Les Bonnes étoiles de Hirokazu Kore-eda : même ceux qui n’ont pas été désirés peuvent être aimés

Faut-il encore présenter Hirokazu KORE-EDA ? Une productivité qui flirte avec le stakhanovisme (15 films en moins de 30 ans), une Palme d’Or et de multiples sélections à Cannes, le récent sexagénaire est un des grands noms du cinéma japonais contemporain, et probablement du cinéma contemporain tout court. Son nouveau film, Les Bonnes étoiles, en salle à partir du 7 décembre, est donc naturellement l’un des immanquables de cette fin d’année, d’autant plus intéressant qu’il est sa première œuvre avec un casting entièrement coréen !

Kore-eda prend la route !

Avant même de parler des Bonnes étoiles et de son histoire, il faut commencer par son ouverture, qui renvoie les adeptes du réalisateur à ses premiers films crépusculaires. Sous la pluie battante, une femme abandonne un bébé devant une église : on se croirait presque dans l’un de ces thrillers coréens qui menacent d’exploser à tout moment. Depuis une voiture, deux enquêtrices observent la scène à distance et, dans l’église, les deux hommes qui récupèrent l’enfant s’empressent de supprimer la vidéo de son arrivée. Il y a quelque chose de louche et d’oppressant dans cette première scène où les seules sources de lumière sont d’un jaune inquiétant et où la pluie obscurcit l’image et rend les corps indistincts. Pourtant, Les Bonnes étoiles n’est pas un film dans la veine des premiers Kore-eda, Maboroshi ou Distance.

Et, malgré son ouverture, il est bien plus un long-métrage sur l’amour que sur l’abandon. Un thème suggéré dès le départ par la façon dont l’inspectrice de la voiture – jouée par BAE Doona – risque sa filature en sortant pour mettre le bébé à l’abri, mais aussi par les commentaires du réalisateur lui-même. En effet, en interview, Kore-eda affirme que Les Bonnes étoiles est un film jumeau de sa Palme d’Or, Une Affaire de famille. Et de fait, les deux partagent cet intérêt pour des familles recomposées et bien plus liées par une histoire commune que par le sang qui coule dans leurs veines.

© 2022 CJ Entertainment

Comment souvent chez le réalisateur, Les Bonnes étoiles est un grand film l’air de rien, qui cache, sous sa simplicité, une douceur résolument engagée. Le film raconte l’histoire de So-young, la mère qui abandonne son fils au début du film et des deux hommes, Dong-soo et Sang-hyeon, qui le récupèrent pour le revendre. Réunis par des circonstances plus ou moins extérieures à leurs volontés, les trois s’engagent dans un road trip à travers la Corée pour trouver au bébé des parents dignes de ce nom. Sur leur trace, Kore-eda met aussi un duo d’enquêtrices, Soo-jin et l’inspectrice Lee, qui ont pour mission d’arrêter les deux trafiquants en les prenant sur le fait.

Néanmoins, à partir de cette histoire, le réalisateur ne tire ni un thriller ni un film d’enquête. Ses trafiquants sont maladroits, So-young a beau abandonner son bébé, elle est réunie avec lui pour le voyage. Et comme Une affaire de famille, Les Bonnes étoiles est, bien plus qu’autre chose, un film sur les dynamiques au sein de ce petit groupe mal assorti. Cela dit, pas d’erreur. Si Kore-eda joue la carte de la tendresse, et s’il porte un regard fondamentalement bienveillant sur son duo d’escrocs à la petite semaine, le film n’est pas non plus exempt de toute portée sociale. Et le cœur de son sujet, ce qui pousse une mère à abandonner son enfant et la difficulté à définir et incarner une famille, reste des thèmes complexes que le réalisateur japonais aborde avec sa finesse habituelle.

Une affaire de famille cabossée

Plus que jamais, la famille qu’il met en scène dans Les Bonnes étoiles est bancale, branlante et fragile. Un assemblage de personnes brisées, solitaires et abimées, liées les unes aux autres uniquement par une mission a priori peu louable et par une forme plus ou moins forte d’exclusion sociale qui contribue à renforcer l’impact du film. Mais c’est là tout l’art de Kore-eda. Sang-hyeon – joué par SANG Kang-ho et récompensé par le prix d’interprétation masculine à Cannes –  en plus de son trafic d’enfant, est un blanchisseur et couturier. Son travail, en d’autres termes, est d’effacer les taches et de repriser des vêtements abimés. Il est un réparateur qui reprend ce qui a été usé par le temps, et c’est cette logique qui porte le film tout entier.

Tout y est à l’image de la famille que les personnages forment à l’écran et des habits que Sang-hyeon reprend : un assemblage disparate, un patchwork mal-assorti. C’est vrai du van que la petite famille utilise pour son voyage, fait de bric et de broc… Et c’est vrai, aussi, des lieux qu’ils traversent, notamment un orphelinat à la peinture écaillée et aux murs abimés. Dans l’ensemble, donc, et c’est un héritage direct d’Une Affaire de famille, Les Bonnes étoiles s’intéresse aux vies et lieux abimés, et ses personnages cachent tous des fêlures que le réalisateur dévoile petit à petit au fil des quelque 129 minutes du film, et qui sont autant de prises qui leur permettent de s’attacher les uns aux autres.

Même les inspectrices, froides et distantes, observatrices intéressées, sont plus que des chiens de chasse lâchés aux trousses de la petite famille recomposée et, tous les personnages du films, des plus démunis aux plus insérés dans la sociétés, sont animés par un même désir : celui de trouver leur place. De trouver une famille.

