Rencontre avec l’animateur Mamoru YOKOTA : aux origines de l’exposition Mushae

Du 12 mars au 6 avril s’est tenue l’exposition Mushae dans le hall d’entrée de la Maison de la Culture du Japon à Paris, un best-of de l’exposition caritative annuelle du même nom organisée pour soutenir le festival de Sôma Nômaoi de la ville de Minami Sôma après la triple catastrophe du 11 mars 2011. Nous avions déjà couvert cette exposition originale ainsi que la conférence donnée par son principal organisateur : l’animateur aux mille casquettes Mamoru YOKOTA. Journal du Japon a eu la chance de s’entretenir avec ce dernier pour en apprendre plus sur les origines de l’exposition mais aussi sur la trajectoire unique de l’homme derrière de nombreux anime. 

Yokota Mamoru
Mamoru YOKOTA pendant l’exposition Mushae à Paris – Crédit : ©Elliot Têtedoie pour Journal du Japon – Tous droits réservés.

Les illustrateurs au secours de la ville de Minami Sôma

Journal du Japon : Bonjour Monsieur YOKOTA, et merci pour votre temps. Sauf erreur, vous n’êtes vous-même pas originaire du département. Pourquoi avoir choisi le festival de Sôma Nômaoi spécifiquement ? Aviez-vous déjà des relations avec cet événement ?

région du tohoku
La région du Tôhoku se trouve au nord-est de l’île principale du Japon

Mamoru YOKOTA : Oui, je ne viens pas de la ville de Minami Sôma. Mes parents viennent du département d’Iwate au nord-est du Japon, dans la région du Tôhoku, là où a eu lieu la triple catastrophe de mars 2011. J’ai donc tout d’abord voulu proposer mon aide vers Iwate mais comme mes parents n’habitent pas près de la mer mais vers la montagne, il n’y avait pas tant de dégât que ça. En leur demandant si tout allait bien là bas, ils m’ont dit qu’il n’y avait pas tant besoin d’aide. Ensuite, un ami qui tient un bar à Akihabara m’a dit qu’une de ses connaissances du Tôhoku cherchait de l’aide dans le département de Miyagi. Finalement, ma première action caritative a été de l’accompagner dans un gymnase de la région, réaménagé en centre d’évacuation pour redonner le sourire aux enfants qui aimaient les mangas ou les dessins du genre.

Après Miyagi, un de mes amis mangaka aidait de la même manière une autre partie de la région, et un ami de ce dernier, lui-même ancien mangaka, tenait une auberge dans le département de Fukushima à la ville de Minami Sôma. Mon ami mangaka m’a fait expliqué que la situation là-bas était difficile et qu’il comptait aller les aider. Comme j’avais déjà commencé les actions humanitaires à Miyagi, mon ami m’a demandé si je pouvais lui prêter main-forte et c’est là que j’ai commencé mes activités dans la région de Fukushima.

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affiche de l’édition 2023 du festival de Sôma Nômaoi

La famille de l’ami de mon ami mangaka était proche du maire de la ville de Minami Sôma. Elle se trouve proche de là où il y a eu l’accident nucléaire. Ainsi, plus qu’un besoin de soutien pour la reconstruction, la zone souffrait d’une mauvaise image suite aux rumeurs entourant la fuite des radiations. Le maire souhaitait redonner une bonne image à la ville, et pour cela, le festival de Sôma Nômaoi de la ville de Minami Sôma semblait prédisposé. Avant, au Japon, les guerriers japonais ne se battaient évidemment pas avec des chars mais en montant sur des chevaux. Pour obtenir ce mode de transport, il fallait courser puis attraper les montures, et enfin on les présentait aux divinités pour gagner les batailles. Selon les dires, ce festival traditionnel durerait depuis 1000 ans. La municipalité souhaitait s’appuyer sur ces anciennes cérémonies pour diminuer voire effacer la mauvaise image de la ville, et m’ont confié qu’ils seraient contents si des mangaka ou d’autres personnes ayant pour métier le dessin participaient aussi à redorer l’image de la région. Moi-même, habitant à Tôkyô, je n’avais pas connaissance qu’un festival du genre avait lieu et j’ai accepté de prêter main forte en me disant que la renommée des mangaka ou des illustrateurs qui y participeraient serait forcément un plus.

