Five Seasons of Kirite : un voyage fantastique, un rêve aux sonorités vidéo-ludiques !

Dans l’univers vidéoludique, et surtout dans le monde des RPG, les jeux sont parfois de véritables voyages, de (très) belles histoires, surtout lorsqu’ils sont portés par des bandes sons riches et des mélodies marquantes. Les concerts reprenant les OST de Final Fantasy, par exemple, font parler d’eux depuis des années. Mais cette saga n’est pas la seule et il y a parfois quelques petites pépites musicales hors du cadre, à découvrir.

C’est ce que nous avons pu constater, en décembre dernier, avec la découverte de Kirite, un album né de la collaboration entre le scénariste et le compositeur du légendaire Chrono Trigger : Masato KATO et Yasunori MITSUDA.

Une œuvre hors de l’espace et du temps, un voyage autant qu’un rêve que nous tenions à vous faire découvrir…

 

Five Seasons of Kirite : Masato KATO X Yasunori MITSUDA

Ces deux noms ne vous sont peut-être pas inconnus, surtout le second pour les amateurs d’OST de jeu vidéo, même si les deux ont un beau palmarès.

Masato KATO est un réalisateur et scénariste de jeux vidéo avec à son actif, entre autres : Chrono Trigger, Chrono Cross, Final Fantasy XI , Children of Mana et Dawn of Mana, mais il a aussi participé aux scénarios de Final Fantasy VII et Xenogears.

Yasunori MITSUDA est, lui, un compositeur prolifique avec près de 80 jeux à son palmarès : RPG (Final Fantasy, Secret of Mana, Chrono Trigger, Xenoblade,…), jeux de combat, jeux de tir, et même Inazuma Eleven, Bomberman 64 ou Mario Party ! Il a travaillé à différents postes, des effets sonores à ses débuts jusqu’à la composition et les arrangements dans la plupart des softs auxquels il a participé (mais aussi au mixage, à la production ou à l’orchestration). Il a été mondialement reconnu en 1995 à la sortie de Chrono Trigger, l’un des plus grands succès de la firme Square Enix, héritant même du nom de « Mozart du jeu vidéo « .

C’est donc sur ce jeu que se rencontre les deux hommes et ils vont connaître le succès dans les années 90 et 2000. C’est d’ailleurs en 2005 qu’ils s’associent sur un autre type de projet, Kirite, de son nom complet Five Seasons of Kirite. C’est une œuvre à part, peaufinée pendant 3 longues années par ses créateurs, et mêle un récit et sa bande son. Cet objet arrive donc fin 2022 chez Wayô Records, via une édition double vinyle collector, avec une histoire traduite pour la première fois en anglais et OST en 14 titres.

Mais c’est quoi exactement, Kirite ?

Bonne question et, pour y répondre, il est temps de vous emmener en voyage…

kirite-vinyl-collector (1)

Kirite – ℗ 2005 PROCYON STUDIO CO., LTD. / © 2005 SEPTIMA LEY CO., LTD. © 2005, 2022 MASATO KATO / PHOTOGRAPHY: © MASUMI TAKAHASHI

La vie, la mort, l’amour : l’essence de Kirite

« Quel est le but de la vie, et où irons-nous après avoir quitté ce monde ? »

« Qu’est-ce que vivre signifie ? Et aimer ? »

Ces questions sont le préambule. En effet, pour cette nouvelle édition de Kirite qui s’exporte désormais audelà du Japon avec sa traduction en anglais, Yasunori MITSUDA explique dans l’introduction du livret qu’il a essayé de réfléchir à ces thématiques à travers l’histoire de Masato KATO. Des questionnements qu’il trouve d’ailleurs toujours autant d’actualité… et on peut lui donner facilement raison : covid, guerres, etc., la liste des évènements qui remettent la vie et son sens en question ne manque pas. Il termine en se demandant « Si la vie est remplie à 90 % de souffrance et de tristesse, que faire pour trouver la joie dans les 10% restant  ?« 

