Death Stranding : que vaut le nouveau jeu tant attendu de Hideo KOJIMA ?

Depuis son départ de Konami en 2015, les fans de Hideo KOJIMA (saga Metal Gear) attendaient avec impatience le premier jeu post-Konami créé avec son propre studio indépendant (Kojima Productions).

Tant d’attente explique en partie la couverture médiatique autour de Death Stranding… Mais, alors que vaut-il vraiment ? Un chef d’œuvre, un OVNI dans l’univers vidéo ludique ? Seulement un Fedex-Simulator selon ses détracteurs ? Voici notre avis et un retour sur plus d’un mois de couverture médiatique pour vous convaincre, ou non, de poser Death Stranding sous le sapin !

Death Stranding, un monde ouvert post-apocalyptique

Le phénomène de « mort échouée »

Dès le première bande annonce du jeu, Hideo KOJIMA (comme à son habitude !) dévoile un jeu étrange et mystérieux avec des crabes échoués, des empreintes de mains, puis Norman Reedus (The Walking Dead) nu (avec une énigmatique cicatrice en croix au niveau du nombril) sur une plage, et relié à un bébé par un cordon ombilical avec du « goudron » et de nombreux animaux marins échoués… L’échouage des mammifères marins est d’ailleurs le premier sens du titre. Death Stranding est ainsi l’histoire de choses ou de personnes d’un autre monde qui s’échouent dans le monde post-apocalyptique du jeu. Strand signifie aussi en anglais et en psychologie « brin » pour évoquer la sociabilité d’un individu : le brin est ainsi vu comme un fil qui se transforme en une corde plus épaisse.

Un monde ouvert post-apocalyptique

Un monde ouvert post-apocalyptique

D’est en ouest, à la reconquête de l’Amérique !

Dans un futur proche, la Terre est ravagée et de nombreux cratères se trouvent à l’emplacement d’anciennes villes. L’humanité est au bord de l’extinction depuis les explosions et les phénomènes paranormaux liés au Death Stranding. Les pluies (timefall) accélèrent le vieillissement et attirent des créatures spectrales surnaturelles, les « Échoués », qui hantent dorénavant la planète, à la recherche des derniers survivants. Le joueur incarne Sam Porter Bridges qui a la lourde tâche de voyager à travers ces terres dévastées pour livrer en vivres et matériels les rares humains qui ont survécu, enterrés dans des abris. On notera les nombreux clins d’œil de Kojima, dont le nom du héros n’est pas vide de sens. On pense tout de suite à l’oncle Sam, personnification des États-Unis et symbole qui rassemble les Américains autour de valeurs de liberté et de démocratie notamment. Porter pourrait aussi venir du verbe français « porter » et rappeler sa mission de coursier. Bridges pour l’image du « pont » qui relie les territoires mais aussi les hommes.

Sam, livreur pour la société BRIDGES

Sam, livreur pour la société BRIDGES

Un delivery-simulator ?

De nombreuses personnes critiquent le jeu (sans y avoir forcément joué, en se basant juste sur quelques vidéos) en donnant comme argument le fait que les quêtes de Death Stranding ne sont pas originales et qu’elles sont toutes identiques : livrer des marchandises d’un point A à un point B… Il est vrai que de prime abord, on a du mal à s’imaginer que faire le livreur peut être fun. L’intérêt vient en grande partie des difficultés et obstacles que l’on rencontre. Le joueur a davantage à redouter la topographie et les pièges de la nature (pentes inclinées, ravins, rivières profondes…) que les ennemis, humains ou non ! Une bonne préparation préalable est donc nécessaire, que cela soit par l’équipement ou par l’étude des zones à traverser (en regardant la météo pour éviter les précipitations et les « Échoués »). Les livraisons sont loin d’être une sinécure et rarement la ligne droite est le chemin le plus approprié.

Les joies de la montagne !

Les joies de la montagne ! Conseil : bien préparer son itinéraire et son inventaire avant de commencer une livraison.

