Manga : mille et une intrigues à la cour impériale…

Des intrigues, du poison, des enquêtes et des drames humains dans un lieu dérobé aux regards : la Cour intérieure de la Cité interdite. Aujourd’hui, Journal du Japon vous emmène dans un tourbillon de complots avec sa sélection de mangas dédiés à, comme on l’appelle au Japon, la chûka fantasy… 

Un peu d’histoire

Tome 1 sur 3 du roman des Trois Royaumes ©Flammarion

Derrière cette tendance éditoriale se cache un attrait réel du Japon pour la cour impériale chinoise. L’archipel a été grandement influencé par son voisin continental, lui devant les kanjis de son système d’écriture, le bouddhisme ou encore la gestion centralisée de l’administration d’État. Cette influence est particulièrement marquée durant la dynastie Tang (618-907), période qualifiée d’âge d’or de la civilisation chinoise et qui a vu de nombreux échanges entre les deux pays..

Trois des Quatre livres extraordinaires, piliers de la littérature chinoise, sont également connus pour avoir infusé dans la culture japonaise : Au bord de l’eau, la Pérégrination vers l’ouest et les Trois royaumes. Écrit au 14e siècle par Luo Guanzhong, ce très long roman historique narre les tensions internes et externes au palais impérial, précédant la chute de la dynastie Han (169-280), et posant les bases du récit d’intrigues. 

Les ingrédients d’un bon manga de cour impériale

Pour cette sélection, la recette est à peu près la même pour tous les titres, mais les quantités de chaque ingrédient diffère et détermine la saveur du manga. Vous aurez donc besoin :

  • d’un light novel : facultatif mais souvent utilisé afin de mettre en place un lore élaboré au service de l’adaptation en manga. Il contiendra un Empire, une Cité interdite et un palais intérieur ainsi que tous ses résidents.
  • d’un·e dessinateurice chevronné·e : capable de rendre justice à la richesse des décors et des tenues portées à différentes périodes de l’histoire chinoise.
  • d’une héroïne. À part l’Empereur et les eunuques, les hommes ne sont pas autorisés dans le palais intérieur. Une femme a donc plus de possibilités de s’y déplacer. Elle devra avoir le sens de l’observation, faire preuve de caractère et être capable de gérer les conflits par tous les moyens mis à sa disposition… quitte à parfois outrepasser sa position, car elle ne sera pas forcément de noble extraction.
  • d’un personnage masculin : évoluant aux côtés de l’héroïne, il a souvent les moyens d’agir de façon plus directe grâce à son statut de noble, voir de prince, et a ses propres motivations à se trouver à la cour. Doté d’un esprit affuté, il peut user d’un charme ravageur même sans intention romantique. Il a le rôle de protecteur mais peut être déstabilisé par l’attitude de sa partenaire.
  • de comploteurs : ça peut être n’importe qui. Familles nobles, ministres, concubines, maîtresses, eunuques, servantes. Et même l’Empereur si l’envie lui en prend. Les outils à leur disposition sont généralement le poison sous toutes ses formes possibles, tant qu’il permet d’écarter une rivale ou de déstabiliser le pouvoir en place. Le recours à un assassin formé est également une option.

« La cour intérieure est le lieu de résidence des concubines de l’empereur. Ce splendide jardin de femmes est le lieu où tourbillonnent manigances et ruses de pouvoir. Je pars à la découverte de ce monde luxueux et terrible » Yuran, la Gardienne des concubines.

Maomao, l’apothicaire impériale

Une jeune fille entourée de fleurs de cerisiers tient un éventail

Est-il encore nécessaire de présenter les Carnets de l’apothicaire, le manga par qui tout a commencé ? Née de la passion de Natsu Hyûga pour la période Ming (1368-1644), la série de light novels a donné lieu à deux adaptations en mangas publiées par Ki-oon et Mana Books, un spin-off centré sur Xiolan la joviale lingère et meilleure amie de l’héroïne, et un anime dont la seconde saison vient de se conclure sur d’incroyables révélations. Si l’autrice avait suivi son idée, sa série de romans n’aurait duré que quatre tomes et son protagoniste masculin Jinshi aurait connu une fin brutale. L’attachement des fans et la pression familiale (la tante de Hyûga-sensei est une grande fan) en ont décidé autrement.

Apothicaire du quartier des plaisirs, Maomao se retrouve malgré elle plongée dans les affaires du palais impérial du pays de Li et doit supporter la présence de l’eunuque Jinshi, tout en navigant parmi les complots et intrigues de plus en plus dangereux de la cour. Revêche, volontiers cynique et totalement désintéressée des choses du monde si ça n’implique pas les poisons ou sa survie, Maomao a un caractère assez unique qui contredit son désir de ne pas se faire remarquer.

Si vous n’avez pas la patience d’attendre la parution des mangas qui ont rattrapé la parution japonaise, vous pouvez vous lancer dans les light-novels publiés par Lumen, dans lesquels l’histoire est très développée et avancée, rendant les résolutions d’énigmes et les relations entre personnages d’autant plus intenses.