Sous ces tonalités qui peuvent sembler un peu sinistres, c’est en réalité un touche d’espoir que veut mettre le compositeur dans cette œuvre, en développement une conscience aiguë de la fragilité de l’existence pour mieux l’apprécier, pour refuser de laisser s’éteindre la flamme de l’espoir. Le préambule s’achève d’ailleurs sur ces mots, en une dédicace :

« À toues les choses vivantes qui tremblent, seul, dans les abysses de la nuit. »

Et c’est ainsi que Yasunori MITSUDA laisse la plume à Masato KATO.

L’histoire peut commencer…

Kirite raconte une histoire, assez courte (48 pages), dans un monde inconnu où le jeune Kirite rencontre la fragile Kotonoha. L’un et l’autre sont faits pour être ensemble, des âmes sœurs au premier regard… Un amour parfait, bleu comme l’azur, qui vous remplit le cœur, qui est parfait… mais qui est éphémère, et menacé. Quelque part une entité du nom d’Orochi rôde, dans les rêves de Kirite… Mais aussi dans ceux de Kotonoha. Avant qu’une rumeur ne se répande : le monde entier est menacé de disparaître sous la menace de cet animal mystérieux et funeste, qui fait disparaître les gens, les uns après les autres.

D’autant que Orochi a prévenu Kirite : Kotonoha est à elle, et il la fera disparaître, elle, puis le monde entier.

Si les jalons de cette histoire vous paraissent assez simples, c’est que nous sommes allés à l’essentiel pour ne pas vous dévoiler trop la mise en scène qui est, elle, plus complexe mais aussi plus envoutante. Mais nous pouvons vous en donner quelques rouages : cette histoire semble être, en fait, une pièce de théâtre, un spectacle vu par un narrateur qui reste anonyme mais qui serait Masato KATO lui-même. Une présence discrète : il n’intervient qu’à la première et à la dernière page, en donnant au passage l’origine de Five Seasons of Kirite, qui serait une mise en abyme du spectacle auquel il a lui même assisté, un jour : The Tale of the Boy Kirite. Où commence son histoire et ou s’arrête l’influence, impossible à dire, mais c’est tant mieux, cela fait partie de la magie.

Une autre mécanique – une autre magie – est celle des boucles que font l’histoire : le récit débute par une scène nébuleuse, avec Kirite qui souffre, presque à terre. Nous ne la comprendrons que plus tard. De même, la première rencontre entre Kirite et Kotonoha aura plusieurs échos à d’autres moments de leur aventure. C’est d’ailleurs à juste titre que Wayô Records parle d’une histoire en dehors de l’espace et du temps car ces boucles ne vont pas nous faire voyager qu’à travers des instants et des phrases clés mais aussi à travers plusieurs dimensions : celle de Kirite et Kotonoha, celle d’Orochi, celle du narrateur et celle de… Oups, n’en disons pas plus. Arrêtons-nous là.

Tout ceci peut paraître nébuleux, d’autant que la traduction anglaise du récit est splendide mais exigeante par moment (mais le dictionnaire est votre ami, et ça passe). Néanmoins cette errance est aussi celles de Kirite, dans sa quête pour sauver Kotonoha, et celle de Kotonoha, qui se demande si son existence a un sens, si elle a le droit au bonheur, si ce monde étrange et douloureux dans lequel elle vit n’est pas une illusion… Que si ce monde est un rêve alors autant s’en libérer, et s’endormir pour de bon.

