Trek to Yomi, un voyage vers le royaume des morts du Japon féodal

L’ère des samouraïs semble être ces derniers temps une source d’influence majeure pour plusieurs studios de développement à travers le monde. Poursuivant le chemin tracé par Sekiro: Shadows Die Twice (2019), Ghost of Tsushima (2020) et Nioh 2 (2020), le jeu d’action et d’aventure de Leonard Menchiari, Flying Wild Hog et Devolver Digital se démarque par sa direction artistique directement inspirée des films de chanbara traditionnels, notamment ceux du maître Akira Kurosawa.

Dans Trek to Yomi, le joueur incarne le jeune combattant Hiroki, un samouraï en devenir suivant avec assiduité les leçons de son maître Sanjuro (du même nom que le personnage interprété par Toshirō Mifune dans le film éponyme d’Akira Kurosawa). Ce dernier considère le jeune orphelin qu’il a adopté comme son protégé, comme l’avenir du village. Malheureusement, le maître ne survivra pas à l’attaque d’un envahisseur redoutable, le chef de guerre Kagerou. Sanjuro succombe à ses blessures, et le jeune Hiroki, impuissant face à cette tragédie, apprendra à devenir plus fort et à respecter la promesse faite à son maître : protéger le village et ses habitants, et ce quoi qu’il en coûte. Le cœur déchiré par le chagrin, le samouraï solitaire s’exécute pour accomplir sa quête vengeresse. Il entame ainsi un voyage par-delà la vie et la mort, vers Yomi, le royaume des morts.

Une authenticité au service d’une direction artistique somptueuse

C’est donc en plein cœur du Japon de l’époque d’Edo (1603-1868) que prend place cette aventure. Grâce à une direction artistique poussée à son paroxysme, le joueur plonge dans une représentation authentique et réaliste de la vie de l’époque. L’attention portée à l’esthétique de l’image, notamment la composition des cadres, le noir et blanc ou les angles de caméra, font de ce jeu une démonstration visuelle aussi magnifique qu’originale.

Trek to Yomi offre une véritable expérience cinématographique qui fait revivre l’esprit des classiques du film de samouraïs (on pense à Yojimbo, Rashōmon, Les Sept Samouraïs ou Harakiri) tout en offrant une immersion rendue possible par l’atmosphère générale du titre. Certes, les références cinématographiques sont évidentes et percutantes, mais la concentration de détails sur la période Edo et la culture samouraï donnent littéralement vie aux différents décors, la ville principale en tête. La bande-son renforce également le côté immersif, grâce à d’excellents doublages en japonais, une musique et des bruitages qui restituent parfaitement l’univers créé, et qui rendent le tout aussi agréable à l’œil qu’à l’oreille.

Bien que réaliste, le jeu propose au fil de l’aventure une ambiance surnaturelle influencée par les histoires et images du folklore japonais. Le titre Trek to Yomi renvoie d’ailleurs à une notion de la mythologie shintô, Yomi faisant partie des trois royaumes principaux de l’univers : le ciel, la terre, et enfin le royaume des morts, Yomi no kuni, le monde de l’impur.

Le directeur créatif du jeu, Leonard Menchiari, s’est grandement attardé sur l’authenticité du titre, que l’on voit évidemment dans la direction visuelle générale, mais aussi dans le rythme, la caractérisation et même les répliques des personnages. Trek to Yomi est fidèle à l’esprit de la culture japonaise ancienne et des croyances religieuses. Il en résulte une cohérence globale qui conduit le joueur à admirer les paysages ruraux du Japon ancien, plutôt que de faire le jeu en ligne droite en se contentant de tuer des ennemis.