« Je ne sais pas si j’ai été vendue ou échangée contre une autre femme, mais j’aurai voulu ne jamais mettre les pieds ici ! » Maomoa

Yuran, la Gardienne des concubines

Une jeune femme tient un long parchemin déroulé. Derrière elle , de profil, se tient un homme aux longs cheveux

Dernier arrivé parmi les mangas du genre, la Gardienne des concubines (Mana Books) est un titre où la politique joue un grand rôle. Les résidents de la Cité interdite se répartissent en trois factions qui, comme nos partis politiques, sont plus ou moins dévouées à l’Empereur, et les Ministres autant que les concubines usent de leur influence pour avancer leurs pions, sous le regard malicieux du jeune souverain qui se délecte de la situation.

C’est au milieu de ce sac de nœuds que Yuran, 27 ans, célibataire et roturière issue d’une prospère famille de marchands, se voit sommée d’épouser Kogetsu, l’un des chanceliers de l’Empereur, et de prendre soin des nombreuses maîtresses de ce dernier. La situation ne manque pas de piquant car l’arrivée d’une femme du peuple fait jaser et que Kogetsu malgré sa noble extraction et ses compétences, semble doux comme un agneau. Mais que l’on ne s’y trompe pas : passés les premiers tâtonnements au sein d’une cour hostile, Yuran révèle un caractère bouillant dès qu’il s’agit de se confronter aux bassesses des comploteurs. Ingénieuse et pragmatique, elle s’investit dans ses tâches, ce qui compense son manque d’expérience des relations plus personnelles avec Kogetsu.

Adapté du light novel de Aki Shimiki (9 tomes à ce jour), le manga de Shiori Hiromoto prend le parti de distiller des détails de la vie de tous les jours dans la cour impériale, comme ce qui peut y être commercé, les services administratifs, ou l’usage des couleurs des vêtements pour distinguer le rang ou les alliés potentiels. L’histoire s’attache également à développer la relation entre Yuran et Kogetsu, qui sont mariés par obligation et vont apprendre à se connaitre et se soutenir dans les épreuves… Épreuves qui consistent notamment à voir le beau chancelier se vêtir en une superbe femme, juste parce que ça amuse le Fils du ciel.

Sur deux pages, une jeune femme très grande et l'air inquiète en a rejoint une autre. Cette dernière se jette dans ses bras, au bord des larmes et de l'épuisement
Oui cette grande et belle femme au regard inquiet devant sa femme en plein désarroi c’est Kogetsu

C’est donc un savant mélange entre comédie et enquête, qui met en lumière les personnalités et les caractères parfois compliqués qui évoluent dans cette cour intérieure. Sous le vernis de la convivialité féminine et des apparences, le danger n’est jamais loin.

Koyô, l’excentrique médecin

Une jeune femme aux longs cheveux blancs écrase des ingrédients dans un mortier, sous le regard attentif d'un homme de grande stature posté non loin d'elle

La myriade de provinces qui composent l’Empire des Fleurs de lune partage une croyance commune : les maux, petits ou grands, peuvent être soignés par les plantes et les prières. Cette superstition est mise à rude épreuve quand, en tentant d’échapper à une énième tentative d’assassinat, le prince héritier Keiun est en passe de perdre son homme le plus fidèle à cause d’une grave blessure.

Entre en scène Kôyô, une adolescente aux longs cheveux argentés qui s’engage à soigner l’infortuné garde du corps… en le recousant ? Comprenant qu’il a mis la main sur la clé pour assurer son accession au trône, le prince convainc (plus ou moins) la jeune fille de le suivre à la capitale.

C’est à un moment charnière de la vie de cet Empire que Tohru Himuka, déjà connu en France pour Shinobi Quartet, nous invite à assister. En effet les concepts totalement inconnus de médecine et de chirurgie vont se confronter à l’ignorance du grand public, mais aussi aux sectes qui jouent sur cette ignorance pour conserver leur influence. Une situation qui n’a pas tant changé que ça dans notre réalité, et Keiun comme ses adversaires ne font pas mieux. Même si les sentiments du prince pour Kôyô évoluent, sa première idée est de l’utiliser pour ses propres ambitions.

Le mangaka a dument fait ses recherches sur les pratiques médicales tout en les adaptant à l’époque de son manga, et à travers son exubérante héroïne obsédée par les opérations et les muscles (ndlr : on se demande ce qui se passerait si elle rencontrait Maomao), elle parle aussi d’inégalités sociales, de xénophobie et de la place des institutions religieuses. Il n’est pas tant question de la vie de la cour, même si elle compte une seule grande concubine très influente sur un Empereur certes compétent, mais aveugle aux complots. Ici, c’est plutôt l’avenir de la Nation via le progrès scientifique qui se joue.

Comptant à ce jour 13 tomes dont 5 parus en France, la série est publiée par Kurokawa.

