L’exposition Kimono : au-delà des frontières et des barrières

Le musée du quai Branly accueille jusqu’à mai 2023, une exposition sur le kimono. On y apprend comment ce vêtement simple de construction a permis au Japon de développer autant les techniques artisanales textiles que les échanges commerciaux. A la fois objet de fantasme et symbole de rigidité, le kimono est resté inchangé depuis des siècles, faisant fi des formes, de l’âge et des genres. Et pourtant, il a façonné la mode mondiale dès le 17e siècle, opérant même un retour en force aujourd’hui et de manière globale. L’exposition met en avant la force de l’atemporalité de ce vêtement et son influence sur la mode du monde entier ainsi que son exceptionnelle modernité. Le kimono, habit global, habit idéal ?

 

Subtilité et force de la simplicité

Les différentes pièces constituant un kimono (à gauche), tout en lignes droites ©Musée du Quai Branly

Les différentes pièces constituant un kimono (à gauche), tout en lignes droites ©Musée du Quai Branly

Après un parcours sinueux et ascendant vers l’espace de l’exposition, le visiteur est accueilli par une vitrine présentant 2 kimonos que tout rapproche et sépare à la fois. Faisant écho au texte d’ouverture, ces 2 habits mettent en exergue une forme qui est la même, des couleurs similaires mais aussi des motifs, techniques et époques différentes. Le ton est subtilement donné car si l’on s’attend à découvrir l’histoire du kimono avec quelques surprises, on est loin d’imaginer ce que nous réserve vraiment ce parcours chronologique dans l’histoire de ce vêtement.

Dès l’entrée dans l’exposition, on découvre sur un large pan vertical de mur, toutes les pièces étalées et constituant un seul kimono : de larges bandes sans aucun plis ni courbes. Le kimono est donc bien de construction simple. Sur le mur opposé, son histoire se dévoile : tout commence avec l’époque Edo qui a vu naître et se répandre la mode du kimono. Grâce aux images d’époque (estampes, paravents,…) et aux cartons explicatifs, l’imbrication du kimono avec l’évolution de la société japonaise devient une évidence. C’est notamment l’avènement de la classe des commerçants, initialement la plus basse de la société japonaise, en classe riche et prospère qui entraîne dans son ascension l’extraordinaire développement créatif, technique et commercial du kimono, et fait en même temps, exploser le marqueur social fort qu’il représentait. Cette nouvelle classe crée littéralement la notion de mode au Japon, n’en déplaise à la classe supérieure et dominante des samouraïs qui jusqu’à présent était la seule autorisée à porter ce vêtement. Cette atteinte aux privilèges des élites incite le shogunat Tokugawa à édicter les lois somptuaires, pour tenter de contenir l’engouement du peuple pour le kimono et freiner son évolution stylistique qui s’éloigne des codes stricts, issus du néo-confucianisme et respectés depuis des siècles par la classe supérieure. Mais l’histoire est en marche et rien ne pourra contenir l’évolution et la diffusion du kimono.

Un kimono réalisé à partir d'un modèle présenté dans un numéro du Hinagata-Bon (à gauche), le magazine de mode de l'époque regroupant les modèles disponibles © Em B

Un kimono réalisé à partir d’un modèle présenté dans un numéro du Hinagata-Bon (à gauche), le magazine de mode de l’époque regroupant les modèles disponibles © Em B

Ces bouleversements économique, sociétal et stylistique se retrouvent dans les kimonos visibles dans la première partie de l’exposition. Et le parcours parmi ces magnifiques pièces nous montre deux choses.

D’abord, comment la structure et la forme simples du kimono permettent aux artisans de développer leur créativité autant dans les techniques de tissage, teinture, broderie que dans le développement des motifs dont certains se rapprochent d’une peinture ou reprennent des contes et légendes. La position des motifs est pensée en fonction du placement et du mouvement du tissu sur le corps, et l’adéquation entre techniques de tissage, techniques de teinture et de broderie donne des pièces d’une extraordinaire beauté que l’éclairage des vitrines permet d’apprécier. C’est un âge d’or pour les artisans de l’époque.

Style iki : Obi décoré et Kimono sobre © Em B

Style iki : Obi décoré et Kimono sobre ©Em B pour Journal du Japon

Ensuite, l’impact qu’a eu la classe commerçante sur le développement et la richesse des styles et l’évolution de la société japonaise. En effet, les commerçants veulent montrer leur réussite et cela passe par le vêtement : à l’opposé des kimonos de la classe des samouraïs, ils affichent des kimonos aux motifs, couleurs et matériaux luxueux, somptueux voire même extravagants. Naît alors toute une imagerie de mode avec les estampes et les premiers magazines de mode, les Hinagata-bon, mettant en scène les nouvelles idoles de l’époque (les grandes courtisanes, les Oiran, et les acteurs de kabuki) et que s’arrachaient également les femmes de samouraïs. Malgré les lois somptuaires, qui autorisent uniquement les kimono sobres, personne ne résiste à cet appel de la mode et du paraître : hommes comme femmes quelque soit leur classe, misent sur la décoration et le travail des accessoires, la qualité du fils et de la technique de tissage et reportent l’utilisation des motifs et des couleurs sur le sous-kimono, Juban, ou la ceinture, le Obi. Ce sera la naissance du style Iki : design sobre mais matières et procédés luxueux. Ce style dessinera l’idée, ou la “tradition”, que le kimono décoré ne se porte qu’en certaines occasions et dans un cadre précis (mariage, passage d’un âge à un autre…).

