Gaming Memories #70 – Dead or Alive
Suite au succès de Virtua Fighter en 1993, le jeu vidéo de combat en 3D n’a eu de cesse de se propager dans les salles d’arcade et sur consoles. Tekken en décembre 1994, Battle Arena Toshinden et Fighting Vipers en janvier et août 1995, Soul Edge en mai 1996 ou encore Tobal No.1 trois mois plus tard, tous essayaient de se frayer leur petit chemin jusqu’au sommet du tournoi. Parmi tous ces concurrents s’en est différencié un par son gameplay et ses héroïnes charmantes : Dead or Alive. En route donc pour novembre 1996 en arcade pour se confronter à l’une des séries les plus… sulfureuses du genre !

Le combat de la dernière chance
Derrière notre jeu du mois, Dead or Alive, se cache l’éditeur Tecmo (désormais Koei Tecmo), notamment connu pour sa série Ninja Gaiden parmi un catalogue qui avoisine les 150 titres. Il a été fondé le 31 juillet 1967 et tout comme Nintendo, son activité première n’a aucun rapport avec le jeu vidéo : en effet, ses origines remontent à Imperial Trustee Corporation, un groupe spécialisé sur… la maintenance de bâtiments et d’équipements de nettoyage. Tecmo est également issu de Nippon Yacht Co, Ltd, spécialistes de la location de bateaux. Après plusieurs changements de nom, c’est finalement en 1986 que la société se met au jeu vidéo avec Mighty Bomb Jack, sorti sur Famicom en avril.
Le milieu des années 1990 commence à être difficile financièrement pour la firme malgré plusieurs dizaines de jeux publiés. Les grands patrons demandent à Tomonobu Itagaki, encore responsable d’un seul jeu à cette époque, d’en créer un similaire à Virtua Fighter dont il est lui-même fan, en mettant l’emphase sur un gameplay rapide et provoquant – d’après le game designer, ce genre de divertissements avait besoin de violence et de sexualité…
Le jeu sera programmé sur Model 2, système d’arcade de SEGA rendu public pour les éditeurs tiers (rivalité ? affection ? qui sait !). Tecmo Creative #3 a été formé par Itagaki en 1995 dans le but d’adapter des jeux d’arcade sur consoles de salon avant de changer de nom pour Team Ninja, nom pas encore officiellement lié à DOA à cette époque. C’est donc l’année suivante que la légende du challenger incompris du jeu de baston commence… !

Notez que l’orthographe de Bayman est différente…
©Tecmo 1996
Un scénario qui annonce la couleur…
Un peu à la manière de la Mishima Corporation, qui organise les tournois Tekken, existe une organisation nommée Dead Or Alive Tournament Executive Committee (DOATEC). Cette dernière est sur le point d’annoncer un tournoi massif avec à la clé une somme colossale pour le vainqueur. Une jeune kunoichi (femme ninja) du nom de Kasumi en apprend l’existence et compte le joindre dans le but de se venger de son oncle, Raidou, qui a gravement blessé son frère (au point qu’il finisse amnésique). Raidou est un être maléfique coupable du viol de la mère de Kasumi par le passé, donnant naissance à sa demi-sœur Ayane…
Kasumi, étant soumise aux règles strictes du clan ninja Mugen Tenshin dont elle fait partie, est désormais considérée comme une traîtresse pour en être sortie sans permission. Son châtiment : la mort, à laquelle elle va tenter d’échapper tout en allant à la rencontre de Raidou jusqu’à le vaincre et même le tuer.
Dead or Alive dispose ainsi bel et bien d’un scénario, plutôt fourni si l’on considère les standards scénaristiques de ce genre de jeux à l’époque ; scénario qui ne sera absolument pas raconté dans le jeu lui-même, d’ailleurs ! Disons que ce n’est pas ce qui nous y intéresse le plus…

mensurations des personnages est aussi utile que de savoir
qu’untel aime les légumes et les promenades à cheval dans
Tekken ou Fighting Vipers, cela dit…
©Tecmo 1996
Des mécaniques de jeu solides et originales…
Dead or Alive se joue avec trois boutons : l’un est pour les attaques aux poings, l’autre pour celles aux pieds et le troisième sert à la fois de défense, projections et contres. Au contraire d’un Street Fighter où il faut faire ses combos soi-même, Dead or Alive propose ce que l’on appelle un auto combo. Il suffit donc d’appuyer plusieurs fois sur le même bouton, ou d’alterner au bon moment avec l’autre touche d’action pour effectuer des combos simples. Les attaques combinées avec une direction sont également de la partie et composent donc les enchaînements du jeu.
