Rentrée littéraire 2025 : la sélection du Journal du Japon
Nous nous retrouvons aujourd’hui pour notre sélection annuelle du mois de septembre avec six livres et autant de registres différents ! Amateurs de romans noirs, d’essais ou de classiques littéraires : vous ne serez pas en reste pour démarrer cette rentrée.
Strange Houses – Uketsu

Dans la famille « ouvrage original », nous demandons l’une des meilleures ventes de fiction au Japon en 2023 : Strange Houses ! Uketsu, auteur de Strange Pictures qui avait été un phénomène lors de sa sortie au pays du Soleil-Levant en 2022, nous livre ici un roman au format des plus atypiques : de longs dialogues, découpés en plusieurs morceaux, précédés de rapides introductions et suivis de courtes pensées du narrateur, le tout parsemé de plans architecturaux… Voilà de quoi éveiller la curiosité !
Le protagoniste, « Moi », dont on ne connaitra jamais le prénom, est un rédacteur freelance spécialisé dans l’occulte. Un de ses amis, en plein achat immobilier, le contacte pour obtenir son avis au sujet d’une maison qu’il a visitée et qui lui plait bien, mais dont il a un mauvais pressentiment. Avec lui, les plans de la maison en question. « Moi » les regarde attentivement, et il repère en effet quelques éléments bien étranges… Pour en avoir le cœur net, il contacte à son tour l’un de ses proches, Kurihara, architecte.
Ensemble, les deux enquêteurs se lancent dans une succession de théories d’abord jugées farfelues, mais pourtant potentiellement des plus macabres. Cependant, ils sont loin d’imaginer l’ampleur de cette histoire…
« Kurihara : En général, les parents souhaitent que les chambres des enfants soient aussi ensoleillées que possible… Une chambre d’enfant sans fenêtre, je n’ai jamais vu ça, du moins dans une maison individuelle.
Moi : Il doit y avoir une raison, non ? Par exemple, une maladie de peau qui interdit de s’exposer au soleil…
Kurihara : Dans ce cas, il suffirait de tirer les rideaux. Ce qui me semble anormal, c’est plutôt qu’il n’y ait aucune fenêtre dès le départ.
Moi : En effet.
Kurihara : Et puis il y a une autre bizarrerie dans cette pièce. Regardez les toilettes. Vu l’emplacement de la porte, on ne peut y accéder que par la chambre d’enfant.
Moi : C’est vrai. Cela veut dire qu’il s’agit de toilettes réservés à cette chambre ?
Kurihara : Probablement.
Moi : Une chambre sans fenêtre, avec un sas d’accès et des toilettes… On dirait une cellule, non ?»
Strange Houses est un roman atypique dans son format, qui joue sur le visuel. Les plans étudiés sont montrés aux lecteurs et commentés par les personnages. On se prend alors au jeu d’essayer de trouver par nous-même la ou les anomalies qui vont intriguer nos enquêteurs avant de lire la suite des dialogues, et même de résoudre l’énigme de ces bien étranges maisons. Très facile à lire, le roman est rapide, même peut-être trop rapide. On veut d’autres plans, d’autres étrangetés,… ! Mais pas d’inquiétudes, le succès fut tellement au rendez-vous que le plaisir se prolonge dans l’adaptation manga du titre que nous vous présentons dans notre sélection de thrillers de la rentrée.
Plus d’informations sur le site de l’éditeur.
Les amours artificielles au Japon – Agnès Giard

