Shamisen : quand la culture et la musique japonaise se dessinent

Les projets autour de la culture japonaise pullulent sur le marché du manga. Cela permet de faire découvrir ou redécouvrir différents aspects de cette dernière tout en y apposant sa patte, sa vision. C’est dans cet ensemble qu’apparaît Shamisen, l’une des dernière parutions Ankama signée Guilherme PETRECA et Tiago MINAMISAWA. Un véritable objet d’art atypique que Journal du Japon va vous faire découvrir. Prêt à plonger dans une aventure poétique et musicale aux côtés d’une héroïne aveugle et joueuse de shamisen ? Alors laissez-vous guider par les première notes… le voyage a déjà commencé !

Un voyage poétique au cœur du Japon

Couverture de Shamisen © Ankama éditions

L’une des forces de Shamisen réside avant tout dans l’histoire qui nous est racontée. On y suit Haru, une jeune joueuse de shamisen aveugle mais dont le don pour la musique charme aussi bien les humains que les créatures surnaturelles, les yôkais. Intelligente et douce, cette goze (joueuse de shamisen aveugle) nous délivre, au cours de son aventure, plusieurs réflexions philosophiques qui permettent au lecteur de se questionner sur le sens de la vie, sur comment laisser une trace de son passage en ce monde et bien d’autres messages positifs et bienveillants. Le tout dans une atmosphère japonaise du XXe siècle.

Un objet artistique

Shamisen est plus qu’une bande dessinée, c’est un objet d’art à plus d’un titre. Les scénaristes et dessinateurs ont voulu donner une vie particulière à leur œuvre. Ainsi, chaque dessin, chaque case peut s’apparenter à une estampe ukiyo-e, ces créations typiquement japonaises qui ont connu un engouement artistique certain à la période Edo. Que ce soit par les traits ou bien la manière de présenter certains personnages, certains paysages, tout est là pour rappeler l’art japonais. Certaines scènes sont directement inspirées d’œuvres d’HIROSHIGE et ses montagnes enneigées ou bien d’HOKUSAI, que ce soit sa Manga ou La Grande Vague de Kanagawa. Par cela Shamisen devient à la fois une histoire véritablement artistique mais aussi un miroir de tout ce qui fait l’identité japonaise.

HOKUSAI, La Grande Vague de Kanagawa, circa 1830-1832. Metropolitan Museum of Art de New York.

Et une aventure sensorielle

« Une fable japonaise inspirée d’une histoire vraie » – Ankama

Cette fable, comme le dit si bien Ankama, nous propose une relecture de la vie de la goze Haru KOBAYASHI à laquelle les auteurs y ont insufflé tout le mysticisme et la poésie relevant du folklore japonais, avec des très nombreux yôkai comme le Kappa ou bien la Yuki-Onna par exemple. Ce voyage est ponctué de nombreux textes chantés par l’héroïne, directement transcrits en japonais pour dénaturer le moins possible l’importance de la langue et de la culture du Japon. Le lecteur peut alors parfaitement voyager à travers les « pages-tableaux » du début à la fin du récit.

Un véritable dépaysement qui se passe par la lecture mais aussi par les autres sens. Ainsi, chaque page à une texture proche des feuilles utilisées pour les ukiyo-e, renforçant cette atmosphère japonisante. Atmosphère qui est magnifiée par une bande-son spécialement interprétée par Yukiye YASUNAGA et Vinicius SADAO pour l’occasion, disponible sur la chaîne Youtube de Guilherme PETRECA.

Shamisen : œuvre mais aussi objet de savoir

On l’a dit, Shamisen c’est un fable qui nous fait voyager de bien des façons aux côtés d’une héroïne qui nous fait découvrir son Japon, ses coutumes et son folklore. C’est aussi un objet artistique qui permet une multitude d’expériences sensorielles au cours du récit. Mais Shamisen c’est aussi un premier pas dans l’art de la musique traditionnelle et dans son histoire. En effet, outre la bande-dessinée, il est possible de lire plusieurs pages de texte sur la véritable Haru KOBAYASHI ainsi que sur l’art du shamisen en fin de volume. Shamisen devient alors, en plus d’objet d’art, objet de savoir !

L’expérience Shamisen ne vous laissera donc pas indifférente. Et quoi de mieux pour parfaire ces quelques lignes de présentation que de laisser le dessinateur lui-même en parler. Journal du Japon vous laisse donc profiter d’une interview avec Guilherme PETRECA qui va vous en dire plus sur son œuvre. 

Entretien avec Guilherme PETRECA 

Portrait de Guilherme PETRECA © Guilherme PETRECA 

Journal du Japon : Bonjour monsieur PETRECA. Merci de prendre le temps de répondre à quelques questions. Pouvez-vous vous présenter pour nos lecteurs et leur en dire un peu plus sur votre carrière ?

