WIP Annecy : Daisy’s Life, le retour de Masaaki Yuasa

C’est dans un article paru en avril dernier dans Variety que l’on découvrait l’annonce d’un nouveau projet de long métrage réalisé par Masaaki Yuasa, au sein de son nouveau studio fondé pour l’occasion : Ame Pippin. Et c’est au festival du film d’animation d’Annecy qui s’est achevé la semaine dernière que nous avons pu en apprendre plus sur le projet au travers d’une session de Work In Progress.

Sur scène pour nous parler du projet aux côtés de Yuasa, nous pouvions retrouver : la responsable du chara-design Izumi Murakami, la productrice de Asmik Ace Fumie Takeuchi, le responsable du développement visuel Batiste Perron, et le directeur de production chez Miyu Productions, Tanguy Olivier.

 © Yoshitomo Nara

Production : Miyu et Asmik Ace joignent leur force pour Ame Pippin 

Tanguy Olivier commence par retracer l’histoire du studio et son rapport à l’animation japonaise. Pierre Baussaron et Emmanuel-Alain Raynal,  les producteurs de Miyu font tout d’abord la rencontre de Nobuaki Doi, producteur chez New Deer et directeur du festival New Chitose Airport à Hokkaido. A cette occasion, ils évoquent la difficulté à produire des courts-métrages au Japon, trop limités par le système tout puissant des Comités de production. A l’occasion d’un précédent panel en 2023 au festival de Niigata, E-A Raynal expliquait le principe « d’exception culturelle » à la française où une partie du prix des billets de cinéma servait à financer directement les prochains films. A l’opposée, Fumie Takeuchi témoignait des conditions d’utilisations des fonds fournis par le ministère de la culture japonais complètement décorrélées des durées réelles de production d’un film d’animation. 

Un autre frein aux co-productions internationales pour elle vient de la différence culturelle entre le Japon et les autres pays. Par exemple, en France on annonce très tôt le développement des films, afin d’avoir des informations à fournir à la presse, des visuels à diffuser dans les festivals, de quoi faire monter l’attente et les enchères, ainsi que trouver un distributeur et des diffuseurs. Là où règne au Japon une culture du secret, le film n’étant annoncé qu’une fois terminé, juste avant sa sortie officielle. 

Cela ne décourage pas Miyu, qui produit donc huit courts métrages avec la société de production de DOI. En parallèle, ils font la découverte du film de fin d’études à l’université des Arts de Tama de Yoko Kuno « Airy Me », à qui ils expriment leur volonté de l’aider à produire son prochain projet : Anzu, chat fantôme. C’est la première co-production de Miyu avec le Japon sur un long métrage. Le studio français apporte ainsi une part de financement et prend en charge toute la direction artistique (Julien de Man) ainsi que le compositing – étape finale de la phase de production, qui consiste à assembler toutes les « couches » d’images ( animation, FX, lumières, 3D …) pour donner un rendu visuel cohérent et unifié.

En parallèle, ils font la rencontre de Fumie Takeuchi qui distribue au Japon un autre de leur film :  Linda veut du poulet! via la société Asmik Ace. Elle leur parle de A New Dawn (Une nouvelle Aube – 2026) de Yoshitoshi Shinomiya et Miyu rejoint alors le projet pour s’occuper d’une scène hybride entre stop motion et animation 2D.

Sur le nouveau film de Yuasa, Daisy’s Life, T. Olivier explique que Miyu prendra cette fois-ci en charge « trois séquences très spéciales », et témoigne de la joie de pouvoir être impliqué dès le début du projet, en amont de la conception. Pour le développement visuel, Yuasa propose alors Batiste Perron, avec qui il travaille depuis longtemps (Lu over the wall, Night Is Short, Walk On Girl, Devilman Crybaby, Ride Your Wave, …) de rejoindre l’aventure. Cela tombe bien, Miyu le connaît déjà car il a travaillé avec eux au colorscript et layout 2D sur le film Parfum d’Irak !

Takeuchi, la productrice côté Japon, revient ensuite sur la genèse du projet : elle aussi est une collaboratrice régulière du réalisateur (responsable de la promotion sur Mind Game, productrice de Tatami Galaxy, et Inu-Oh). 

Elle explique avoir choisi ce roman Hinagiku no Jinsei (Daisy’s Life) car le style graphique très spécial de Yuasa correspond bien à l’univers de l’histoire de Banana Yoshimoto, célèbre romancière lauréate de nombreux prix dans l’archipel et ainsi qu’aux illustrations de Yoshitomo Nara

Ce dernier raconte l’histoire de Daisy, une jeune fille qui perd en peu de temps deux repères importants dans sa vie, d’abord sa mère dans un accident, puis sa meilleure amie, Dahlia, qui déménage au Brésil. Le récit va alors explorer les moments précieux vécues par ces deux filles et questionner le rapport au temps et à l’espace. 

