Normandie : le petit coin de Japon de Chikako et Sam

Chikako est arrivée en France en 2015. C’est à l’aéroport du Kansai qu’elle fait la rencontre qui changera sa vie. En apportant son aide à un français perdu au Japon, elle ne sait pas encore qu’elle vient de rencontrer l’homme qui deviendra son mari. Aujourd’hui, ils vivent en Normandie où ils cultivent des produits japonais dans un petit coin de paradis.

Son mari Sam a voulu construire un morceau de Japon pour sa femme Chikako. Une très belle preuve d’amour qui les a menés à penser à la construction d’une petite maison japonaise accompagnée d’un jardin au cœur de leur jardin. Nous avons été intrigué.es par leur histoire et les avons contactés pour une petite conversation dans la simplicité de leur quotidien bien rempli.

petite maison japonaise normandie

©Mathieu Normand

Un petit coin de Japon en Normandie

Du Japon vers la France

petite maison japonaise normandie

©Chikako

JDJ: Pouvez-vous vous présenter pour nos lecteurs ?

Chikako: Je m’appelle Chikako. Je suis originaire d’une petite île qui s’appelle Awaji-shima au Japon. Je suis arrivée en France fin 2015. Ca fait déjà 7 ans que je vis ici en Normandie avec mon mari français. Actuellement comme nous avons un grand jardin, nous cultivons beaucoup de légumes japonais. Nous avons aussi des animaux : des poulets, des poules, des canards…

Comment êtes-vous arrivée en France ?

Simplement, j’ai rencontré mon mari en 2013. C’était son premier voyage au Japon. A l’aéroport du Kansai, il a eu un problème de retrait d’argent, car souvent au Japon il n’y a pas d’anglais. J’étais de passage à l’aéroport du Kansai pour aller à Okinawa. Je suis descendue pour prendre le bus à destination d’Awaji-shima, je l’ai vu et j’ai essayé de l’aider un peu. C’est comme ça que l’on a échangé nos mails et on a commencé à correspondre pendant 2 ans. Nous nous sommes mariés par la suite et je suis venue vivre en France.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de vous installer en Normandie ?

Mon mari est né en Normandie. Il y a toujours vécu. Il a acheté cette maison il y a 20 ans. Je l’ai donc naturellement rejoint ici.

Cultiver son propre jardin

Vous cultivez vos propres ingrédients japonais au jardin. D’où vous vient cet amour pour la cuisine ?

Même quand j’étais au Japon, j’ai toujours aimé la cuisine. Mais pas comme maintenant. Dans la maison de mes parents, la cuisine était très petite. Donc je faisais au mieux. Je faisais des bentō. En fait, c’est mon père qui était cuisinier. Il avait son propre restaurant de sushis, j’ai grandi en voyant ma famille y travailler. Mon grand-père (le père de ma mère) était également cuisinier.

Donc ça a eu un impact sur vous en grandissant…

Oui ! Pour moi c’était très naturel de voir comment ça se passait dans la cuisine avec mon père.

Quelles sont les difficultés ou les avantages que vous rencontrez à cultiver des ingrédients japonais en

petite maison japonaise normandie

©Chikako

France, notamment en Normandie ?

Plutôt des inconvénients. En premier lieu, avec le climat, il est difficile de faire pousser certains légumes avec le froid. Nous avons 3 serres. On a pu cultiver les légumes asiatiques et le yuzu aussi grâce aux serres. Le yuzu résiste jusqu’à -10°C. Mais ils sont quand même dans les serres car lorsque les courants froids arrivent, nous les protégeons en les couvrant avec des bâches.

Cultiver des fruits et légumes japonais en France

Au-delà des yuzu, on voit sur Instagram que vous avez aussi des umeboshi (des prunes japonaises que l’on fait en salsifi, ndlr) ? Ca aussi c’est difficile à cultiver ?

Non, les ume c’est comme les abricots, ils sont en extérieur. Par contre on a aussi le sudachi, vous connaissez ? la spécialité de Tokushima, sur l’île de Shikoku. C’est un agrume vert que l’on consomme beaucoup dans le Kansai. Tu as déjà goûté ?

Non ça ne me dit rien, je ne pense pas …

C’est différent du yuzu. Mon mari a ramené un sudachi du Japon il y a 8 ans, il a récupéré les graines, et il les a plantées. Nous avons attendu les premières fleurs pendant 8 ans. En japonais on dit : « 桃栗三年柿八年 » Momo kuri san nen kaki hachi nen : les pêches et les châtaignes 3 ans, les kaki 8 ans. Le yuzu, on dit qu’il faut 10-15 ans. Si on commence par les graines, il faut attendre 10 ans. Souvent les personnes achètent le greffé pour aller plus vite, mais nous, à partir des graines, nous avons attendu 8 ans.

Vous avez d’autres choses ? Par exemple en légumes ?

