Championnat de France de shôgi : rencontre autour de l’échiquier

Le shôgi est souvent évoqué, dans les mangas ou la culture japonaise. Pourtant, très peu d’entre nous savent réellement de quel type de jeu il s’agit ou encore comment on y joue. A l’occasion du Championnat de France de Shôgi 2019 auquel nous nous sommes rendus, Journal du Japon met en lumière ce jeu intriguant que l’on pense si semblable aux échecs occidentaux… 

Au-delà des apparences, une certaine simplicité

Déplacement des pièces

Le shôgi peut paraître très intimidant de prime abord, avec ses pions couverts de kanjis et sans distinction de couleur. Et pourtant, la prise en main est bien moins compliquée que l’on pourrait le croire. Même si cela peut paraître évident rappelons tout d’abord le principe de base : deux joueurs déplacent leurs pièces à tour de rôle dans le but de « prendre » le roi adverse. Jusque-là, rien de très différent des échecs. La première distinction majeure, qui est d’ailleurs probablement celle qui rebute le plus de joueurs, vient de l’aspect des pions. À l’exception du roi, chaque joueur possède exactement les mêmes, et contrairement à sa contrepartie européenne, impossible de se reposer sur leur forme pour en connaître les déplacements. Autrement dit, il faut être capable de reconnaître le caractère inscrit sur chacune d’entre elles.

Avec un peu de motivation, cet apprentissage un brin fastidieux ne prend pas tant de temps que cela, surtout à partir du moment où l’on se rend compte qu’il n’existe au total que huit types de déplacements et que la plupart de ceux-ci sont très proches du jeu d’échecs occidental. Une fois la mise en place faite, le reste de la partie se déroule à peu près de la même façon qu’une partie d’échec normale, chaque joueur déplaçant une pièce à tour de rôle, jusqu’à ce que l’un des deux rois soit pris. Cependant, il n’est pas obligatoire dans le cas du shôgi d’annoncer lorsqu’un joueur est en situation d’échec. Si ce dernier ne fait pas attention et ne fait pas ce qu’il faut pour protéger son roi alors qu’il en a la possibilité, il ne peut s’en prendre qu’à lui-même.

 

Une fois les pions à leur place, la partie peut commencer !

 

Promotion et parachutage

Avec son échiquier plus grand que celui du jeu d’échecs (81 cases contre 64) et ses mouvements plus restreints, le shôgi serait d’une grande lenteur s’il se limitait à cela. Deux règles permettent de palier à ce problème, offrant même une grande profondeur et beaucoup de dynamisme au jeu : la promotion et le parachutage.

La promotion intervient lorsqu’une pièce entre ou sort de l’une des trois lignes les plus proches du joueur adverse. Son contrôleur peut alors choisir de la « promouvoir », c’est-à-dire de la retourner pour changer la façon dont elle se déplace. Encore des déplacements à apprendre, nous direz-vous ? Pas vraiment, en réalité. À l’exception de la tour et du fou, toutes les pièces promues se déplacent comme des généraux d’or. La tour et le fou, eux, gagnent la possibilité de se déplacer d’une case dans n’importe quelle direction, en plus de leur mouvement de base. Enfin, les généraux d’or et le roi ne peuvent pas être promus. Il n’existe donc que trois possibilités à retenir !

Le parachutage, quant à lui, est un petit peu plus technique, mais c’est cette règle qui donne tout son sel au jeu ! Quand un joueur capture une pièce adverse, il la garde précieusement en réserve. Par la suite, et lorsque c’est son tour, il peut alors choisir de la « parachuter » au lieu d’en déplacer une, c’est à dire de la placer n’importe où sur le plateau, dans la mesure où il respecte un certain nombre de restrictions. Tout d’abord, il n’est pas possible de parachuter une pièce dans une case qui ne lui permettrait aucun déplacement. Par exemple, il n’est pas possible de parachuter un lancier sur la dernière ligne, puisque celui-ci ne bouge qu’en ligne droite vers l’avant. De même, un cavalier ne peut être parachuté sur les deux dernières lignes, vu qu’il ne se déplace qu’en « L » vers l’avant. Ensuite, il n’est pas possible de parachuter un pion dans une colonne dans laquelle le joueur en possède déjà un. Enfin, il est interdit de mettre le joueur adverse « échec et mat » en parachutant un pion. En outre, toute pièce parachutée arrive en jeu non promue. Une fois cette action accomplie, c’est au tour du joueur adverse.