Pour gagner un combat, il faut remporter deux rounds par défaut et chacun ne dure que 30 secondes (durée extensible), preuve de la volonté de faire de DOA un jeu rapide. Les zones de combat sont de taille limitée et entourées de ce qui est appelé zones de danger. Là encore, à la manière d’autres productions comme Virtua Fighter ou Soul Calibur, il faut éviter d’y être projeté. La sentence n’est pas une défaite immédiate cependant, ici on subira de lourds dégâts qui peuvent être couplés avec quelques petites mandales gratuites si on a le bon timing pour rattraper son adversaire au vol. On pourra toujours subir un ring out (sortie de la zone de combat), mais celle-ci se trouve bien loin, aux tréfonds de la partie dangereuse. Là où la production de Tecmo se détache et se différencie totalement de ses concurrents, en plus de sa rapidité voulue, c’est par son système de contres.
Par sa touche dédiée, DOA propose de jouer à une sorte de « défense offensive ». En effet, ce bouton spécial ne sert pas qu’à se mettre en défense. Il pourra projeter un opposant, comme dans tout jeu de combat, mais ajoute une dimension supplémentaire à cet aspect. En utilisant ce bouton au bon moment lorsque l’on subit une attaque, on pourra juste totalement la parer et dériver puis contre-attaquer. De même, et c’est là que DOA dévoile ses mécaniques de jeu totalement folles, il est possible d’annuler une choppe ennemie pour frapper en retour ou même faire une autre projection en réponse. Projection qui peut à son tour être contrée et ainsi de suite, donnant au jeu une vraie dimension supplémentaire qui implique directement le joueur : c’est une vraie bataille d’endurance qui peut s’enclencher à n’importe quel moment !
Ajoutons à cela la possibilité de minimiser une chute pour se redresser plus vite et ainsi éviter une attaque à terre ou encore les roulades en arrière ou sur les côtés à la relevée. On n’est jamais en sécurité et l’action continue en permanence : même projeté dans les airs, on ne sera pas non plus à l’abri de manger quelques petites baffes bien senties supplémentaires…

pour casser quelques dents à Zack.
©Tecmo 1996
… pour un jeu qui fait très bien son travail.
Bon, ça, c’est dans les faits et des faits bien réels. Cependant, Dead or Alive reste assez exigeant et demande une bonne concentration pour parvenir à ce niveau de contre-attaques permanentes. Souvent, pendant un bon moment, on se contentera de l’apprécier comme un autre jeu de combat, on tentera au mieux de jeter son adversaire dans la zone de danger pour prendre l’avantage… sans se planter et finir en tant que victime. Dans tous les cas, Dead or Alive est un jeu rapide, nerveux, fluide, et le reste même encore de nos jours.
Grâce à cette diversité et à la rapidité des combattants, il faut savoir réagir, et vite. L’ordinateur, quand on joue en solo, est assez permissif sur les premiers combats alors que la difficulté augmente progressivement… très progressivement. La garde et les contres réagissent relativement rapidement et le timing imposé n’est pas aussi raide que dans certains épisodes suivants, où il devient beaucoup plus tendu (voire un peu sale). On peut donc se permettre de frapper en testant ce qui nous passe par l’esprit ; c’est plus la réaction de l’opposant et la maîtrise des contres, en utilisant sa force contre lui, qui rendra le jeu bien différent des autres car en dehors de cela, faire des enchaînements est assez simple : il suffit d’appuyer sur le même bouton en y mettant des directions pour varier. Ainsi, le jeu est accessible aussi bien aux débutants qu’aux joueurs plus chevronnés au fur et à mesure que l’on apprend son personnage et comment réagir face au combattant en face. Il est donc ouvert à tous types de joueurs, ce qui ne sera pas le cas de tout le monde en face (n’est-ce pas King of Fighters) ?
Chaque personnage offre un style de combat différent : que ce soit Kasumi ou Hayabusa les ninjas (doués d’une grande mobilité et rapidité), Tina la catcheuse ou Bayman le mercenaire (qui auront plus de facilités à attraper leur adversaire et à les enchaîner avec des prises dévastatrices), aucun combattant n’a de style copié-collé. Dead or Alive se permet même de jouer dans l’originalité avec d’autres protagonistes comme Gen Fu, plus dans les contres à attendre le bon moment pour surprendre un adversaire à son propre jeu, ou Lei Fang et son tai chi chuan pas si courant dans le milieu.