Nous avons les classiques que l’on trouve en France, mais aussi des légumes japonais comme les goya (croisement entre le concombre et le cornichon mais il est surtout connu pour son goût très amer, ndlr) et les épinards japonais « hōrensō ».

Il y a une différence avec les épinards français ?

Je trouve que oui, au niveau du goût, mais aussi de la texture. En France, on mange plutôt les feuilles. Au Japon on consomme toute la plante, y compris les tiges. C’est plus tendre je trouve. Chez nous, on cuisine plutôt les épinards japonais.

Nous cultivons aussi les naganasu (les aubergines longues japonaises). J’ai acheté les graines au Japon. Nous avons également du komatsuna (コマツナ/小松菜 ou moutarde épinard). Et nous cultivons les shiitake, sur le bois. Il y a deux façons de cultiver le shiitake. Au Japon c’est pareil. Le shiitake du supermarché se cultive sur la paille. Cette technique permet une production industrielle. Une autre technique est la cultivation sur le bois : c’est celle que nous utilisons chez nous.

La production de shiitake bio et artisanale

Chikako appelle son mari Sam pour nous expliquer plus en détail la technique.

petite maison japonaise en normande

©Chikako

Sam : Hajimemashite (enchanté) ! Ce n’est pas très difficile à faire, si on veut cultiver des shiitake dans le bois. Mais il faut beaucoup de patience, parce qu’à partir du moment où on plante la cheville avec le mycelium (le blanc de champignon, ndlr) il faut attendre 17 mois avant de récolter. Mais par contre, le goût du shiitake est bien meilleur. Le shiitake se nourrit du bois, il détruit le bois. Au bout d’un an et demi, deux ans, le bois meurt car le shiitake a pris toute la fibre et c’est ce qui donne un goût particulier, différent.

C’est la technique la plus utilisée au Japon ?

Sam : ça dépend. Les shiitake un peu plus industriels sont faits sur des copeaux de paille avec des produits chimiques dedans, c’est moins naturel. Ça permet de cultiver à plus grande échelle. Dans les restaurants kaiseki au Japon, c’est souvent des shiitake qui sont faits sur du bois car c’est plus précieux, beaucoup plus goûteux et naturel.

Produire pour sa consommation personnelle ou des restaurants ?

Est-ce que cette production a pour seul but votre consommation, ou est-ce que parfois vous vendez à des restaurants ?

Sam : au départ, c’est pour notre consommation. Quand Chikako est arrivée en France, il était compliqué de trouver ce type de produit, et il n’était pas possible de rapporter des kilos et des kilos du Japon. Donc on a essayé de produire. Mais quand on produit, c’est bête de produire uniquement pour nous. On a un grand terrain. Si on produit 10 shiitake ou 200, c’est le même travail.

Nous avons eu beaucoup de récoltes et Chikako partage avec toute la diaspora japonaise qui est autour. Et puis quand on a trop, on vend. On a commencé à vendre un peu pour payer les graines. Ce n’est pas vraiment pour gagner de l’argent. Ce n’est pas facile pour une Japonaise de dire cela, mais nous sommes fiers de ce que nous faisons. On n’utilise que des produits bio, pas de produits chimiques. Là par exemple, tous les yuzu de cette année sont pratiquement tous partis à Paris. On a fait un aller-retour à Paris dans de bons restaurants, pour des gens qui connaissent.

petite maison japonaise normande

©Chikako

C’est une tendance actuellement. Il y a beaucoup de Japonais qui s’installent en France et qui cultivent dans différentes régions, dont la Normandie. Et les restaurants recherchent beaucoup ce type de produits de très haute qualité en fait… C’est pour cela que je me posais la question par rapport à votre propre production.

Sam : oui effectivement il y a beaucoup de demande, mais nous ce n’est pas ce qu’on veut faire. On ne peut pas fournir toute l’année et ce n’est vraiment pas ce qu’on veut faire. Quand on a un surplus de récoltes, ça nous fait plaisir de les vendre, parce qu’on est fiers de nos produits. Je vous laisse !

Sam s’éclipse et l’interview continue avec Chikako

Cuisine française et japonaise

Un petit coin de Japon en Normandie

©Chikako

Chikako : pour finir, on fait également le satsumaimo, la patate douce japonaise. En été on fait aussi les edamame !

Quel est votre ingrédient japonais préféré et pourquoi ?

J’adore le shiso et le mioga. En français on dit du gingembre japonais. Ca a un goût particulier. En été on en consomme beaucoup au Japon avec les somen, on les cultive aussi. J’aime aussi beaucoup le yuzu kosho. On en a fait cette année avec du sudachi. Ça se marie bien avec la viande, le poisson ou encore le tofu. Et également le wasabi. Tous ces ingrédients donnent du peps à la cuisine et je les apprécie beaucoup.

Et quelle est la base d’un plat japonais réussi ?

