simplement envie de suivre un autre chemin que celui de Michiko, le chemin du zen et de la lenteur, au fur et à mesure qu’elle s’aguerrit dans le thé. Cette maxime inscrite sur l’un des kakemono au début du film : « chaque jour est un bon jour », va constituer le leitmotiv de l’œuvre, une maxime que l’héroïne mettra tout le film et une bonne partie de sa vie à comprendre. Un carpe diem à la japonaise en quelques sorte : il faut apprendre à prendre le temps. Chaque jour est unique et on peut trouver du bonheur et de la satisfaction dans chacun d’eux, même si l’on fait (en apparence) les mêmes actions. C’est là que la symbolique de la cérémonie du thé prend tout son sens. Bien que l’on refasse les mêmes mouvements continuellement, chaque jour a sa propre particularité, et on doit apprendre à profiter de l’instant présent car on ne sait pas de quoi demain sera fait. Le réalisateur varie les mouvements de caméra et « les styles de cérémonie » (d’hiver ou d’été par exemple), afin que le spectateur ait un aperçu de cette sensation, on peut redécouvrir la cérémonie du thé à chaque fois, sous un nouvel angle, sous un nouveau jour.

Le thé, cet art exigeant

Mais à mon sens, le message du film est également celui de la persévérance. Si on veut continuer à pousser la comparaison avec les métaphores latines, on passe alors du carpe diem au cogito de Descartes. Même si Noriko se définit (et nous le prouve) comme maladroite, dès le début du film, elle va persévérer pendant 24 ans dans cet art si précis et si rigoureux qui ne lui semblait pourtant pas naturellement destiné. Lorsque ses cadettes (kohai), lui font remarquer qu’elle fait encore des erreurs après plus de 10 ans de pratique, elle se sent d’abord blessée. Pour finalement réaliser que l’art du thé est loin d’être une compétition. Il importe peu de progresser vite ou lentement, l’intérêt est dans ce que l’on retire de cette pratique. « Fini de me comparer aux autres. Je n’ai qu’à poursuivre mon propre thé à moi » déclarera-t-elle. Le thé semble alors revêtir un caractère méditatif, un moment où l’on prend le temps de se concentrer sur l’instant et de ressentir les éléments autour de soi et de reconnecter avec ses cinq sens. « Tant que nous serons prisonniers du passé ou du futur, nous ne pourrons vivre sereinement. Il n’y a alors qu’une issue : profiter du présent » dit Noriko. Par exemple, à la fin, celle-ci s’émerveille d’être finalement capable de différencier une pluie d’hiver d’une pluie d’été, seulement au son que font les gouttes en s’écrasant sur le toit du pavillon.

takeda et noriko

Mme Takeda et Noriko © Art House

On finit par ressortir du film avec l’envie de nous initier, nous aussi, à cet art de la lenteur. Les Japonais ont décidément cette capacité à nous passionner pour des sujets insoupçonnés. Peut-être l’avez-vous déjà ressenti, face à des mangas tel que 3-gatsu no Lion ou Barakamon. Les personnages décrits le sont avec une telle passion qu’on ne peut qu’adhérer et avoir envie d’essayer nous aussi. Jamais je n’aurai pensé pouvoir être intéressé par le shōgi ou la calligraphie japonaise avant de les avoir vu dans des œuvres qui les mettent si bien en valeur. Et de la même façon avec Dans un jardin qu’on dirait éternel, après avoir vu les personnages répéter les gestes des dizaines de fois, on a l’impression d’être déjà des professionnels ! Mais le film nous rappelle à l’ordre bien évidemment en nous montrant que Noriko, même après 20 ans de pratique peut continuer à se tromper et que le thé est un art qui prend toute une vie à se perfectionner.

Un dernier film comme un ultime hommage

kirin kiki mme takeda

Mme Takeda © Art House

Et puis, comment parler de ce film sans évoquer Kirin KIKI, icône du cinéma japonais, révélée aux yeux des spectateurs étrangers dans ces rôles de grand-mères attachantes (Les Délices de tokyo, Une affaire de famille), elle joue ici le rôle du maître thé, Madame Takeda. Elle interprète encore une fois magnifiquement la sensei bienveillante mais stricte qui, malgré sa fatigue visible, observe d’un œil attentif ses apprenties. Comme nous le confie le réalisateur, les trois actrices étaient novices en thé avant de commencer le tournage du film. Son aisance et la beauté de ses gestes renforcent l’admiration que l’on peut lui porter quand on imagine le travail qu’elle a dû fournir en amont du film afin de pouvoir jouer une professeure crédible. Sa franchise dans la vie publique et médiatique lui aura valu une étiquette « d’originale » pour les Japonais les plus conformistes, mais qui ne fait que la rendre plus sympathique à nos yeux. Son mariage avec une icône du rock psychédélique dans les années 70, son nom de scène bradé lors d’une émission télévisée, et le traitement médiatique de son cancer du sein, ont été des événements très marquants pour les Japonais. Elle déclarera suite à ce dernier événement : « Une leçon importante que m’a appris la maladie est que mon corps physique n’est pas vraiment le mien ». Ainsi, quel plus bel hommage que ce dernier film où elle semble rejoindre la pensée du personnage qu’elle incarne : paisible, sereine, ayant profité de chaque jour de sa vie comme s’il s’agissait du dernier.

 

La cérémonie du thé -Noriko MorishitaEn définitive, le film constitue une bonne expérience de cinéma, mais de part ses contraintes de forme est condamné à ne rester qu’un condensé de l’œuvre originale. Certes, le film est un peu lent, mais au final il ne dure que 1h40. Alors qu’au travers des 200 pages du livre, le lecteur a le temps de réellement s’ennuyer et de se mettre dans la peau de Noriko qui se retrouve perdue devant cette avalanche d’informations à retenir pour son apprentissage. À mon sens, le film et le roman constituent deux expériences à la fois différentes et complémentaires. Ainsi il me paraît intéressant de lire l’ouvrage de Noriko MORISHITA, après avoir vu le film. Là où dans le film vous devez interpréter certains passages, la lecture vient compléter cette expérience, en revenant sur ces scènes et en y apportant des détails. J’étais surpris de découvrir que le passage de la « réunion du thé » (chakai) était bien plus conséquent dans le livre : il permet de mieux saisir en quoi cet événement est important pour le développement du personnage. De plus, le livre fourmille de petits détails et de descriptions que le réalisateur n’a pas eu le temps d’incorporer dans son film. Notamment concernant la culture japonaise. De nombreuses expressions et autres formules sont détaillées, expliquées, en kana, en kanji et en romaji, de sortes à bien comprendre l’étymologie des termes et leurs sens profonds.

 

Noriko

Noriko © Art House

3 réponses

  1. BRISON dit :

    Ce film, « Dans un jardin qu’on dirait éternel » nous reconnecte à l’essentiel : dépouillement, beauté, profondeur, engagement, une magnifique leçon de vie. Merci à Kirin KIKI

  2. supiot jacqueline dit :

    j habite paris et je voudrais savoir ou je peux voir le film merci

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