Mariage pour tous au Japon : un long chemin à parcourir 

En 2023, le Japon est l’un des 2 seuls pays du G7 (Allemagne, Canada, États-Unis, France, Italie, Japon et Royaume-Uni) à ne pas reconnaître le mariage entre personnes de même sexe, avec l’italie. Plusieurs couples ont saisi la justice et ont reçu des décisions judiciaires favorables. Toutes les voix ne vont cependant pas dans le même sens. Et la plus importante, celle du gouvernement décisionnaire, exprime parfois une opinion en total décalage avec ce que semble penser la majorité des Japonais. On revient sur les possibilités d’unions actuelles pour les couples homosexuels et sur les initiatives destinées à faire évoluer la situation.

Mariage gay au japon

Gare de Shibuya au Japon – Photo de Bohdan Maylove sur Unsplash

Où en est le mariage homosexuel au Japon en 2023 ?

Les couples LGBT ne peuvent pas se marier au Japon, ce qui fait de l’archipel nippon l’un des derniers pays du G7, qu’il préside actuellement, à ne pas autoriser cette union de personnes de même sexe, aux côtés de l’Italie. Là où l’opposition est essentiellement liée à la religion dans les pays d’Europe (on rappelle qu’il a fallu deux longues années de manifestations en France pour rendre cette union légale en 2013), c’est la constitution japonaise qui pose ici problème. En effet, le premier paragraphe de l’article 21 stipule que :

« Le mariage est fondé uniquement sur le consentement mutuel des deux sexes, et son maintien est assuré par coopération mutuelle, sur la base de l’égalité de droits du mari et de la femme. »

Des termes sans ambiguïté qui permettent au gouvernement de s’opposer légalement à ce type d’unions, comme l’ont fait publiquement des personnalités politiques aussi importantes que Shinzo ABE en 2015 ou la députée Mio SUGITA qui se demandait en 2018 « s’il fallait utiliser l’argent des contribuables » pour des personnes qu’elle juge « non productives » car « ne pouvant pas se reproduire ». Un discours qualifié de haineux par les défenseurs des droits à l’égalité, qui a suscité de vives réactions chez les habitants de plusieurs villes majeures du pays, mais une sorte d’indifférence de la part des représentants du Parti Démocratique au pouvoir.

Le gouvernement japonais préfère avancer avec une extrême prudence sur le sujet du mariage pour les couples homosexuels, en prétextant qu’il s’agit d’un problème nouveau, qui doit être examiné avec une attention toute particulière. Dans les faits, rien ne bouge au niveau étatique, mais certaines municipalités prennent les devants avec la mise en place d’un système de partenariat enregistré, qui constitue un premier pas vers la légalisation du mariage pour les couples LGBT.

Le partenariat enregistré : une solution temporaire qui ne satisfait qu’à moitié

Le système de partenariat (パートナーシップ証明制度, pātonāshippu shōmei seido) est une certification proposée dans 255 municipalités et 10 départements du Japon (en 2023). C’est la municipalité de Shibuya qui a été la première à décider de le lancer en avril 2015, avant que d’autres villes et départements ne lui emboîtent le pas. Aujourd’hui, ce système de partenariat couvre 65,2 % du territoire nippon et 4 186 couples y ont eu recours en date du 31 décembre 2022.

Carte du mariage homosexuel au Japon

Infographie du mariage pour tous en 2023 (Source : mariageforall.jp)

Le partenariat enregistré offre aux couples de même sexe certains bénéfices destinés notamment à leur simplifier la vie : un accès facilité à la location d’un bien en commun, qui reste une démarche compliquée pour deux hommes ; le droit de visite de son partenaire lors d’une hospitalisation, réservée à la famille proche ; un pouvoir décisionnel en cas d’urgence médicale. Toutefois, cette certification n’a aucune valeur légale. De fait, les organismes concernés ne sont pas obligés d’en tenir compte et les bénéfices octroyés sont bien loin de ceux conférés par un mariage officiel. Parmi les points les plus problématiques, on peut citer :

