Les coulisses des traductions de jeux vidéo

La traduction est un milieu vaste et plein de surprises. Celui des jeux vidéo est quant à lui assez mystérieux. C’est un travail minutieux, qui demande savoir et adaptation. Pour guider cette explication des différentes étapes nécessaire à une bonne traduction, Emmanuel Pettini et Vanessa Nakamura, tous deux traducteurs, nous font part de leur expérience.

Quels parcours mènent à la traduction ?

Comme on peut s’y attendre, nos deux traducteurs ont suivit des études de langues. Avant de s’y intéresser de plus près, il est important de noter que, à moins que le texte original soit en Anglais, tous deux traduisent directement du Japonais vers le Français. Emmanuel Pettini commente d’ailleurs « C’est souvent ce qui rend mon profil attractif. […] Pour des raisons logistiques, il est possible que certains projets ne trouvent pas toujours (assez) de profils japonisants. » Ce lien direct entre le français et le japonais est donc un véritable atout pour se faire une place dans le milieu de la traduction.

Vanessa Nakamura détient une licence en japonais accompagnée d’un an d’échange à l’université de Kyushu ainsi qu’un Master 1 de traduction langue anglaise et d’un Master Français Langue Étrangère.

Emmanuel Pettini quant à lui a commencé le japonais après le lycée en suivant lui aussi un cursus d’apprentissage de la langue comprenant un an au Japon, à Hirosaki. A son retour en France il a par la suite obtenu un DEA (Diplôme d’Études Approfondies) sur l’animation japonaise. Enfin, un DESS (Diplôme d’Études Supérieures Spécialisées) de traduction audiovisuelle (qui existe toujours aujourd’hui sous la forme d’un Master).

Durant son parcours, Emmanuel Pettini a pu travailler au sein de la Toei Animation où il a par exemple relu et supervisé près de 300 épisodes de One Piece. Il fût aussi journaliste puis rédacteur en chef du pôle Japon pour la chaîne de télévision Nolife. Suite à cette expérience, il a ensuite repris principalement l’adaptation pour le doublage français d’animes japonais, en particulier pour Crunchyroll. Il a par exemple pu récemment travailler sur l’adaptation pour le doublage du film Suzume de Makoto Shinkai, sorti le 12 avril dernier. Mais aussi la traduction notamment de romans, séries, ou encore de jeux vidéo.

Le déroulement d’une traduction

En fonction de la taille du jeux vidéo, il met nécessairement plus ou moins de temps à être traduit. Cependant, pour les plus gros projets, le travail s’étale sur plusieurs mois voir même plus d’une année. C’est donc un travail de longue haleine.

Bien qu’une partie du processus se fasse de manière indépendante, la traduction est aussi un travail d’équipe. C’est pourquoi il est important de désigner un chef de projet qui servira à harmoniser l’ensemble. Cette pluralité est utile pour la relecture du travail mais aussi pour prendre des décisions qui peuvent nécessiter plus de réflexion. « Toutes les décisions de traductions (un terme qui pose problème, un jeu de mot intraduisible, une chanson, par exemple) sont prises ensemble, ce qui donne parfois lieu à de longues discussions. » explique Vanessa Nakamura.

Pour effectuer le travail, des logiciels sont utilisés. Ces derniers peuvent varier d’une société à l’autre. Certains sont développés en internes. « D’autres peuvent avoir recours à des logiciels du genre MemoQ qui permet de gérer plus simplement le travail collaboratif ou les révisions des différentes versions. Enfin, parfois, cela peut être tout aussi bien un simple tableur Excel dans lequel il faudra mettre sa traduction dans la cellule voulue. » ajoute Emmanuel Pettini.

Pour ce qui est du processus de traduction en lui même, le plus long reste les dialogues (particulièrement dans les JRPG). En particulier si la traduction est doublée. Alors, si la discussion est en fond lorsque le joueur passe, ou bien si c’est une cinématique cruciale au scénario, elle ne demandera pas le même travail de traduction dû au besoin de synchronisation. Emmanuel Pettini détaille que « Pour une prise de vues réelles, on a tendance à dire qu’il faut une heure pour adapter une minute de dialogue en doublage. »

Toute tâche mène à son lot de difficultés

Évidemment, la traduction n’est pas simple et mécanique. Certaines situations rencontrées mènent à des problèmes et des questionnements pour réussir à offrir aux joueurs l’expérience la plus authentique possible.

Une difficulté propre à la traduction de jeux vidéo est dû à un haut besoin de confidentialité. Emmanuel Pettini confie : « La confidentialité est parfois telle que les traducteurs eux-mêmes n’ont pas le droit de dire sur quels titres ils ont travaillé et ne sont pas crédités au générique de fin. » Celle-ci entraîne un cruel manque de contexte qui peut vite amener à des complications.

