Yūsuke Iseya : acteur, artiste, activiste
Après avoir présenté le Reborn-Art Festival à Ishinomaki, penchons nous sur un des artistes ayant participé à la troisième édition de cet événement en 2022 : Yūsuke ISEYA.
Iseya, titulaire d’un master en design de l’Université des Arts de Tokyo (Tōkyō Geijutsu Daijaku), est surtout connu comme acteur et modèle. Il est également le réalisateur de deux films de fiction (Kakuto, 2003 et Fish on Land / Seiji – riku no sakana, 2011) ainsi qu’un homme d’affaires s’engageant pour la société et la nature. Pour son œuvre Worship, Iseya a utilisé une caverne située dans la région de Momonoura-Oginohama. L’installation présente un défi à l’imagination de l’observateur : quelles émotions peut-elle éveiller ?
Iseya – acteur et réalisateur
Iseya, né en 1976, a fait une carrière de modèle pour Gucci, Louis Vuitton, BMW et d’autres grandes marques internationales. Dans le spot publicitaire du parfum « Thé Cachemire » de Dior, tourné en 2019, il dégage une aura juvénile. Et ce sont souvent des jeunes en révolte qu’il incarne à l’écran. Dans son premier film, After Life (Wandafaru raifu, 1998) de Hirokazu KORE-EDA, le personnage qu’il joue est le seul à refuser la mémoire avec laquelle il est censé passer sa vie après la mort. Sa présence – cheveux hirsutes, parka et pantalon de cuir – le désigne comme un outsider, mais c’est surtout le jeu d’Iseya qui souligne sa résistance. Sans cesse en mouvement, il exprime l’énergie et l’insouciance de la jeunesse.
Un de ses rôles les plus connus en dehors du Japon est celui du chasseur Koyata Kiga dans 13 Assassins (Jūsan-nin no shikaku, 2010) de Takashi MIIKE dans lequel il joue à nouveau un rebelle mais aussi un être qui revêt une dimension surhumaine dont l’apparence sauvage entre en contraste avec la retenue des samouraïs, qu’il rejoint dans leur combat contre un seigneur despotique. Parmi les personnages historiques interprétés par Iseya, rappelons Nobunaga Oda (1534-1582) et Hideyoshi Toyotomi (1537-1598), les deux premiers unificateurs du Japon, deux personnages très différents quant à leur personnalité et leur apparence physique : Nobunaga, considéré par ses contemporains comme un bel homme, Hideyoshi surnommé « singe » à cause de sa laideur. Iseya joue Nobunaga dans Le Secret du maître de thé (Rikyū ni tazuneyō, 2013, Mitsutoshi TANAKA), un rôle secondaire, dans lequel il explore une grande variété des facettes du personnage en révélant l’homme passionné et curieux ainsi que le réaliste qui ne perd pas son temps avec la contemplation de la beauté et dont le seul objectif est le pouvoir. Dans la minisérie Lady Nobunaga (Onna Nobunaga, 2013, Hideki TAKEUCHI), le jeu inventif d’Iseya contribue au portrait de Hideyoshi, décrit par les historiens comme un personnage particulièrement extroverti. La série le dépeint comme un intrigant qui n’hésite pas à se débarrasser de tous ceux qui lui font obstacle dans sa course au pouvoir. Ainsi se débarrasse-t-il de l’informateur qui lui a révélé que Nobunaga était en réalité une femme (d’où le titre de la série). Se réjouissant de la découverte de ce secret, Hideyoshi exécute une danse de joie. Ses gestes exubérants rappellent, comme déjà dans 13 Assassins, le jeu de Toshirō MIFUNE dans Les Sept Samouraïs (Shichinin no samurai, 1954, Akira KUROSAWA). Mais tout comme Mifune, Iseya sait aussi magistralement remplir des rôles plus intimes.
Son jeu nuancé soutient les multiples facettes du prostitué Kōji dans The Passenger (France / Canada / Japan, 2004) de François ROTGER. Censé tuer un homme au Canada, Kōji traverse des zones industrielles vétustes, un quartier résidentiel morne et le paysage enneigé des environs de Montréal. Les espaces vides et le mutisme du personnage se renforcent mutuellement, engendrant une violence latente qui marque le film entier. Mimiques et langage corporel subtil d’Iseya révèlent la vulnérabilité du jeune Japonais sans cacher son agressivité et son ingéniosité.
Dans Across a Gold Prairie (Kinpatsu no sōgen, 1999, Isshin INŪDO), il interprète de manière aussi convaincante un octogénaire qui, pour son entourage, a l’apparence d’un jeune homme de vingt-deux ans. De même, révèle-t-il ce qu’il y a d’humain derrière le masque caricatural de l’excentrique rédacteur en chef d’un magazine de mode dans la série télévisée Survival Wedding (Sabaibaru Wedinggu, 2018, Toya SATŌ et Haru MIZUNO).
On retrouve l’excentricité dans la première réalisation d’Iseya. Kakuto, produit par Hirokazu Kore-Eda, traite d’une nuit dans la vie de trois jeunes adultes (dont Iseya dans le rôle principal). Le film aborde la drogue, le crime organisé et la sexualité tout en restant ludique. Le film, tiré d’un scenario co-écrit par Iseya, rappelle à maints égards Trainspotting (Grande-Bretagne, 1996) de Danny BOYLE. Il est pourtant une œuvre originale qui évite de réduire ses protagonistes à de simples clichés. Au contraire, Iseya réussit à brosser des portraits humains crédibles et à capter la façon d’être de jeunes citadins à la dérive dont le seul but est de se réjouir de la vie.
