Parasite Eve : du cauchemar à l’émoi
Objet curieux et peu connu du 7e art nippon, Parasite Eve emprunte au livre du même nom son univers torturé et poétique. Reflet d’une part des dérives de l’obsession ambitieuse du personnage de Toshiaki Nagashima pour son travail, et d’autre part d’un Amour qui transcende tout, même la mort et la souffrance. D’apparence banale, cette histoire va pourtant nous plonger dans l’effroi, subtilement, tranquillement, jusqu’à l’annihilation la plus totale. Dépouillé du vivant, du conscient, surprenant par sa direction artistique, Parisite Eve est envoutant jusqu’au dénouement.
Réalisé par Masayuki Ochiai et produit par Kadokawa Shoten, le film ne nous laisse pas indifférent. Peu importe ses choix artistiques et son budget parfois limité. Classé dans la catégorie horreur-romance, c’est la romance qui l’emporte, qui transporte. Retournons aux origines du monde afin de mieux comprendre cette intrigue.
Attention : cette critique contient des spoilers.
Il était une fois la vie
Parasite Eve est à l’origine un roman de science-fiction et d’horreur écrit par Hideaki Sena en 1995. Il narre l’histoire d’un chercheur et enseignant en biologie, Toshiaki Nagashima, dont le travail porte sur les mitochondries. Afin d’éviter de vous perdre en conjectures scientifiques, nous allons orienter la présentation de ces dernières sous l’angle du livre, en limitant volontairement certains détails.

Les mitochondries sont des organites, soit un élément constituant nos cellules. Elles sont impliquées dans différents processus du cycle cellulaire, dont la production d’ATP qui fournit l’énergie nécessaire aux réactions chimiques du métabolisme. Elles sont de fait considérées comme la “centrale énergétique” de la cellule.
Elles ont ceci de particulier qu’elles possèdent toutes les caractéristiques d’un organisme procaryote (micro-organisme unicellulaire dont la structure cellulaire ne comporte pas de noyau, et presque jamais d’organites membranés), avec un ADN qui leur est propre. Cela implique une origine extérieure, et les études et théories sur les molécules, dont la théorie endosymbiotique, postule que les organites intervenants dans la gestion de l’énergie des cellules eucaryotes (domaine regroupant les organismes dont les cellules présentent un noyau et des organites, comme chez l’homme), dont les mitochondries, proviennent de l’incorporation des bactéries avec lesquelles elles auraient entretenu une relation endosymbiotique. Une cellule de procaryote primitive, aurait donc intégré un endosymbiote il y a environ 1,5 à 2 milliards d’années…
Reprenons notre souffle un instant. Ce qui est brillant dans ce roman, c’est justement l’expérience de son auteur dans le domaine de la pharmacologie et des mitochondries, et donc l’intrigue qu’il imagine, mêlant théorie évolutionniste et fantastique. Le résultat est efficace, et apporte une crédibilité indéniable à l’ouvrage.
Une lente évolution
Parasite Eve se fait l’écho de la théorie endosymbiotique, et remonte également le fil de nos ancêtres, afin d’atteindre celle que l’on nomme l’Eve mitochondriale. Elle est la dernière femme dont l’ADN mitochondrial a été transmise à tous les humains actuels, et originaire d’Afrique. Car oui, les mitochondries ne sont transmises que par l’ovule de la mère, faisant de ces dernières un marqueur matrilinéaire (à de rares exceptions prêts).

Le roman, et le film donc, nous présente Eve comme une entité intelligente et consciente, constituée de l’ensemble des mitochondries ainsi disséminées au travers de l’ensemble de l’humanité. Elle est capable d’influencer les faits et gestes des personnes, afin d’en prendre le contrôle pour servir son dessein funeste : renverser les formes de vie eucaryotes (les humains) au moment opportun, et laisser place à une forme de vie ultime qui s’incarnerait sous les traits d’un enfant, capable de contrôler son propre génome.
Nagashima-sensei, notre personnage principal et chercheur, va devoir être très persuasif pour éviter à l’humanité de disparaître. Car non seulement Eve a le pouvoir de contrôler les personnes, mais également de les brûler vives par combustion spontanée, en invoquant l’ensemble des mitochondries du corps pour qu’elles produisent une grande quantité d’énergie en une seule fois.