Je dirais le dashi, le trio soja, mirin et sake, c’est la base. Avec des choses simples, si les ingrédients sont très frais et de qualité, on fait de très bonnes choses. J’aime les choses simples.

En quoi la cuisine japonaise diffère-t-elle de la française ?

Je pense que la cuisine japonaise requiert plus de travail dans la préparation. Dans la cuisine quotidienne, la cuisine française est plus simple. Mais au Japon, on prépare du riz avec le plat principal, et plein de petits plats à côté. C’est plus équilibré je trouve.

Je suis d’accord aussi. Comment est née l’idée de partager votre passion sur Instagram ?

Simplement, j’ai commencé Instagram pour améliorer mon français. Quand je suis arrivée, je ne pouvais pas parler français. Juste « bonjour » et quelques petites choses. Je n’avais pas l’occasion d’écrire non plus. Donc j’ai commencé Instagram. Et au début, mon mari m’a beaucoup appris.

Et du coup comment vous en êtes arrivée à poster sur la cuisine ?

C’est plutôt axé sur le jardin. C’est intéressant de partager comment on cultive les légumes, et ce que l’on cuisine avec.

Une salle japonaise au coeur de la Normandie

petite maison japonaise en normandie

©Chikako

Vous avez un compte Instagram dédié à la construction d’une salle de cérémonie du thé japonaise, entièrement construite par votre mari en Normandie. Quel est votre projet avec cette salle ? Pouvez-vous nous en dire plus ?

Au début on avait pensé à une 茶室 chashitsu, une salle pour la cérémonie du thé. Mais pour cela, il y a beaucoup de règles. Il faut avoir un petit 茶釜 chagaman (théière en fonte). Donc ce n’est pas notre objectif.

On a transformé le concept en 和室 washitsu (une petite pièce japonaise). Au fond de notre terrain, il y avait un vieux bâtiment où l’on entreposait les outils. C’est pendant la première année de covid, durant laquelle on est restés souvent à la maison, qu’on s’est dit que peut-être on pourrait faire un jardin japonais. Et pourquoi pas y construire une maison japonaise. C’était un petit bâtiment, on a commencé par tout détruire puis construire la maison japonaise à cet emplacement. Et c’est Sam qui la construit.

Et ce projet aussi, c’est juste pour vous ? Qu’est-ce que vous comptez en faire ?

On l’a presque finie. On va commencer à créer le jardin japonais autour du bâtiment. C’est pour avoir un petit coin japonais, prendre le thé en été avec les amis. Un jour peut-être si c’est possible je pourrai faire la cuisine à l’intérieur, mais ce n’est pas encore décidé.

Le mot de la fin

Je vous laisse le mot de la fin. Est-ce que vous souhaitez aborder un sujet que nous n’aurions pas évoqué ?

J’aime beaucoup la vie à la campagne en France. Bien sûr, j’aime sortir au restaurant avec des amis de temps en temps, mais la vie quotidienne à la campagne me plaît et je préfère rester ici. J’ai appris à jardiner avec mon mari. Au Japon, tout est pratique. Et je ne faisais pas attention au bio. Quand j’ai commencé à cultiver le jardin, j’ai commencé à m’intéresser aux pesticides, à ce qu’on met sur les produits …

Est-ce que vivre en France, voire en Normandie, change beaucoup du Japon ? Y a-t-il quelque chose de différent ?

Le regard des autres. Je ne fais plus attention, plus besoin d’être trop carrée. C’est une grande différence pour moi. Bien sûr ça dépend de la personnalité. Mais moi, je préfère.

 

On dirait bien que Chikako et Sam ont trouvé le parfait équilibre entre France et Japon dans leur petit coin de paradis, au coeur de la Normandie. Nous continuerons à suivre les délicieuses recettes de Chikako sur Instagram, ainsi que le défilé des saisons dans leur joli jardin japonais. 

Aujourd’hui, de plus en plus de Français recherchent une maison au Japon à reconstruire et où s’y installer. L’inverse est plus rare. Et vous, y avez-vous déjà songé ? Racontez-nous vos expériences !

Compte Instagram de cuisine et récoltes: Chikako

Compte Instagram maison japonaise

 

Cristina Thaïs

Je suis passionnée de culture japonaise. J'aime étudier, comprendre les différences et les complexités de ce magnifique pays, non sans mille contradictions. Je voyage une fois par an au Japon pour le parcourir de long en large. J'ai un point faible pour les expositions, la mode, les cosmétiques japonais, le J-rap et la bonne cuisine locale. J'adore échanger sur ces sujets, alors n'hésitez à me laisser un commentaire! @tinakrys

2 réponses

  1. Annie Dray dit :

    Bonsoir,
    Est-ce que Chikako et Sam ont le projet d’ouvrir des chambres d’hôtes ?
    Merci,
    A. D.

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