Et pour aller plus loin…

Si l’on résume, pour pouvoir jouer, il faut connaître le déplacement des pièces, les règles de promotion et de parachutage. Comme pour tout, la meilleure façon d’apprendre, c’est de jouer ! Cela étant dit, tout joueur qui souhaite s’améliorer se retrouve un jour confronté aux techniques de jeu avancées que sont les « ouvertures », suite de déplacements offensifs destinés à mettre l’adversaire sous pression, ainsi qu’aux « châteaux », agencements de pièces ayant pour but de protéger le roi. Bien que n’étant pas essentielles pour pouvoir apprécier le shôgi, être capable d’identifier et d’appliquer ces stratégies en fonction de la situation et de son style de jeu est l’élément clé qui différencie un novice d’un joueur avancé. Si le sujet vous intéresse, la chaîne Youtube du club de shôgi de Lyon propose quelques vidéos sur le sujet, expliquant comment construire un château, quels en sont les avantages et les inconvénients…

 

C’est d’ailleurs à ce même club de Lyon que notre équipe s’est rendue pour assister au Championnat de France de Shôgi 2019. Grâce à cette victoire, le champion gagne la possibilité de participer au tournoi international de Shôgi qui a lieu tous les trois ans au Japon. Cette année, c’est le joueur Andy Marks qui a remporté le titre. Et comme sa victoire ne lui suffisait pas, il a enchaîné tout de suite après avec le tournoi Open rassemblant des joueurs du monde entier dans une ambiance sereine et conviviale.

We have a winner ! Rencontre avec Andy Marks

Andy Marks - Champion de France de Shôgi 2019

Andy Marks – Champion de France de Shôgi 2019 – © Aurore Lopez

Plein de bonne humeur, de passion et de modestie, Andy nous en dit un peu plus sur son ressenti durant le tournoi, et sur sa vision du shôgi.

Andy bonjour, et merci d’avoir accepté cette interview. Est-ce que vous pourriez nous parler un peu de vous ? Quel genre de travail faîtes-vous quand vous n’étudiez pas le shôgi ?

(Andy Marks) : À l’époque où j’ai commencé le shôgi, je travaillais dans le domaine du renseignement militaire. Cela m’a permis de voyager et de rencontrer des joueurs de l’autre côté du monde. J’ai fait ce travail durant 7 ans, et maintenant je suis dans une entreprise qui lutte contre l’obsolescence programmée. Mise à part ça, je suis un joueur un peu superstitieux, j’ai des petits grigris avec moi quand je joue. (Rires)

 Que ressentez-vous face à cette victoire ?

C’était une grande émotion et un grand soulagement. Gagner ce championnat était mon objectif de l’année. Je m’étais bien préparé : moins de sorties, pas d’alcool, pas de jeu vidéos non plus (rires), et plus de temps d’étude du jeu avec des amis. D’ailleurs, l’adversaire que j’ai affronté en finale aujourd’hui était un ami avec qui je m’entraîne régulièrement. C’était un peu une surprise.

Championnat de France - © Aurore Lopez

Championnat de France – © Aurore Lopez

C’est la première fois que vous participez à ce championnat ?

Ce n’est pas la première fois, non. L’année dernière j’étais en finale avec un joueur que je considère vraiment comme le meilleur joueur français : Jean Fortin. Cette année j’ai eu de la chance qu’il ne soit pas là (rires). Il a participé à beaucoup de tournois aussi avant, et je l’affrontais souvent.

 Vous jouez au shôgi depuis longtemps ?

J’ai commencé en 2010 au festival de Cannes. La ligue de shôgi organise de petits rassemblements, notamment à Japan Expo, pour apprendre le jeu au grand public. Et c’est donc à Cannes que j’ai commencé. C’est d’autant plus surprenant pour moi d’avoir gagné aujourd’hui parce que, même si j’étais déjà un joueur d’échecs au départ, j’ai commencé à apprendre le shôgi tout à fait par hasard.