Comment cette exposition est-elle arrivée en France ?

Concernant ce qui a mené à l’exposition à la MCJP, la première étape s’est faite par l’intermédiaire d’un de mes amis en France, l’un des représentants de la Japan Expo, qui était inquiet de la situation au Japon et qui a organisé plusieurs événements avec des groupes de soutien japonais pour soutenir la reconstruction du département de Fukushima suite à la triple catastrophe du Tôhoku. Il était au courant de l’exposition Mushae à Minami Sôma et m’a proposé d’exposer des dessins en France. J’ai donc pour la première fois organisé une exposition Mushae en France pour la Japan Expo 2013.

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Illustration postée sur Twitter réalisée par l’animateur pour sa venue à la Japan Expo en 2022 ©Mamoru Yokota

Ensuite, j’ai personnellement beaucoup de liens avec les événements sur le manga ou l’anime en France ou à l’étranger. Parmi les fois où j’ai été invité, comme je continuais l’exposition Mushae au Japon, on m’a parfois proposé d’exposer les dessins, par exemple aux Etats-Unis, en Chine ou en Belgique. En France, alors que je discutais d’une possibilité d’organiser Mushae non pas à l’intérieur d’un plus grand événement mais en tant qu’exposition indépendante, mon ami m’a mis en contact avec la MCJP, et ils m’ont proposé une période où ils étaient disponibles pour monter l’événement. J’ai donc ensuite organisé l’exposition à l’aide de mes collaborateurs sur place, Ake no Tsuru et Ai no Kame. Il a fallu quelques années de préparation, et je me suis activé pour expliquer les actions que je menais au Japon, pour présenter le festival de Sôma Nômaoi, la culture du guerrier à cheval et l’objectif caritatif de l’exposition.

Avant la production d’illustrations pour soutenir la reconstruction, l’exposition note que vous avez donné des cours de dessins aux jeunes de la région. Était-ce la première fois que vous enseigniez ainsi le dessin ou bien le faisiez-vous avant dans les studios d’animation ou les écoles d’animation ?

Oui j’ai déjà appris le dessin à des enfants mais j’avais aussi déjà été appelé pour donner des cours de dessin en université, école spécialisée, ou bien lors d’atelier…donc en dehors des mes activités de soutien à la reconstruction j’avais déjà eu l’occasion d’apprendre aux enfants à dessiner. Pas uniquement au Japon d’ailleurs. J’ai aussi participé à des événements du genre dans plein de pays comme la France ou la Chine, où je m’efforçais à chaque fois de leur transmettre les techniques d’une manière facilement compréhensible. Avant mon soutien pour la ville de Minami Sôma, c’est ce que j’ai fait à Miyagi, dans les centres de refuges dans le Tôhoku ou dans les habitations temporaires… Et pas que à destination des enfants : j’ai également montré comment dessiner à des personnages âgées qui voulaient essayer. En bref, j’ai enseigné le dessin à tout le monde, de 7 à 77 ans, et même aux personnes qui n’ont jamais touché à un crayon de leur vie.

Ce n’est pas si difficile pour moi : à l’origine je viens du monde de l’animation, j’ai appris le métier à de jeunes animateurs et j’ai aussi donné des leçons de dessins à des aspirants mangaka donc j’ai pas mal d’expérience dans ce domaine. C’est quelque chose que je sais faire, donc si ça peut donner le sourire à des personnes tristes ou dans une situation compliquée, je veux pouvoir utiliser les compétences que j’ai acquises pour des initiatives de volontariat par exemple. Je n’y ai jamais vraiment réfléchi, mais tant que ça donne le sourire, je le fais.

Pouvez-vous nous expliquer comment se déroule le contact avec les artistes ? Est-ce vous qui les contactez ou, à l’inverse, eux qui prennent contact avec vous pour soutenir la reconstruction de la région ?

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Couverture du catalogue de la quatrième édition de l’exposition Mushae ©Comité d’organisation du festival Sôma Nômaoi

Il y a beaucoup de participants, mais à la base ce sont principalement soit des connaissances, soit des amis proches. Jun’ichi HAYAMA par exemple, qui est présent à l’exposition à la MCJP, est un de mes amis et il a accepté volontairement de participer au projet quand je le lui ai expliqué. Dans le même ordre d’esprit, j’ai rassemblé d’autres artistes qui étaient d’accord avec le projet pour composer l’exposition. J’ai déjà travaillé dans la production de cartes à jouer ou de jeux vidéo où il m’est arrivé de devoir rassembler plus de 300 personnes pour les dessins, donc j’ai beaucoup de liens avec les illustrateurs, ce qui a été très utile.

