De Dragon Ball à Dragon Ball Super : une rencontre rare avec ceux qui ont connu Akira Toriyama

Qu’on l’ait découvert au Club Dorothée, sur une VHS poussiéreuse ou plus récemment en streaming ou régulièrement sur la chaîne Mangas, Dragon Ball fait partie de nous. Une saga culte, transmise de génération en génération, qui continue de faire vibrer l’imaginaire collectif.

En France, tout a commencé sur TF1, le 2 mars 1988, dans la célèbre émission le Club Dorothée. Devant des millions de téléspectateurs, Son Goku faisait ses premiers pas dans nos foyers. Un moment fondateur pour toute une génération.

Trois hommes, trois générations, une seule légende : Dragon Ball

Près de quarante ans après la création du manga au Japon, une conférence de presse rare a réuni trois figures emblématiques de l’univers Dragon Ball lors de Japan Expo 2025 :

  • Kazuhiko Torishima, ancien rédacteur en chef du Weekly Shonen Jump et éditeur historique d’Akira Toriyama ;
  • Katsuyoshi Nakatsuru, animateur et character designer sur Dragon Ball Z, GT et Daima ;
  • Toyotaro, mangaka officiel de Dragon Ball Super.

Entre confidences personnelles, souvenirs de Toriyama-sensei, analyses de l’œuvre et projections sur l’avenir, ces trois artistes ont partagé une passion commune et palpable tout au long de cet échange. C’était une sorte d’hommage à Akira Toriyama, disparu le 1er mars 2024. Ce moment d’échange, chargé d’émotion, montrait à quel point Dragon Ball est bien plus qu’un simple manga : c’est un héritage culturel qui les a marqués, tout comme nous, fans de l’univers. Une œuvre toujours vivante, qui parle à des générations dans le monde entier. Journal du Japon a eu cette chance de faire connaissance avec ce trio pas comme les autres. Rencontre.

Dragon Ball AKIRA TORIYAMA

Torishima : le regard du pionnier

Entré au Jump en 1976 sans jamais avoir lu un manga, Kazuhiko Torishima se plonge dans les archives du magazine pour en comprendre les mécanismes. Ce passionné de littérature française (Proust, Sagan,…), de cinéma (Le ParrainVacances à Rome2001 : l’odyssée de l’espace), devient l’un des éditeurs les plus influents du manga moderne. C’est lui qui accompagnera Akira Toriyama de Dr Slump à Dragon Ball.

Mais son regard sur l’industrie actuelle est assez critique : « Le manga n’est plus pensé pour les enfants. Ce sont des manga McDo, des manga Starbucks. On a perdu la variété, le grain artistique. »

Il fustige une certaine paresse éditoriale et il déplore que les choix éditoriaux soient dictés par les algorithmes : « Maintenant, même les enfants doivent payer en ligne pour lire un manga. »

Nakatsuru : l’animation comme transmission

Katsuyoshi Nakatsuru, quant à lui, entre dans le monde de Dragon Ball par passion. Grand fan de Dr Slump, il rêve de travailler sur Dragon Ball. Il y parvient, devenant animateur puis character designer sur Dragon Ball ZGT et Daima.
Mais ses influences vont bien au-delà, il nous précise qu’il est aussi très fan de Leiji Matsumoto et de Miyazaki ainsi que des œuvres telles que Conan le fils du futur ou Le Château de Cagliostro. Il parle d’un mélange de styles, d’œuvres et de techniques qui l’ont peu à peu construit et lui ont donné envie de devenir animateur : « Les œuvres de Leiji Matsumoto m’ont guidé. Et en entrant à la Toei Animation, j’ai même pu travailler sur ses séries. »

Très humblement, il raconte aussi la pression de reprendre les chara designs sur l’arc Majin Boo après Tadayoshi Yamamuro. « C’était un grand défi. Mais j’avais déjà travaillé sur plusieurs épisodes en tant qu’invité. L’équipe m’a soutenu. » Et le résultat est réussi.

Toyotaro : du fan à l’héritier

Il incarne la nouvelle génération. Toyotaro, fan d’Akira Toriyama, commence par dessiner du Dragon Ball chez lui, avant d’être remarqué pour son travail sur Dragon Ball Heroes. En 2013, il postule de façon spontanée. Et en 2025, il est l’un des auteurs officiels de la saga. Un joli parcours. Quand on lui demande des conseils pour réussir aussi bien que lui, il répond en toute humilité : « Je n’ose pas donner de conseils, je suis juste un fan qui a eu de la chance. C’est Toriyama qui validait ou corrigeait mes idées. Aujourd’hui, c’est plus difficile sans lui, mais je poursuis dans son esprit. »

Il reste profondément ancré dans un travail artisanal.

Au détour d’une question, on apprend que Trunks est son personnage préféré. Il était heureux de pouvoir un peu mieux le développer, même s’il n’a malheureusement pas pu le faire autant qu’il le souhaitait. Il aimerait aussi faire évoluer davantage Goten : « Je veux que mes histoires fassent avancer Goten, Trunks… tout en respectant l’héritage sans le bloquer. »

Dragon Ball AKIRA TORIYAMA TOYATORO

Z, GT, Super, Daima… Une saga comme Star Wars ou les Marvel ?