Pour s’occuper de l’adaptation du scénario on retrouve, Sachiko Tanaka, que l’on connaît surtout du côté du cinéma en prise de vue réelle pour son travail sur Asako I & II de Ryûsuke Hamaguchi.

Masaaki Yuasa nous met un tunnel 

Yuasa quant à lui, explique qu’il est ami avec Yoshimoto sur les réseaux sociaux depuis un moment, et c’est elle qui lui a un jour suggéré de s’attaquer à l’adaptation d’un de ses romans. En les relisant, il découvre une nouvelle grille de lecture qui lui avait échappé alors : les histoires sont chargées d’une atmosphère très pure mais teintée d’une ambiance sombre étant donné que les livres mettent souvent en scène des marginaux, rejetés par la société.

Son choix s’arrête finalement sur Daisy’s Life, une histoire parfaite pour le lancement de son nouveau studio explique-t-il car l’amitié des deux fillettes lui rappelle celle qui lie Fumie et une autre collaboratrice à l’origine d’Ame Pippin (c’est du moins la légende!). Les quatre dernières lignes du roman ont été particulièrement marquantes nous confie-t-il : “Même si Daisy est morte, toute sa vie est conservée quelque part dans l’univers.”

C’est autour de ce concept clef que le réalisateur a cherché à articuler son film. Et si toute notre vie était contenue en un seul lieu, une boîte, ou un livre par exemple : c’est le cas de Daisy. Le réalisateur sort alors le coffret contenant un roman et un livre rempli d’illustrations. Il explique que toute la vie de Daisy est concentrée dedans.

Il nous montre ensuite une première scène clef du récit : la rencontre entre Daisy et Dahlia. Alors que Daisy parcourt une impressionnante et terrifiante forêt, elle entend au loin le son de la flûte de Dahlia et se précipite alors pour la rejoindre. A ce moment est projeté une courte séquence d’animation où l’on peut apprécier la course folle et déguindée typique du “style Yuasa”. 

Pour accentuer le parallèle entre les deux filles, au-delà du nom des fleurs, il modifie un peu les chara-design originaux pour qu’elles se ressemblent aussi physiquement. Le réalisateur crée aussi un parallèle visuel en inversant les couleurs des personnages : Dahlia porte les couleurs de Daisy dans le roman original, et Daisy celles de Dahlia. Comme Daisy, Dahlia a aussi perdu sa mère très jeune. C’est un film de deuil, qui cherche la réponse à la question de comment surmonter la mort d’un être cher. 

Le concept de faire tenir toute la vie d’une personne dans une espace-temps défini semble encore compréhensible, mais on a bien senti que le concept revêtait un sens bien plus complexe pour le réalisateur. Yuasa nous confie qu’à 20 ans, il ressentait une angoisse très vague quant à la vie et la mort, ce qui précédait, et continuerait après notre existence. En consultant ce « roman-vie » on pourrait véritablement revivre la vie de la personne. 

Et c’est là qu’il faut s’accrocher. En comparant les lignes de vie de différentes personnes on se rend compte des moments où elles se superposent, mais en réalité, même en ayant vécu à des époques différentes, ces personnes peuvent « co-exister », car le temps loin de la conception linéaire qu’on lui attribue généralement est « absolu », tout se déroule au même instant. 

Il explique être fasciné par ce concept de Quatrième dimension, où passé, présent et futur coexistent au même moment. Alors pour représenter ce concept il nous montre un «livre tunnel » (ou papershow/peepshow) : un curieux objet dépliable en forme d’accordéon, où les différentes scènes à l’intérieur prennent vie au fil des pages grâce à des effets de perspectives et de profondeur en regardant par le trou au centre.

On a tendance à penser que la vie n’est qu’une succession de moments, mais en refermant le livre, toutes les scènes existent au même moment, et instants douloureux comme instants de joie se mélangent, rendant les premiers plus facile à supporter. 

Tout cela semble encore bien abstrait mais attise notre curiosité pour savoir comment Yuasa parviendra à transposer en animation de tels concepts métaphysiques. Pour lui, le « livre tunnel » est la meilleure façon de matérialiser ce concept, mais il travaille encore sur la réalisation d’une scène qui y fera honneur. Pour cela, il dit s’être entouré des meilleurs, cela tombe bien c’est justement l’objet de la prochaine partie !