Pourquoi avoir choisi de vous spécialiser dans le shôgi plutôt que dans les échecs occidentaux ?

Les deux jeux sont très connectés. Quand on aime l’un, il est assez rare qu’on n’aime pas l’autre. Par contre, le shôgi a ses petites spécificités. Par exemple, une partie de shôgi demande une forte concentration du début à la fin de la partie. Les pions peuvent être pris et retournés contre l’adversaire, on est donc difficilement sûr de gagner jusqu’à la fin du jeu. Il n’y a pas de phase technique comme aux échecs où l’on peut se relâcher quand le nombre de pièces diminue.

J’aime aussi beaucoup la communauté de shôgi. Les gens sont très gentils et donnent envie de se revoir, ce qui est assez rare dans les sports de compétition. J’ai donc appris à connaître et à me rapprocher de cette communauté avec qui j’ai plein d’autres points communs, comme le Japon.

Donc vous êtes aussi passionné du Japon ?

Oui, je prends des cours de japonais le soir depuis deux ans. Après aujourd’hui, je pense que ça va être utile. (Rires)

C’est vrai que cette victoire vous permet de participer à l’International Shôgi Forum, un grand tournoi japonais. Comment sentez-vous cette prochaine confrontation ?

Andy Marks - Un nouveau nom sur la liste © Aurore Lopez

Andy Marks – Un nouveau nom sur la liste © Aurore Lopez

C’est encore un peu loin pour se projeter. Je sais que je vais me préparer sérieusement avec mon Kenshûkai (un cercle d’études) à Paris où l’on regarde des parties pros et on en discute. L’avantage du tournoi d’aujourd’hui, c’est que je connaissais le jeu de mes adversaires. Il y aura vraiment des gens de tous les pays. Je pense qu’il y aura des joueurs peut-être un peu moins bons, et d’autres bien meilleurs que moi, alors on va essayer d’y aller en assurant la meilleure performance possible. Gagner le tournoi japonais risque d’être bien plus difficile. Il y a de jeunes joueurs, notamment japonais, qui sont passés par une école professionnelle. Le shôgi sera leur métier plus tard et ils l’étudient près de 7 heures par jour. La compétition s’annonce difficile pour moi. (Rires)

Après, le facteur chance jouera un peu aussi. Si les joueurs rentrent dans ma « zone de confort », c’est-à-dire des techniques que je connais très bien, la partie peut être intéressante. Mais à priori, ils devraient être assez pro pour ne pas se laisser piéger facilement.

Le départ est pour bientôt ?

C’est un peu loin pour moi, mais ça devrait avoir lieu en mai. Ça sera mon premier voyage au Japon, alors c’est vrai que je compte en profiter aussi de mon côté.

Merci pour cette rencontre Andy, on te souhaite plein de courage pour cette prochaine épreuve !

Du Go au Shôgi : le parachutage du président de l’association Shôgi Dojo Lyon

Remise du titre de Champion de France de Shôgi © Aurore Lopez

Remise du titre de Champion de France de Shôgi © Aurore Lopez

Rendez-vous ensuite du côté du club de Lyon, pour un entretien particulier avec son président et l’organisateur du Championnat : Frederik Wiethölter.

Passionné de jeux de stratégies, Fréderick s’intéresse au jeu de Go dont il a également créé le club. Avide de nouveaux challenges et curieux d’approfondir ses connaissances acquises au lycée, il met de côté le Go pour se tourner vers le shôgi. Aujourd’hui, il nous parle de son club et de l’organisation du championnat qui a lieu à Lyon depuis deux ans

Comment s’est faite la création du club de shôgi de Lyon ?

Le club s’est fait un peu par hasard, et c’est une anecdote assez marrante. Le Lyon Olympic Echec qui est spécialisé dans les échecs occidentaux, développe des partenariats avec de nombreux pays, et particulièrement avec la Chine. Malheureusement, comme tout bon Français, ils se sont un peu emmêlés les pinceaux entre échecs chinois (Xiangqi) et échecs japonais (Shôgi). A partir de là, j’ai utilisé des bouquins spécialisés pour aider le Lyon Olympic Echec à créer une section « Jeux d’Asie ». Pour ça, il fallait que j’apprenne un peu plus à jouer au shôgi, donc j’ai débuté à travers des jeux mobiles, et ça a commencé à me passionner. La Japan Touch a beaucoup aidé aussi grâce à la participation et l’implication des joueurs de Besançon. Finalement, le club ne s’est pas développé avec des membres déjà présents dans le club d’échecs, mais plutôt avec des gens venus de l’extérieur spécialement pour le shôgi.