Sam pourra compter sur des outils bien pratiques comme l’échelle et des cordes d’escalade pour se frayer un chemin sur ces terres de désolation. Les paysages grandioses ne feront pas voyager les joueurs aux États-Unis mais bien dans les reliefs montagneux islandais dont s’est inspiré Kojima pour créer sa version post-apocalyptique de l’Amérique. Si les livraisons à pied peuvent sembler durer une éternité, parfois, opter pour un véhicule (moto ou gros camion) peut s’avérer assez distrayant et rock ‘n roll lorsque l’on s’écarte des routes que l’on peut construire. Pour développer le jeu, Kojima Production a collaboré avec Guerrilla Games (la série Killzone), le studio néerlandais qui appartient à Sony Interactive Entertainment. Death Stranding a ainsi pu profiter de leur expérience des mondes ouverts avec Horizon : Zero Dawn et son moteur de jeu Decima. Notons aussi les partenariats avec Insomniac Games (Spider-Man) et Bend Studio (Days Gone) qui ont aussi travaillé sur des open-worlds.

Le gameplay se découvre petit à petit et, pour l’apprécier, il ne faut pas s’arrêter aux deux premières heures. C’est comme un oignon : le joueur découvre chapitre après chapitre de nouvelles couches ou fonctionnalités qui enrichissent l’expérience. Hideo Kojima a choisi d’intégrer tout au long de l’aventure de mini tutoriels pour expliquer les différentes possibilités. Au début, Sam est un peu comme échoué sur une île déserte. Livraison après livraison, rencontre après rencontre, ses chances de survie augmentent grâce à la conception d’outils, d’armes, de moyens de transport ou d’infrastructures : échelles, cordes, ponts, exosquelettes, refuge, abri anti-pluie, moto, camion, pistolet, fusil d’assaut…

Exit les zombies de The Walking Dead et place aux « Échoués » !

Les ombres presque invisibles apportent une touche horrifique réussie au titre. Les « Échoués » sont une illustration de la peur de l’inconnu selon Hideo Kojima. Le créateur japonais explique que «les choses les plus effrayantes sont celles qu’on ne peut pas voir. Alors nous avons beaucoup réfléchi à comment représenter ces « choses invisibles » dans le jeu. Les peurs humaines ont toujours été à propos de l’inconnu. Les choses qu’on ne comprend pas, qu’on ne voit pas, qu’on n’a pas vécues – ce sont ces choses-là qui nous effraient. Nous voulions que les joueurs ressentent cette peur. Mais ensuite, lorsqu’ils progressent, ils comprennent progressivement ce contre quoi ils luttent, et la manière dont ils voient le monde s’élargit.»

Il est vrai qu’au tout début, Sam est plutôt désarmé face à ces ectoplasmes noirs. S’il peut voir ces ennemis invisibles, c’est grâce à BB, son Brise-Brouillard, qui lui permet de se connecter à l’Autre Côté… Sans ce bébé dans sa capsule, le joueur serait « aveugle » et ne pourrait pas localiser les « Échoués ». Les seules marques que l’on pourrait observer seraient les traces de mains laissées derrière leur passage ! Avant d’obtenir les armes pour pouvoir détruire ces ombres, Sam devra tout faire pour les éviter et les contourner. En s’accroupissant pour réduire le bruit de ses pas et en retenant sa respiration, il pourra arriver à ne pas se faire repérer…

Échoués détectés

« Échoués » détectés : s’accroupir et retenir sa respiration pour ne pas se faire repérer

Une erreur et une « zone » noire apparaît avec des ennemis qui cherchent à faire perdre l’équilibre à Sam. Ils sont tenaces et même en se débattant, Sam n’étant pas un sur-homme, vous pourrez vous faire absorber et avoir à affronter un monstre. En quittant la « marée noire », le boss disparaît et il est possible de retrouver ses marchandises. Plus impressionnants que redoutables, les « Absorbeurs » sont avant tout l’occasion d’ajouter un peu d’action et de droper des cristaux chiraux. Bien garder ses distances, quelques grenades hématiques (qui ponctionnent du sang à Sam !), sans oublier donc des poches de sang dans son inventaire… et le tour est joué !

Dans un interview pour Vulture (en anglais), Hideo Kojima explique que l’image terrifiante de l’océan et des pieuvres fait écho à un épisode marquant de son enfance, lorsque son père l’a jeté à l’eau du bateau. Cette peur de l’océan est encore gravée en lui : les grandes vagues et les animaux marins géants continuent de le hanter depuis ce jour. Son père est mort alors qu’il n’avait que 13 ans et il est devenu protecteur avec sa mère. Pour ne pas l’inquiéter, il lui a d’ailleurs caché qu’il avait créé son propre studio pour réaliser Death Stranding. Elle mourra au cours de la production du jeu, lui laissant des regrets… «Les fantômes dans le jeu, peut-être que mes parents en font partie, qu’ils me voient dans ce monde.»

