Rentrée littéraire à la recherche du bonheur

Comme tous les ans, Journal du Japon a sélectionné pour vous quelques romans de la rentrée littéraire avec, pour ce mois de septembre 2020, des auteurs japonais qui nous parlent du bonheur.

La république du bonheur d’Ito Ogawa : immense plaisir de retrouver la plume joyeuse de celle qui sait si bien parler d’amour et de partage

La république du bonheur d'Ito Ogawa, éditions Picquier : couvertureLes livres d’Ito Ogawa sont des baumes pour le cœur, ils adoucissent le quotidien, réconfortent, apportent de la lumière et de la joie à ceux qui s’y plongent.

C’est donc avec un sourire aux lèvres que le lecteur ouvre ce nouveau roman pour plonger dans l’univers familier de la ville de Kamakura  et de ses habitants, découvert dans La Papeterie Tsubaki.

Hatoko, alias Poppo, s’est donc mariée avec Mitsurô, le veuf qui l’avait portée sur son dos dans le précédent roman, et forme donc une famille recomposée avec l’adorable QP (Haru), petite fille joyeuse qui vient d’entrer à l’école primaire. Même s’ils ne partagent pas encore la même maison au début du livre et que chacun est très occupé par son travail (Mitsurô avec son café et Hatoko avec sa papeterie et son travail d’écrivain public), les moments passés ensemble sont précieux. Souvent, QP passe des journées ou des après-midi avec Poppo : manger des sablés pigeons trempés dans du lait, fabriquer des avions en origami en guise de faire-part de mariage, acheter de délicieux gâteaux hérissons, cueillir de l’armoise pour la mélanger au riz et faire de succulentes boulettes ou faire son thé maison à partir des feuilles du théier. La cuisine est une fois de plus au cœur de ce livre qui dégage des parfums délicieux au fil des pages ! Chaque petit moment passé ensemble devient magique quand on sait l’apprécier.

C’est le cas de la lecture partagée : « QP voulait que je lui lise une histoire ; j’ai choisi un livre dans la bibliothèque et nous avons commencé à le lire. C’était une histoire pleine de chats. L’intrigue était un peu compliquée et je me demandais si elle ne s’ennuyait pas, mais elle regardait attentivement les images.
En cours de route, elle s’est appuyée contre moi. De son corps doux et tiède émanait une odeur un peu sucrée ; on aurait dit une confiserie à la farine de riz toute fraîche. »

Et à chaque fois, Hatoko, qui a eu une enfance à la dure, élevée par une « Aînée » très stricte, essaie de faire de son mieux pour que la petite fille passe de bons moments et se forge de beaux souvenirs. Au fil des jours, des mois et des saisons, on accompagne avec bonheur cette famille qui tisse des liens avec délicatesse. Chacun a des souffrances avec lesquelles il avance comme il peut : Mitsurô qui a perdu sa femme Miyuki de façon tragique, Poppo qui a du même coup perdu sa mère alors qu’elle était toute petite, Hatoko qui n’a pas connu la sienne et a été élevée par sa grand-mère à la dure … Avancer, partager, pardonner et ressentir de la gratitude pour chaque jour vécu, tel est le message de ce livre débordant de tendresse et de belles choses.

Le lecteur retrouvera les personnages de La papeterie Tsubaki : la voisine Madame Barbara, le Baron et Panty, un couple original très amoureux, et de nombreux clients qui voudront qu’Hatoko mette en mots leurs blessures, leurs rêves, leurs remerciements, tout ce qu’on n’arrive pas à dire mais qu’elle sait si bien écrire, écoutant chacun autour d’une boisson (chaque fois différente), recevant leurs secrets les plus intimes, les aidant à passer les caps difficiles.

Et elle ? Comment arrivera-t-elle à créer sa « république du bonheur » avec tous ces absents pourtant si présents (la femme décédée de son mari, sa grand-mère morte, sa mère dont elle ignore tout). Il y a des rires, des joies, mais également des pleurs, des peines, mais quel bonheur de partager sa vie avec des gens qu’on aime !