  • En cas de décès de l’un des partenaires, le partenaire survivant n’est pas éligible à l’héritage et pourrait donc se retrouver à la rue et dépossédé de tout bien, s’il n’est pas inscrit comme bénéficiaire sur un testament.
  • Les visites en tant que membre de la famille à l’hôpital peuvent être refusées, puisque l’acceptation de la certification de partenariat se fait au bon vouloir de l’établissement.
  • Un partenaire n’a aucun droit sur l’enfant biologique de l’autre, ce qui peut causer la séparation d’un enfant et de son parent non-biologique en cas de décès ou d’incapacité du parent biologique à l’élever.
  • Dans le cas d’un couple international de même sexe, le partenaire non-japonais ne peut pas se voir accorder un visa d’époux, comme c’est le cas pour les couples internationaux hétérosexuels.
  • Les couvertures d’assurances familiales offertes en compensation par certaines entreprises ne couvrent pas un partenaire dans le cas d’une union sous le système de partenariat.
  • La certification n’est valable que dans la ville ou département d’émission, à moins d’un accord entre plusieurs villes ou départements.

Si l’intention est louable et que l’on peut considérer que ce système est un pas en avant vers la légalisation du mariage pour tous au Japon, c’est une solution encore trop timide. Elle est loin de pleinement satisfaire les couples concernés. Afin de faire bouger les choses, certains ont décidé de mener des actions en justice, avec des résultats pour l’instant mitigés.

Carte du mariage pour tous à travers le monde en 2023

Carte du mariage pour tous à travers le monde (Source : hrc.org-min)

Décisions de justice : entre espoirs et rejets

En 2019, 16 couples ont décidé de contester l’interdiction du mariage homosexuel en engageant des poursuites judiciaires, dans les villes de Tokyo, Nagoya, Osaka, Sapporo et Fukuoka. Pour les plaignants, interdire aux personnes de même sexe de se marier va à l’encontre de l’article 14 de la constitution japonaise qui stipule que :

« Tous les citoyens sont égaux devant la loi ; il n’existe aucune discrimination dans les relations politiques, économiques ou sociales fondée sur la race, la croyance, le sexe, la condition sociale ou l’origine familiale. »

Couple de femmes, Japon

Couple de femmes au Japon – Photo de Kobu Agency sur Unsplash

Selon eux, interdire le mariage homosexuel constitue bel et bien une discrimination. Et le premier tribunal à rendre son verdict, celui de Sapporo qui s’est prononcé le 17 mars 2021, leur a donné raison en considérant cette interdiction comme étant anticonstitutionnelle. Une première décision encourageante pour les couples LGBT, qui a suscité l’espoir d’un changement rapide. Hélas, ces espoirs ont été douchés assez vite par les verdicts des tribunaux d’Osaka (en juin 2022) et de Tokyo (en novembre 2022) qui ont confirmé que l’interdiction du mariage homosexuel était en accord avec la Constitution. Les décisions des tribunaux restants, ceux de Nagoya et de Fukuoka, sont attendues dans le courant de l’année 2023.

Si ces initiatives n’ont pas porté leurs fruits de la manière attendue par les couples ayant engagés les poursuites, elles ont toutefois mis la pression sur la Diète en attirant l’attention sur un véritable problème de société. À Tokyo, la cour qui a conforté la valeur constitutionnelle de l’interdiction s’est tout de même prononcée en faveur d’un changement dans la législation, en vue d’offrir aux couples non mixtes des protections légales. Mais à en croire les dernières déclarations de certains hommes politiques en place, le message ne semble pas avoir été entendu.

Les déclarations malvenues d’une classe politique dépassée  

En janvier 2023, l’actuel Premier ministre Fumio KISHIDA expliquait que la question du mariage pour tous devait être considérée avec une extrême précaution, puisqu’elle pourrait « affecter l’ensemble de la structure familiale au Japon ». Des propos qui témoignent d’une certaine fébrilité sur le sujet et qui s’inscrivent dans la droite lignée des idées défendues par le Parti libéral-démocrate déjà du temps de Shinzo Abe, ce que n’ont d’ailleurs pas oublié les opposants à ses funérailles nationales.  

