Akiko Higashimura : portrait d’une mangaka féministe et surprenante

Particulièrement reconnue et appréciée pour ses shôjo depuis de nombreuses années au Japon et remarquée en France grâce à sa série Princess Jellyfish éditée chez Delcourt, Akiko HIGASHIMURA est une autrice de mangas débordante d’humour et d’énergie. Cette dernière n’hésite pas à travailler sur plusieurs projets en même temps et à livrer avec ses assistants une centaine de pages par mois à son éditeur. Passionnée depuis son plus jeune âge, elle ne cesse de se renouveler et d’étonner les lecteurs et lectrices, tout en mettant en avant des personnages avec une certaine personnalité et des situations où ils peuvent souvent s’identifier. 

Profitant d’une actualité riche avec plusieurs titres en cours de parution, Journal du Japon vous propose donc, aujourd’hui, un portrait de cette mangaka pas comme les autres…

Akiko HIGASHIMURA : Une carrière ambitieuse

Originaire de la préfecture de Miyazaki, Akiko HIGASHIMURA naît le 15 octobre 1975. Elle se passionne très jeune pour les shôjo qu’elle découvre grâce aux magazines de prépublication Ribon et Bouquet (qui deviendra le célèbre magazine Cookie par la suite) et rêve de devenir une mangaka célèbre. Par ailleurs, elle dessine sa première histoire en CM2 sur un enfant détective Tantei Puttsun Monogatari et suit des cours d’art au club du lycée. Afin de préparer son entrée à l’école des beaux arts, celle-ci suit des cours de dessin avec un professeur sévère et peu sympathique, mais attaché à la réussite de ses élèves. Ce dernier n’hésite pas à l’accompagner durant de nombreuses années et notamment à la fin de ses études. En effet, une fois diplômée en section peinture à huile de l’école d’art de Kanazawa, elle travaille comme employée de bureau dans la boîte télécom de son père et en tant qu’assistante de son ancien professeur à Miyazaki. En parallèle, elle participe à des concours de dessin des magazines de prépublication et débute sa carrière à 23 ans en 1999 dans le numéro spécial “ Nouvelle Année” du magazine Bouquet avec une histoire courte : Fruits Koumori. La jeune mangaka s’installe à Tokyo, et se lance dans sa première série en 2001, Kisekae Yuka-chan,( inédit en France) portée sur la mode.

KAKUKAKU SHIKAJIKA © 2011 by Akiko Higashimura / SHUEISHA Inc.

Aujourd’hui, HIGASHIMURA a réalisé vingt deux œuvres dont deux publiées sur des plateformes de lecture en ligne. Autrice de shôjo renommée, elle est récompensée de nombreuses fois et connait de nombreuses adaptations, en anime (pour Princess Jellyfish uniquement) et en drama. 

Quelle est la force des mangas d’Akiko HIGASHIMURA ? Son style visuel et métaphores surprenantes? Les sujets traités ? D’un côté, celle-ci n’hésite pas à se mettre en avant et à interagir avec le lecteur, et se dévoiler à travers des autobiographies. De l’autre, elle n’hésite pas à montrer certains sujets qui peuvent encore être perçus comme tabous : la sexualité, les règles, le célibat ou encore l’adultère.

Une femme directe, qui parle d’elle et de sa génération

La plupart des mangas d’Akiko HIGASHIMURA se basent sur son vécu, ainsi que celui de son entourage. De Trait pour trait, où elle explique sa relation complexe avec son professeur d’art, ses études à l’université et ses débuts en tant que mangaka, en passant par la série en onze tomes Himawari Kenichi legend éditée au Japon par Kôdansha en 2006 (inédit en France) où elle s’inspire librement de sa vie lorsqu’elle travaillait dans le même bureau que son père et rêvait d’être mangaka. Puis dans Mama ha tenparist que nous pouvons imaginer traduit en français par “Maman est à bouts de nerfs” elle se raconte en 4 volumes sortis entre 2008 et 2011 : divorcée deux fois et mère célibataire d’un enfant nommé Gotchan, elle y avoue se sentir “ tenparu”, c’est-à dire dépassée par les événements après un accident soudain. Elle explique aussi son quotidien de mère célibataire au Japon et comment elle arrive à élever son fils en parallèle de sa carrière. Cette thématique encore très peu abordée au Japon à l’époque de sa sortie lui a valu une nomination au second Manga Taisho Awards en 2009. 

