20 ans plus tard, que reste t-il de Silent Hill 2 ?

Sorti en septembre 2001 au Japon et aux États-Unis et en novembre en Europe, Silent Hill 2 a marqué une génération entière de joueurs. Il est aujourd’hui bien souvent considéré comme étant l’opus majeur de la série horrifique Silent Hill et, de façon plus générale, comme une œuvre de référence. De sa puissance symbolique à sa bande-son en passant par le scénario et son ambiance, quels sont les différents éléments ayant contribué à la réputation du titre ? Et surtout, l’expérience vaut t-elle toujours le détour 20 ans plus tard ?

NB : Nous avons fait le choix de ne pas révéler les éléments-clés de l’intrigue de Silent Hill 2. Si vous avez l’intention de découvrir ce jeu vidéo en 2021, vous pouvez donc lire cet article sans crainte de vous divulgâcher les principaux rebondissements scénaristiques du titre.

Après le succès du premier jeu Silent Hill sorti sur PS1 en 1999, la Team Silent (désignant l’équipe chargée de la conception des jeux Silent Hill) dispose d’un budget plus conséquent pour développer une suite. Un budget de 10 millions de dollars est ainsi débloqué, soit le double de la somme qui avait été allouée à Silent Hill 1. La toute récente PlayStation 2 offre également de nouvelles possibilités techniques aux différents membres de la Team Silent, même si les grandes lignes du titre en termes de système de jeu (plans de caméra fixes, utilisation d’une lampe de poche pour éclairer les salles et d’une radio grésillante pour avertir de la présence de monstres…) restent les mêmes.

Cauchemars psychologiques

Le développement de Silent Hill 2 commence dès juin 1999 et la Team Silent se met vite d’accord sur une volonté de produire un jeu qui gagne en profondeur psychologique en comparaison au premier volet. Les premières lignes du scénario sont en effet déroutantes : le joueur fait la connaissance de James Sunderland qui affirme avoir reçu une lettre de Mary, sa femme décédée il y a trois ans, l’invitant à la retrouver à Silent Hill.

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Un mystère à rédoudre aussi épais que le brouillard de Silent Hill ©KONAMI

Si Silent Hill 1 prenait le parti pris de mettre directement le joueur dans le bain avec la célèbre séquence du cauchemar donnant le ton d’un jeu glauque et dérangeant, Silent Hill 2 assume un fond plus introspectif, avec cette introduction montrant le personnage de James désemparé, seul à fixer son reflet dans un miroir des toilettes publiques à l’entrée de la ville éponyme. La musique planante et mystérieuse de Akira YAMAOKA vient appuyer cette impression de désarroi avant de laisser place à la lecture de la fameuse lettre par la voix de Mary, elle-même suivie d’un monologue interrogatif de James teinté de nostalgie.

Le joueur finit alors par prendre le contrôle de James Sunderland pour rejoindre Silent Hill par un long chemin forestier inquiétant. Le chemin en question a d’ailleurs été volontairement allongé par les développeurs afin de renforcer le sentiment de s’engouffrer dans une ville isolée de tout, et de couper l’envie de faire demi-tour. Un parti-pris particulièrement osé et peut-être même précurseur pour une époque où le jeu vidéo n’était pas aussi narratif qu’aujourd’hui, et prenait moins souvent le temps d’installer une ambiance avant de faire démarrer l’action. On retrouvera une volonté similaire à d’autres moments du jeu, comme lorsque James devra descendre un escalier qui semblera interminable pour rejoindre la prison de Toluca, en entendant régulièrement le son de plus en plus régulier d’une inquiétante corne de brume.

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James Sunderland observant son reflet dans le miroir au début du jeu ©KONAMI

La suite de l’aventure verra James rassembler les indices qui le mèneront à la vérité et mettront en évidence son fragile état psychologique. D’autres personnages rencontrés au cours du périple, tout aussi torturés, permettront d’aborder des thèmes difficiles tels que le harcèlement (avec le personnage d’Eddie Dombrowski), le viol ou encore le suicide (via celui d’Angela Orosco). La ville semble donc avoir le pouvoir de faire ressortir les démons intérieurs de chaque personnage. Les monstres eux-même, perçus différemment par chacun, illustrent les psychoses personnelles de chaque personne se rendant à la ville maudite.