L’amour qui condamne, l’amour qui sauve
Reprenons depuis le début, et partons à la rencontre de l’ensemble des protagonistes de notre histoire.
Vous connaissez déjà notre chercheur Toshiaki Nagashima, interprété à l’écran par Hiroshi Mikami. Laissez-moi maintenant vous présenter sa tendre épouse, Kiyomi Nagashima, interprétée par Riona Hazuki. Le couple semble très amoureux, marié depuis peu, et Kiyomi est entièrement dévouée à son mari. Malheureusement, ce dernier est totalement absorbé par ses recherches, et délaisse leur anniversaire de mariage afin de travailler toujours plus longtemps. L’issu en sera fatale : de retour de l’université à bord de sa Peugeot 205 cabriolet, Kiyomi, en proie à des vertiges, vient percuter l’arrière d’un camion et est grièvement blessée.

Malgré les tentatives de réanimation, elle se retrouve en état de mort cérébrale, et l’intrigue nous la présente rapidement comme seule candidate pouvant sauver la vie d’une jeune fille, Mariko Anzai, incarnée à l’écran par Ayako Omura, en faisant don d’un de ses reins.
Mariko-chan est une jeune fille ordinaire, qui malheureusement souffre d’insuffisance rénale, la forçant à faire de multiples dialyses chaque semaine. En attente d’une greffe depuis plusieurs mois, elle est prise en charge par un médecin, Takatsugu Yoshizumi, interprété par Tetsuya Bessho. Ce dernier tient absolument à sauver la jeune Mariko, il ne souhaite pas revivre l’échec d’une procédure similaire, qui, autrefois, couta la vie à une autre de ses patientes. Il va dès lors faire pression sur Nagashima-sensei afin qu’il autorise au plus vite le prélèvement des organes de son épouse, encore sous respiration artificielle.
C’est alors qu’il va faire une étrange proposition au médecin : il accepte de signer le document, mais en échange, Yoshizumi-sensei s’engage à lui remettre le foie de Kiyomi. Ne pouvant se résoudre à la perte de sa femme, Toshiaki a l’idée d’utiliser ses propres recherches sur les mitochondries, afin de tenter de “recréer” artificiellement Kiyomi en laboratoire.

Finalement, pourquoi tant d’amour au départ d’un roman de science-fiction ? Demandons aux producteurs : ces derniers ont tout simplement forcer la main du réalisateur Masayuki Ochiai pour faire du film une histoire d’amour, au-delà de l’horreur. Hérésie pour certains, chez Journal du Japon, nous avons été convaincu. En substance, c’est ce qui rend le film si charmant et attachant.
Une ambiance pesante
La mise en scène de Parasite Eve est brillante de par sa simplicité. Le coût de production de 550 millions de yens, soit moins d’1 million de dollars de l’époque, ne permet pas un investissement massif en effets visuels ou en décors. Pour développer l’ambiance horrifique, Masayuki Ochiai focalise l’attention du spectateur sur des détails anatomique dérangeants, et des ambiances sonores oppressantes : le bourdonnement d’insectes, le souffle du vent, un robinet qui goutte, un escargot soudainement dévoré par un rapace, ou encore la dissection de cette pauvre Kiyomi. Parfois maladroite, cette approche n’en demeure pas moins efficace pour plonger le spectateur dans l’univers organique de l’histoire, thème principal et récurent. L’horreur n’est pas soutenue et exagérée, mais bien pesante tout au long du film.
C’est au moment où Toshiaki commence à cultiver les cellules du foie de Kiyomi, que tout va basculer. Ce dernier utilise l’Ève mitochondrial, afin de produire de curieux échantillons, qui après une panne de réfrigération, semblent prendre vie. La matière, constituée de mitochondries, est donc consciente et capable de se mouvoir, et même de prendre le contrôle de ses hôtes. Là où le bât blesse, c’est bien dans la production des effets spéciaux, qui nous ramènent aux premières heures de la 3D et des rendus visibles dans des jeux de PlayStation, première du nom.

