Millennium Actress : une course sans fin

Après avoir enfin pu (re)découvrir Millennium Actress sur grand écran l’année dernière, 17 ans après sa sortie directement en DVD en France, le chef d’œuvre de Satoshi KON débarque enfin en Blu ray chez Septième Factory. Un bien bel écrin pour profiter à volonté et en haute définition de cette version restaurée d’un film bien trop souvent resté dans l’ombre du génial Perfect Blue. Un comble pour un long métrage qui se révèle par bien des aspects comme le pendant lumineux de ce dernier, et la quintessence tant formelle que thématique de l’art de Satoshi KON.

© 2001 Millennium Actress Production Committee

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Trompe-l’oeil

La genèse de Millennium Actress commence peu après la sortie de Perfect Blue, quand Taro MAKI, futur producteur du film approche Satoshi KON pour lui proposer un nouveau projet dans la lignée de Perfect Blue qui l’avait fortement impressionné, impliquant « une illusion visuelle fusionnant réalité et fantaisie« . C’est donc sur cette idée du trompe-l’œil, au départ destinée à prendre la forme d’une OAV en 4 à 6 épisodes, que naît ce projet de science fiction alors désigné sous le nom de « Phantom« . Rapidement, le format change et devient un long métrage prévu pour une sortie limitée. Une première histoire est imaginée puis complètement abandonnée au profit d’une nouvelle, totalement différente, désignée sous le titre « Ghost Memory » et dont le thème – l’histoire d’une actrice légendaire racontant sa vie, celle-ci et ses rôles se mêlant dans un nuage de confusion – est bien celui de Millennium Actress.

© 2001 Millennium Actress Production Committee

Chiyoko illumine le film © 2001 Millennium Actress Production Committee

Si Satoshi KON retrouve Sadayuki MURAI (déjà scénariste de Perfect Blue) pour développer cette idée, il en est cette fois à l’origine et en co-signe le scénario. Ainsi, il s’agit, selon KON lui-même, de son premier véritable long métrage de cinéma : le premier conçu pour sortir directement sur grand écran et dont il se considère comme l’auteur à part entière.

La production aura été très rapide (le travail d’animation commence en juillet 1999 pour s’achever en octobre 2000) pour un coup très faible, à peine plus de 100 millions de yens, pour une animation d’une qualité impressionnante. Après avoir fait avec succès le tour des festivals, le film fini par sortir dans les salles japonaise non pas de manière limitée comme prévue au départ, mais avec une diffusion large dans tout le pays.

 

 

Une lettre d’amour au Cinéma

L’une des première séquences de Millennium Actress (la première après le générique de début) est une scène de destruction : celle des studios Ginei, dont Chiyoko, l’actrice millénaire du titre, fut l’égérie tout au long de sa carrière. Des images tournées par Tachibana, un réalisateur de documentaire fan de l’actrice qui va aller à la rencontre de son idole et par là-même, de l’histoire du cinéma et de celle du Japon (plus précisément l’ère Showa de 1926 à 1989),  la fixer avant sa disparition.

Ainsi, cette première séquence de destruction des studios fictifs du film reprend celle, bien réelle, des studios Toei et Shochiku auxquelles a d’ailleurs assisté, avec beaucoup de peine, Satoshi KON. C’est avec ce sentiment de nostalgie pour une époque révolue – celle des grands studios et de l’âge d’or du cinéma japonais – que le réalisateur aborde dans un film en forme d’hommage et même de déclaration d’amour. On l’a déjà évoqué dans ces pages, KON est un réalisateur cinéphile, et c’est dans ce long-métrage que cette passion se ressent le plus. En reconstituant la vie et la filmographie de Chiyoko, il nous fait traverser 60 ans d’histoire du Japon et des studios, des films de propagande des années 30 tournés pendant la guerre sino-japonaise aux Kaiju eiga style Godzilla en passant par les jidai-geki (Le Château de l’Araignée de Akira KUROSAWA, mais aussi la série des Zatoichi), les mélodrames, les comédies style Tora-san et la science fiction. C’est justement un des grands plaisirs du film, pour le cinéphile connaisseur du Japon, que d’identifier ces nombreux hommages. Le personnage de Chiyoko lui-même s’inspire principalement de Setsuko HARA (légendaire actrice fétiche de Yasujiro OZU qui se retira des écrans en 1962, à l’âge de 42 ans), mais aussi de Hideko TAKAMINE ou encore de Kinuyo TANAKA.

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Le film multiplie les mises en abime © 2001 Millennium Actress Production Committee

Si la cinéphilie de Satoshi KON l’entraînait plus naturellement sur les terre du cinéma occidental, la plongée en profondeur dans l’histoire du Japon et du cinéma japonais nécessaire pour la préparation du film constitua pour lui une occasion de renouer avec la culture japonaise. Lui et son équipe ont mené des recherches approfondies afin de déterminer les films à référencer et de reconstituer les différentes époques que traverse Chiyoko, les décors et les costumes. On peut d’ailleurs s’en rendre compte en visionnant le making of présent sur le blu ray et le dvd qui rassemble de nombreuses image du réalisateur et de son équipe en train de visiter des décors, d’examiner et essayer accessoires et costumes.

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Un soin particulier apporté à la couleur © 2001 Millennium Actress Production Committee

Le résultat en est d’autant plus bluffant que chaque époque, chaque genre, est l’occasion de changements dans le style visuel et la couleur, noir et blanc puis sépia pour les années 30 et 40, pastel pour les films se déroulant pendant l’ère Taisho, etc. Une véritable splendeur visuelle dont on se délecte. Le tout assemblé de manière vertigineuse au moyen de raccords d’une inventivité folle qui prolongent les expérimentations débutées par le réalisateur avec Perfect Blue. Ici, son sens du montage et de la mise en scène atteint un niveau de raffinement incroyable qui lui permet d’entraîner le spectateur dans une métaphore filée tambour battant, passant d’une époque et d’un style à l’autre en un raccord sans jamais perdre le rythme ni ce spectateur. Une folle poursuite qui épouse la quête de son héroïne, à la recherche de son amour perdu, et nous emporte dans un maelström d’émotions.

