Samantha Bailly, chasseuse d’aurore, du grand nord au Japon !

C’est une habituée de nos colonnes que nous retrouvons en ce mois de novembre 2019, pour son retour aux éditions nobi nobi avec le conte Chasseurs d’aurore. Samantha Bailly, en plein voyage autour du monde depuis quelques mois – et au Japon, en ce moment même – a bien voulu nous accorder quelques instants pour nous parler de ce nouvel ouvrage, qui parle de Grand nord, de fantasy et aussi de tristesse, et également pour revenir sur l’influence qu’a eu et a encore le Japon sur cette scénariste de jeu vidéo, également auteure de Stagiaires, Kotori le chant du moineau, La Princesse au bol enchanté, Âmes Jumelles, Âmes rebelles et bien d’autres encore…

Samantha Bailly, en plein voyage au Japon

Samantha Bailly, en plein voyage au Japon – Crédit Photo : © Le blog parenthèse – Tous droits réservés

Chasseurs d’Aurore : parler de la tristesse aux enfants

Bonjour Samantha, et merci de nous accorder de ton temps…

Aujourd’hui nous réalisons une nouvelle interview à l’occasion de ton retour chez nobi nobi, pour Chasseurs d’aurore. C’est ton troisième travail sur un conte chez cet éditeur et notre première rencontre remonte d’ailleurs à la sortie de Kotori, le chant du moineau, en 2013. Tu venais d’enchaîner après la Princesse au bol enchanté en 2012 et en tout honnêteté je ne pensais pas forcément te revoir un jour chez les contes illustrés de cet éditeur… Pourquoi ce retour, qu’est-ce qui t’a donné envie de revenir à ce format ?

L’histoire de Chasseurs d’aurore est une longue histoire ! La genèse du projet remonte à…. 2013 ! Oui, il s’en est écoulé, du temps. À la même période que la parution de Kotori, le chant du moineau, pour donner un contexte. À l’époque, nobi nobi ! et moi avions discuté d’un autre projet, différent cette fois-ci : un conte original signé de ma plume, illustré par une artiste japonaise. J’ai toujours été admirative du travail de cette maison d’édition, abordant l’accès à la culture japonaise de façon exigeante et novatrice.

De nombreux obstacles se sont dressés entre l’écriture du conte et sa parution : des essais non concluants avec des illustrateurs ainsi que les bouleversements que nobi nobi ! a connu. Mais au-delà de ces circonstances pragmatiques, le texte existait, avec cette envie de sortir des sentiers battus pour proposer une création originale. Les années s’écoulant, le projet a continué son chemin, jusqu’à aujourd’hui ! C’est donc l’aboutissement d’un travail mûrement réfléchi.

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Résumé de Chasseurs d’aurore : Au cœur de vallons verdoyants, rayonne la lumineuse cité de Coupelune. Mais perché dans un palais au dôme étincelant, le jeune empereur Fen, qui a pourtant tout pour être heureux, dépérit. On le dit atteint de la maladie qui se propage depuis des décennies : la mélancolie. Afin de le guérir, la jeune et courageuse Mune, accompagnée de son acolyte Janus et de son fidèle chat Hélios, va tout faire pour tenter de réussir l’impossible : braver le froid et les dangers du Norvif afin de ramener une aurore boréale, phénomène mystérieux aux pouvoirs merveilleux…

 

Après Kotori et la Princesse au bol enchanté, on part cette fois-ci pour le Grand Nord et de la fantasy. Le dossier de presse nous parle d’un lien avec A la croisée des mondes de Philippe Pullman mais peux-tu nous dire plus en détail comment s’est construit le scénario, avec ses thématiques et tes influences ?

A la croisée des mondesChasseurs d’aurore est né d’une pulsion intime : raconter la tristesse aux enfants, émotion vécue à tout âge. Les sentiments non joyeux sont souvent esquivés dans la littérature jeunesse contemporaine, pour maintes raisons. Cette histoire, c’est celle d’une jeune fille frappée par une maladie touchant l’esprit. Après les deux contes écrits pour nobi nobi ! j’ai commencé à m’interroger sur ce que moi, en tant qu’adulte et femme, j’aurais envie de raconter à mes propres enfants. Vous savez, ce désir de transmettre, de donner des récits et des outils pour faire face à la vie, tout simplement. Offrir et protéger. C’est ainsi qu’est née cette histoire, qui permet d’aborder des sujets graves tels que la maladie, la mélancolie et le deuil sous le prisme de la métaphore et de la poésie. Sans aucun doute,  de Philip Pullman est une inspiration, puisque c’est l’un des romans qui a le plus marqué ma pré-adolescence. Comment oublier les aventures de Lyra ! Ce conte prend donc appui sur un référentiel littéraire – le grand nord – pour le revisiter à l’aune de ma propre sensibilité. L’alliance avec des illustrations marquées par un univers japonais donnent encore une toute autre dimension au texte. 