Guilherme PETRECA : Merci pour cette opportunité de pouvoir parler de mon travail. Je suis un artiste indépendant de Sao Paulo – Brésil, et je travaille beaucoup avec la bande dessinée, l’animation et les illustrations. 

Une présentation brève mais efficace ! Merci. Passons donc au vif du sujet. Avec votre votre nouveau travail, Shamisen, sorti le 14 avril aux éditions Ankama, plusieurs questions viennent immédiatement en tête, mais si nous devions n’en choisir qu’une ce serait la suivante : Quel lien entretenez-vous avec la shamisen et la culture japonaise ?

Je suis né dans les années 90, au moment où les animes et les mangas ont commencé à être quelque chose de très important au Brésil (et partout dans le monde). J’ai grandi en étant passionné par les mangas comme Shaman King, Cardcaptor Sakura, Dragon Balletc. Mais j’étais aussi très intéressé par le folklore traditionnel et la mythologie de plusieurs cultures. La mythologie japonaise est, bien évidemment, très intéressante. Donc quand j’ai lu sur les yôkai et que j’ai découvert la philosophie Shintô, je suis devenu passionné par tout cela. Je voulais intégrer certaines de ces pensées à ma vie personnelle et je voulais créer une histoire en utilisant ces éléments.

Kitagawa UTAMARO, Fleurs d’Edo. Jeune femme jouant du shamisen, vers 1880. Sotheby’s

En 2018 j’ai commencé à jouer du shamisen, et mon professeur m’a incité à créer une histoire dessus. Comme l’instrument n’était pas vraiment connu, ça pourrait être un moyen très cool de le présenter aux personnes qui s’intéressaient à la culture japonaise et à la musique, mais qui ne connaissaient pas le shamisen.

J’ai pensé que ce pourrait être l’idée parfaite d’évoquer toutes ces choses sur lesquelles je voulais dessiner et écrire. J’ai aussi profité de cette chance pour changer un peu mon style de dessin et j’ai utilisé beaucoup d’estampes ukiyo-e (xylographies japonaises) comme références, puisque c’est l’un de mes styles artistiques préférés.

Nos lecteurs vous connaissent à présent un peu mieux. Mais, en y regardant de plus près, quand on parle de Shamisen, on remarque la collaboration entre vous, Guilherme PETRECA, et Tiago MINAMISAWA. Comment vous êtes vous rencontré ? Pouvez-vous nous parler de la genèse de ce projet ? Avez-vous quelques anecdotes de conception ?

J’ai rencontré Tiago en 2015, quand on travaillait sur un dessin animé appelé Les Aventures de Dino. Nous sommes devenu amis très rapidement parce que nous partageons une vision très similaire des désirs et une conception de l’art. Tiago m’a aidé à produire ma première longue BD intitulée Ye en 2016. Plus récemment, j’ai travaillé en tant que directeur artistique sur le court-métrage Kabuki de Tiago. Quand j’ai lu le script de Kabuki, j’était déjà en train de travailler sur le script de Shamisen. J’ai pensé que la manière d’écrire de Tiago était si belle et poétique que j’ai voulu l’inviter à coécrire Shamisen, donc je lui ai envoyé mon premier brouillon et nous avons commencé à travailler ensemble sur cette BD.

Ye de Guilherme PETRECA © Kramiek éditions

 

Nous avons aussi travaillé avec Carlos Hideaki FUJINAGA, qui est un consultant culturel. Il a garanti que nous nous étions très respectueux de la culture japonaise.

Une collaboration qui prend racine dans une amitié et un projet somme toute très japonisant. Passons à présent à une autre question plus musicale pour le coup. Vous êtes vous même un joueur de shamisen, comment cela a t-il influencé l’aspect artistique et notamment musical qui est au cœur de Shamisen ?

Je suis un étudiant du shamisen, mais même si je ne suis pas un professionnel, cela a tout de même beaucoup influencé. Le shamisen a une sonorité qui peut vous transporter. Elle peut être très méditative et calme, mais aussi très intense. J’ai voulu ajouter ces sensations dans le livre.

Et vous avez réussi. Shamisen est une expérience sensorielle à plus d’un niveau. Mais c’est aussi une aventure qui développe son personnage principal. En effet, Shamisen tourne entièrement autour de la vie de Haru. Mais ce personnage de fiction est inspiré par une fameuse goze. Pouvez-vous nous parler un peu de Haru KOBAYASHI ? À quel point votre héroïne lui ressemble-t-elle ?

La réelle Haru KOBAYASHI était une musicienne très importante. Elle était nommée comme l’une des « Trésors nationaux vivant du Japon » en tant que pierre angulaire de l’art traditionnel goze.