S’il y a bien un phénomène que l’imaginaire collectif attribue en premières intentions au Japon, c’est celui de l’amour porté par des humains pour des personnages fictifs. On se souviendra toujours de ce Japonais qui a fait la une des journaux lorsqu’il s’est marié avec la chanteuse virtuelle Hatsune Miku en 2018. Les réactions et interrogations n’ont pas trainé : qu’est-ce qui peut expliquer une telle situation ? Comment un être de chair et de sang peut-il éprouver des sentiments pour une entité qui n’existe pas ? Comment le virtuel peut-il autant s’immiscer dans le réel ?
C’est tout ce qui entoure l’amour et la sexualité au Japon qui attise la curiosité d’Agnès Giard, docteure en anthropologie de l’Université de Nantes. Ses publications sur le sujet ne manquent pas. Parmi elles, les ouvrages L’Imaginaire érotique au Japon (2006), Dictionnaire de l’amour et du plaisir au Japon (2015) et Histoires d’amour au Japon (2019) ainsi que les articles de revues scientifiques que l’on retrouve sur Cairn.info. Cette année 2025, c’est un ouvrage entièrement consacré aux histoires d’amour artificielles que la chercheuse nous propose : une analyse des plus profondes sur un phénomène de société qui soulève de nombreux sujets sociaux.
« Acculé à la solitude, que faire ? Pour beaucoup de célibataires, la vie est certainement plus douce en compagnie d’un personnage. Plus douce, plus excitante, mais plus cruelle aussi, car l’amour reste « à sens unique ». En japonais, « sentiments non partagés » se dit kata-omoi. Un « aller simple » se dit kata-michi. « Borgne » : kata-me. « Unijambiste » : kata-ashi. Le mot kata renvoie aux choses qui normalement forment la paire mais se retrouvent seules, frappées d’incomplétude. Bien qu’ils (et elles) affirment vivre en couple avec leur personnage, les adeptes d’amour en 2D ne prétendent pas pour autant faire illusion. Au contraire, insistant sur l’idée du manque, ils montrent que leur bonheur relève d’une quête vouée au fiasco, parce que l’objet de leur désir restera à jamais séparé d’eux par une limite. »
Véritable enquête, Les amours artificielles au Japon est un ouvrage passionnant qui suscite de nombreuses émotions : surprise, tristesse, consternation, dépit, inquiétude,… Les propos sont sourcés et agrémentés de textes précisant les éléments culturels contextualisant, nécessaires pour saisir toutes les sources du phénomène. En somme, un ouvrage passionnant sur un sujet d’actualité des plus controversés !
Plus d’informations sur le site de l’éditeur.
Le tour du Japon en (presque) 80 histoires – Régis Arnaud

Loin du roman, nous vous présentons ici un ouvrage une fois de plus original : une compilation de plusieurs dizaines de récits vrais du pays du Soleil-Levant, afin de faire Le tour du Japon en (presque) 80 histoires ! Aux commandes de ce périple : Régis Arnaud, journaliste français installé au Japon depuis 1995, correspondant du Figaro, de Challenges et d’Europe 1. Rédacteur en chef de France Japon Eco et chroniqueur pour le média japonais Toyo Keizai, l’auteur connait le Japon de l’intérieur.
Depuis 2006, il écrit régulièrement sur son pays adoptif de courts textes ciblés sur un sujet précis. Tout passe sous son radar : des faits de société aux événements historiques qui ont frappé le pays, Régis pose des mots sur tout ce qui caractérise le Japon. De ce qui le rend si beau, comme la mer intérieure ou la floraison des sakura, à ce qui le rend si terrifiant, comme le massacre du Kanto ou l’effrayante politique eugéniste de 1948 à 1996.
Ici, pas de faux semblants : l’auteur ne nous dépeint pas le Japon idyllique que l’on voit partout, mais nous parle du vrai Japon. Celui qui subit les catastrophes, celui que la politique ne couronne guère de prestige, celui qui entretient l’art et développe la technologie,… Sa culture, son peuple et son histoire, tout y passe.
« Ce sont des séparatistes, qui cultivent avec un soin de jardinier leur différence. Celle-ci est désormais temporelle. Tout ce qui est abandonné ailleurs y survit : les pompistes des stations essence, les livreurs de journaux, les hôtesses d’ascenseurs, les contrôleurs de train… On y communique par fax. On y paie en espèces – à telle enseigne que les enfants chinois, nés dans le monde du paiement sans contact, s’exclament quand ils voient au Japon, pour la première fois de leur vie, des pièces et des billets : « C’est nouveau ? »
Pour le touriste étranger, ravi, le Japon est ainsi devenu une comédie musicale sur le XXe siècle, avec 124 millions de figurants exécutant pour ses visiteurs le spectacle temporaire d’un pays éternel. Plus précisément, il est une répétition. »
Si vous pensiez tout savoir du pays du Soleil-Levant, il est fort à parier que vous serez surpris à la lecture de cet ouvrage. Connaissez-vous l’histoire de la princesse Masako, cette impératrice aux ailes brisées ? Et celle de la secte Moon ? Comprenez-vous cet étrange combat contre la « pollution touristique » ? Et cette culture de la chasse à la baleine ? Régis nous livre ici un vaste panorama des différents sujets qui caractérisent le Japon, pour le meilleur comme pour le pire.
Plus d’informations sur le site de l’éditeur.
La bossue – Saô Ichikawa