Heureusement limités, cela n’enlève rien à l’intrigue, et de retour dans son labo, Toshiaki va finalement pouvoir admirer son œuvre en la réincarnation de sa défunte femme Kiyomi. Il s’en suivra une scène d’une grande douceur que nous vous laissons la surprise de découvrir.

Prenant peu à peu conscience du désastre, Toshiaki, accompagné de Takatsugu va alors tout faire pour stopper Ève. Celle-ci a pris le contrôle du corps de Kiyomi, et s’incarne désormais dans l’hôpital où est traitée la jeune Mariko suite à la greffe de rein. C’est par le corps de celle-ci qu’Ève espère accomplir son projet de domination, l’être ultime est sur le point de se manifester, et quiconque se mettra sur son chemin, en subira les conséquences.
C’était sans compter sur l’amour de Toshiaki pour Kiyomi. Celui-ci arrivera-t-il, dans un élan final sublimé, à retourner la situation ? Quelle audace dans la réalisation, et quelle déception pour certains, nous le comprenons. Si certains passages du films peuvent sembler ridicules, c’est en choisissant de nous laisser toucher par l’amour de ces deux personnages, que nous sommes sortis ému et grandi de cette projection. Parfois, comme à l’écran, il s’agit de s’abandonner, tout entier, à ce qui nous dépasse.
Joe et les années folles
Arrêtons-nous quelques instants sur la bande originale de cette pépite d’antan. Comme bon nombre de films de la décennie, c’est au compositeur de renom Joe Hisaishi que la production confie le soin de sublimer l’ensemble. Et c’est ce qu’il fera. À l’écoute de ses pièces musicales, tout paraît si évident, si fluide. Il a saisi avec brio la direction artistique, évoquant tantôt l’intrigue, le suspens (Cell), et l’amour plus fort que tout (EVE, vocal et piano).
Une bande originale courte, brillamment poli, dont les instruments et les thèmes utilisés nous renvoient directement aux autre productions de l’artiste de cette période : Sonatine, Hana-Bi, l’été de Kikujiro… C’est un plaisir non dissimulé qui nous habite à l’écoute de ces mélodies. Et il serait dommage de ne pas vous en faire profiter.
Un autre regard sur l’horreur
Parasite Eve est un film qui divise ses spectateurs. Assurément éloigné du roman d’origine, totalement assumé dans son virage romantique, il révèle également tout le talent de son réalisateur et de ses acteurs, qui réussissent à nous convaincre de leur sincérité. Habités par leur rôle, jamais dans le sur-jeu, passant de la sidération à la contemplation, c’est une fable sur la Vie qui se joue sous nos yeux ébahis.
Nombre de critiques regrettent une distribution limitée au Japon et en-dehors lors de sortie, tant ce dernier s’inscrit naturellement dans la lignée des films d’horreurs Japonais marquants de cette fin des années 1990, début 2000. Le thème de l’incident biologique étant très populaire alors, et toujours aujourd’hui. Le film, édité en DVD et sous-titré en anglais, est facilement trouvable sur internet à qui sait chercher.
Sujet hautement intéressant à développer, Parasite Eve mérite davantage de lumière. Il est heureux de constater que le célèbre jeu vidéo du même nom édité par Squaresoft en 1998, et dont nous avons fait la critique dans l’article Gaming Memories #08 : Parasite Eve, eu un franc succès auprès des joueurs, dont nous avons fait partie. Yoko Shimomura à la bande son, a pu d’ailleurs s’inspirer du travail effectué par Joe Hisaishi. Laissez-vous donc approcher par le mythe des mitochondries… et partagez-nous votre expérience en commentaires.