© 2022 CJ Entertainment

Avec ses précédents films, et en particulier The Third Murder et Une Affaire de famille, on découvrait un Kore-eda remonté comme il l’avait rarement été jusque-là, et prêt à en découdre avec une société dont il semblait de moins en moins accepter son échec à protéger les plus vulnérables. En exil en Corée, on aurait pu penser que Les Bonnes étoiles serait moins ouvertement critique. Mais il n’en est rien. En interview, encore, le réalisateur révèle que le film est construit autour de trois « boîtes ».

Celle où le bébé est abandonné au début du film. Le van, chaleureux et permettant à la petite famille de tisser des liens et d’avancer, et, enfin, une boîte moins concrète, la société étouffante autant pour l’enfant que pour sa mère et ceux qui l’accompagnent. Tout le projet du film, alors, n’est pas tant de sortir de cette dernière que de montrer l’absurdité, pour ne pas dire la cruauté de ses limites, qui, poussent, par exemple, une mère à accepte de regarder une femme inconnue allaiter son propre bébé, ou qui laissent des enfants orphelins et condamnés à se demander s’ils méritent de vivre.

L’amour comme résistance

C’est donc à ce titre que Les Bonnes étoiles reste, tout en étant un mélo, animé d’une certaine énergie revancharde. Il n’est pas un film va-t’en guerre non plus. Mais il vibre d’un amour sans bornes pour des personnages auxquels rien n’a été donné et qui trouvent, à l’abri de la boîte qu’est le van et du petit monde qu’il incarne, assez de force pour exprimer, entre eux, une douceur dont leurs vies étaient jusque-là dépourvues. Or, c’est là que réside l’engagement de Kore-eda depuis toujours. Dans son entêtement à aimer ceux qui ne le sont pas.

Les personnages des Bonnes étoiles sont, en vrac, des orphelins, des fugitifs, des parents indignes, des escrocs, des menteurs, des traîtres, des prostitués et des meurtriers.  Ils cumulent tous les défauts. Et pourtant. Quand le réalisateur les filme, il ne les traite jamais comme des marginaux. Au contraire, il capte la douceur qui les anime malgré tout. C’est quelque chose qui tient à des détails, une main paternelle sur la nuque d’un enfant, un éclat de rire ou un regard plein de détresse, mais qui donne au film, sans jamais en faire trop, une chaleur enivrante, qui émane des quelques moments de bonheur qui en traversent le récit.

© 2022 CJ Entertainment

Il y a une scène, qui semble synthétiser toute la force du film. Au sommet d’une grande roue, dans un moment suspendu, deux personnages, pour la première fois, échangent à cœur ouvert. Une conversation que Kore-eda capte avec pudeur, le premier personnage en hors-champ, sa main cachant les larmes de l’autre. Alors même qu’aucun visage n’est visible, l’émotion est palpable dans les voix et les gestes – celui d’une main en retenant une autre, par exemple et leur face à face dénoue autant leur propre relation que celle qu’ils entretiennent avec leur histoire.

Et c’est au fond ce qui fait des Bonnes étoiles le film qu’il est. Tout en étant un road­-movie, le récit d’un mouvement si important qu’il se matérialise dans le nom des deux enfants du film Woo-sung et Hae-jing, il raconte aussi l’histoire de personnages qui trouvent, dans les relations qu’ils tissent sur la route, le courage de recoudre les déchirures de leur passé. Des relations que Kore-eda, avec son expérience de documentariste, filme toujours à la parfaite distance, juste assez prêt pour que l’émotion circule, juste assez loin pour éviter un pathos de mauvais gout.

 

Prolongeant les réflexions de Kore-eda sur ce qui fait une famille et sur la cruauté de la société à l’égard de ceux qui n’y trouvent pas leur place, Les Bonnes étoiles est un film qui, sous ses airs de mélodrame sympathique, fait de l’émotion un outil politique. Aux prises avec des sujets difficiles – l’avortement, la pression imposée aux femmes ou les préjudices dont sont victimes les orphelins – il est une variation de plus sur les thèmes chers au réalisateur, et surtout, peut-être, sa plus belle lettre d’amour adressée aux vies qui n’ont pas été désirées.

5 réponses

  1. Caniou dit :

    Je n’ai pas compris la fin du film. Merci de me l’expliquer en détail.

    • Alexis Molina dit :

      Difficile de répondre à votre question sans risquer de gâcher le plaisir des autres lecteurs qui n’auraient pas encore vu le film. Mais je suis sûr qu’une recherche Google sur le film et sa fin, en français ou, au pire, en anglais, devrait suffire à vous éclairer !

  2. Webb dit :

    Je suis dans le cas de Caniou . M. Moulina, si vous avez compris la fin du film, je vous supplie de nous la livrer car la carrière du film les bonnes étoiles est pratiquement.terminee

    • Alexis Molina dit :

      Malheureusement je ne peux vous répondre que la même chose. Nous publions nos articles sans spoil pour ne pas gâcher le plaisir de nos lecteurs. Il doit en aller de même avec les commentaires.

  3. Yazid Manou dit :

    Le moins que l’on puisse dire est que la fin du film a laissé tout le monde un peu circonspect. Pas sûr qu’il y ait d’ailleurs une vraie explication. Mais qui a tué le voyou en laissant les 40 millions de wons ? La jeune maman retrouve-t-elle son enfant ? Je ne sais pas si donner un éclaircissement (s’il existe) va réellement spoiler quoi que ce soit ou plutôt je pense favoriser la compréhension et donc l’appréciation du film au final.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Verified by MonsterInsights