À travers ce roman, Saô Ichikawa nous livre ses réflexions sur le validisme en nous plongeant dans le quotidien des personnes en situation de handicap physique. Elle-même atteinte de myopathie congénitale, l’autrice prend pour personnage principal une femme entre deux âges, porteuse de la même maladie et qui doit utiliser, tout comme elle, un fauteuil roulant et respirateur pour vivre au quotidien.
Héritière d’une famille très aisée, la narratrice vit dans une institution spécialisée créée par ses parents. Entourée d’une équipe d’aidants qui se relaient pour les actes du quotidien, elle aborde sans fards différents sujets qui déroutent autant qu’ils amènent à réfléchir. L’autrice brise tout d’abord le tabou de la sexualité en abordant ce thème à travers les penchants de la narratrice qui n’a jamais eu de relation amoureuse et s’adonne à l’écriture de textes pornographiques mis en ligne sur des sites de publi-reportages (articles décrivant des lieux sans que le ou la journaliste ne se soit rendu.e sur les lieux, avec des informations entièrement trouvées sur Internet).
« Bien reçu, merci. Je peux compter sur vous pour la suite (la 2e partie), et les 20 lieux coquins pour pécho à Fukuoka et Nagasaki avant ce week-end ? » « Ça marche, je vous livre les 3 d’ici samedi » Je reprends l’iPad mini et je me reconnecte sur WordPress. Je tape sur l’entrée « À Fukuoka », parmi la liste que le staff édito a préparée en mettant seulement le titre sur le template. À partir de là, je transfère l’autorité éditoriale lecture et écriture à Buddha. Buddha, c’est mon nom d’utilisateur. Parce que ça fait 29 ans que je vis au Nirvana. Depuis le jour où j’ai fait un malaise et je suis tombée dans les pommes, en classe de 4e2, à ma place à côté de la fenêtre, parce que mes fonctions cardio-pulmonaires n’assuraient plus une saturation en oxygène suffisante, du fait que mes muscles sont restés sous-développés à l’adolescence. Et à demeure, depuis.
Tout l’argent qu’elle perçoit avec ce travail – dont elle n’a pas besoin pour vivre étant donné l’héritage faramineux laissé par ses parents -, elle le reverse à des associations caritatives. À côté de cela, la narratrice livre également de façon régulière ses réflexions provocatrices sur son compte Twitter, qu’a priori presque personne ne regarde. Sous le pseudonyme de Shaka (qui fait penser à Shakyamuni, le nom du Bouddha), elle lâche de courtes phrases comme : « Dans ma prochaine vie, je veux être une pute de luxe » ou « La vie devient très pure quand on a l’argent et pas la santé ». Mais quand l’un de ses aides-soignants va tomber sur son compte et comprendre qui se cache derrière, la narratrice va découvrir de nouveaux enfers dans son paradis de souffrances.
La bossue est un récit poignant et déroutant, résolument provocateur. L’autrice, par la voix de sa narratrice, n’hésite pas à s’adonner aux descriptions les plus crues et à prendre des positions radicales sur certains sujets, des positions qui amènent toujours à réfléchir et à repenser notre environnement si peu adapté aux différences. Une histoire rythmée par le respirateur qui la maintient en vie et les mille et unes difficultés qu’elle rencontre au quotidien… Ce roman a reçu le prestigieux prix Akutagawa en 2023 et il vaut en effet largement le coup de s’y intéresser !
Plus d’informations sur le site de l’éditeur.
Le dernier thé de maître Sohô – Cyril Gély

Le dernier thé de maître Sohô, un récit d’environ 160 pages, nous emmène dans un Japon historique et fantasmé, à l’aune d’une écriture poétique et aérienne. Nous y suivons Ibuki, une jeune paysanne qui rêve de devenir samouraï… à l’époque où ceux-ci sont sur leur déclin. Le roman s’ouvre l’année même où le commodore Perry force l’ouverture du Japon avec ses fameux « bateaux noirs » et se clôt sur la dernière bataille menée par les samouraïs contre l’ordre établi, celle où le célébrissime Saigo Takamori décidera de mettre fin à ses jours.
Si l’histoire fait référence à des événements historiques précis, à des lieux et des personnages réels, nous ne pouvons nous empêcher d’y sentir une certaine « japonaiserie » : il y a le sabre, le thé, les sakura en fleur, le mont Fuji, etc. L’auteur nous fait traverser le Japon du nord au sud en compagnie de la jeune héroïne qui a décidé de partir trouver Akira Sohô, dont la réputation de bretteur hors pair lui est venue aux oreilles. Mais le vieil homme a depuis longtemps délaissé le sabre pour choisir la vie, à travers la voie du thé. Ibuki devra longuement s’entêter, et se travestir, pour le persuader de la prendre comme disciple.
« Le maître ouvrit une petite boîte ronde, opaque et étanche, sur laquelle était dessiné un grand soleil.
— Ce thé a horreur de la lumière, de l’humidité et encore plus de l’impureté de l’air.
La poudre était d’une finesse extrême et d’un vert lumineux. On aurait dit de la poussière de jade. Le maître jeta délicatement une pincée dans chaque bol et referma aussitôt la boîte. Il versa lentement l’eau à ébullition. Puis saisit un fouet en bambou et mélangea le tout. »
Le dernier thé de maître Sohô, c’est l’histoire de nos rêves et de leur confrontation à la réalité, d’une relation de maître à élève, de la ténacité, d’un chemin de vie et de l’importance des rencontres. Si ce roman intéressera sans nul doute les lecteurs passionnés de culture japonaise, il est néanmoins à noter que l’histoire pourra paraître parsemée de clichés pour celles et ceux qui connaissent la littérature japonaise. Quant à la relation qui entoure les deux protagonistes et aux rapports de genre qu’elle sous-tend, elle nous a laissé une impression quelque peu malaisante… Mais nous vous laissons vous faire votre propre opinion !
Plus d’informations sur le site de l’éditeur.
Hôjôki – Kamo no Chômei