On regrettera bien malheureusement, toutefois, de constater que jouer seul n’apporte au final pas grand-chose à la longue. En effet, l’ordre dans lequel on affronte tel ou tel combattant dans le mode arcade est fixe et cela peu importe qui l’on incarne (au contraire des autres séries qui s’adaptera ou choisira les niveaux aléatoirement, au moins jusqu’aux boss qui seront des piliers fixes dans la progression). Cela pourrait être justifié scénaristiquement par le fait que nous sommes dans un tournoi, oui, mais dans les faits le jeu pousse ainsi à plutôt se frotter à un autre joueur, surtout qu’il n’est pas particulièrement difficile (si l’on excepte certains personnages mystérieusement beaucoup plus agressifs sans aucune raison). S’ajoute à cela le sempiternel (et agaçant) combat miroir qui fera s’opposer le même personnage, pour au final tout de même proposer un enchaînement de 9 combats.
Malgré cela, encore une fois, le jeu s’avère fluide, rapide et fun, peut-être même plus que les rivaux de l’époque. Tout cela se mêle à un attrait volontairement provocateur permettant d’attirer l’œil à la fois d’un débutant que d’un joueur chevronné en quête d’une nouvelle expérience. On ne s’attardera cependant pas trop sur les décors et arrière-plans, pas franchement des plus fournis, mais ce n’est clairement pas ce qui va nous importer le plus au vu de l’implication demandée au joueur ainsi que l’adrénaline des combats rapides.
Le coté provocateur ne s’étend pas qu’à l’équipe de personnages aux designs un peu différents et peut-être un peu plus réalistes mais surtout aux attributs généreux des personnages féminins. Ceux-ci, disons-le, sont une partie intégrante du jeu, volontairement mise en avant et pas spécialement du meilleur goût, n’attirant donc pas particulièrement les meilleurs regards. Les trois héroïnes du jeu disposent d’une poitrine plus que généreuse – c’est, on le sait, une marque de distinction pour attirer les jeunes joueurs en chaleur comme en témoigne une partie du succès de Lara Croft avant elles, mais ici l’idée est poussée à l’extrême. Les poitrines rebondissent de façon absurde, surnaturelle et surtout pour un rien. Cela devient rapidement ridicule et n’apporte rien au jeu, mais il faudra attendre les versions console pour trouver une option pour « désactiver les rebonds », tel que c’est (mal) traduit… un aspect souvent mis en avant malhonnêtement pour donner à la série une réputation perverse. Un comble lorsque Soul Calibur n’était pas en reste, sexualisant les protagonistes féminins à mort au bout du 2d épisode tout en s’en sortant sans problème…
La bande-son, pour terminer, est taillée majoritairement à la guitare électrique accompagnée d’une basse bien posée et quelques sons synthétiques en accompagnement. Elle est dynamique, efficace et fait bien son travail. Cependant, on reste tout de même loin d’un Street Fighter II et les thèmes de Ryu, Ken et Guile qui restent en tête pour la vie. On se souviendra surtout, sans doute, de la mélodie douce et rêveuse de l’écran des scores en fin de partie, qui tranche plaisamment avec le reste et conclut un dur labeur de combat avec chaleur.
Last Round
Dead or Alive avait pour but de détrôner la concurrence. Il avait pour but de sauver Tecmo – et c’est un pari plus que réussi. Les notes dans la presse sont hautes. L’ancien magazine japonais Game Machines révèle qu’il a été le jeu le plus populaire en arcade pendant deux semaines suivant sa sortie ; aux États-Unis, il récolte 9 millions de dollars en 1996 (soit environ 7,9 millions d’euros en 2025) malgré une distribution de la borne de moyenne envergure, sauvant la firme de la faillite par la même occasion. Un portage sur SEGA Saturn fut très vite mis en chantier pour sortir 11 mois plus tard et là encore, ce fut un succès.
Les notes sont hautes, les critiques ne lésinent pas sur les compliments, certains considèrent même que le jeu est techniquement supérieur à Virtua Fighter 2. Le nombre de copies initialement produites (soit 92000) s’écoule dès le jour de lancement et environ 161.000 exemplaires sont vendus au Japon – un très beau score, considérant le maigre succès de la console là-bas. Les notes de la presse avoisinent une moyenne de 8.5/10… ! Ainsi, il fallait s’y attendre, un portage sur PlayStation est ensuite sorti en mars 1998 au Japon et aux USA puis le mois de juillet suivant en Europe.