Kotonoha comme Kirite délivre chacun des messages forts, dans leurs thématiques mais aussi dans leurs paroles, simples mais puissantes. Deux exemples, que nous vous laissons dans la langue de Shakespeare ici, pour ne pas en ternir le sens :

Kirite, sur notre résilience : « We’re still here. And as long as we are, it’s too soon to give up. »

Kotohana, amoureuse et aux cotés de Kirite, sous le ciel Azur : « I’m standing right now at the center of the world. I can be me, and Kirite can be Kirite… and there’s no one else. It’s just us, here, living. Taking nothing and hurting nothing.« 

Le droit de vivre, remis en question, et la volonté de vivre, brulante et avec passion vont façonner le combat des deux moitiés face à Orochi, le fameux serpent venimeux, issu du folklore et maintes fois représenté dans la culture populaire japonaise. Les références à cette culture sont d’ailleurs nombreuses : le cerisier en fleur est le lieu de rencontre, le lapis-lazuli, cette pierre bleue, donne son nom à une forêt étrange où naisse les cauchemars… etc.

Le bleu, d’ailleurs, est indissociable de l’œuvre et habille l’objet lui-même : le livret, la couverture, les vinyles même sont bleus. Une couleur qui se mélange à un autre élément omniprésent qu’est la nature, et plus précisément les arbres et la forêt : présent sur la couverture, l’arbre est aussi l’objet des photos qui parsèment le livret : tantôt féérique comme le cerisier en fleurs, tantôt angoissant comme la sombre forêt, bleu nuit, où les rayons du soleil ne passent pas, ne passent plus, et où des choses rodent. Tantôt plein de vie, tantôt inerte. Ce lien à la nature n’a rien d’étonnant lorsque l’on reprend le titre Five Seasons of Kirite : voici le retour de la saisonnalité, éternelle composante du rapport à la nature japonais. Le récit se déroule donc sur cinq saisons. Oui cinq, pas quatre, mais là encore, nous vous laissons découvrir pourquoi. Printemps, été, automne et hiver se mêlent à merveille aux événements du récit, aussi simplement qu’efficacement : le printemps est la rencontre, l’été est celle de leur romance…par exemple.

Kirite

Kirite, en seulement 48 pages, fourmille donc d’une étonnante richesse, de par ses personnages, son univers, sa narration, sa construction, les images et les ambiances que ce récit projette. Tout est là pour nous ensorceler, nous emmener ailleurs, aux côtés de Kirite et Kotonoha, nous faire vibrer.

Tout, y compris la musique.

 

La musique, le voyage et l’aventure

Il était temps d’en parler, évidemment, de cette musique. Pour réaliser cet article nous nous avons écouté dans un premier temps les morceaux sans avoir lu l’histoire, sans cette influence… Avant d’y retourner après avoir plongé dans le scénario qui a façonné notre imaginaire, pour voir comment la musique y répondait, comment elle pouvait y résonner.

A la première écoute on savoure 14 morceaux très agréables, distrayants même. On voyage, aussi. On retrouve avec plaisir des influences celtes, qui ne sont pas sans rappeler les morceaux de Cécile Corbel (la bande son d’Arrietty, le Ghibli, vous vous souvenez ?) et qui démontre s’il le fallait encore que cette musique est parfaite pour explorer les mondes de la fantasy, qu’elle soit occidentale ou japonaise. Les mélodies sont aussi orientales parfois, dans Market in Volfinor ou tout simplement contemporaine avec une utilisation récurrente d’instrument rock (guitare, basse, batterie) comme dans Is Kirite Burning up, le premier morceau, où la guitare illustre l’affrontement enflammé, la douleur, avec un Kirite qui ne lâche rien et se bat, encore et encore. Les instruments sont aussi parfois plus organiques, tribaux, avec des percussions dans The Forest of Lapis Lazuli et des voix lointaines où l’on imagine une danse autour d’un feu dans un lieu lointain et primaire, antique. La musique plante un décor.