Ainsi, Akiko HIGASHIMURA se dévoile sans pudeur et raconte son quotidien et son passé avec autodérision et beaucoup d’humour. À l’instar de nombreuses mangakas comme Hiromu ARAKAWA, autrice de Fullmetal Alchemist, ou encore Natsumi AIDA, autrice de Switch girl (qui comme HIGASHIMURA, n’hésite pas à raconter sans tabou dans ses bonus son quotidien et ses questionnements sur les relations), elle se représente de manière réaliste et expressive et non avec un avatar… Elle créé une certaine proximité avec le lecteur en intervenant de nombreuses fois et en interagissant avec lui. 

Dans le deuxième tome du Le gourmet détective édité en France chez Delcourt/Tonkam, elle explique que ses bonus sont omniprésents » eh oui, je ne suis ni une mangaka de shôjo, ni une mangaka humoristique, mais une mangaka de bonus« . En effet, la grande majorité de ses œuvres publiées proposent également des pages bonus où nous pouvons en apprendre plus sur cette dernière : par exemple, dans Tokyo tarareba girls éditée en France chez le Lézard Noir, l’autrice raconte en quelques pages à la fin des volumes comment s’est elle inspirée de ses amies et répond à quelques questions sur l’amour, le mariage et le célibat

BISHOKUTANTEI AKECHIGORO © 2015 by Akiko Higashimura/Shûeisha

Cependant, HIGASHIMURA, en plus de ses œuvres autobiographiques et des pages bonus, n’hésite pas à intervenir directement au milieu de l’histoire. Dans sa série Le tigre des neiges, édité en France chez le même éditeur et lauréat du fauve jeunes adultes du Festival International de la Bande Dessinée en 2020, elle s’adresse directement au lecteur en réalisant des apartés, avec des cases délimitées par des bulles. En effet, cette série reprend plusieurs théories selon lesquelles le samouraï Esugi Kenshin serait une femme. Cependant, HIGASHIMURA écrit cette série historique en insistant sur le fait que malgré, ses recherches et son intérêt pour cette hypothèse abordée, celle-ci n’est ni spécialiste ni passionnée d’histoire et que ce qu’elle écrit et a priori correct mais sans certitude, anecdote de travail à l’appui, voir même que le lecteur peut s’en passer s’il le souhaite !

YUKIBANA NO TORA VOL.1 by Akiko HIGASHIMURA © 2015 Akiko HIGASHIMURA by SHOGAKUKAN.

Des héroïnes drôles, indépendantes et réalistes

Les mangas d’Akiko HIGASHIMURA peuvent être, à première vue, des shôjo et seinen tranche de vie, avec une quête de romance et d’épanouissement personnel et professionnel. Au delà de ça, les personnages principaux sont, à l’exception du Gourmet detective, des femmes diverses et d’âge différent. Ainsi, plusieurs thématiques ou profils peuvent être abordées : de la jeune fille Neet sans emploi ou encore lors de son premier job à la femme trentenaire célibataire… en passant par des femmes d’une cinquantaine d’années passionnées de K-pop. Notons également que dans son manga Himoxile réalisé en 2015 (prépublié dans le magazine Morning two et inédit en France), elle s’est permise de représenter un père au foyer, dépendant du salaire de sa femme… ce qui n’a pas plu et la série a du être mise en pause au bout d’un mois !

Comme indiqué précédemment, les mangas de HIGASHIMURA peuvent également faire penser à Switch girl ! de Natsumi AIDA, édité chez Delcourt/Tonkam : les personnages brillent par leur humour, leur force de caractère. L’autrice y parle aussi, sans gêne de petits tracas de l’adolescence. Néanmoins, les mangas d’HIGASHIMURA peuvent toucher un public plus large, que ce soit en âge ou en dehors du Japon : elle prépublie aussi bien ses œuvres dans de nombreux magazines de prépublication comme Cookie – un magazine qui cible plutôt des adolescentes – ou encore Cocohana ou Kiss qui sont à destination de femmes adultes et enfin Big comics Spirit, magazine seinen.

