La bibliothèque des auteurs disparus : au cœur d’une mystérieuse bibliothèque de nuit

La romancière Hika Harada nous plonge dans les coulisses d’une mystérieuse bibliothèque de nuit. Peu à peu, l’on découvre la vie secrète des salariés de la bibliothèque, tous passionnés de livres, et l’histoire de son mystérieux propriétaire.

C’est une étrange bibliothèque, ouverte seulement de 16 h à 1 h du matin, située en banlieue de Tokyo. Y sont sauvegardées les collections personnelles d’écrivains disparus, c’est-à-dire les livres qu’ils ont écrits mais aussi ceux qui se trouvaient dans leur bibliothèque.

Otoha Higuchi, qui travaillait auparavant dans une librairie de gare, est embauchée comme bibliothécaire de ce lieu singulier.

Otoha a toujours voulu travailler au contact des livres, même si pour cela, elle doit travailler davantage tout en étant moins bien rémunérée. À la bibliothèque, elle rencontre beaucoup d’« amis de cœur » : Ako et Masako, deux bibliothécaires plus âgées, Sasai, le responsable, qui lui prête un sac de couchage quand elle débarque de sa province du Tohoku sans matelas ni linge de lit, Kuroiwa, un ancien policier qui fait office d’agent de sécurité, et bien d’autres. L’auteure écrit :

Elle se rendrait bien vite compte que cet établissement comptait bon nombre « d’amis de cœur » – des gens qui lisaient les mêmes livres qu’elle, qui avaient vécu une enfance similaire à la sienne. Parmi ses collègues, mais aussi parmi les lecteurs et lectrices de la bibliothèque.

Incapable de lire un livre

Peu à peu, on découvre la vie des personnages qui travaillent à la bibliothèque de nuit ou qui la fréquentent. Ainsi, par exemple, Masako, âgée d’une soixantaine d’années, qui a exercé toute sa vie en tant que bibliothécaire. Elle a perdu le goût de la lecture et cette pensée la mine.
Voici ce qu’elle ressent :

Je suis incapable de lire un livre. Cette pensée la taraudait, et pas uniquement quand elle travaillait. Elle lui venait aussi quand elle se levait le matin, quand elle se servait du café, quand elle le buvait, quand elle discutait et éclatait de rire avec ses jeunes collègues. Je suis incapable de lire un livre. Incapable. Je ne peux plus lire. Je ne pourrai plus. Impossible d’oublier un seul instant. Cette pensée ne lui laissait aucun répit. Lire un bouquin le plus simplement du monde, en toute innocence, absorbée au point d’être insensible aux bruits alentour, se laisser emporter dans un autre univers puis, quelques heures plus tard, au terme de la dernière page, se voir propulsée de nouveau dans l’ici et maintenant – ce sentiment aussi solitaire que satisfaisant… Je ne pourrai plus jamais y goûter.

Le problème est apparu à la soixantaine, et voilà un peu plus de dix ans qu’elle vit avec. Au début, elle n’avait pas voulu le voir – ou plutôt, elle ne s’en était même pas rendu compte. Elle le mettait sur le compte de l’excès de travail.

On découvre également la vie de Tokai, un autre bibliothécaire. Lui était bouquiniste dans le quartier de Kanda à Tokyo (l’un des plus grands quartiers de bouquinistes dans le monde, avec près de 170 librairies).

Ou encore celle de Sasai, le responsable de la bibliothèque et le seul à connaître son mystérieux propriétaire.

De même que dans d’autres romans japonais qui traitent de l’importance et du pouvoir des livres dans nos vies (par exemple La bibliothèque des rêves secrets de Michiko Aoyama ou La librairie Morisaki de Satoshi Yagisawa), La bibliothèque des auteurs disparus nous fait baigner dans l’atmosphère des livres. Une atmosphère souvent caractérisée par le mystère.

Événements étranges

La bibliothèque de nuit est ainsi entourée de nombreuses énigmes. Par exemple, cet écrivain célèbre, Mizuki Takashiro, dont la collection est cédée à la bibliothèque à son décès, et qui préservait le plus grand secret quant à sa vie privée (on ne connait ni son âge, ni son sexe). Puis, le propriétaire que, à l’exception de Sasai, personne n’a jamais vu. De plus, des livres non référencés et non tamponnés du sceau de la bibliothèque apparaissent dans les étagères.

Hika Harada © Illustration de Nina Le Flohic

L’auteure, Hika Harada, est née en 1970 dans la préfecture de Kanagawa. Elle est une lectrice compulsive et une grande admiratrice de Haruki Murakami, avec qui elle partage une prédilection pour l’irruption d’événements étranges dans le quotidien. Elle a connu une fructueuse carrière de scénariste avant de réaliser que le roman était la forme artistique qui lui convenait le mieux et de se consacrer à la littérature.

Son autre roman traduit en français, Une grande famille (Atelier akatombo, 2020), publié au Japon sous le titre Dry, est un roman noir. Il narre l’histoire de Ai Kitazawa qui, suite à une bévue, perd son travail, son mari et ses enfants. Sans ressources, elle ne peut que retourner vivre dans sa maison familiale, nichée dans une banlieue saumâtre. Elle y retrouve sa famille dysfonctionnelle…

Peu connue en France, Hika Harada est une auteure à découvrir. Elle analyse avec beaucoup de justesse les relations humaines, dans ce qu’elles peuvent avoir de poétique et de beau mais aussi de terrible. La bibliothèque des auteurs disparus est un roman original et mystérieux à la fois. Il regorge de personnages tous plus atypiques (voire excentriques pour certains) les uns que les autres, qui ont des parcours de vie originaux.

En bref, il s’agit d’un livre étonnant, à la frontière entre le réel et le surnaturel, qui se lit presque comme un conte. À ceci près qu’à la fin, tous les mystères trouvent une explication rationnelle.

Emilie Guyonnet

Journaliste indépendante depuis 2005, j’ai découvert le Japon grâce au prix Robert Guillain. A partir de ce voyage, je me suis passionnée pour la culture et l'histoire nippones et j'ai commencé à me spécialiser sur le Japon en rédigeant des articles pour Le Monde diplomatique. C’est aussi à cette occasion que j'ai découvert l’histoire un peu méconnue de l’île d’Okinawa, une histoire de résilience dont j’ai eu envie de témoigner dans un livre : Okinawa, une île au cœur de la géopolitique asiatique.

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