À l’époque de la première édition, nous avons moi et mon ami mangaka assemblé à deux les illustrations d’une quarantaine de personnes, puis nous les avons mis en enchères et nous avons redistribué les bénéfices aux ONG locales pour qu’elles puissent l’utiliser comme elles le voulaient. Mushae devait se terminer après cela, mais beaucoup de personnes de la région nous ont dit de continuer et les éditions suivantes ont eu lieu sous la forme actuelle où je demandais à mes connaissances si elles souhaitaient participer. Je crois qu’à partir de la troisième édition le nombre de participants était arrivé à 100, et comme plus de monde aurait été difficile à gérer, nous avons décidé de nous arrêter à environ 100 personnes au maximum. Je pense qu’il était possible de rassembler encore plus de monde mais, de fait, il aurait été très compliqué d’organiser l’exposition.

A propos du choix pour l’exposition à Paris, les artistes au Japon dessinaient ce qu’ils aimaient selon leur sensibilité, mais comme le résultat ne pouvait parfois pas convenir aux cultures d’autres pays, j’ai choisi des illustrations que tout le monde pouvait voir sans soucis. Et comme l’exposition a lieu en France, des artistes français et italiens sont aussi exposés. Le timing était un peu court, mais j’ai reçu des dessins de connaissances ou d’amis, et je suis passé par l’éditeur des mangaka italiens pour qu’ils me présentent les artistes. Au total, il y a 100 artistes participants et 117 dessins qui sont exposés.

Les artistes étaient donc totalement libres de dessiner ce qu’ils voulaient, à condition de respecter le thème du guerrier japonais ?

Au début oui c’était le cas, mais au fur et à mesure des éditions, j’ai remarqué qu’il y avait des jeunes enfants ou des personnes âgées dans le public qui venait visiter. Si les artistes dessinaient des choses trop sexy ou qui n’étaient pas bonnes à montrer aux enfants, cela nous éloignerait des notre objectif caritatif initial, donc j’ai écrit une liste de directives à suivre et de limites à ne pas franchir pour réaliser les illustrations.

“Musha”, le guerrier japonais, est le thème de l’ensemble des dessins de l’exposition. Pouvez-vous nous faire part de votre relation avec cette figure, aujourd’hui mondialement célèbre, du guerrier japonais ? Que signifie le Musha pour vous ?

Une estampe de guerrier réalisée en 1852 par Ichiyûsai KUNIYOSHI

Le motif du guerrier est présent à l’origine car nous soutenons le festival de Sôma Nômaoi, donc le meilleur que l’on pouvait avoir pour être dans le thème était un guerrier en armure et son cheval réunis. Mais il y avait des personnes qui ne voulaient dessiner soit que le guerrier, soit que le cheval, donc plutôt que de leur imposer une figure, j’ai fait en sorte qu’ils dessinent ce qu’ils souhaitaient vraiment.

Me concernant, je suis japonais donc ces guerriers sont mes ancêtres et la figure du guerrier en armure apparaît toujours quand je regarde des vieux documents historiques ou dans les manuels scolaires d’histoire à l’école. Même si on réunit tout ça sous le nom de guerriers en armure, à partir de l’époque Heian et en avançant dans l’histoire, les formes des casques ont évolué, selon les époques certains se battaient réellement et d’autres portaient l’armure comme une sorte d’apparat, etc, etc. En tant que personne dont le métier est de dessiner, j’ai un grand intérêt pour les formes des armures et les contextes historiques qui y sont liés, il m’est donc arrivé de me renseigner à ce sujet. C’est un motif que l’on retrouve très souvent.

Autre chose surprenante : la quantité d’illustrations mêlant samouraï et chat. Il y a-t-il une raison particulière à cela ?