 Les échanges commerciaux avec l’Europe : entre fantasme et fusion

Kimono porté au Japon et fabriqué selon des technique et motifs européens © Em B

Kimono porté au Japon et fabriqué selon des technique et motifs européens ©Em B pour Journal du Japon

Si les commerçants japonais ont pu développer leur richesse et ainsi commencer l’ascension sociale qui fut la leur, c’est en partie grâce aux échanges avec les Hollandais, rares étrangers, à côté des Portugais, autorisés à commercer avec le Japon à l’époque Edo.

La seconde partie de l’exposition montre à quel point le kimono s’est rapidement popularisé en Europe dès le 17e siècle mais aussi comment les tissus et les motifs européens ont pénétré le marché japonais. La demande en kimono pour l’exportation s’accroît rapidement et pour suivre le rythme de production, les Hollandais fournissent même du tissu aux artisans japonais. C’est ainsi que des tissus produits en Angleterre, sont transformés en kimono au Japon avant d’être exportés à nouveau vers l’Europe ou vendus au Japon. Ce succès développe aussi une production de kimono sur le sol européen même, par des fabricants textiles bien installés. Les modèles présentés montrent l’interpénétration des styles des deux côtés, créant un métissage parfois surprenant, comme l’ajout de col de chemise ou la construction en forme de jupe, et parfois pertinent, comme l’appropriation du motif du faucon – inédit jusque-là au Japon – ou l’usage de techniques de tissage et broderie purement européennes pour des kimonos japonais. Dans l’espace d’exposition, les superbes modèles de kimono portés par des Européennes répondent aux fabuleux kimonos des Japonaises, visibles dans la première partie de l’exposition.

Kimono revisité pour une cliente occidentale. Le motif de glycine et la couleur pêche sont purement occidentales © Em B

Kimono revisité pour une cliente occidentale. Le motif de glycine et la couleur pêche sont purement occidentales ©Em B pour Journal du Japon

Mais ce qu’on l’on découvre est à quel point le kimono a changé la mode européenne et la manière dont le vêtement a été envisagé en Europe même. Si, comme le montre l’exposition, une partie de l’attrait des riches européens fut d’abord celui de l’exotisme et du paraître aux 18e et 19e siècles, période connue sous le nom de Japonisme, les créateurs de mode s’emparent de la structure simple du kimono et de sa forme ample pour renouveler les garde-robes et le style européens, notamment dans la mode féminine d’intérieur. Plusieurs vitrines donnent à voir les amples gilets et les kimonos revisités (formes, couleurs, motifs) et font directement écho dans notre esprit avec la fameuse forme kimono du vestiaire occidental, connue et populaire encore aujourd’hui. Les hommes n’étaient pas en reste mais les habits masculins ayant survécu au passage du temps sont plus rares. On peut néanmoins admirer un magnifique peignoir ayant appartenu à un riche Écossais ainsi qu’un étonnant costume 3 pièces décorés d’éléments asiatiques.

L'introduction des motifs géométriques à partir du 20ème siècleodernes © Em B

L’introduction des motifs géométriques à partir du 20e siècle ©Em B pour Journal du Japon

Avant de passer à la troisième et dernière partie de l’exposition, un présentoir occupe un coin de la pièce. Y sont décrites les méthodes de tissage les plus répandues et leurs combinaisons avec la broderie. On peut y toucher des bouts de tissus fabriqués et décorés selon les méthodes expliquées. Toucher permet de concrétiser ce qu’on l’on vient d’admirer dans les vitrines, c’est un peu la touche finale qui complète la vision en 3D. Et en touchant ces petits bouts d’étoffes, on appréhende mieux leur tombé ou les sensations du tissu quand celui-ci est porté.

Le second espace de l’exposition se termine par un corridor qui retrace les 60 dernières années de production du kimono du plus traditionnel au plus revisité. On peut y admirer de splendides pièces décorées de motifs géométriques ou abstraits, introduisant de la sorte des motifs plus modernes auprès de ceux purement figuratifs jusqu’ici dominants. Enfin, les photos de Bowie ou Björk faisant face au superbe kimono “féminin” de Freddie Mercury, nous rappellent à quel point le kimono, unisexe de base, n’a jamais eu de cesse d’effacer les formes et ainsi de brouiller les genres, remettant en cause des siècles de séparation des corps féminin et masculin par le vêtement, très ancrée dans la culture occidentale.