Fumio Kishida sur le mariage gay

Fumio Kishida – Photo de 外務省 pour le Ministère des Affaires étrangères japonais sur mofa.go.jp

Toutefois, les récentes déclarations de Masayoshi ARAI, l’un de ses secrétaires exécutifs, ont poussé Kishida à atténuer un peu sa position puisqu’il s’est engagé verbalement à faire voter rapidement une loi contre les discriminations liées à l’orientation sexuelle. Rien d’acté pour l’instant, et certains opposants n’y voient qu’une déclaration démagogique de plus visant à calmer l’opinion publique après le tollé provoqué par Arai. Ce dernier avait affirmé qu’il ne « voudrait pas avoir pour voisins des couples LGBT », qu’il « avait horreur ne serait-ce que de les voir » et qu’il estimait que « des Japonais fuiraient le pays si le mariage homosexuel venait à être légalisé ». Des propos scandaleux, choquants et bien loin de la société inclusive dont parle Kishida. En réaction, le Premier ministre a licencié Masayoshi Arai mais les partisans du mariage pour tous et les citoyens prônant l’égalité ne décolèrent pas.

De nombreux membres du PLD restent fermement opposés à la légalisation du mariage homosexuel. Ils brandissent plusieurs arguments qui peuvent sembler dépassés voire totalement inappropriés. Le premier, c’est de mettre en avant le rôle traditionnel de la femme dans l’éducation des enfants. Une position qui se défend et qui a été l’un des arguments majeurs des opposants au mariage pour tous dans de nombreux autres pays. Le second est nettement plus problématique, pour ne pas dire absurde, puisqu’il consiste à dire que l’union légale de couples LGBT pourrait mettre en péril l’avenir de la nation, toujours empêtrée dans une profonde crise démographique, car ils ne peuvent pas se reproduire. Mais en quoi l’interdiction du mariage pour tous favoriserait-il plus de naissances ?

À travers ce type de déclarations, on peut surtout déceler les réticences d’une classe politique peu encline au progrès, qui se repose sur les valeurs traditionnelles d’une nation vieillissante, à contre-courant avec ce que pensent la grande majorité des citoyens de l’archipel. En effet, les Japonais semblent très favorables à une modernisation du pays en faveur de l’obtention des mêmes droits pour tous, comme en attestent les nombreuses études sur le sujet.

L’opinion publique toujours plus favorable, les entreprises engagées

Si les Japonais peuvent être assez conservateurs dans certains domaines, notamment celui de l’immigration, ils savent se montrer étonnamment progressistes et ouverts quand il s’agit de défendre l’accès aux mêmes droits pour tous les citoyens. En examinant les résultats des enquêtes d’opinion, on constate que les Japonais sont toujours plus favorables au mariage pour les personnes de même sexe, ou au moins à une reconnaissance de leur union de manière légale.

Bien sûr, des écarts conséquents sont à noter entre les générations, avec 72 % d’opinions favorables chez les moins de 20 ans et seulement 24 % chez les plus de 70 ans en 2015, selon une étude menée par l’Institut national de recherche japonais sur la population et la sécurité sociale. Mais dès 2017, on constate que de plus en plus de Japonais de tout âge s’ouvrent à l’idée du mariage homosexuel. Une étude de la NHK montre que 51 % des Japonais y sont désormais favorables. En 2018, l’institut de relations publiques Dentsu publie les résultats d’un sondage intéressant à plusieurs égards. On y apprend que 87,3 % des individus dans leur vingtaine sont pour le mariage des couples homosexuels. 81,2 % des trentenaires y sont favorables. 77,5 % des quarantenaires le soutiennent. Et les quinquagénaires sont 72,5 % à être d’accord avec cette idée. En faisant les comptes, on réalise que près de 80 % des 20-50 ans sont donc pour la reconnaissance officielle de cette union. Par la même occasion, on constate que les femmes sont plus ouvertes à l’idée (87,9 % contre 69,2 % pour les hommes).