Le poids de l’inconscient

Silent Hill 2 s’est également avéré novateur dans sa volonté de faire en sorte que les actions inconscientes du joueur impactent sur le scénario. De nombreux jeux vidéo “narratifs” ou “à choix” ont pris le parti de proposer aux joueurs des questions explicites demandant des réponses binaires (choisir de tuer ou non un personnage, ou prendre tel chemin plutôt qu’un autre par exemple).

La Team Silent a quant à elle proposé d’analyser le comportement inconscient du joueur. Ainsi, le simple fait de regarder régulièrement ou non certains objets bien particuliers dans votre inventaire est par exemple susceptible d’impacter sur les quatre fins possibles (auxquelles s’ajoutent deux autres fins nécessitant de suivre des consignes très spécifiques et créées dans un but purement humoristique).

Certains de ces éléments impactants sur la fin du jeu peuvent cependant sembler un peu trop arbitraires. De nombreux joueurs auront par exemple envie de fouiller le jeu dans ses moindres recoins par simple curiosité, ce qui sera susceptible d’influencer le destin final de James Sunderland dans leur partie. Ce parti pris audacieux a toutefois eu le mérite de conforter Silent Hill 2 comme étant une œuvre riche à forte portée psychologique.

Symbolique torturée et dérangeante

Impossible d’évoquer Silent Hill 2 sans parler de la puissance symbolique des différents lieux et monstres rencontrés au cours de l’aventure. Devenu iconique, Pyramid Head n’a pas seulement été pensé comme un simple bourreau, mais dispose également d’une portée symbolique qui deviendra de plus en plus évidente au fil du jeu.

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Un tableau représentant Pyramid Head visible dans Silent Hill 2 ©KONAMI

On pourra même en conclure que Pyramid Head ne restera finalement le monstre que d’un seul personnage, en la personne de James Sunderland : cet ennemi est en effet une conséquence de l’état émotionnel du protagoniste de Silent Hill 2. Ainsi Masahiro ITO, designer des monstres de la saga, a déclaré que Pyramid Head avait été inventé spécialement pour servir l’histoire de James et qu’il ne verrait pas l’intérêt de le réutiliser pour un autre jeu Silent Hill. Sa présence dans le film de Christophe Gans et son apparition dans le jeu Silent Hill : Homecoming (conçu par un studio américain) a ainsi été ressentie par certains passionnés de la licence comme du simple fan-service n’ayant pas vraiment de sens narratif.

Les autres monstres du bestiaire ne sont cependant pas en reste en matière de symbolique dérangeante : on pense par exemple au dénommé “Abstract Daddy” et sa dimension sexuelle évidente. Les autres ennemis plus “communs” de Silent Hill 2 font également écho aux thèmes du jeu (dont certains se révèleront tardivement), pouvant évoquer dégénérescence sanitaire (infirmières maléfiques au visage sans yeux), fantasmes (mannequins avec une paire de jambes à la place des bras) ou encore déséquilibre psychiatrique (Les “Lying Figures”, ennemis aux déplacements saccadés semblant porter une camisole de force). L’aspect humain de la majorité des monstres de la saga Silent Hill aura contribué à renforcer son côté particulièrement dérangeant.

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Une première rencontre particulièrement marquante avec un « Lying Figure » ©KONAMI

Bande-son et expérimentation sonore

Enfin, Silent Hill est également une saga reconnue pour la qualité de sa bande-son, composée par Akira YAMAOKA. Entre musique industrielle, rock, ou encore trip-hop, une grande variété de styles mais aussi d’émotions est transmise par les compositions inspirées du musicien japonais.

Mis à part cette musique composée accompagnant séquences jouables et cinématiques, le travail de YAMAOKA s’est aussi concentré sur l’ambiance sonore rythmant les mésaventures de James Sunderland. L’utilisation du silence, parfois plus inquiétant que des nappes sonores répétées en boucle, est également au centre du travail de Akira YAMAOKA. On pourra d’ailleurs comptabiliser pas moins de 200 bruits de pas différents conçus au cours du développement de Silent Hill 2.

La PlayStation 2 a par ailleurs offert de nouvelles possibilités au créateur sonore japonais, comme celle de générer des sons de façon aléatoire apparaissant à certains moments bien spécifiques du jeu.