Et comme dans le précédent livre, vous découvrirez les lettres manuscrites en japonais, et les belles calligraphies de la jeune QP, à laquelle Hatoko apprend cet art difficile avec patience et bienveillance. Un plaisir pour les yeux !

Un livre qui aide à se sentir vivant et heureux de pouvoir profiter de chaque instant !

Précipitez-vous en librairie pour acheter cette brassée de bonheurs !

Avec pour finir une promenade en forêt :
 » Devant nous s’étendait une forêt intacte, tout en nuances mordorées. Le feuillage jaune et rouge des arbres bien alignés qu’on voit dans les temples possède une élégance raffinée, mais une forêt sauvage, ça vous en met plein les yeux.
Côte à côte sur un tapis de feuilles aux couleurs vives, nous avons rêvassé, les yeux levés vers le ciel. Le jaune des ginkgos était éblouissant. Le spectacle était tellement magnifique qu’il m’a tiré un soupir; Les feuilles rouges, oranges, jaunes et vertes emplissaient tout mon champ de vision. Elles ne cessent de changer de couleur, même si c’est invisible à l’œil nu. Chacune d’entre elles est comme une lettre envoyée par la Terre.
QP, tout excitée, s’amusait à soulever exprès de grandes gerbes de feuilles mortes avec ses pieds ou à en lancer de pleines brassées vers le ciel. L’odeur d’humus porteuse d’une énergie vitale cachée, me donnait le tournis. »

Plus d’informations sur le site de l’éditeur.

 

Les chats ne rient pas de Kosuke Mukai : une femme, son mari et son ex-compagnon accompagnent un vieux chat en fin de vie

Les chats ne rient pas de Kosuke MUKAI, éditions Picquier : couvertureLes chats sont très présents dans la littérature japonaise et ce roman en est une fois de plus la preuve.

Son est un vieux chat, il vit avec sa maîtresse Renko, une brillante réalisatrice, et son mari journaliste Miyata. Mais Son a aussi vécu de nombreuses années avec l’ex-compagnon de celle-ci, Hayakawa, un scénariste talentueux mais qui va un peu trop souvent noyer son mal-être dans l’alcool. Lorsque le chat souffre d’une insuffisance rénale, Renko propose naturellement à son ancien compagnon de venir s’occuper de lui, lorsqu’elle et son mari sont au travail. Il accepte, prend soin de Son, reste même parfois dîner avec le couple.

Des sentiments mêlés l’envahissent alors qu’une intimité se crée entre ces trois personnes autour du chat, et les souvenirs affluent au détour d’une conversation, d’un objet (l’appareil photo que Renko avait chiné et dont il s’était servi un temps), d’un plat, d’un geste. L’occasion pour le lecteur de découvrir la vie que partageaient Renko, Hayakawa et Son : le début de leur relation, l’adoption de Son, chat trouvé par un ami dans un sale état et tout de suite choyé, la vie dans une maison agréable, les films qu’ils font ensemble, puis la distance qui se crée dans la routine, les corps qui ne se touchent plus, les mots qui restent à l’intérieur au lieu de sortir, et la séparation inévitable.