C’est cet art consommé du montage qui provoque le débordement d’émotion qui nous fait passer du rire aux larmes, et autorise à considérer Millennium Actress comme un aboutissement dans la carrière du cinéaste ; Satoshi KON, lui-même considérant le film comme son chef-d’œuvre et son ouvrage favori au sein de sa propre filmographie.

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Un train dans la nuit et une femme qui court

La vie de Chiyoko se confond avec ses films ; tous tournant autour du thème récurent de la poursuite perpétuelle de l’amour perdu. Si François TRUFFAUT a dit que les films sont comme des trains qui avancent dans la nuit, Chiyoko, elle, est une actrice qui court et qui courra tout au long de sa vie et de ses films, tel un réalisateur en quête d’un idéal inaccessible. Mais comme le personnage fini par l’avouer dans sa dernière réplique, c’est bien cette poursuite – cette quête – qu’elle aime ! Pour le réalisateur de La Nuit Américaine, les films étaient plus harmonieux que la vie. Prenant cette maxime au pied de la lettre, Satoshi KON construit son film dans un flot harmonieux et continue faisant se confondre la vie et les films de son héroïne. C’est cette image d’une femme qui poursuit son but qui hante le film et en livre – littéralement et figurativement – la clé !

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La clé ! © 2001 Millennium Actress Production Committee

En effet, au delà du tournage-prétexte par le personnage de Tachibana d’un documentaire sur le cinéma, l’histoire du film est donc avant tout celle de Chiyoko et de sa quête, qui la pousse à prendre son indépendance vis à vis de la vie confortable qui lui semblait toute tracée, et à embrasser son destin. Cet amour impossible qui semble se dérober sans cesse apparaissant comme un prétexte pour partir à l’aventure, une métaphore de la découverte du cinéma, vecteur d’imagination, d’émotion et d’émancipation.

Chiyoko se révèle ainsi comme une projection du réalisateur lui-même et de son amour pour le cinéma.

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Tachibana et son caméraman s’invitent dans les souvenirs de Chiyoko © 2001 Millennium Actress Production Committee

Les deux faces d’une même pièce

On peut dresser de nombreux parallèles thématiques et formels entre Perfect Blue et Millennium Actress, au point où les deux semblent former des films jumeaux qui se répondent. Le dernier apparaissant comme le versant lumineux du premier.

Mima comme Chiyoko sont à un certain niveau, et de l’aveu même de Satoshi KON, des projections de lui-même.

Dans les 2 cas, Les personnages reflètent la position et l’état d’esprit de KON à ce moment là de sa carrière : Mima est passive -comme l’était le réalisateur à qui on a proposé le projet Perfect Blue-, elle doit devenir active pour se sortir des problèmes que cette situation lui pose et se réapproprier sa vie (et le film) ; tandis que dans Millennium Actress, Chiyoko est d’emblée dans l’action et prend ses propres décisions, ce qui était alors le cas du réalisateur, seul maître à bord du film.

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Chiyoko, un personnage aux multiples facettes © 2001 Millennium Actress Production Committee

Il est aussi amusant de noter que dans les deux cas, la dernière réplique de l’héroïne revêt une importance capitale et révèle la clé de compréhension de l’histoire …

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Chiyoko, un personnage dans une course perpétuelle © 2001 Millennium Actress Production Committee

Une actrice de légende dans ses plus beaux atours

Bien qu’unanimement salué par la critique, Millennium Actress n’avait pas bénéficié chez nous en 2005 de l’accueil qu’il aurait mérité, sortant directement en dvd après même le film suivant de son auteur Tokyo Godfathers, et 3 ans après sa sortie cinéma japonaise. Une injustice aujourd’hui réparée par Septième Factory qui, après avoir distribué le film sur grand écran il y a près d’un an, l’édite à présent au format blu ray et dvd, notamment dans une édition steelbook du plus bel effet. C’est un vrai plaisir de redécouvrir le film en haute définition avec une image restaurée, rendant enfin justice au travail du réalisateur et des animateurs que l’on peut maintenant admirer comme il se doit.

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Embarquement vers les étoiles © 2001 Millennium Actress Production Committee

Le plaisir est d’autant plus grand que le film est accompagné de plus d’1h20 de bonus. On retrouve donc le making of d’époque, déjà présent sur la précédente édition. D’une durée de 40 minutes, il fait la part belle au réalisateur parti trop tôt, mais présente aussi de nombreuses images des recherches préparatoires. Mais deux nouveaux entretiens ont été réalisés et intégrés à cette édition : des interviews avec les deux producteurs du film, Taro MAKI et Masao MARUYAMA, (fondateur de Madhouse et une des figures tutélaires de Satoshi KON), qui permettent de mieux cerner la genèse du film et le rapport du réalisateur à son personnage, ses producteurs le désignant par le surnom de « Chiyoko à barbe » !

A présent, on se plaît à rêver du même traitement pour Tokyo Godfathers, formidable troisième film de Satoshi KON 

Millennium Actress

Le Steelbook de Millennium Actress

Pour aller plus loin sur Satoshi KON, retrouvez notre interview de Pascal-Alex VINCENT et notre critique de Perfect Blue, mais aussi notre article sur la carrière de mangaka du réalisateur.

MILLENNIUM ACTRESS sort en combo blu-ray/dvd et en dvd simple le 5 décembre chez Septième Factory.

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