La vie de Haru a été très difficile, avec beaucoup de moments tristes. À chaque fois que vous lisez sur elle, les gens parlent de sa souffrance. Je respecte cela, et je pense que c’est très important que celà soit dit, mais nous voulions l’honorer en créant une histoire belle et poétique, inspirée par son héritage. Aussi, il est très important de penser que nous avons fait ce livre pendant la pandémie de Covid-19. Nous ne pouvions pas faire face à plus de mauvaises nouvelles et de sentiments tristes. Je voulais créer une histoire qui puisse réconforter les lecteurs, et apporter un peu d’espoir pour eux (et aussi pour moi).

Shamisen est plein d’espoir et de bienveillance, vous pouvez en être sûr. Mais c’est aussi un mélange de culture, d’art et de sentiments. Nous sommes face à un véritable objet d’art à lire et à ressentir. Comment avez-vous réussi à tout concilier et à offrir ce voyage onirique ?

J’ai été très influencé par le concept de « Ukiyo-e » (portraits du monde flottant). J’ai essayé d’ajouter quelques illustrations donnant une sensation de « non gravité » : parfois le personnage semble flotter en harmonie avec le son des cordes qui s’envole. Pour cela, j’ai utilisé des éléments et des couleurs flottants, évanescents, vaporeux, et des éléments réalistes, mais pas TROP réalistes non plus. Je pense que cela me donne une sensation qui ressemble à un rêve.

HIROSHIGE. Nuit de neige. Vers 1833. Musée national de Tokyo.

Cette histoire permet de parfaitement s’évader mais Shamisen c’est aussi un conte philosophique. Avez-vous cherché à faire réfléchir vos lecteurs sur divers sujets comme le but de la vie ?

Oui. Durant la pandémie de Covid-19 nous faisions face à la mort tout le temps. Avec cela, je pense qu’il est impossible de ne pas réfléchir sur plusieurs sujets qui sont important pour vous. Donc nous avons ajouté à l’histoire divers éléments auxquels nous réfléchissions à ce moment là : la vie, la mort, la violence, différentes réflexions et, bien évidemment, l’art.

Votre œuvre résume très bien ces différents aspects et donne à réfléchir sur bien des choses. Une production parfaitement japonisante. En parlant de cela, si un jour un éditeur vous demandait de proposer une nouvelle histoire se déroulant au Japon, le feriez-vous ? Cela permettrait sûrement de réinterpréter sa culture et sa mythologie d’une manière complètement différente.

Tiago et moi-même travaillons déjà sur ça. Nous ne savons pas encore quand cela arrivera. Cela prendra sûrement un peu de temps, mais nous avons déjà de nouvelles histoires qui s’adressent à tout le monde, inspirées de la culture et de la mythologie japonaises.

Des projets qui mettent l’eau à la bouche. Nous avons hâte d’en savoir plus. Mis à part ceux-ci, une nouvelle collaboration avec Tiago MINAMISAWA serait-elle possible ? Avez-vous déjà pensé à de nouvelles idées ensembles, outre les projets précédemment cités ? 

Oui, notre projet principal actuel est de terminer Kabuki – le court-métrage de Tiago, mais nous avons aussi déjà de nouvelles idées pour des BD.

Nous vous souhaitons de réussir à le terminer. Mis à part les projets avec monsieur MINAMISAWA, avez-vous de futures projets personnels en cours ?

Toujours ! Je travaille déjà sur ma prochaine BD / série animée appelée Superpunk.

Superpunk Petreca

Visuel de Superpunk de Guilherme PETRECA – ©guilhermepetreca – Tous droits réservés

Vous avez un planning plutôt chargé avec tout ça. Nous ne voulons pas vous retenir plus longtemps donc pour finir, s’il ne fallait dire qu’une seule chose pour convaincre un néophyte de tenter cette histoire, qu’est-ce que ce serait ?

Shamisen est très inspiré par la culture traditionnelle japonaise, mais cette histoire parle de choses et de sentiments qui sont universels. Je pense que ce n’est pas une lecture plaisante réservé uniquement aux les amoureux de la culture japonaise, mais pour tous ceux qui aiment réfléchir sur la vie, ou qui veulent juste faire une pause, et lire quelque chose de très confortable, douillet et paisible.

C’est une parfaite conclusion. Encore merci monsieur PETRECA.

Tout le plaisir a été pour moi. Merci !

Vous pouvez suivre l’auteur sur ses réseaux sociaux et si vous voulez vous procurer son livre, il est disponible sur la boutique officielle d’Ankama.Vous pouvez aussi retrouver les travaux de Guilherme PETRECA sur son site web.

Remerciements à Guilherme PETRECA pour son temps et aux éditions Ankama pour la mise en place de cette interview.

1 réponse

  1. Paulo Petreca. dit :

    Um HQ que é uma obra literária ilustrada , sensível, emocionante e que nos leva a transcendência

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