Peut-être avez-vous déjà croisé ce récit, sous le nom de Notes de ma cabane de moine ? Trésor de la littérature japonaise, qui nous vient du XIIIe siècle, le célébrissime texte de Kamo no Chômei est ressorti cette année dans une nouvelle édition qui ravira tous les passionnés de littérature traditionnelle et apprenants du japonais. Paru dans la collection bilingue d’Armand Colin (dont nous avons déjà parlé ici), cette réédition de presque 200 pages comporte le texte original, sa transcription en romaji, sa traduction en français et de nombreuses photographies en noir et blanc en guise d’illustrations. Des notes et une introduction viennent compléter le tableau tout en recontextualisant le récit. Il est également à noter que les fichiers audios du texte sont téléchargeables gratuitement sur le site de l’éditeur.
« Le flot de la rivière ne s’arrête jamais, et l’eau ne reste jamais la même. Des bulles montent à la surface des bassins, éclatant, se reformant, sans jamais s’attarder. Elles ressemblent aux gens de ce monde et à leurs demeures. »
Ainsi s’ouvre le Hôjôki, écrit fondateur sur l’impermanence – le mujô en japonais – un concept qui traverse les œuvres littéraires nipponnes. Rédigé à une époque où les catastrophes naturelles et celles causées par l’homme s’enchaînèrent, cet essai trouve toujours écho dans notre monde actuel, à l’ère du dérèglement climatique et des catastrophes écologiques à grande échelle. Il y a huit siècle déjà, un moine bouddhiste retiré du monde au fond d’une cabane dans les bois nous mettait en garde contre les dangers du matérialisme en prônant un retour à la nature. Dans l’introduction du présent ouvrage, le Hôjôki est même comparé à Walden de Henry David Thoreau.
« La vie dans ce monde est difficile. Comme je le dis souvent, les hommes et leurs maisons sont vides et éphémères. Les exigences de statut et de rang apportent d’innombrables soucis. L’homme humble qui vit dans l’ombre des puissants : il ne peut se réjouir, même s’il est content. Ou crier quand il est submergé par le chagrin. Il ne lui est pas facile d’agir librement. Il est comme un moineau près du nid d’un faucon : toujours inquiet, toujours tremblant. Le pauvre qui vit dans l’ombre des riches : sa pauvreté lui cause de la honte. Matin ou soir, en allant ou en venant, il doit toujours être servile.
L’auteur divise son écrit en trois parties : Souffrance, Détachement et Transcendance. Dans la première, il fait l’état des lieux des différentes catastrophes qui ont ravagé le pays (incendie, tornade, famine, etc.) et souligne à chaque fois l’aberration pour les êtres humains de vouloir posséder, se rassembler, se dominer dans de telles circonstances. La deuxième partie est consacrée à son choix de vie – se retirer loin de ses semblables pour vivre en autosuffisance dans les bois – et décrire les bonheurs quotidiens que celui-ci lui apporte : le chant des oiseaux, les paysages, la plénitude,… Il écrit qu’« un lieu de beauté n’a pas de propriétaire ». La troisième et dernière partie, beaucoup plus courte, vient tirer les conclusions de ce qu’il a développé précédemment sous le prisme d’un regard de moine bouddhiste.
Si le point négatif de cette série d’ouvrages est que les textes japonais sont d’abord traduits en anglais avant d’être repassés en français, leur présentation bilingue et illustrée n’en reste pas moins très intéressante. Les explications sous forme de schémas (comme par exemple le plan de l’ancienne capitale) et de notes viennent enrichir l’œuvre originale tandis que la transcription phonétique de la version japonaise permet aux lecteurs non-japonisants de profiter des sonorités de cette langue. Un joli livre à offrir, ou à s’offrir !
Plus d’informations sur le site de l’éditeur.
Ainsi s’achève notre sélection de la rentrée. Nous espérons que vous y trouverez votre bonheur, pour vous diriger vers l’automne le plus sereinement possible…

Bonjour, je lis avec beaucoup de plaisir votre journal. Professeure aux Beaux-arts de Paris, spécialiste du Japon contemporain, j’attire votre attention sur ma nouvelle publication, Je ne suis pas un Yakuza, publié aux Éditions Conférence.