« Souvent il faut traduire à l’aveugle, car la traduction se fait en même temps que le développement du jeu lui-même. Les images ne sont parfois pas encore prêtes, et les textes peuvent changer de multiples fois pour s’adapter aux changements de scénario en cours de route » éclaire Vanessa Nakamura. Emmanuel Pettini, lui, raconte :

©Square Enix LTD

« Pour ma part en ce qui concerne un titre comme Final Fantasy VII Remake, auquel j’ai participé, surtout sur le début du jeu, je travaillais sur des éléments quasiment finalisés. J’étais dans un processus de doublage assez similaire à d’autres œuvres. Mais quand on rattrape la production, avec des éléments encore en cours de production, le plus dur est alors souvent le manque de contexte et de visualisation. Si on a une réplique isolée, sans indication de qui parle, il faut faire attention par exemple à ne pas mégenrer un personnage. »

Cette situation mène d’ailleurs à des coquilles inévitables comme la fois où « Lors de la sortie de Grandia HD Collection en 2019, quand, en version allemande, le mot « Miss » pour « manqué » a été traduit par « Fräulein » (mademoiselle) à l’écran. »

©GungHo Online Entertainment America, Inc.

Si le manque de visuel crée une contrainte, la tâche ne se facilite pas pour autant une fois que l’on a accès aux images. « Pour des sous-titres ou des dialogues, des textes devant s’inscrire dans des cadres ou des menus, il y aura des contraintes de place et de lisibilité » explique Emmanuel Pettini. Mais aussi, il n’est pas sans oublier que le travail de traduction comprend le doublage. « Pour un doublage sur des cinématiques qui voudront respecter la synchro labiale, les contraintes sont assez lourdes et peuvent obliger à adapter fortement le texte. »

Pour immerger les fans d’un univers déjà existant, il est aussi nécessaire de respecter le cadre établi précédemment. Ce besoin de cohérence avec une autre réplique ou une autre œuvre apporte encore une nouvelle difficulté. Emmanuel Pettini ajoute « Il peut y avoir des consignes du développeur ou autres, ainsi que la présence ou non de bibles littéraires qui vont cadrer plus ou moins la traduction. Il faut respecter le naturel de la phrase à traduire, mais des références culturelles, certains effets, par exemple dans un cadre comique, peuvent amener à prendre plus de liberté et obliger à plus de créativité. »

Car oui, la traduction demande aussi une part de créativité. Si elle n’en nécessite évidemment pas autant que le processus d’écriture original, il ne faut pas non plus la laisser de côté ! Vanessa Nakamura avoue « Personnellement, j’aime beaucoup me creuser la tête pour trouver des noms d’attaques ou d’équipements un peu stylés ou rigolos. » Certains obstacles qui peuvent à premier lieu être perçus comme des difficultés se révèlent donc être une démarche plutôt amusante.

Aussi, « Nous traduisons quasiment tout le temps les noms des créatures sauf si ce sont des créatures du folklore japonais qui « existent » ou si ce sont des noms propres. Le texte japonais a souvent des noms de bêtes qui indiquent ce qu’elles sont où comment elles attaquent. Il ne ferait aucun sens pour des francophones qui ne parlent pas japonais de garder le même nom. Fushigidane (fushigi : mystérieux et tane : graine) parlerait beaucoup moins gardé tel quel que Bulbizarre, par exemple. » Et, en effet, c’est ce dont a pu témoigner Julien Bardakoff, créateur des noms français des premiers Pokémon, au cours de son interview pour Neo TV. La traduction de tous les noms de Pokémon ont demandé beaucoup de travail et surtout de créativité. Réussir à garder l’esprit des différents personnages tout en réussissant à résonner dans celui du public français ne fût pas une mince affaire.

En somme, comme le dit Emmmanuel Pettini « Il n’y a malheureusement pas de recette magique. Il n’y a pas un algorithme secret qui permette d’avoir une traduction créative, respectant les contraintes voulues, proche de la VO avec toutes les nuances possibles. » C’est un travail qui demande de s’adapter constamment. Le tout est de réussir à écrire « un texte qui est tellement naturel que les gens qui le lisent pensent que c’est le texte original. Garder les intentions de la langue de départ est très important, mais écrire un texte fluide et naturel l’est tout autant. » et cette balance inclus alors toutes les difficultés qui ont été évoquées. Seulement, c’est bien ce périlleux équilibre entre art et science qui fait tout l’intérêt de la traduction!

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Verified by MonsterInsights