Impossible aussi de ne pas reconnaître un autre univers : celui du RPG, de sa période glorieuse des années 90 et 2000. Avec surprise et ravissement, nous voilà revenu – mage, alchimiste, chevalier,… – en pleine aventure, en plein combat, en plein shopping dans une ville grouillante de vie ou encore dans la grisante exploration d’un monde nouveau. The Azure vous rappellera à n’en pas douter un moment, une image, un beau souvenir vidéoludique – un générique d’anime aussi, ce n’est pas impossible –  vous donnant envie de reprendre la manette sans attendre pour vous refaire un Final Fantasy, un Zelda, un Chrono Trigger…que c’est bon la musique de jeu vidéo, même quand ce n’est pas un jeu vidéo.

Ce parcours entre ces différents univers se fait avec une grande, une immense variété d’instruments, montrant la capacité de Yasunori MITSUDA à s’affranchir d’un style de musique en particulier pour proposer son propre univers, ses thématiques et son tempo. On retrouve d’abord des choses classiques : le violon et le piano pour créer ou sublimer les émotions, tout le bagage de l’instrumentation rock que nous citions plus haut, puis une collection de flûtes : japonaises comme la shakuhachi ou la shinobue selon les morceaux, irlandaise avec la tin whistle, légère et féérique, une collection de cymbales et de percussion, du bouzouki, un luth originaire de Grèce, de l’angklung, un instrument étrange d’Indonésie… D’un instrument à l’autre, d’un univers à l’autre, le voyage est incessant… avec la voix de Eri KAWAI en fil rouge, qui revient dans la moitié des compositions et qui nous berce, nous enveloppe avec sa luminosité, aidée par la musicalité si particulière de la langue japonaise. Un chant à la fois léger et, pour autant, chargé d’émotion. Toutes ces mélodies s’assemblent à merveille, et sont mis en scène par Yasunori MITSUDA qui enchevêtre électroniquement le tout en délivrant aussi ses messages, superposés au récit de Masato KATO.

Pour cette mise en scène il utilise la puissance évocatrice de la musique et de tout son panel d’instrument : la légèreté de la flûte, la puissance de la guitare, l’ensorcèlement d’un violon, la pureté du piano, l’oppression d’un rythme de percussions… Ces petits moments de musique s’associe, puis intègre des motifs qui se répètent – des boucles, des échos, comme ceux du texte. Il les créent puis en développe des légères variations, développant crescendo des ambiances en augmentant progressivement la puissance, ou utilisant la récurrence pour imposer des émotions au spectateur, pour lui obliger à prendre un certain chemin. Mais toute cette énergie nous imprègne réellement qu’une fois que nous avons lu texte, comme si nous comprenions le langage de la musique, que les notes se transforment en mot et les phrases en partitions, que les scènes préalablement découvertes deviennent des symphonies, pour les revivre avec une nouvelle intensité, dans une immersion décuplée où tout se mélange. Une symbiose… magique.

Kirite est donc une évidence pour tous les amateurs de musique de jeux vidéo, a fortiori pour les amateurs de RPG et les fans de Yasunori MITSUDA, mais c’est aussi un voyage que quiconque peut entreprendre, entre texte et notes, entre une histoire et sa musique, chacune remarquablement écrite et composée, toutes deux se répondant à merveille l’une et l’autre. Faitesvous ce plaisir hors de l’espace et du temps, rentrez dans cette boucle qui en contient mille autres, et voyagez, évadez-vous dans le monde de Kirite et Kotohana. Cela fait un bien fou !

 

Toutes les informations sont à retrouver sur le site de Wayô Records.
Kirite est également disponible chez notre partenaire Cultura.

Paul OZOUF

Rédacteur en chef de Journal du Japon depuis fin 2012 et fondateur de Paoru.fr, je m'intéresse au Japon depuis toujours et en plus de deux décennies je suis très loin d'en avoir fait le tour, bien au contraire. Avec la passion pour ce pays, sa culture mais aussi pour l'exercice journalistique en bandoulière, je continue mon chemin... Qui est aussi une aventure humaine avec la plus chouette des équipes !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Verified by MonsterInsights