Il est notamment possible d’entendre un homme pleurer pendant quelques secondes dans un couloir de l’hôtel Lake View ou encore des chuchotements inquiétants dans l’un des appartements de la résidence Blue Creek. Ces sons peuvent par exemple ne pas apparaître au cours d’une première partie, mais être entendus au cours d’une seconde ou troisième partie (voire plus).

Un concept qui a de quoi surprendre et effrayer le joueur connaissant déjà le jeu et ne s’attendant pas du tout à entendre de bruit particulier dans une zone concernée par ces sons aléatoires. On pourra cependant arguer que la grande quantité de jeux disponibles en 2021 fait que très peu de joueurs d’aujourd’hui recommenceront Silent Hill 2 à plusieurs reprises contrairement à lors de sa sortie il y a vingt ans, où les joueurs disposaient bien souvent d’un nombre de jeux bien plus réduit.

Que retenir de Silent Hill 2 en 2021 ?

En 2021, force est de constater que les fans de Silent Hill rongent leur frein. En-dehors d’une apparition de Silent Hill 4 sur le catalogue de Gog.com en 2020, les actualités sur la licence se font maigres, encore plus depuis le projet annulé d’Hideo KOJIMA en 2015. Le dernier jeu Silent Hill à être allé au bout de sa production est donc le titre Silent Hill : Downpour sorti en 2012, soit il y a déjà presque dix ans à l’heure où ces lignes sont écrites. Difficile également de citer une licence qui aurait le rôle de “suite spirituelle”, reprenant l’essentiel des bases de la série.

On peut cependant citer le jeu “Post-trauma” actuellement en cours de développement reprenant de nombreuses idées à Silent Hill. Selon le concepteur du jeu, “Post-trauma”, dont vous pouvez voir un rapide extrait de gameplay sur Twitter, sera essentiellement inspiré de Silent Hill 4.

Dans un style plus rétro, nous pouvons également évoquer “Lone Survivor”, jeu en pixel-art conçu par le développeur indépendant Jasper Byrne, qui fait beaucoup penser à Silent Hill sur bon nombre d’aspects. A noter que ce même développeur a réalisé un demake (remake d’un jeu vidéo porté sur une console plus ancienne que le jeu original) de Silent Hill 2 simplement intitulé Soundless Mountain II. Ce dernier propose de jouer l’introduction du jeu (jusqu’à l’arrivée au premier niveau « Wood Side Apartments ») en version NES. Si ce demake n’aura pas grand intérêt pour les personnes n’ayant jamais joué à Silent Hill 2, il ne manquera pas cependant d’intéresser les passionnés, rien que par cette prouesse de restituer très fidèlement l’introduction du jeu en 2D.

Certaines mécaniques de Silent Hill 2 ont bien entendu vieilli, plus de vingt ans après la sortie du titre. On pense notamment à l’interface de l’inventaire qui paraîtra particulièrement datée aujourd’hui, à la rigidité des contrôles, ou encore à la gestion de la caméra. Cependant, ce deuxième volet de la saga reste marquant à plus d’un titre. De son scénario psychologique travaillé à son ambiance (mentions spéciales à l’hôpital de Brookhaven ainsi qu’à la prison de Toluca) en passant par sa bande-son, nombreux sont les éléments qui ont fait de Silent Hill 2 un titre phare dans l’histoire du jeu vidéo. Si s’y replonger en 2021 demandera sans doute un effort d’adaptation, l’expérience reste particulièrement enrichissante.

1 réponse

  1. Shinobee dit :

    Un jeu que j’ai terminé une fois de plus cet été dans sa version PS3 HD.
    J’ai pu cette fois vraiment mesurer la complexité psychologique du scénario et ne pas seulement « avoir peur des monstres et des bruits », comme cela était le cas en 2001 (j’avais 10 ans à l’époque ).

    Il restera pour moi le meilleur jeu du genre, car au delà de la bande-son et du scénario passionnant, il y a un juste équilibre entre l’action, l’exploration et la narration.

    Bien-sûr tout n’est pas parfait. La gestion des caméras, surtout dans les espaces étriqués, peut poser problème dans les phases d’action. Et la maniabilité n’est pas des plus plaisantes. C’était déjà le cas en 2001, ça l’est d’autant plus aujourd’hui.

    Je le conseille néanmoins à toute personne souhaitant se faire peur.

    Merci pour vos articles sur ce site, que je prends toujours plaisir à lire.

    Cordialement

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