Le Brady : d’une salle de cinéma indépendant à l’animation japonaise

Après avoir rencontré Eurozoom, distributeur indépendant de cinéma d’animation et de fiction japonais (entre autres), Journal du Japon a voulu compléter son panorama du 7e art féru de Japon par le portrait d’une salle de cinéma et de son dirigeant. Nous sommes donc allés poser quelques questions à Jason Benhaim, responsable du Brady, l’une des plus vieilles salles de cinéma parisienne d’Art et Essai, pour évoquer avec lui son métier, Le Brady lui-même et, à l’occasion d’un prochain Marathon Satoshi KON, le cinéma d’animation japonais !

 

Le Brady, Cinéma d’Art et Essai

©Le brady

©Le Brady

Journal du Japon : Bonjour Jason et merci pour votre temps. Avant de parler du Brady et du cinéma d’animation japonais, petit retour en arrière sur vous et le cinéma en lui même… Qui êtes-vous, quel est votre parcours en lien avec le cinéma et comment êtes-vous arrivé au Brady ?

Jason Benhaim : Bonjour, je suis arrivé à l’automne 2013 au Brady, c’était mon deuxième job étudiant après avoir classé des papiers dans un cabinet d’avocat pendant quelques années. J’y ai démarré comme ouvreur pour les pièces de théâtre, à l’époque encore présentes dans la programmation. L’un de mes collègues caissier a démissionné quelques semaines après et j’ai récupéré son job. J’ai donc commencé à apprendre la caisse puis à toucher au côté cabine de projection. Je me suis pris de passion pour l’exploitation et j’ai décidé d’y rester et de me faire ma place au Brady.

L’activité n’a eu de cesse d’augmenter ces dernières années et j’occupe désormais le poste de directeur. Je suis en charge de tout l’aspect administratif de l’entreprise et de la programmation événementielle.

Le Brady a été créé en 1956 a été fréquenté entre autres par François Truffaut, et a été racheté par Jean-Pierre Mocky en 1994, qui l’a revendu en 2011… Un bel héritage, qu’est-ce qu’il représente et qu’implique-t-il pour vous ?

Fabien Houi, l’actuel propriétaire, a racheté le Brady à Mocky fin 2010. Il programmait déjà la salle pour lui depuis un moment. Diriger un cinéma qui a une histoire donne d’autant plus envie de se battre pour sa survie. C’est toujours drôle quand je parle du Brady ça ne laisse personne indifférent !

Vous êtes référencés comme un cinéma d’Art et Essai, est-ce que l’appellation vous va et, pour les néophytes, ça veut dire quoi, concrètement ?

Oui l’appellation me convient car elle porte la marque de l’exception culturelle française et du système de protection des salles les plus fragiles. Un cinéma Art et Essai c’est une salle qui programme des films classés Art et Essai donc reconnus comme étant des œuvres de qualité, audacieuses, venant de pays peu diffusés ou de grands classiques ! Les critères sont larges et on peut y trouver le grand écart en terme de films, si on regarde cette année ça va de Midsommar à Portrait de la Jeune Fille en Feu en passant par Parasite.

Hall d'accueil du Brady ©elc architecte

Hall d’accueil du Brady ©elc architecte

En tant que cinéma indépendant, comment vous placez-vous par rapport aux chaînes de cinémas (UGC, Pathé gaumont… ),y a-t-il une forme de complémentarité ou non qui s’installe ?

On se place… comme on peut ! On est bien conscient de ne pas avoir la même force de frappe que les circuits (UGC, Pathé Gaumont, MK2…) ni les mêmes possibilités d’accueil. Le Brady c’est deux salles et à moins que la Mairie ne démolisse le quartier il n’y a pas de possibilités d’agrandir les salles ou même le cinéma ! Le Brady s’est placé sur la programmation de continuation, c’est à dire qu’on démarre les films en décalé des grosses salles une fois que celles-ci abandonnent l’exploitation du film. On ne peut pas vraiment parler de complémentarité parce qu’on ne fait que s’adapter pour survivre, les circuits ne font aucun geste pour nous aider.

Et enfin, être indépendant au vu de la consommation du cinéma actuelle tournée vers toujours plus de blockbuster et de grosse licence (à confirmer), est-ce qu’indépendant est un avantage ou un inconvénient ?

Je pense que ce n’est pas une question évidente parce que je dirige une salle en plein coeur de Paris et que la situation à Paris est très différente du reste de la France aussi bien en nombre de salle qu’en accès aux films. Aussi je n’ai vraiment rien contre les blockbusters dont je suis parfois spectateur. L’avantage du système à la française c’est qu’il existe une taxe (la TSA) sur chaque ticket acheté par le spectateur et le tout revient dans un pot commun qui permet, entre autre, la production de films :




Jason Benhaim, le Brady et L’animation japonaise…

Maintenant le cinéma d’animation : c’était quoi votre rencontre avec ce cinéma là ?

C’est une rencontre assez tardive, je n’ai pas du tout grandi dans un milieu cinéphile. Il y avait certes les VHS de pas mal de films Disney qui traînaient à la maison mais ça ne m’a pas trop marqué. Après, quand j’étais ado, j’ai commencé à lire des mangas et à jouer à des jeux vidéos japonais, j’ai développé une véritable curiosité pour le Japon. Je me suis plongé dans certains animés et fatalement vers les films les plus connus ou incontournables.

Quels ont été les films d’animation qui vous ont le plus marqué ?

Princesse Mononoke©Toho

Princesse Mononoke©Toho

Princesse Mononoké de Hayao Miyazaki et Paprika de Satoshi Kon. Je ne les ai pas vus du tout au même moment mais ils ont tous les deux bouleversé ma vision du cinéma d’animation et l’incroyable astuce et créativité que permet ce support.