Par exemple, bien que le terme otaku qui définit les personnes passionnées par un sujet précis soit utilisé plus fréquemment au Japon et abordé dans de nombreux shôjo et seinen (notamment Chacun ses goûts écrit par MACHITA en 2018), Princess Jellyfish aborde par exemple les problématiques liées à l’intégration en société et comment y faire face, tout en restant honnête avec soi-même.

KURAGE HIME © 2009 Akiko Higashimura / Kodansha Ltd.

D’un autre côté, sa série Hyper midi – Nakajima Haruko (inédit en France) met en avant une femme d’une cinquantaine d’années, spécialiste en amour tandis qu’elle aborde, dans Tokyo Tarareba girls, le quotidien de femmes trentenaires célibataires. En effet, celles-ci ont d’après elles, trop attendu et laissé passer leur chance de rencontrer quelqu’un et cherchent à se marier à tout prix avant les Jeux Olympiques de 2020. Mais ces dernières ne sont pas sans défaut et se sont habitués à une certaine routine où elles se retrouvent pour boire et énumérer leur journée et leur futur avec des « yaka » (il y a qu’à) et « fokon » (il faut qu’on) : pour ces héroïnes, bien qu’elles soient indépendantes, se mettent la pression pour trouver un mari avant qu’elles ne se sentent vieilles en comparaison avec les femmes de leur entourage.

Mais HIGASHIMURA ne s’arrête pas là : dans Le tigre des neiges, elle dessine et montre de manière frontale les premières règles de l’héroïne, ses douleurs qui reviennent régulièrement et provoquent une incapacité pour elle à partir au front. Celle-ci se fait aider par son entourage (majoritairement des femmes) grâce à des plantes médicinales. Dans une autre de ses œuvres, A fake affair, Webtoon publié à l’origine sur une plateforme numérique coréenne XOY puis Line Manga et Webtoon, avant d’arriver en physique en France chez Le Lezard Noir, le sujet principal porte sur les femmes mariées ayant un amant.

By HIGASHIMURA Akiko/ Naver

Une autrice aux multiples talents

Dans le processus de création, HIGASHIMURA réussit tout aussi bien à rendre ses histoires fluides et captivantes par son découpage et ses personnages dynamiques, que par son dessin. En effet, la mangaka se permet d’ajouter de nombreuses métaphores pour exprimer leur difficulté à se trouver un mari et une bataille constante contre elle-même comme un match de baseball ou encore un manège… et instaurer des personnages imaginaires comme « yaka » et  » fokon », une laitance et un foie de morue, qui se permettent de rappeler à Rinko dans Tokyo tarareba girls qu’elle est loin d’être parfaite… et nous pouvons prendre plaisir à rire d’elle et de ses malheurs tout en nous reconnaissant nous même dans ces situations ridicules. Notons également que ces métaphores et expressions rajoutent donc une certaine touche humoristique par leur inventivité.

TOKYO TARAREBA GIRLS, Akiko HIGASHIMURA

D’autre part, chaque œuvre possède une excellente traduction avec un langage naturel. HIGASHIMURA met en avant des personnages bavards, et modernes : en effet, à l’instar du Tigre des neiges dont l’histoire se passe au XVIe siècle et où les protagonistes paraissent plus pudiques (notamment  » avoir ses lunes » et « partager sa couche »), les autres séries s’adaptent à leur temps et n’hésitent pas à parler de manière plus familière et plus directe, rendant la narration plus agréable à lire.

Ainsi, quelle est la force d’Akiko HIGASHIMURA et de ses oeuvres? Après plus de vingt ans de carrière derrière elle, cette dernière ne cesse de nous faire rire à travers ses personnages attachants aux discussions animées et expressions comiques, souvent survenues de nulle part. Mais elle aborde aussi la pression de notre société actuelle, qu’elle critique de manière frontale, en particulier le mariage. En se dévoilant, la mangaka peut rapidement nous permettre de nous identifier dans certaines situations, en fonction de notre âge, notre mode de vie, notre travail ou encore nos études. La mangaka ne fait pas de cadeau à ses personnages et encore moins à elle-même, mais elle tourne en dérision des comportements que les protagonistes peuvent avoir sans pour autant leur donner une fin malheureuse. Drôle, franche et complexe à la fois : c’est un peu tout ça, Akiko HIGASHIMURA

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