L’habit du futur

La jeune génération japonaise se réapproprie le kimono en contestation avec la fast fashion © Em B

La jeune génération japonaise se réapproprie les kimonos vintage ©Em B pour Journal du Japon

La troisième et dernière partie de l’expo présente la création contemporaine. Longtemps source d’inspiration pour la haute couture, le kimono connaît aujourd’hui le succès à la fois auprès des jeunes Japonaises et Japonais, lassés du renouvellement incessant de la fast fashion, et chez les créateurs internationaux d’une mode plus casual wear. Dans les deux cas, le côté global et atemporel du kimono ressort avec force et évidence. Les Japonaises dénichent des kimono vintage, en seconde main, qu’elles portent en l’état ou customisés. Revisités de la sorte, accessoirisés de sacs, bijoux et maquillages actuels, l’hybridation stylistique fonctionne bien et le mélange entre tradition et présent matche : l’intégration du kimono dans le Japon du 21e siècle est belle. A quelques pas des photos des jeunes citadines japonaises, la collection Wafrica de Serge Mouangue démontre un métissage réussi entre deux cultures textiles et vestimentaires fortes et que l’on aurait tendance à opposer. Le kimono japonais et le tissu africain fusionnent à merveille et transcendent les frontières, les cultures ainsi que les traditions et les préjugés dans une exceptionnelle modernité. Voici, la preuve évidente d’une « troisième voie » ou d’un autre possible car si le vêtement est porteur d’identité et de territoire, clairement, la proposition de Serge Mouangue étend ces notions-même.

La collection Wafrica de Serge Mouangue, parfait exemple de la modernité du kimono © Em B

La collection Wafrica de Serge Mouangue, parfait exemple de la modernité du kimono au 21e siècle ©Em B pour Journal du Japon

Autre vision contemporaine et pertinente du kimono est celle offerte par la mode masculine. Les modèles pour hommes occupent la moitié de la pièce. Ils proposent des styles ultra modernes qui mixent le kimono avec la mode et les accessoires masculins actuels ou font du kimono l’élément clé qui apportent aux tenues élégance et originalité. Sont exposés des modèles de la collection 2016 de Thom Browne alliant kimono et costumes occidentaux, ou encore de Akira ISOGAWA, mixant codes du style australien, son pays d’adoption, avec ceux du kimono. A noter aussi la présence de modèles de Jôtarô SAITO et de Yohji YAMAMOTO qui, à travers leur revisitation du kimono, affirment leur conviction que les distinctions de genres n’ont plus lieu d’être, que ce sont de simples mots qu’il est facile d’oublier. Le modèle exposé de Yohji YAMAMOTO brouille la frontière du genre quant à celui de Jôtarô SAITO, il efface littéralement la distinction féminin-masculin dans sa présentation même de modèle unisexe. Le tout dans une parfaite fluidité. Tout colle, tout fusionne, tout est cohérent et pertinent. On arpente cet espace d’exposition avec une vision enrichie du kimono allant au-delà de son image fantasmée, et amenant clairement l’idée qu’il est un véritable atout pour l’avenir de la mode.

Avec ce modèle (à droite) Yohji YAMAMOTO affiche sa conviction que "les distinctions de genre finiront par être dépassées". Kimono créé pour les 450 ans de Chiso, fabricant reconnu de kimonos © Em B pour Journal du Japon

Avec ce modèle (à droite) Yohji YAMAMOTO affiche sa conviction que « les distinctions de genre finiront par être dépassées ». Kimono créé pour les 450 ans de Chiso, fabricant reconnu de kimonos © Em B pour Journal du Japon

Modèle de Akira ISOGAWA (à gauche) brassant codes stylistiques australiens avec ceux du kimono et modèle unisexe de Jôtarô SAITO (à droite) © Em B

Modèle de Akira ISOGAWA (à gauche) brassant codes stylistiques australiens avec ceux du kimono et modèle unisexe de Jôtarô SAITO (à droite) ©Em B pour Journal du Japon

Amoureux du Japon et de la mode, si vous passez par Paris avant mai 2023, n’hésitez pas à visiter cette exposition. Elle offre un parcours fourni sur l’histoire du kimono repoussant les limites des croyances et des connaissances sur cette pièce du vestiaire international. La beauté des modèles exposés opère et on se laisse facilement aller à la contemplation de certains d’entre eux. Et en parallèle de son côté purement esthétique et informative, cette exposition nous pousse à la réflexion sur la mode et son état actuel et donne envie d’en voir et d’en savoir plus.

 

Plus d’informations sur le site du musée du Quai Branly. Merci à l’équipe du musée pour son accueil.

Vous pouvez également consulter notre article sur le kimono.

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