Comment se situe votre club par rapport aux autres ? Avez-vous beaucoup de membres ?

En pleine partie - © Aurore Lopez

En pleine partie – © Aurore Lopez

La fédération française compte entre 100 et 120 adhérents, mais ce n’est pas très précis. À Lyon, l’année dernière, on comptait 20 inscrits, ce qui faisait de nous le premier club de France. Bien sûr, Paris compte beaucoup plus de joueurs, mais les clubs sont aussi assez nombreux et tout le monde n’adhèrent pas forcément au même club.

C’est la deuxième fois que le championnat a lieu à Lyon, que pouvez-vous nous dire à propos de l’organisation de l’événement ?

L’année dernière, aucun club ne s’était proposé pour organiser le championnat. Et il faut dire que c’est de plus en plus compliqué à cause du budget que cela implique. J’ai donc proposé de l’organiser avec le système de double tournoi (Championnat et Tournoi Open), c’était aussi l’occasion de faire connaître le club qui était tout nouveau. Comme ça s’est bien passé, nous avons réédité le championnat à Lyon.

En parallèle du championnat, vous avez organisé un tournoi Open de shôgi. Qu’est-ce que cela signifie ? Qui a pu participer ?

Quand on parle d’Open, ça veut dire que n’importe quel adhérent à un club ou à la fédération peut participer. Cette année nous avons eu la participation de 3 habitants de Barcelone, un Suédois et des personnes venant de toute la France. A l’opposé, le Championnat de France est réservé aux 16 meilleurs Français. Le Tournoi Open avait aussi pour objectif de donner la possibilité aux perdants du championnat de pouvoir jouer plus et profiter de leur week-end en leur assurant plus qu’une ou deux parties.

Participants du Tournoi Open - © Aurore Lopez

Participants du Tournoi Open – © Aurore Lopez

 Est-ce qu’il y a des prérequis à avoir pour pouvoir jouer au shôgi ?

Il est important que les débutants ne restent pas sur l’idée que pour apprendre à jouer au Shôgi, il faut savoir jouer aux échecs occidentaux. Quelqu’un qui n’a jamais joué aux échecs peut très bien apprendre le shôgi sans problème. Bien sûr, quelqu’un qui a déjà joué aux échecs aura plus de facilité pour comprendre le shôgi, mais ce n’est pas obligatoire.

Il n’y a pas non plus besoin d’apprendre le japonais ou de savoir lire le japonais pour jouer au shôgi.

 Quelles sont vos expectatives concernant le club de Lyon ? Est-ce que vous souhaiteriez que le club se développe de manière importante ?

Oui, bien sûr, mais pas seulement. Être nombreux c’est bien, mais c’est surtout important que l’on ait un noyau solide de personnes impliquées. J’aimerais aussi développer la communauté, et aider d’autres club de la région à se créer. Par exemple à Grenoble, où il manque juste une personne référente. Plus les clubs sont nombreux, plus on peut progresser.

 Vous aimeriez que Lyon reste la ville du Championnat de France pour les prochaines éditions ?

On est déjà quasi sûr qu’il se fera ailleurs l’année prochaine. Le principe du tournoi, c’est aussi que ça tourne un peu dans plusieurs villes de France. Mais pour moi, ce n’est pas une finalité en soi. J’étais heureux de l’avoir organisé la première année pour montrer notre investissement aux autres clubs de France.

Merci Frederik pour cette rencontre pleine de bons conseils.

Si vous n’étiez pas joueur et que cet article a aiguisé votre curiosité sur le shôgi, vous pouvez aller jeter un œil sur la chaîne Youtube de l’association où vous trouverez les règles et des astuces détaillées avec soin.

Et n’oubliez pas qu’il existe une série, March comes like in a lion, qui offre un très bon aperçu de cet univers également.

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