Sa seconde réalisation, Fish on Land, adapté d’un roman de Tomoki TSUJIUCHI, est une œuvre d’une tonalité moins excentrique. Scénariste de ce film dans lequel il n’apparaît pas, Iseya raconte le passage à l’âge adulte d’un adolescent pendant un été dans une région isolée. Maintes scènes montrent la beauté du paysage. Une beauté trompeuse, car la violence ne tarde pas à faire irruption. Iseya ne brosse pas seulement des portraits sensibles de ses personnages mais rend tangible le mystère qui les hante.
Iseya et l’état du monde
Son interprétation de l’intellectuel loyaliste Shōin Yoshida (1830-1859) dans le taiga dorama (série diffusée une fois par semaine durant toute l’année par la chaîne publique japonaise NHK) Burning Flower (Hana moyu, 2015) fait, elle aussi, preuve de grande sensibilité. Exécuté à l’âge de vingt-neuf ans, Shōin a exercé une grande influence au-delà de sa mort prématurée ; plusieurs de ses disciples figurent parmi les pères fondateurs du nouveau Japon de l’ère Meiji (1868-1912). Comme Shōin, l’intellectuel devenu révolutionnaire, qui a incité ses élèves à l’action (dont des assassinats politiques), Iseya ne se contente pas de se lamenter sur l’état du monde mais – sans pour autant prêcher la violence – est passé, lui aussi, à l’action.
Rebelle à l’écran comme dans la vie, il a choisi très tôt de se libérer du contrôle des agents artistiques en prenant ses affaires en main. Son engagement ne se limite pas à sa propre personne. Ainsi s’est-il engagé pour la démocratie directe en tant que moyen de revitalisation régionale. En 2009, il a lancé le Rebirth Project, une initiative écologique visant la réduction des ressources et le développement durable. Le besoin de trouver un sens dans sa vie autre que le cinéma et la confrontation aux problèmes urgents du monde tel que le changement climatique l’ont conduit à créer son entreprise. Dans une interview accordée à Matthew Hernon pour The Tokyo Weekender, publiée le 15 août 2013, Iseya explique son raisonnement à la base du Rebirth Project ainsi que sa volonté d’offrir des voies réalisables pour faire face aux problèmes du monde : « (…) je n’ai pas voulu créer un simple groupe de volontaires afin de vivre une aventure. Il a fallu fonder une compagnie bien structurée et ordonnée, une entreprise capable d’inspirer les autres. Le plus facile était de commencer par le plus élémentaire : se nourrir, se loger et s’habiller. »
Rebirth Project est une entreprise sociale à multiples facettes, une suprastructure qui chaperonne des projets les plus variés, offrant aux individus la possibilité de trouver des solutions face aux défis du monde actuel. En mettant l’accent sur des entreprises individuelles qui ne demandent pas des grands sacrifices et en proposant aux intéressés des ateliers pour les aider à réaliser leurs projets, Rebirth Project encourage ses participants à poursuivre leurs buts. Depuis sa fondation, l’entreprise est impliquée dans des projets toujours plus variés : le recyclage de la toile invendue de Lee Jeans, la fabrication du mobilier à partir de récupération ou la création de villages selon le principe de durabilité.
Dans un autre entretien accordé à Matthew Hernon et publié le 2 juillet 2015 dans The Japan Times, Iseya nomme Shōin Yoshida comme une de ses sources d’inspiration. Il exprime son admiration pour le programme éducatif de Shōin dans shōkason-juku, l’école qu’il avait fondée quelques années avant sa mort. Ainsi, on retrouve dans l’entreprise d’Iseya la même volonté de ne pas imposer ses idées à ses disciples, mais de les encourager à trouver des solutions ensemble qui animait déjà le charismatique intellectuel du XIXe siècle. Des idées libertaires similaires animent Loohcs High School qui a ouvert ses portes en avril 2019 et pour laquelle Iseya a conçu la section des arts libéraux. Le but de cette école privée est de contribuer au changement du système éducatif japonais en encourageant la liberté de pensée et en mettant l’accent sur les rencontres multiculturelles.
Cette carrière aux facettes multiples a connu une fin abrupte en septembre 2020 quand Iseya a été arrêté pour possession de cannabis et condamné à un an de prison avec sursis. Il a démissionné tout de suite de ses postes au Rebirth Project et à Loohcs High School. Depuis, sa carrière d’acteur est, du moins pour le moment, arrêtée. Pourtant, sa participation au Reborn-Art Festival en été 2022 témoigne de la continuité de ses activités. Son installation Worship est accompagnée d’un appel à la responsabilité individuelle et à l’action : « Tu es Dieu. Pense, ne prie pas. Agis, ne souhaite pas. Le monde ne demande que ta volonté, pas un autre dieu. » Cette citation d’Iseya apparaît dans le texte de présentation de l’œuvre mis en ligne par le festival. Il révèle aussi la signification ironique du mot Worship, car à travers cette œuvre, lseya cherche à inciter l’observateur à la réflexion qui, dans le meilleur des cas, se transforme en action. Elle est un appel à la responsabilité individuelle.
Iseya continue à partager ses pensées sur le monde sur Instagram et à travers le site « Sauce of Happiness ». Étant actuellement en quête de lui-même, comme il est écrit sur le site du Reborn-Art Festival, il ne cesse d’exprimer le besoin de changement mais aussi sa tristesse à l’égard de la situation de la planète et ses doutes sur l’impact de l’art dans les affaires du monde. Cependant, sa participation au festival et sa façon de communiquer avec le monde extérieur à travers les plateformes comme Instagram qui va bien au-delà de la pure autoreprésentation narcissique soulignent que son esprit critique reste éveillé.