Il conclut alors son intervention sur cet énigmatique chiasme : « Cela vous paraît peut-être étrange ce que je dis, mais c’est vrai, je dis des choses étranges. »

Développement visuel  : Batiste Perron

Batiste Perron est animateur 2D, réalisateur et illustrateur. Il découvre Masaaki Yuasa en 2013 à Annecy pour la présentation de son court métrage produit grâce à un financement participatif au sein du studio Production IG, Kick Heart (sur lequel un autre français avait travaillé d’ailleurs : Kevin Aymeric). Alors, quand il entend quelques mois plus tard que M. Yuasa monte son propre studio Science Saru, il n’hésite pas une seconde et postule comme stagiaire. C’est comme ça qu’il participe au tout premier projet du studio : l’épisode « Food Chain » du cartoon Adventure Time confié à Science Saru.

Après avoir fini ses études en France, il revient au studio qui lui propose directement le rôle de directeur du compositing. C’est le début d’une fructueuse collaboration avec le studio : Lu Over the wall, Night is short walk on girl, Ride your wave, Star Wars  : Visions, Yurei Deco, EizoukenInu-Oh… En plus du compositing il participe également aux concept arts, décors, et colo script sur les projets.

De retour en France depuis son dernier projet, il entend parler de l’ouverture de Ame Pippin. Aussi sec, il envoie un message à Yuasa devinant qu’un projet se cache derrière cette nouvelle structure. C’est ainsi qu’il devient responsable du développement visuel sur Daisy’s Life.  

Dans le cas de ce film, ce travail consiste à élaborer le color design, mener les recherches graphiques, et penser aux mouvements de caméras qui refléteront le mieux le storyboard du réalisateur. Pour cela, il explique avoir recours à des layout anamorphosés, qui permettent de simuler une caméra dans un environnement 2D afin de faire ressortir les volumes et l’espace. C’est particulièrement important pour la scène de la forêt dont parlait Yuasa juste avant, qui est censée refléter le sentiment de gigantisme et d’effroi que ressent Daisy en la traversant. Ils travaillent ainsi de manière itérative jusqu’à trouver une mise en scène efficace qui matchera la vision du réalisateur.

Un autre enjeu est la mise en place des rapports d’échelle, Yuasa s’est fait une spécialité des grands mouvements de caméras mais qui ne doivent pas nuire à l’immersion du spectateur dans le film et à la cohérence entre les personnages et leur environnement. 

Un autre aspect fondamental du récit, c’est le rapport à la nourriture. Daisy rencontre Dahlia dans la forêt qui est située à l’arrière du restaurant de yakisoba des parents de Dahlia. Batiste explique tout l’enjeu de représenter la nourriture dans l’animation japonaise qui vient d’une longue tradition. On repense à des exemples iconiques comme les ramen dans Ponyo sur la Falaise. Un travail important doit être mené sur les textures et la matière. 

Dans un article intitulé « Le Festin imaginaire », la chercheuse Marie Pruvost-Delaspre revient sur codes visuels typiques de l’animation pour représenter à la fois la nourriture mais aussi les scènes de dégustation. 

« Puisque les plats ne peuvent de toute évidence être dégustés par les lecteurs et spectateurs, le relais doit se faire à travers les personnages qui préparent et mangent, dont l’action ou la réaction se trouve orchestrée, chorégraphiée, […] Le lien établi entre les gestes techniques, tels la découpe des légumes, le processus de création et d’assemblage d’un plat de nouilles, et les effets visuels et sonores, qui transcrivent les réactions chimiques ou la cuisson de la soupe, donnent forme aux sentiments associés au plat ».

La particularité du roman de Yoshimoto c’est de décrire de nombreuses scènes de synesthésie :  les lumières de la ville, le parfum de la mère de Daisy, l’odeur des nouilles…. Ainsi comme dans Ratatouille, où Michel Gagné avait décidé de représenter les sensations sous forme de FX (effets spéciaux, pour l’animation cela concerne l’animation de l’eau, du feu, des explosions mais aussi des énergies ou d’autres éléments imaginaires), un long travail d’aller-retour s’est crée entre Perron et Yuasa afin de représenter les émotions de manières visuelles. Des tests de FX animés à l’aide de particules dans After Effects sont d’ailleurs encore en cours en ce moment. Du côté des références, les deux se sont beaucoup basés sur la peinture, notamment contemporaine avec Kandinsky par exemple.

Chara-design et engagement avec Izumi Murakami 

Mais celle qui a vraiment volé la vedette et fait forte impression auprès du public c’est la chara-designer Izumi Murakami. Ayant débuté sa carrière au sein de MadHouse, elle rejoint Masaaki Yuasa sur Ping Pong et depuis, collabore régulièrement avec lui, comme notamment sur la scène de danse dans Inu-Oh.  

