Real : permis de vivre

C’est le retour du cinéma sur Journal du Japon ! A l’occasion de la sortie du nouveau film de Kiyoshi Kurosawa, Real, dans les salles le 26 mars, nous avons plongé dans l’univers des rêves et des traumas enfouis. Compte-rendu du voyage…

JE T’AIME, JE T’AIME

Atsumi est une mangaka plongée dans le coma à la suite d’une tentative de suicide. Désireux de comprendre les raisons de cet acte désespéré et de la réveiller, son petit-ami Koichi accepte de rejoindre un programme scientifique lui permettant de pénétrer l’inconscient de la jeune fille … .

Parce qu’il accorde depuis ses premiers longs-métrages une confiance totale envers le pouvoir évocateur d’une image, Kiyoshi Kurosawa est un cinéaste précieux. De ceux que d’aucuns jugent hermétiques à l’aune de leur volonté de montrer plus que de dire ; de ceux qui confèrent à leurs films une portée symbolique essentielle à leur appréhension et qui, de fait, laisseront sur le carreau ceux qui y demeureront insensibles. Le cadre comme vecteur de sens donc, mais aussi le hors-champ comme composante fondamentale de sa mise en scène : nombreux sont ses films à bénéficier d’un gros travail sonore appuyant cette volonté, celle de faire ressentir au spectateur ce que l’image ne peut montrer.

Real

En adaptant A perfect day for Plesiosaur, le roman de Rokurô Inui, Kiyoshi Kurosawa trouve donc un terrain de jeu idéal puisque d’une certaine manière, Real se pose comme l’aboutissement de sa démarche cinématographique. Car en prenant le parti de filmer un monde littéralement cérébral, le japonais plonge dans un monde inaccessible, symbolique par essence, un univers intime qu’il aborde à bras-le-corps pour y immerger son spectateur et matérialiser ce hors-champ qui l’a toujours fasciné.

Dès lors, rien d’étonnant à ce que Kurosawa affiche sa volonté de limiter son postulat de SF à un simple prétexte lui autorisant à aborder rapidement son sujet. C’est d’ailleurs une seconde nature chez ce cinéaste habitué à se réapproprier les codes d’un genre à des fins thématiques (le doppelgänger dans Séance, le fantôme dans Kaïro…), à se servir du genre comme d’un canevas plus que comme une fin en soi. À peine s’accorde-t-il le temps d’exposer son concept et les règles qui lui incombent – temps limité, possibilité d’interruption extérieure -, aussi minimalistes en apparence qu’essentielles en terme de mise en scène.

Real

Une nécessité narrative qui lui permet d’inscrire son film dans le réel, de distinguer celui-ci de la phase onirique, et qui semble installer la première partie du film sur des bases typiques de ce à quoi il a pu nous habituer par le passé. Real est un film de Kiyoshi Kurosawa, et cela se voit : goût pour le monochrome, les bascules de lumière, contamination du réel par le fantastique… Le tout offre quelques jolis moments d’étrangeté, à l’image de ce zoom numérique extrême sur le visage d’un gamin trempé jusqu’aux os, contribuant autant à exprimer un certain malaise – un zoom optique aurait notamment donné un « mouvement » plus naturel et une image plus nette – que l’importance qu’il revêt pour celui qui l’observe.

Néanmoins, il se vit dans un premier temps de manière distanciée du fait de l’absence totale d’émotion qui s’en dégage : du récit que l’on sait mystérieux à l’instant où celui-ci dévoilera ses intentions, il y a une longue période où les relations entre les personnages ne permettent guère d’implication émotionnelle. La recherche d’un dessin représentant un plésiosaure est alors le principal enjeu d’un récit faisant graviter ses personnages autour de situations guère passionnantes (la perspective éventuelle de publier un manga d’Atsumi jusqu’alors inédit…) ou de projections mentales dont on craint une signification trop évidente (l’appartement progressivement inondé…). Bref, le film se sait mystérieux et tient à le montrer.

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Jusqu’à un certain point, celui du cap de la première heure plus précisément. Au gré d’un rebondissement que l’on ne révélera évidemment pas, Real transcende son postulat en invitant le spectateur à remettre en question ce qu’il croit – et ce qu’il croyait – être vrai ou non. En résulte une réinterprétation forcée de l’univers dépeint et de son apparente superficialité, et une invitation à voir les choses sous un autre angle (invitation tacite qui trouvera un écho quasi littéral en fin de film).

La quête du dessin apparaît alors moins importante pour sa nature (le simple fait de rechercher un dessin) que pour son sens profond et ce que cela traduit chez l’un des personnages. Plus qu’un simple twist, c’est le projet de mise en scène de Kurosawa qui nous est ici révélé. Beaucoup auront comparé le film, en partie à raison, à Inception ou Paprika. Real se rapproche pourtant autant d’un film comme L’orphelinat, de l’excellent Juan Antonio Bayona, notamment dans sa volonté de manipuler les codes d’un genre à des fins introspectives pour mieux explorer, traduire le trauma de ses personnages et l’histoire d’amour (d’une mère pour son fils, d’une jeune femme pour son compagnon) qui y est liée.

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Le film de Kiyoshi Kurosawa s’apparente donc à un cheminement psychanalytique complexe et ambitieux, et la première heure n’était qu’une étape d’un tout cohérent qu’il convient d’appréhender comme tel. Une plongée dans l’inconscient passant par la recherche de traumatismes enfouis (le dessin enfermé dans un coffre du subconscient), la confrontation littérale avec ceux-ci et l’acceptation de ce qu’ils ont pu engendrer.

Dans les faits, Real est pourtant plus ample encore. Parce qu’il aborde en substance certains maux de la société japonaise (s’y croisent pèle-mêle le spectre de Fukushima, les thèmes de l’ambition, de la perte d’identité…), parce que Kurosawa prend un malin plaisir à perdre le spectateur dans un labyrinthe mental symptomatique de l’état de ses personnages (leurs traumas, leurs désirs…), mais aussi parce que sa science du cadre apporte régulièrement un sens dont la richesse semble difficilement perceptible après une seule vision. Comme toujours, le cinéaste prend particulièrement à cœur d’utiliser tous les éléments de son cadre (architecturaux, naturels, murs, reflets, brouillard…) pour véhiculer son propos.

En cela, Real est un film qui obsède, bien aidé par une imagerie poético-macabre offrant de superbes instants de cinéma (les personnages baignés dans une lumière intense, la disparition progressive de l’être cher…), mais qui se vit en quelque sorte a posteriori, qui se décrypte avec le recul. S’il s’agit à n’en pas douter de sa principale limite, il convient aussi de constater que celle-ci fait directement écho au parcours intérieur de ses personnages. On aimerait voir plus souvent une si jolie cohérence.

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