La vie paisible avec Son :
« Etant plutôt du soir, nous avions l’habitude de dormir jusqu’à midi, mais Son nous réveillait au plus tard à neuf heures pour réclamer à manger. Je lui donnais ses croquettes tandis que Renko préparait le petit-déjeuner des humains. Laver la vaisselle était mon travail. Pendant ce temps, Renko faisait la lessive. Et Son, sa toilette d’après le repas.
Il apprit très vite à ouvrir la porte de mon bureau en appuyant sur la poignée avec ses pattes avant, debout sur ses pattes de derrière. Pendant que je peinais devant mon ordinateur, il entrait sans se gêner pour faire la sieste. Mon canapé vert de seconde main était déjà plein de poils. Il aimait regarder les moineaux voler dans le ciel ; la gueule tremblante, il poussait de petits miaulements rauques. Puis il repartait en laissant grand ouvert derrière lui. Un chat, ça apprend à ouvrir les portes, mais jamais à les refermer.
Il venait nous embêter quand on étendait la lessive. Reno jouait avec lui, ravie, agitant une chemise mouillée sous son nez. Et quand je trouvais que la maison était bien calme, c’était qu’il dormait aux pieds de Renko en train de travailler. Alors qu’il n’aimait pas que je le prenne dans mes bras, il passait des heures dans le siens. Pour lui, elle était une mère, et moi un grand frère un peu costaud, aurait-on dit.
Renko était plus gaie qu’avant. Quand nous sortions, elle cherchait toujours à rapporter quelque chose qui ferait plaisir à Son. A notre retour, invariablement, le chat nous attendait dans l’entrée. Il refusait de venir quand on l’appelait, mais il suffisait d’éteindre la lumière pour qu’il vienne se glisser dans notre lit, où il s’allongeait entre nous avec un oreiller sous la tête, comme un humain. »

Le chat près du poêle, les trois humains autour qui le veillent, se relaient, parlent, se confient. Une ambiance très intime propice à la réflexion, au retour sur soi, et peut-être à la compréhension de ses erreurs, à la guérison des blessures et à la naissance d’une nouvelle vie … Car il faut parfois observer, écouter, sentir pour enfin y voir clair et poursuivre son chemin.

L’écriture est très agréable, très cinématographique, et on sent bien que l’auteur est également scénariste. Les personnages sont très bien campés, les scènes se déroulent comme si le lecteur était dans la pièce … et les petits gestes du chat et des humains sont décrits avec minutie et réalisme, on sent le regard d’un amoureux des chats et d’un curieux des relations humaines qui tente de disséquer leur complexité.

Un très beau livre sur le couple, le quotidien, l’amour, , le désamour, la lassitude, la lâcheté parfois, mais aussi le bonheur que chacun peut faire naître en soi et chez les autres à condition de savoir être présent et de savoir apprécier les petits riens qui illuminent les jours.

« Il faut accepter d’aimer. Nous qui avons du mal à nous aimer nous-mêmes, nous devons au moins essayer d’aimer quelqu’un d’autre sans avoir peur. »

Plus d’informations sur le site de l’éditeur.

Une rose seule de Muriel Barbery : éclosion japonaise

Une rose seule de Muriel Barbery, éditions Actes Sud : couvertureRose est une femme de quarante ans, morose et botaniste de métier. « À quarante ans, Rose n’avait presque pas vécu. Enfant, elle avait grandi dans une belle campagne, y avait connu les lilas éphémères, les champs et les clairières, les mûres et les joncs de ruisseau ; enfin, le soir, sous des cascades de nuages dorés et de lavis roses, elle y avait reçu l’intelligence du monde. À la nuit tombée, elle lisait des romans, de sorte que son âme était façonnée de sentiers et d’histoires. Puis, un jour, comme on perd un mouchoir, elle avait perdu sa disposition au bonheur. »

Elle arrive au Japon pour la première fois. Son père japonais, Haru, qu’elle n’a jamais connu, vient de mourir, laissant une lettre pour elle. C’est avec Paul, ami belge et exécuteur testamentaire de son père qu’elle entreprend un pèlerinage dans Kyoto, sur les pas de son père, dans ses lieux préférés, jardins, temples, restaurants … Rose est amère, en colère de n’avoir pas conu ce père qui, lui, la regardait grandir à distance. Elle pense à sa chère grand-mère disparue, à sa mère qui n’était déjà plus là, même avant sa mort. Petit à petit, elle découvre la belle maison de son père, marchand d’art, amoureux des belles choses, elle commence à ressentir des émotions, elle rencontre des personnes qui semblent la guider vers son éclosion, sa renaissance. Il y a Sayoko, l’intendante de son père pendant plus de quarante ans, aux petits soins pour elle, Kanto, le chauffeur qui la conduit partout, une présence protectrice. Il y a Beth, une Anglaise installée à Kyoto dont elle connaît tous les jardins. Il y a aussi Keisuke, artiste céramiste, souvent saoul mais qui sait cerner l’âme de ceux qu’il rencontre. Et il y a Paul, qui doit gérer cette femme au mauvais caractère avec un flegme impressionnant.