Dans le duo mystérieux fœtus/adulte que nous évoquions en préambule se cachent des images et des symboles. Pas encore né, BB peut ainsi être vu comme l’intermédiaire entre les morts et les vivants, entre Sam et les « Échoués ». Assez dérangeant, le bébé est d’ailleurs considéré comme un simple dispositif pour révéler la présence des ennemis invisibles, un outil jetable qui n’a une durée de service que d’un an… Entre les gazouillis et les pleurs lors des épisodes de haut stress ainsi que les cinématiques montrant les souvenirs du nourrisson avec son père, le génial Mads Mikkelsen, Hideo Kojima arrive à ce que le héros et le joueur s’attache à leur petit protégé bien vivant. Au final, on se demande même qui protège l’autre et si les rôles n’ont pas été inversés ? C’est bien BB qui sauve la mise à Sam grâce à ses pouvoirs. Sans le bébé, Sam serait bien démuni et fragile.

Make America great again ! Ou la (re)création des liens comme thème central du jeu

À la mort de la présidente des États-Unis d’Amérique, qui se trouve être la mère adoptive de Sam, le joueur se retrouve embarqué dans une quête de reconstruction de l’Amérique. Sam devra aller d’est en l’ouest, pour reconnecter les survivants en les reliant au réseau chiral (sorte de réseau internet 2.0) grâce à la technologie Q-Pidon (Cupidon : Kojima aime les jeux de mots !). La présidente des USA incinérée, Sam est directement engagé par la société de livraison Bridges pour effectuer diverses quêtes pour convaincre les rescapés de rejoindre les Villes Unies d’Amérique (United Cities of America). Si le héros goûte peu ce projet politique, il est davantage motivé pour sauver et libérer sa sœur Amélie prisonnière de terroristes. Rassembler les survivants ne sera pas, pour autant, une mince affaire ! Les personnes s’isolent du monde et des autres. Pour ne rien faciliter, les MULEs, accros aux livraisons rendent les expéditions dangereuses. A ces bandits des chemins, s’ajoute la menace des terroristes « qui s’amusent » à tuer des humains pour que des néantisations se produisent et ainsi détruire des villes. En effet, dès qu’un humain meurt, si le corps se nécrose et n’est pas incinéré rapidement, l’âme du défunt revient dans le corps mais sous la forme d’un échoué. Il se produit une néantisation, une sorte d’explosion nucléaire détruisant au passage une zone qui devient un énorme cratère !

Interrogé sur la création des liens (vidéo de l’interview), Hideo Kojima explique ainsi le choix de ce thème : «Quand nous sommes devenus indépendants il y a 3 ans et demi, nous n’avions rien. Tous ce que nous avions étaient des liens avec des gens, des liens avec les fans. C’était le cas avec Norman Reedus, avec Guillermo Del Toro, avec Mads Mikkelsen, et avec Nicolas Winding Refn. J’ai littéralement intégré mes liens dans le jeu

« La corde et le bâton sont les deux plus vieux outils de l’humanité. Le bâton pour garder le mal à distance, la corde pour amener vers soi ce qui est bon, ce sont les deux premiers amis conçus par l’humanité. On trouve la corde et le bâton partout où les hommes sont passés » – Kōbō Abe dans sa nouvelle La Corde (titre original Nawa non traduit en français).

La plupart des jeux d’aujourd’hui intègre le bâton (les armes) sans la corde. Les phases de shoot ne sont pas des plus réussies (exceptées les phases d’action avec Cliff) et il faudra d’ailleurs être un peu patient pour débloquer les premières armes. Il est clair que sans Mads Mikkelsen jouant Cliff, les phases d’action seraient bien fades et pas du tout originales. D’ailleurs, sa prestation d’acteur a été récompensée aux Game Awards 2019. Hideo Kojima a clairement voulu privilégier la corde et la coopération. Avec le multijoueur asynchrone, même si le joueur ne croisera pas d’autres semblables, il constatera qu’il n’est pas seul et bénéficiera des objets (échelles, cordes…) et constructions comme les ponts bien pratiques pour traverser des rivières quand on est chargé comme une mule.