Cette version avait été améliorée graphiquement (ce qui lui valut majoritairement des notes supérieures à l’originale sur console, mais pas de la part de tout le monde !). C’est également le premier et unique jeu fait sous Model 2, un moteur de jeu créé par SEGA donc, à voir le jour sur PlayStation ! Elle ajoute aussi quelques nouveautés, garantissant ainsi la rejouabilité qu’un simple portage n’aurait pas pu offrir, une amélioration graphique, deux nouveaux personnages (Ayane et Bass), de nouvelles musiques et décors… une version ultime ?
En 1998 aussi sort une version améliorée du jeu en arcade nommée Dead or Alive ++. Celle-ci se base sur la conversion PlayStation dont les quelques nouvelles mécaniques seront reprises dans le futur Dead or Alive 2, telle le Tag Battle qui permet de s’affronter à 2 contre 2. En 2004, le jeu réapparaîtra une nouvelle fois et cette fois sur Xbox dans un portage nommé Dead or Alive Ultimate. Il s’agit grossièrement d’un nouveau lissage graphique, à jour pour les capacités de la console et qui se base sur l’opus originel sur Saturn, qu’Itagaki dit préférer aux autres. Cela inclut donc que les personnages de ++ ne sont pas disponibles… en revanche, c’est l’un des tout premiers, si ce n’est le premier jeu de combat de l’histoire du jeu vidéo à proposer des combats en ligne !
La série continuera son petit chemin. DOA 2 sortira en 1999 sur système arcade NAOMI de SEGA en 1999 puis Dreamcast et PlayStation 2 l’année suivante ; DOA 3 sera l’un des titres de lancement de la première Xbox, une bien belle vitrine technique en 2001, et en sera une exclusivité, tout comme DOA 4 qui lui sortira sur Xbox 360 en 2005, ajoutant encore plus de nouveaux personnages. 2012 verra la sortie de DOA 5, un épisode à la longévité incroyable puisqu’il est encore possible d’y trouver une poignée de joueurs en ligne ! Pour finir, Dead or Alive 6 le mal-aimé sera le dernier épisode à sortir, en 2019.
Chacune de ces versions a apporté son lot de nouveautés, et surtout de personnages féminins qui n’auront jamais manqué de donner la vision d’une série perverse à beaucoup de joueurs en étant incultes… et ce ne sont pas les nombreux spin-offs qui pourront les faire penser autrement. Pourtant, elle a aussi apporté son lot de révolutions et de différences dans le monde du jeu de combat : décors destructibles ou en plusieurs niveaux à traverser, dénivelés ou obstacles qui gênent un affrontement, on n’oubliera pas non plus de nommer des arts martiaux rarement (ou jamais) vus chez la concurrence comme le pencak silat (art martial indonésien) de Nico, le she quan (boxe du serpent) de Christie ou encore le systema (art martial russe) de Marie Rose.
Dead or Alive, c’est aussi un grand ensemble de spin-offs. On notera ainsi Dead or Alive : Dimensions pour commencer. Sorti en 2011 comme exclusivité pour la Nintendo 3DS, c’était un épisode parfait pour un néophyte, grâce à une difficulté assez modeste et généreuse ainsi que son mode histoire qui retrace toute la timeline de la série pour que tous puissent la comprendre. Une idée qui sera d’ailleurs reprise dans DOA 6 au travers de combats scénarisés ! Le reste, par contre, plongera de plus en plus dans le charme des héroïnes : volleyball, mini-jeux ou vacances à coup de photos… l’esprit de départ a bien été dépassé par le profit et le fanservice, malheureusement. À l’heure actuelle, des rumeurs d’un 7e jeu de combat ont fuité pendant un temps mais après l’échec commercial du 6e, toujours rien en vue… si ce ne sont des rumeurs de reboot… ce qui n’est pas forcément une bonne nouvelle…
Dead or Alive est, quoi qu’il en soit, un très bon jeu de combat, un challenger d’une qualité incroyable pour un premier essai dans le genre. Ses suites restent des versus fighting solides, fun, et qui font toujours leur travail, ajoutant toujours des petites nouveautés soit techniques, soit pour le gamesystem (et ce pas uniquement pour la série mais pour le jeu de baston en général) ou les personnages. Oubliez Tekken, oubliez Soul Calibur : la Team Ninja est là !
À la mémoire de Tomonobu Itagaki, décédé le 16 octobre 2025.

Ça me fait toujours rire d’apprendre les scénarios derrière les jeux de baston : à l’époque on zappait tout, pour nous c’était juste la bagarre sans histoire !
J’ai jamais trop trainé sur les DoA, mais les visuels et le style me plaisaient bien quand j’en voyais. Mais bon, mon cœur restera plutôt côté Tekken 😛
Merci pour le dossier du mois !