La franchise Dragon Ball est aujourd’hui à la croisée des chemins : entre nostalgie, continuité et réinvention. Comme dans l’univers Star Wars ou Marvel, une même histoire se décline en timelines, relectures et projets parallèles.

Sur Dragon Ball GT, Toyotaro se montre bienveillant : « Même si GT n’est peut être pas canon dans la continuité actuelle, des éléments ont été repris dans Super, notamment graphiques. GT a une vraie valeur pour une génération entière de fans. »

À la question de savoir ce qui est un canon, la réponse est limpide : « Tout peut être canon. Ce n’est pas à nous de décider. C’est aux fans de choisir ce qu’ils veulent garder. »

Une vision souple, inclusive, qui rend hommage à la diversité d’interprétations que permet l’œuvre. Dragon Ball n’est pas qu’une série : c’est un univers étendu, un mythe vivant.

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Quel avenir pour le manga shônen ?

Kazuhiko Torishima ne cache pas son inquiétude. La démographie japonaise baisse, les enfants lisent moins, et la lisibilité même des mangas est remise en question : « On me dit souvent que les jeunes n’arrivent plus à lire des cases découpées. Je réponds que c’est à nous de rendre cela à nouveau clair et fluide. Dragon Ball le faisait très bien. One Piece aussi arrive à capter les lecteurs grâce à cela. »

Il critique la tendance actuelle à dessiner uniquement des visages ou des plans serrés, hérités de la télévision, au détriment des perspectives cinématographiques plus larges et plus précises. Pour lui, le manga doit retrouver une identité visuelle forte, où chaque plan est pensé, comme dans un film.

En parlant de futur, les trois intervenants évoquent aussi les nouvelles technologies : IA, trames numériques, outils d’aide à la création. Torishima résume assez bien leur vision : « Si on ne réfléchit pas à la manière d’utiliser un outil, on devient l’outil de l’outil. »

Tous défendent le style unique de Toriyama, que l’IA ne peut imiter. « Ses personnages avaient un regard vivant, expressif, et un trait souple qu’aucune machine ne peut restituer. » Toyotaro précise tout de même : « J’ai utilisé des outils numériques pour Dragon Ball Heroes, mais l’important est de garder l’esprit de l’auteur. »

Anecdotes et hommage à Toriyama

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L’émotion est montée d’un cran lorsqu’ils ont tous évoqué leur relation personnelle avec Toriyama.

  • Torishima : « Il détestait travailler, mais adorait dessiner. Il allait donc vite, finissait ses planches en une journée et demie pour ainsi avoir du temps libre. Ensuite, il testait des couleurs sur sa voiture… pour finalement choisir la première ! »
  • Nakatsuru : « Je ne l’avais pas vu depuis 20 ans. Le retrouver lors de Daima, même à distance, c’était bouleversant. »
  • Toyotaro : « Il m’a appris à épurer, à aller à l’essentiel. Il me disait adorer dessiner les scènes de bastons, alors que pour moi c’était le plus difficile, mais pour lui, c’était surtout parce qu’il n’y avait pas de décors et il gardait l’impact visuel pur. »

On revient aussi sur la polémique de Torishima qui disait qu’on ne retenait rien de Dragon Ball. Kazuhiko Torishima sourit et précise :

« Oui, j’ai bien dit ça, mais il y avait une arrière-pensée. Je vais vous expliquer. Akira Toriyama et moi, on adore Tom et Jerry. C’est très simple : un chat qui court après une souris. Les rôles sont clairs, on regarde en rigolant et à la fin, on ne retient rien de spécial. Mais c’est justement ça qui nous plaisait. Pour nous, l’idéal d’un manga, c’était ça : on lit, on s’amuse, et ensuite on passe à autre chose. Pas besoin de messages compliqués ou de grandes leçons. On voulait juste que ce soit fun.

À l’inverse, certains mangas proposent des intrigues complexes, des univers très denses. Mais parfois, ça ne donne pas envie de le relire, ça fatigue. J’ai discuté récemment avec quelqu’un de la maison d’édition de L’Attaque des Titans. Quand la série a pris fin, les ventes se sont effondrées. Dragon Ball, comme Naruto, continue d’exister et de se vendre, même si l’anime ou le manga s’est arrêté. Et j’ai compris pourquoi : dans un bon shônen, le lecteur avance avec le héros. Ce n’est pas l’histoire en elle-même qui compte le plus, mais le lien qu’on crée avec l’univers.

Grâce à cette construction simple, Dragon Ball parle à tout le monde, des enfants aux adultes. C’est comme l’Orangina : on en boit parce que c’est bon, mais quand on a vraiment soif, on boit de l’eau. »

On ne lit pas Dragon Ball pour apprendre une leçon. On le lit pour s’évader, sourire, vibrer et s’en souvenir toute une vie.

Une rencontre entre générations, à cœur ouvert

Cette conférence n’était pas seulement un hommage à Toriyama, mais une transmission vibrante. Une conversation entre ceux qui ont bâti le mythe, ceux qui l’ont prolongé, et ceux qui, comme nous, l’ont reçu. Dragon Ball est devenu plus qu’une œuvre : un univers dans lequel chacun projette ses souvenirs, ses émotions, son imaginaire. Canon ou non, anime ou manga, GT ou Super, Daima ou Z c’est l’amour de Toriyama et de ses personnages qui relie toutes ces déclinaisons. Et ce lien-là, lui, est éternel.

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