C’est sûrement parce qu’il y a beaucoup de personnes qui aiment les chats parmi les artistes participants. Moi aussi je me suis dit qu’il n’y avait pas de chien…Une autre raison de ce choix est que j’ai pensé que beaucoup de Français considèrent avec soin leur famille et qu’ils allaient venir à l’exposition avec leurs enfants. Plutôt que de montrer aux familles uniquement des guerriers exhibant fièrement leur katana, j’ai choisi des dessins mignons, du genre qui font chaud au cœur car je me suis dit que cela plairait davantage. A part ça, il n’y a pas de raisons particulières.

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Quelques tableaux de l’exposition Mushae à Paris Crédit : ©Elliot Têtedoie pour Journal du Japon – Tous droits réservés

Que pensez-vous de l’accueil du public français ?

Beaucoup ont été surpris du nombre de dessins, et de la richesse de l’exposition dans la variation des styles, du réalisme au manga. Et l’événement s’est déroulé dans le lieu très sérieux de la MCJP que de nombreux fans de mangas ou d’anime ne connaissent pas : certains visiteurs ont été surpris d’en apprendre l’existence maintenant et m’ont dit qu’ils reviendraient avec leurs amis.

Mais ce qui m’a rendu le plus heureux c’est que le monde prenne connaissance et s’intéresse au festival de Sôma Nômaoi. À l’entrée de l’exposition se trouve le poster de l’édition de cette année du festival ainsi qu’un encart détaillant son contenu en français : des personnes sont venues ensuite me demander plus de détails sur l’événement. J’ai trouvé que ce que je faisais avait vraiment un sens.

Avez-vous des projets de nouvelles expositions à l’avenir dans d’autres pays ?

L’exposition à la MCJP est l’acheminement d’un long travail. Cela a pris environ deux ans pour s’organiser pour pouvoir réserver l’espace. Je n’ai pas encore prévu d’autres projets pour Mushae. Si des personnes en France ou dans d’autres pays sont intéressées, elles peuvent prendre contact avec mes représentants en France, le groupe Ake no Tsuru, et j’y répondrai.

De l’animation au jeu vidéo : survire dans les métiers du dessin au Japon

Selon une interview pour Fullfrontal, vous avez découvert le monde la culture anime par l’intermédiaire d’une de vos connaissances : le fils d’un gérant de salle d’arcade qui vous a fait découvrir tous les grands noms et séries du domaine. Avez-vous un souvenir particulier d’une œuvre, d’un auteur ou d’un personnage découvert à l’époque qui vous marque encore aujourd’hui ?

Affiche de l’exposition « la prunelle et l’âme » centrée sur le travail de Shingô ARAKI à Arts Chiyoda en 2012 ©Arts Chiyoda

C’était un garçon plus âgé que moi, un étudiant qui était le cousin d’un gérant d’une salle d’arcade et qui vivait au-dessus de cette dernière. À cette époque, j’étais collégien et ma mère s’occupait seule de notre famille donc je m’occupais des repas pour mon petit frère le soir et si j’avais du temps libre, j’allais à la salle d’arcade. Je dessinais pas mal là bas, et cet étudiant s’est pris d’affection pour moi. Il m’a emmené dans sa chambre et m’a montré à quel point le travail d’animateurs comme Shingô ARAKI ou Kazuo KOMATSUBARA, qui sont d’ailleurs connus même en France et que cet étudiant adorait, était formidable. Il m’a lavé le cerveau et je suis devenu fan moi aussi. C’est comme ça que j’ai commencé à m’intéresser à l’animation et que j’ai commencé à connaître le nom des animateurs.

Vous commencez votre carrière par l’intermédiaire d’une offre dans un magazine d’anime. Les magazines étaient à l’époque le média d’excellence pour se renseigner sur l’actualité et communiquer avec les autres fans. Étiez-vous un lecteur actif de ce genre de magazine ?

Comme les magazines d’anime étaient chers et que je n’avais pas d’argent, je n’en lisais pas beaucoup. Même quand j’ai fréquenté une école spécialisée, c’est parce que j’étais en même temps cuisinier et que j’économisais pour payer les frais d’inscription. Dans cette école, j’ai feuilleté un magazine qui traînait, et il y avait dans les marges d’une page une sorte d’offre d’embauche. Je l’ai lue et me suis décidé à postuler pour essayer et, alors que je n’y suis pas allé avec beaucoup de sérieux. Mais j’ai été accepté et je suis entré dans le monde de l’animation avant même de sortir diplômé de l’école.