Qu’est-ce que tu retiens-tu de ta collaboration avec Munashichi et quelle est ta planche favorite du livre ?

Quand nobi nobi ! m’a annoncé que Munashichi était partante pour illustrer le conte, j’étais folle de joie ! Mon éditeur m’avait déjà montré ses illustrations, qui correspondaient en tous points à l’univers de Chasseurs d’aurore. Le texte lui a été traduit pour qu’elle puisse en appréhender les subtilités. Je n’ai pas travaillé directement avec elle, cela a été le champ d’expertise de l’équipe éditorial, mais nous avons par la suite échangé sur les réseaux sociaux. Mon grand regret est de ne pas avoir pu la rencontrer en chair et en os. Ma planche favorite… question difficile ! Toutes sont magnifiques. Cela ne vous aidera pas beaucoup, mais la planche d’un paysage de la page 60 est exactement ce que j’imaginais… et par ailleurs, je trouve qu’elle a très bien su donner vie à Hélios, le chat du conte.

 

 

Samantha Bailly : le Japon, d’hier à aujourd’hui

Chasseurs d’Aurore est une collaboration avec une illustratrice japonaise, tes deux premiers nobi nobi était directement des inspirations de conte japonais, tu es scénariste pour un manga chez Pika, et nombre de tes romans évoquent de près ou de loin l’influence qu’a pu avoir (et a encore) le Japon sur toute une génération… Enfin, si je ne m’abuse, dans le tour du monde que tu as entamé il y a déjà quelques semaines, te voilà maintenant… Au Japon. Ma question va être assez vaste mais comment définir ton rapport à ce pays en tant qu’auteur, car on l’impression qu’il ne t’a jamais vraiment quitté depuis… Ah depuis quand d’ailleurs, pour commencer ?

En effet, la question est vaste ! Je crois que la pop-culture japonaise a façonné non seulement mon imaginaire, mais la personne que je suis devenue. Cela a commencé enfant, lorsque Pokémon passait sur tous nos écrans – télé et gameboy – et que j’ai expérimenté pour la première fois le sentiment puissant et intime de me retrouver dans une fiction. Cela s’est poursuivi bien des années plus tard, quand mon père ayant fait l’acquisition d’un ordinateur d’occasion, j’ai découvert un émulateur de SNES avec de nombreuses importations de jeux japonais – Seiken Densetsu 3, Chrono Trigger etc. Tout cela s’est rapidement mêlé aux Final Fantasy et leurs cinématiques époustouflantes. Rapidement, mes lectures romanesques se sont mêlées aux jeux vidéo et aux JRPG, dont les contenus narratifs forts sont des inspirations importantes. Les êtres humain ont profondément besoin de récits pour se construire, et de fait, ce sont majoritairement des histoires issues de la culture populaire japonaise qui ont su me toucher, que ce soit dans l’enfance ou l’adolescence. En partie pour cela, ce pays a toujours attiré mon attention. Quand mon compagnon et moi-même avons décidé d’entamer un grand voyage, il était évident que nous passerions du temps au Japon, pour le découvrir au-delà des sentiers battus. Nous y sommes actuellement, je réponds à cette interview depuis Yakushima !

 

D’ailleurs toi qui est scénariste et qui a travaillé sur de nombreux formats (jeu vidéo, roman, livres illustrés) tu as sans doute déjà regardé de près les scenarii japonais et leur façon de raconter leurs histoires, et qu’est-ce qu’ils ont de différents des autres selon-toi ?

Question très pertinente. Je crois que le Japon, à travers des formats très différents, a toujours placé les personnages au centre de ses histoires. C’est ce qui fait selon moi la puissance de son imaginaire à l’international. Déjà, si l’on prend par exemple Final Fantasy IX, au-delà de graphismes poussés, la narration était centrale. On pouvait naviguer entre différents points de vue dès la fin du XXe siècle, ce qui était très précurseur et donnait davantage d’épaisseur à l’essence du jeu vidéo : l’interaction et le poids du choix du joueur. Comment oublier Grenat, Djidane ou encore Bibi ? Je ne sais pas si c’est encore valable aujourd’hui, mais dans les années 90’, l’industrie du livre et du jeu vidéo ont su faire rayonner des univers propres au Japon, à travers une galerie de personnages très forts. Je dirais que ces histoires ont véhiculé des valeurs fortes, notamment la combativité, que l’on retrouve comme un motif central de bien des fictions. 