L’aventure à travers l’exploration et le combat

L’introduction du jeu nous permet de traverser tout le village, pour favoriser l’un des aspects important du gameplay : l’exploration. Le jeu s’inscrit dans une géographie qui permet au joueur de se repérer facilement dans ses déplacements, avec des angles de caméra pensés non seulement pour la beauté du rendu, mais surtout pour influencer la manière dont on se déplace dans le jeu, avec des points d’entrée et de sortie conçus pour que l’on puisse facilement savoir où tout se trouve. Lors de ces phases d’exploration, Hiroki ne peut plus utiliser son arme, se contentant de sillonner les lieux. Cette démarche permet au joueur d’interagir avec les objets et les personnes qui se trouvent autour de lui, et d’être récompensé lorsqu’il découvre des zones secrètes souvent cachées par des angles de caméra ne dévoilant qu’une partie du décor.

Cela dit, l’intérêt principal du jeu reste néanmoins les combats. A l‘inverse des phases d’exploration souvent en 3D, l’approche 2D du combat s’inspire des films muets où chaque scène est conçue pour ressembler davantage à du théâtre mobile, rappelant les pièces de jidai-geki (genre cinématographique ou théâtral japonais désignant les œuvres à caractère historique). La majeure partie du jeu consiste à affronter des vagues d’ennemis ou des boss à chaque fin de chapitre. Le système de combat est centré sur les déplacements horizontaux, la parade et l’attaque. Au fur et à mesure que le joueur progresse, de nouveaux ennemis font leur apparition et sont toujours plus coriaces. Cependant, de nouveaux combos d’attaque, de défense et de contre sont acquis tout au long du jeu et comprennent des techniques pour vaincre rapidement certains ennemis et déclencher des attaques finales. L’acquisition de nouvelles armes permet aussi de venir à bout des menaces les plus dangereuses et de créer de nouveaux combos dévastateurs. Tous les mouvements appris sont stockés dans le journal du joueur. Cela permet d’étoffer un gameplay plutôt simple en apparence. Les patterns des ennemis sont facilement discernables, mais les timings pour esquiver leurs attaques sont exigeants : le jeu se révèle assez punitif dès lors que le joueur perd sa concentration.

Toutefois, afin d’être accessible à tous, le jeu propose 4 niveaux de difficulté :
• le « kabuki » pour ceux qui veulent profiter de l’histoire du jeu sans faire face à de dangereux défis.
• le « bushido », l’équivalent du mode normal pour ceux qui veulent à la fois profiter de l’histoire et de la difficulté des combats.
• le « ronin » pour les joueurs expérimentés qui aiment la difficulté élevée du combat et de la gestion des ressources.
• et enfin, le « kensei », disponible à la fin du jeu pour ceux qui veulent relever le défi ultime, à savoir terminer le jeu sans se faire toucher une seule fois !

Le choix de la difficulté se ressent majoritairement sur les dégâts subis et la vie des ennemis, donc plutôt sur les combats que sur la progression générale. Il faut compter entre 4 et 6 heures pour terminer le jeu en mode normal, malgré la difficulté graduelle. Le jeu propose de nombreux checkpoints qui réinitialisent la vie et l’endurance de Hiroki, afin de ne pas refaire constamment les mêmes trajets si le joueur trouve souvent la mort sur un même combat. Aussi, la narration reste omniprésente tout au long de l’aventure et il est possible de refaire le jeu pour découvrir toutes les fins disponibles. Les choix que fait le joueur au cours de l’aventure déterminent la conclusion de l’histoire avec en particulier certains dialogues et la cinématique de fin qui peut se révéler surprenante selon le parcours choisi…

Le jeu de Flying Wild Hog s’avère être une véritable expérience sensorielle et un voyage initiatique dans le Japon des samouraïs de l’époque d’Edo. Porté par une direction artistique unique et une ambiance authentique, Trek to Yomi parvient à rafraîchir un genre plutôt classique du jeu de combat à défilement horizontal. Le jeu de Leonard Menchiari tient ses promesses d’un voyage vers la mort, d’un périple sanglant et sombre qui envoie le joueur au fin fond des enfers, rapprochant une fois de plus la limite entre les deux médias extraordinaires que sont le cinéma et le jeu vidéo.

Sébastien Raineri

Onigiri Sensei

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