Une bonne dose d'actions avec les apparitions de Cliff

Une bonne dose d’actions avec les apparitions de Cliff

Un OVNI vidéo-ludique avec un casting de stars

Bouleversant l’univers du jeu vidéo, Kojima nous livre avec Death Stranding un OVNI vidéo-ludique, original non pas que par son univers, mais aussi par sa construction. Les cinématiques (surtout au début du jeu) sont en effet très présentes et le joueur qui aime avoir le contrôle peut être frustré et reposer la manette plusieurs minutes. Le réalisateur japonais a d’ailleurs fait appel à de véritables acteurs pour jouer les personnages du jeu. La technologie a beaucoup évolué et la motion capture a atteint un niveau de réalisme bluffant !




Double dose de musique avec la bande originale et l’album Death Stranding Timefall

Vinyle regroupant les musiques de Low roar I’ll Keep Coming et Easy Way Out

Vinyle regroupant les musiques de Low Roar I’ll Keep Coming et Easy Way Out

Une chose est sûre, Hideo Kojima sait s’entourer et dénicher les bons partenariats avec les artistes qu’il faut pour ses jeux vidéo. D’ailleurs, dès les premiers trailers de Death Stranding, son coup de cœur pour le groupe Low Roar annonçait déjà que du bon à venir. L’histoire commence en Islande, lors de l’été 2014 lorsque Hideo Kojima, alors en voyage dans la capitale à Reykjavik, chez un disquaire. Venu pour acheter le nouvel album du groupe islandais kimono, à la caisse, il est captivé par une chanson diffusée dans le magasin. Le créateur de jeux vidéo japonais questionne le gérant du groupe qui lui répond qu’il s’agit d’un morceau de Low Roar de leur album « 0 » sorti cette année-là.

L’album en poche et rentré au Japon, le 4e titre I’ll keep coming devient l’une des chansons préférées de Hideo Kojima qui pense déjà à réaliser quelque chose avec. Deux années plus tard, la musique est utilisée pour la première bande-annonce du jeu avec Norman Reedus dévoilée pour l’E3 2016. Le deuxième trailer avec Guillermo del Toro et Mads Mikkelsen diffusé lors du PlayStation Experience en 2016 utilise aussi un autre titre du même album Easy Way Out. De cette seconde collaboration entre Kojima Productions et Loaw Roar est née une édition spéciale d’un vinyle regroupant les deux titres utilisés dans les 2 premières bande-annonces de Death Stranding.

Hideo Kojima avec le groupe CHVRCHES

Hideo Kojima avec le groupe CHVRCHES (Source : Twitter officiel de Hideo Kojima)

Outre les graphismes réalistes et à couper le souffle, l’ambiance musicale est particulièrement réussie. Il y en a pour tous les goûts avec des instrumentales (BB’s Theme en OST préféré) de Ludvig Forssell (Metal Gear Solid 5 : The Phantom Pain) mais aussi des musiques chantées réunies dans l’album Death Stranding: Timefall avec la participation de plusieurs artistes dont le groupe écossais d’électro-pop CHVRCHES à qui l’on doit le titre éponyme Death Stranding mais aussi la collaboration de Major Lazer et Khalid pour Trigger. De cet album de 8 pistes, nous avons préféré : Ghost par Au/Ra et Alan Walker ; Meanwhile… In Genova de THE S.L.P. ; Born In the Slumber de flora cash et Sing To Me de MISSIO.

Quant à la pochette, on retrouve bien le caractère mystérieux du jeu de science-fiction et son univers particulier. C’est l’artiste Annie Stoll qui a réalisé la cover en s’inspirant, comme elle le raconte dans ce tweet, du poème Auguries of innocence (« Augures d’innocence ») de William Blake :

To see a World in a Grain of Sand / Voir le monde en un grain de sable,

And a Heaven in a Wild Flower / Un ciel en une fleur des champs,

Hold Infinity in the palm of your hand / Retenir l’infini dans la paume des mains

And Eternity in an hour / Et l’éternité dans une heure.


Death Stranding aura fait attendre plus de 3 ans les fans de Hideo Kojima. Que faut-il en penser ? Loin d’être le chef-d’œuvre vendu par certains médias, plus profond qu’un simple « delivery-simulator », la grande star du jeu vidéo japonais propose tout de même au joueur une expérience de jeu originale pleine de symboles. A Journal du Japon, on dit oui aux aventures de Sam pour les paysages, des cinématiques particulièrement réussies, Mads Mikkelsen et sa prestation d’acteur mais aussi pour son univers de science-fiction réussi !

David Maingot

Responsable Culture à JDJ et passionné de la culture et de l'histoire du Japon, je rédige des articles en lien avec ces thèmes principalement.

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