T’imagines-tu un jour écrire un roman sur le Japon ou avec le Japon comme cadre ou thématique principale d’ailleurs, pour de la fantasy nippone ou si je pense à ta trilogie Stagiaires & co, pour dépoussiérer les éternelles références à Stupeur et Tremblements que font les français néophytes du Japon !

Bonne question ! Une chose est certaine : en seulement 5 semaines, me voilà chamboulée par mon expérience au Japon. Actuellement, ma façon d’en parler est de tenir un journal de bord des différentes étapes du voyage. Est-ce que cela prendra une forme plus aboutie ? À voir dans le temps, mais il me semble qu’il y a beaucoup à dire sur les différentes facettes de ce pays, au-delà de sa pop-culture.

 

Tiens je reviens sur ton voyage qui t’a amené au Japon parce que l’on a aussi une section tourisme chez nous : où vous rendez-vous sur place et, non plus en tant qu’auteur mais en tant de personne et touriste, qu’est-ce qui te plait dans ce pays ?

Nous avons entamé un long périple ! Évidemment, des mégapoles incontournables : Tokyo, Kyoto et Osaka, mais par la suite, nous nous sommes engagés dans des zones bien moins touristiques. Shikoku, au-delà de son pèlerinage des 88 temples, révèle bien des trésors insoupçonnés. Nous avons essentiellement logé chez l’habitant, ce qui permet d’être réellement au contact du quotidien des familles japonaises. J’ai été très agréablement surprise par le nombre d’entre elles en quête de davantage d’équilibre entre leurs vies professionnelles et personnelles. Par la suite, nous avons passé une semaine dans un temple Bouddhiste, aux côtés d’un moine, pour partager son quotidien. Une expérience surprenante et passionnante dont j’ai très envie de parler. Cela déconstruit non seulement des stéréotypes sur le Japon, mais cela m’a encore davantage confirmé que nous n’avons de ce pays qu’une vision parcellaire. Nous finissons actuellement notre périple par une exploration de l’île de Yakushima, connue pour avoir inspiré Miyazaki, puis l’exotique Okinawa, qu’on ne présente plus. Je dirais que peu importe les étapes, ce qui me marque est que sans maîtriser la langue, je me sens ici chez moi. Il y a un soin du détail et un respect d’autrui qui rendent la vie plus délicate. Cela ne s’applique sans doute pas à toutes les sphères, et être voyageur est sans conteste un privilège, mais cette culture a beaucoup à nous apprendre.

Samantha Bailly à Ogishima

Samantha Bailly à Ogishima – Crédit Photo : © Le blog parenthèse – Tous droits réservés

Pour finir terminons l’interview par un triple question : qu’est-ce que tu aimes les plus à propos du Japon, qu’est-ce que tu aimes les moins et enfin qu’est-ce que tu penses de l’expression très souvent utilisé pour décrire ce pays : “entre tradition et modernité”.

Ce que j’aime le plus ? Il y a tant de choses ! La sérénité qui règne dans les temples. Une gastronomie époustouflante. La façon qu’ont les gens de venir aider quand quelqu’un est perdu. Cette capacité à respecter la tradition tout en s’autorisant une part de jeu et de folie. La propreté des rues et le sens de la responsabilité. Ce que j’aime le moins ? Les araignées, ça c’est sûr. Sans doute la relation au travail, que je n’ai pas expérimenté, mais qui semble être le revers de l’exigence. Et pour ce qui est de cette phrase éculée et si juste, je crois qu’en effet, le Japon a trouvé l’équilibre entre passé et futur. Les temples cohabitent avec les jeux vidéo. C’est sain de regarder à la fois en arrière et en avant.

Un grand merci et bon voyage !




Retrouvez Samantha Bailly sur les réseaux sociaux, Facebook, Twitter ou Instagram mais aussi à travers nos interviews précédentes de l’artiste et découvrez sans plus attendre Chasseurs d’aurore, depuis ce 13 novembre (aujourdhui, donc !) en librairie. Toutes les informations sur cet album sur le site web de nobi nobi !

Paul OZOUF

Rédacteur en chef de Journal du Japon depuis fin 2012 et fondateur de Paoru.fr, je m'intéresse au Japon depuis toujours et en plus de deux décennies je suis très loin d'en avoir fait le tour, bien au contraire. Avec la passion pour ce pays, sa culture mais aussi pour l'exercice journalistique en bandoulière, je continue mon chemin... Qui est aussi une aventure humaine avec la plus chouette des équipes !

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