Au fil des pages, temples, jardins, cimetière font jaillir en elle des sentiments enfouis, des émotions nouvelles. Kyoto fait renaître les petits démons des contes de son enfance. La mousse des jardins, les murs d’un temple, la puissane d’un thé matcha très épais, les brumes sur les montagnes de l’Est … toute cette nature, cette force qui se dégage des éléments bouleverse Rose et l’amène à sentir, vibrer, vivre enfin.

Kyoto la métamorphosera.

La lecture est un enchantement pour les amoureux de cette ville. On y retrouve le Pavillon d’argent, le Nanzen-ji, le Ryôan-ji et bien d’autres lieux emblématiques. Ils sont décrits avec beaucoup de poésie, de finesse, et de magie. La plume de Muriel Barbery est délicate, riche de mots précieux, lumineux. On découvre ou redécouvre la ville à travers ses yeux et de multiples détails oubliés reviennent en mémoire. C’est un véritable enchantement ! Et pour envelopper le tout d’un peu plus de beauté, chaque chapitre s’ouvre sur une plante, une fleur qui plonge le lecteur dans le passé du Japon ou de la Chine, un conte philosophique, une sagesse ancestrale, qui nous est livrée pour amorcer la suite des pérégrinations de Rose.

Il y a beaucoup de passages merveilleux, nous ne pouvons vous les citer tous, mais en voici quelques uns pour vous inciter à aller découvrir cette belle Rose en librairie !

La lune : « Rose s’éveilla dans la pleine conscience de la lune. Dans le cadre de la fenêtre ouverte, elle la vit, solitaire et nacrée, et une image se forma dans son esprit, une vue de campagne et de vignes dont il lui parut insolite qu’elle revînt la hanter ici. Il faisait chaud, des cigales chantaient. Elle resta là un moment, les yeux ouverts, la respiration lente. Le monde tournait et elle était immobile, les vents passaient et elle demeurait. En ce silence, en cette obscurité, elle n’était d’aucun lieu, elle n’était d’aucun temps. Elle se rendormit. »

Le cimetière : « Elle retint son souffle en marchant entre les sépultures, les lanternes et les bambous célestes. Il y avait des pierres en forme de personnages sans visages et de longues tiges de bois qui claquaient dans le vent ; ornée d’écritures serrées, elles entouraient les tombes, simples socles de marbre surmontés d’une stèle plus étroite ; certaines étaient mangées d’années, envahies de lichen. De chaque côté, dans d’étroits ases du même marbre, on avait placé des fleurs de saison. Partout, la mousse ondoyait de reflets tendres et bleutés, partout les chapeaux à ailettes des lanternes jetaient dans l’atmosphère une note malicieuse Dans le silence des morts, la vie s’étirait et, tout ensemble, pétillait.« 

Plus d’informations sur le site de l’éditeur.

Une belle sélection pleine de douceur et de bonheur pour vous souhaiter une bonne rentrée 2020 !

2 réponses

  1. 6 septembre 2020

    […] tous les ans, après notre sélection littéraire pour les grands, Journal du Japon vous propose une sélection de livres jeunesse pour cette rentrée littéraire […]

  2. 25 septembre 2020

    […] d’Ito Ogawa sont des baumes pour le cœur, comme le dit si bien notre responsable littérature, ici. La République du bonheur n’y fait pas exception et ce nouveau roman est une excellente […]

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