Vous devenez animateur dans une petite structure puis vous montez votre propre studio, Studio Line, en 1990. Pourquoi avoir pris la décision de monter une nouvelle structure par vous même ?

Après avoir travaillé pour un petit studio, quand je suis devenu animateur en free lance, plusieurs de mes mentors avaient comme projet de faire leur studio ensemble. Parmi eux, certains étaient doués en dessin mais n’arrivaient pas à trouver facilement du travail, et comme j’étais doué pour taper la discute, gérer les affaires et trouver des offres, ils m’ont proposé de monter le studio ensemble et j’ai accepté. Il se trouve qu’un studio n’avait plus besoin de leurs locaux car il fusionnait avec une plus grosse structure et nous les passait si on les aidait pour leur travail : c’était maintenant ou jamais.

Quand j’ai commencé avec mes collègues, nous n’étions pas assez nombreux et avons donc décidé de recruter des jeunes encore en école spécialisée et de les former en travaillant. Mais, alors que nous allions commencer, mes collègues m’ont lâché au dernier moment car ils trouvaient trop compliqué d’apprendre le métier aux nouveaux-venus ou parce qu’ils souhaitaient continuer en free-lance. Je me suis retrouvé seul avec les apprentis qui devaient venir au studio, et comme je ne pouvais pas les abandonner, je me suis chargé de trouver du travail pour moi et les nouveaux. Le studio Line a démarré dans ce genre de conditions difficiles.

Cependant, j’ai toujours eu la chance d’avoir de bons amis autour de moi qui venaient m’aider lors des moments de crise, et après de plus en plus de monde sont venus dans mon studio. Plus tard, mes anciens collègues ont voulu revenir mais je n’ai pas accepté.

Personnellement, en dehors de votre travail dans l’animation, c’est une autre facette de votre carrière, bien moins discuté dans les interviews en France, qui m’intéresse : votre travail dans le monde du jeu pour ordinateur et notamment les jeux pour adulte. Le milieu est en pleine effervescence au début des années 90 et vous signez tout au long de la décennie le character design ou les illustrations d’un nombre conséquent de ces derniers dans des registres très différents (Metal Eye, Nomura Byôin no Hitobito, Magical Kanan). Qu’est-ce qui vous a mené de l’animation à l’illustration de jeu du genre ?

Magical Kanan
Le jeu Magical Kanan chara-desginé et illustré par Mamoru YOKOTA ©Terios et Finish

Un ami qui travaillait au département de photographie de Tokyo Movie Shinsha (souvent abrégé en TMS, aujourd’hui le studio s’appelle Tomas Entertainment) quittait l’entreprise pour entrer dans un petit studio de jeu vidéo. Il savait que j’étais capable de dessiner aussi bien des choses mignonnes que classes et m’a demandé de venir aider son studio alors que leur illustrateur les avait abandonnés.

De mon côté, je devais gérer le Studio Line avec juste les débutants et moi, ce qui impliquait entre autres de devoir payer le loyer. À l’époque, les nouveaux ne parvenaient parfois même pas à gagner 10 000 yens par mois car les salaires des animateurs étaient alors très bas. Donc pour pouvoir parvenir à leur besoin, il fallait réussir à se faire de l’argent en dehors de l’animation. Pour cela, travailler dans le jeu vidéo rapportait beaucoup et était très attirant car, contrairement à l’animation où pour un épisode il faut une multitude de dessins, il n’y a besoin que de peu d’illustrations. J’ai donc commencé car la paye était très bonne.

Votre talent pour le dessin de personnages féminins s’est-il développé durant ces années-là ou bien aviez-vous confiance en cette capacité avant ?

C’est à partir du moment où j’ai travaillé sur les jeux vidéo, en effet. À l’origine, quand je travaille sur de l’animation j’aime beaucoup les combats entre hommes, ou les manga de baston style Shônen Jump, donc je ne me considérais pas comme étant doué pour les personnages féminins. Pourtant, après en avoir dessiné je n’ai eu que des bons retours. Je n’ai jamais pris beaucoup de plaisir à dessiner des personnages féminins, je le faisais seulement car cela pouvait aider le Studio Line : pour élever les débutants un certain budget était nécessaire donc j’ai fait de mon mieux pour le rassembler.