« Ce bon vieux nid de vipères m’avait manqué » Prince Keiun

Linfa, la Servante de l’Empereur

Un homme et une femme aux longs cheveux noirs, portant tout deux un kimono blanc, se tiennent l'un près de l'autre

La cour de l’Empire de Koen est en ébullition. L’Empereur chercherait une épouse et Linfa, fille du clan Ryu, fait partie des prétendantes. Mais la jeune femme a toutes les raisons de trainer les pieds. Le mariage ne l’intéresse pas, du moins pas selon les conditions imposées par son père qui se sert d’elle pour intégrer la famille impériale. Au pire, elle sera forcée de se marier avec l’héritier d’un clan ennemi. Et surtout, elle a 17 ans et l’empereur Shiyu… 5 ans.

Mais elle se voir offrir une nouvelle voie. Soren, le charismatique et très franc régent, lui propose la place de dame d’honneur de l’Empereur pour veiller sur lui. Elle saute sur l’occasion de prendre de la distance avec sa famille et découvre la vie pleine de secrets du palais.

La Servante de l’empereur est peut-être le titre le plus chill de cette sélection. Porté sur les relations familiales et la romance, il aborde également le conflit générationnel et l’envie qu’a la jeunesse de s’affranchir de la vieille garde. En effet, Linfa appartient à l’un des cinq clans influents de la cour, tous dirigés par des hommes, âgés et avides de pouvoir, capables de sacrifier le bonheur de leurs enfants pour ce faire. La franchise, l’empathie et l’envie de liberté de Linfa, mais aussi de Soren, qui ne veut pas prendre la place de l’Empereur par calcul politique, s’accordent évidemment mal avec ces jeux de pouvoir.

Comptant 6 tomes à ce jour, le manga de Haruki Yoshimura adapte le light novel de Ichiha Hiragi en un shôjo charmant. C’est aussi le deuxième manga de cour au catalogue Ki-oon.

Sur deux pages, une jeune femme dans un élégant kimono s'extasie de la mignonnitude des petites filles également en kimono assemblées autour d'elles. Pour les détendre et leur permettre de faire bonne impression devant l'empereur, elle se met à jouer de l'enu, un long instrument à corde. Les petites dansent avec assurance
Linfa et les jeunes prétendantes de l’empereur ©Ki-oon

« Il sait déjà ce que je veux, il ne fait que s’amuser un peu » Linfa

Karin, l’assassin du palais

Une jeune fille aux yeux très cernés, cheveux coiffés en carrés et tenant une aiguille à la main

O Karin, fille d’un haut fonctionnaire dont on dit qu’il a versé dans le meurtre et la corruption pour arriver à sa position, veut intégrer la cour intérieure pour se faire des amies. Mais entre sa filiation qui terrifie son entourage, ses yeux constamment cernés et sa naïveté, difficile de la voir vivre sereinement dans le coupe-gorge qu’est le Palais impérial du pays de Hokugi. Surtout qu’une guerre féroce de succession fait rage et menace le nouvel Empereur, à peine âgé de 10 ans, et qu’un concours de circonstances pousse Karin à vouloir protéger en usant de ses talents d’assassin qu’elle exècre pourtant.

Ce seinen de Tabasa Iori opte pour une approche frontale et parfois sanglante. Ici, tout le monde complote et assassine au grand jour. C’est la gentillesse de Karin, couplée à ses aptitudes aussi spectaculaires que létales, qui permettent de sauver le décorum et surtout le jeune Empereur. L’ascension sociale de la jeune fille est aussi une plongée dans la noirceur d’une cour en pleine déchéance et sur le point de tomber, entraînant le royaume avec elle. Ici, le conflit est aussi bien dans le palais que dans les rues. L’action ne s’arrête jamais et les révélations fusent.

Certains lecteurs qualifient le Palais des assassins de copie des Carnets de l’apothicaire, mais les deux mangas n’ont en commun que leur éditeur, Ki-oon (et oui, encore lui). À mesure que l’histoire avance, la personnalité très binaire de Karin, sa volonté, et ses ambitions s’étoffent, plus typique d’un parcours de personnage de shônen. Le nombre important de personnages secondaires capables d’interférer dans l’intrigue donne aussi une vision plus juste de ce que doit être une ambiance de complot quand les intérêts de chacun entrent en collision ou s’accordent.

Toujours en cours de parution, avec 6 tomes, le Palais des assassins est sans doute le titre le plus orienté action de cette sélection.

« Je vois, il a beaucoup d’ennemis. Je me dois de les tenir à distance » Karin

Le complot est partout !

À la Cour impériale, il s’immisce partout, prenant moult formes pour plaire et garder le lecteur accroché. Tissées de romance, trempées dans le sang ou confrontées à un monde changeant, les intrigues sont ni plus ni moins que le reflet des relations humaines… quand communiquer ne suffit pas à imposer son point de vue. Au milieu de tout ça, des jeunes femmes et leurs compagnons font le choix de se tenir du côté de la justice, même si pour le moment, il est trop tôt pour savoir si leur avenir sera radieux.

Avez-vous lu d’autres mangas d’intrigues sous les ors d’un palais lointain ? Dites tout à Journal du Japon !

Albine

Née avec un manga dans la main, bibliothécaire et collectionneuse

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Vous aimerez aussi...