Femmes en yukata au Japon

Femmes en yukata au Japon – Photo de Paul Wong sur Unsplash

L’une des études les plus récentes, menée en 2019 et publiée en 2020 par une université privée de Hiroshima et qui inclut les personnes de 60 ans et 70 ans, fait état de résultats similaires. Une opinion favorable à presque 65 %, pour environ 30 % d’opposants (chez les plus âgés, en grande majorité). Même son de cloche dans le dernier rapport publié par le Asahi Shimbun, avec 65 % des Japonais soutenant le mariage pour les personnes de même sexe. Quand on compare les chiffres présentés au fil des ans, un constat saute aux yeux : le peuple japonais semble de plus en plus favorable au mariage pour tous. Apparemment, ce n’est pas suffisant pour faire plier le gouvernement, mais des protagonistes inattendus viennent d’entrer en jeu, avec un poids qui pourrait peser dans la balance : les grandes entreprises japonaises.

Alors qu’on les imagine assez souvent comme rigides dans leur fonctionnement et peu ouvertes aux bouleversements majeurs, des entreprises aussi importantes que Sony, Toshiba, Fujitsu, NEC, Panasonic, Shiseido ou encore Yamaha se sont engagées en faveur de la légalisation du mariage pour tous, via une initiative baptisée « Business for Marriage Equality » et lancée par un regroupement de trois ONG nipponnes : Marriage For All Japan, Lawyers Network for LGBT and Allies (LLAN) et Nijiiro Diversity. En février 2023, on dénombre 348 signataires soucieux de faire évoluer les mentalités, mais aussi de ne pas perdre en compétitivité sur le marché international. On sait que le Japon est très mal classé en termes d’attractivité, et le blocage de la reconnaissance de ce droit fondamental ne semble que conforter cette image de pays en retard que peuvent avoir de nombreux étrangers.

La stigmatisation des couples LGBT au Japon n’est pas nouvelle, mais contrairement aux types d’oppositions rencontrés eu Europe ou aux États-Unis, souvent fondées sur des croyances religieuses, le problème ici se trouve plutôt dans la représentation très traditionnelle de la famille et dans une véritable méconnaissance de l’homosexualité, dans un pays où les couples de même sexe ont tendance à se cacher. Toutefois, les efforts conjoints des associations et des entreprises et le large soutien de l’opinion publique pourrait forcer le gouvernement à adopter des mesures en faveur de la légalisation du mariage pour les couples du même sexe, puisque la question ne peut plus être ignorée.

Sources :

Mickael Lesage

J’ai découvert le Japon par le biais d’un tome de Dragon Ball il y a fort longtemps et depuis, ce pays n’a jamais quitté mon cœur…ni mon estomac ! Aussi changeant qu’un Tanuki, je m’intéresse au passé, au présent et au futur du Japon et j’essaie, à travers mes articles, de distiller un peu de cette culture admirable.

3 réponses

  1. Anonymes dit :

    J’espère qu’il vont enfin arranger le chose mais pour moi le seule principal soucie c’est les Yaoi et Bara. Cela fait plus de 20 ans qu’il n y a pas eux un seul ou plus Ova/Animés à part les autres version Ova Yaoi mais peu d’animé très mal adapté pourrie et cas désespérer et trop de censure infernal. enfin j’espère aussi qu’il vont arrêter leurs excuse et penser aux fans des Yaoi et Bara et que les Studios fasse plus ou des million Ova/Animé avec des scènesb « HOT » et retiré définitivement cet …… censure.

  2. AE dit :

    L’Italie n’a pas non plus de Mariage pour tous, contrairement à ce que vous avancez en disant que le Japon est le seul pays du G7 à ne pas l’avoir.

    • Bonjour Alexandre et merci pour cette précision.

      L’Italie est en effet dans une situation proche du Japon. Elle propose une union civile qui n’accorde pas les mêmes droits que le mariage et un refus du mariage pour tous. La politique actuelle n’offre, en plus, que peu d’espoir d’une évolution à court terme.
      Je corrige ça, en vous remerciant d’avoir pris le temps de nous lire et de nous faire ce retour.

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