A quoi étiez-vous attentif en les dessinant ?

Je dessinais en faisant en sorte de satisfaire ceux qui regardaient le dessin. Je faisais des recherches sur les goûts de mon public, pas trop sur internet car ce n’était pas très répandu, mais en demandant l’avis de plein de gens différents. Je ne pense pas qu’on puisse savoir par nous même les points forts de nos dessins donc j’ai progressé à ma manière en demandant par exemple « qu’est-ce qui était bien ? » dans mes illustrations.

Concernant votre travail d’animateur, je suis toujours impressionné de voir l’étendue de votre style concernant les personnages. Récemment par exemple, vous pouvez passer des corps musclés ou plantureux de One Piece Stampede au film de magical girl mignonnes pour petites filles Precure F. Restez-vous tout de même plus à l’aise sur un certain type de personnage ou bien êtes vous aussi touche-à-tout concernant l’animation ?

Precure all stars F
Affiche du film Precure All Stars F sur lequel Mamoru YOKOTA est directeur de l’animation ©Tôei et Comité de production de Precure All Stars F

Auparavant, il y avait des styles que je me sentais incapable de dessiner mais maintenant, tant qu’il n’y a pas beaucoup de lignes, tout est ok. Ces derniers temps, j’ai l’impression qu’il y a beaucoup de lignes dans les designs et que le nombre de personnages dont le volume est difficile à saisir ont augmenté. Avant, quand on passait du manga à l’animation, la personne en charge du character-design changeait l’apparence des personnages pour qu’ils soient dessinables par les animateurs, mais maintenant, comme les designs sont créés en restant proches du manga d’origine, j’ai l’impression que c’est devenu plus difficile. Mais ça me fait plaisir lorsque l’on me dit que je peux tout dessiner, même si je fais évidemment des efforts pour de mon côté.

Votre activité dans le monde du jeu vidéo est d’ailleurs révélatrice de vos activités professionnelles dans l’animation : vous vous désignez vous-même comme un touche-à-tout du milieu. Vous êtes tour à tour animateur, illustrateur, producteur, … Selon vous, pourquoi avez-vous commencé à porter plusieurs casquettes de cette manière ? Est-ce un certain talent pour les relations sociales ?

C’est à partir de mes liens avec les gens. Quand je travaillais pour ce studio de jeux vidéo, j’étais à la fois proche du monde du jeu vidéo et du monde de l’animation. Quand les membres du département des droits d’auteur du studio de jeu vidéo ont voulu adapter leur œuvre en animation, je les ai mis en contact avec une entreprise d’anime. Alors que je m’apprêtais à sortir du projet car je pensais avoir rempli mon rôle, on m’a dit que sans moi l’affaire n’avancerait pas et c’est comme ça que j’ai débuté en tant que producteur.

Ensuite, alors que je me déplaçais beaucoup pour trouver du travail pour Studio Line, une société de production m’a remarqué et proposé un poste de producteur. De la même manière, j’ai participé à la production de séries en prise de vue réelle car une personne qui fréquentait Studio Line était producteur dans ce genre. C’est grâce à mes relations avec les autres, et parce que je me sentais capable de le faire que je fais un peu de tout maintenant.

Enfin, depuis plusieurs années vous vous rendez souvent à l’étranger pour participer à des événements autour de la culture manga et anime. Que pensez-vous de l’engouement autour du Japon et de la culture populaire de votre pays ?

Je suis très reconnaissant qu’autant de personnes apprécient, non pas seulement la culture otaku, mais l’intégralité de la culture du pays où je suis né et ai grandi. ça me remplit de bonheur quand on m’adresse la parole et que des gens me disent qu’ils aiment mes dessins. À l’avenir, j’aimerai pouvoir continuer à faire en sorte que ces personnes qui aiment le Japon l’apprécient encore plus.

En tout cas, nous pensons que des expositions telles que Mushae participent à développer l’amour des Français pour le Japon !

affiche de l'exposition Mushae à Paris

Merci beaucoup à Mamoru YOKOTA pour avoir organisé cet exposition et permis cette rencontre. Nous remercions également l’organisation Ake no Tsuru sans qui rien de tout ça n’aurait pu voir le jour ainsi que pour leur assistance lors de cet entretien.

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