Qu’est-ce qui vous plaît dans le cinéma d’animation japonais ?

C’est une question trop généraliste car évidemment tout ne me plaît pas dans le cinéma d’animation japonais tout comme tout ne me plaît pas dans le cinéma français. Ce sont les auteurs et les histoires qui me touchent ainsi que le style graphique qui s’y rattache.

Comment est né le projet de ces rétrospectives de cinéma d’animation, sur lesquels nous nous sommes rencontrés d’ailleurs, début 2016, pour une rétrospective Mamoru HOSODA ?

C’était au moment de la sortie du Garçon et la Bête, si je ne me trompe pas. C’était mes tous premiers pas dans la programmation et je me suis dit qu’il serait intéressant de permettre au public parisien de revoir les chefs d’œuvres précédents de Hosoda. Effectivement le Garçon et la Bête a bénéficié d’une distribution assez massive mais je pense un peu gauche, les droits avaient été achetés par Gaumont qui n’a pas tellement l’habitude de traiter des films de cette typologie. J’ai voulu miser sur la curiosité de nouveaux spectateurs, éventuellement arrivés là un peu par hasard ou trop jeunes à l’époque des précédents pour les avoir vus.

Quels ont été les retours à l’époque d’ailleurs ? Avez-vous eu le succès escompté ?

C’était calme mais pas déshonorant. Au niveau d’entrées qu’on faisait à l’époque on a trouvé ça assez pertinent pour avoir envie de se refrotter au cinéma d’animation à de nombreuses reprises ensuite.

De gauche à droite Quelques oeuvres de Mamoru Hosada : La traversée du temps, Summer wars, les enfants loups et Le garçon et la bête

De gauche à droite Quelques oeuvres de Mamoru Hosada : La traversée du temps, Summer wars, les enfants loup et le garçon et la bête

Est-ce que vous pensez que le cinéma d’animation japonais a vocation à concerner, et don à être traité pour, une niche de fans, ou qu’il a vocation à être finalement plus universel que ça, et traité comme n’importe quel autre film ?

Je pense que chaque film doit être traité différemment, quel que soit son style ou son origine. C’est le travail du distributeur, moi je ne fais que le proposer et si ça n’accroche pas je ne peux vraiment rien y faire.

Amel Lacombe, fondatrice d’Eurozoom, que nous avons interviewée il y a peu nous disait qu’il est difficile de convaincre les programmateurs de diffuser du cinéma d’animation hors Ghibli. Est-ce que c’est pour cela que vous proposez des rétrospectives Hosoda ou Satoshi Kon, pour ouvrir les esprits ?

Si par nos actions nous arrivons à attirer des gens vers de nouvelles cinématographies j’en suis absolument ravi ! Mais non je ne crois pas que ma démarche soit de l’éducation à l’image, j’essaie plutôt de répondre à une envie des spectateurs.

D’ailleurs, pour parler un peu d’actualité, est-ce que vous avez pu diffuser des films d’animation en 2019, quels sont les films qui vous ont marqué ?

Oui on a démarré l’année très fort avec un marathon Mamoru Hosoda qui affichait complet. Et on a ensuite dans notre box-office beaucoup de films d’animation cette année dont l’incroyable Promare, encore à l’affiche. Mais je peux aussi citer le Château de Cagliostro, Mirai ma petite sœur, Liz et l’oiseau bleu, Les enfants de la mer, le mystère des pingouins, Wonderland le royaume sans eau…

Paprika de Satoshi Kon ©rezo films

Paprika de Satoshi Kon ©rezo films

Début janvier vous préparez votre rétrospective Satoshi KON… Qu’est-ce qui vous a donné envie de mettre ce réalisateur en lumière et pourquoi, selon vous, il est à découvrir ?

Pour être exact on ne repart pas sur la formule de la rétrospective que nous avions faite en 2018 à l’occasion de la ressortie de Perfect Blue, où nous avions été le premier cinéma en France à proposer Millennium Actress ainsi que notre tout premier marathon, autour de la série Paranoia Agent. Ici nous avons décidé de dater deux marathons à l’occasion de la sortie en salle de Millennium Actress qui sera d’ailleurs visible au Brady dès le 18/12. J’ai une fascination pour le travail de Satoshi Kon. Il relève pour moi du génie et je n’ai pas peur de dire que son décès est une tragédie pour le cinéma. Toute occasion est donc bonne à prendre pour réoffrir la chance aux spectateurs de voir son œuvre incroyable.

Quels sont les autres réalisateurs que vous voudriez mettre en avant ?

Un marathon Katsuhiro Ôtomo est dans les cartons, nous voulions le faire cet automne mais nous avons été retardé par des questions de droits… J’espère pouvoir le proposer avant cet été !

 

Retrouvez  toute la programmation du cinéma Le Brady sur son site ou sur les réseaux sociaux : Facebook et Twitter.

Merci à Jason Benhaim pour son temps. 

Paul OZOUF

Rédacteur en chef de Journal du Japon depuis fin 2012 et fondateur de Paoru.fr, je m'intéresse au Japon depuis toujours et en plus de deux décennies je suis très loin d'en avoir fait le tour, bien au contraire. Avec la passion pour ce pays, sa culture mais aussi pour l'exercice journalistique en bandoulière, je continue mon chemin... Qui est aussi une aventure humaine avec la plus chouette des équipes !

1 réponse

  1. 22 février 2020

    […] l’âge de 46 ans, qui arrive enfin dans nos salles de cinéma 17 ans après sa sortie japonaise. Le Brady lui avait déjà dédié en 2018 une rétrospective en présentant ses 4 films (Perfect Blue, […]

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