En charge du chara-design sur ce nouveau film et particulièrement de celui des deux fillettes d’environ six ans, elle explique comme le sujet de dé-sexualisation a été au cœur de ses réflexions. Elle sait comme le sujet est tabou au Japon et a longtemps hésité à en parler, jusqu’à ce que les producteurs de Miyu Productions l’y encouragent à l’occasion de ce Work in Progress. 

Elle déplore le fait qu’au Japon les filles soient souvent représentées de manières sexy ou érotiques (notamment en conséquence de l’influence persistante du mouvement lolicon des années 80), et à présent qu’elle a la chance de s’occuper de ce type de design, elle fait en sorte d’être particulièrement attentives à ces problématiques et ne pas tomber dans les écueils des autres productions.

Elle reste consciente des limites de son action : « quoique l’on fasse, on ne peut pas empêcher le public de poser un regard sexuel sur les personnages, une fois que l’on livre l’œuvre aux spectateurs, elle ne nous appartient plus. On ne peut contrôler le regard du public. Ainsi, mon pouvoir d’action est très limité, je sais que je ne vais pas révolutionner l’industrie mais j’essaie au moins de faire la différence à mon niveau avec ce film. Au Japon, il y a plein d’images déviantes, malsaines, quand on regarde dans la rue, et ces images sont devenues parties intégrantes du paysage japonais. »

Elle a ensuite précisé que cette attention dépasse le cas des jeunes personnages féminins, mais que tout le reste des personnages du film a subi la même attention. De plus, la question se pose au delà du chara-design figé qu’elle prépare en amont de la production, mais devra rester au cœur des préoccupations des animateurs, dans les gestes, poses, et mouvements de caméra qu’ils insufflent aux personnages. Bien souvent la personne en charge du chara-design écope aussi du poste de Directrice de l’animation et Murakami compte donc continuer ce travail de désexualisation pendant la production : « J’aimerais que ces deux filles soient montrées de manière saine comme les vrais enfants, mais je vais continuer à y penser pendant l’animation clef. »

De manière plus pragmatique, le métier de chara-designer consiste à traduire des concept arts en design « animables », c’est à dire qui conviennent à une production animée. Les personnages de Yoshitomo Nara sont très mignons mais le problème c’est qu’ils n’ont pas de cou! La position des épaules n’est pas naturelle, et puis ils n’ont pas de sourcils non plus! Alors que les sourcils sont hyper importants pour transmettre l’émotion, précise-t-elle. Avant d’ajouter, « qu’ils n’ont pas d’oreilles non plus, mais c’est moins important pour l’émotion » dit-elle en rigolant. 

Dans les illustrations de Nara, la longueur des bras varie, la taille de la tête, les proportions peuvent être artificielles, mais l’animation a besoin d’un dessin plus solide. Sans compter les personnages adultes qui sont dessinés de manière plus réaliste à l’opposé des enfants au style « Chibi ». 

A ce moment Yuasa intervient pour rappeler qu’il est naturel d’adapter les designs en fonction des scènes, on le voit surtout dans l’animation pour enfants sur des séries japonaises comme Doraemon ou Shin Chan (sur laquelle il a été très impliqué : animation, script, storyboard, réalisation de l’Opening et Ending). On change la taille du cadre, ou bien longueur des jambes quand Shin Chan pédale sur son vélo. Doraemon a des bras très courts, et pourtant sur certaines scènes il parvient à toucher sa tête !

Mais la plus grande difficulté à ce poste, c’est certainement de réussir à s’affranchir des designs préparatoires, sans trahir la vision du réalisateur. Elle se rappelle avoir été complètement bloquée au début, impossible de dépasser les concepts arts de Yuasa. Mais elle a fini par surpasser ce blocage en abandonnant complètement les références, pour proposer des choses à l’instinct jusqu’à ce que le résultat soit satisfaisant.

Sa présentation s’est achevée  sous un tonnerre d’applaudissements de la part du public, et a permis de nourrir certaines interventions lors de la partie de Q/A avec le public. On voit que les français sont très attentifs à cette problématique et ont apprécié la prise de parole publique de la part d’une personne de l’industrie.  

La dernière question de la modératrice était celle qui nous brûle les lèvres à tous et toutes « mais quand arrive donc le film ? » ce à quoi M. Yuasa a répondu : « eh bien il est déjà fait, comme le temps se superpose, et que tous les événements futurs ont déjà eu lieu ! » . Avant de reprendre son sérieux pour nous annoncer que ce serait l’année prochaine. 

Avec un tel objectif, on imagine qu’il souhaite le présenter en compétition à Annecy 2026, mais au vu des designs préliminaires montrés lors de cette session, une seule année de production semble très court. On peut donc raisonnablement penser que le film est peut être déjà bien avancé, 40 ou 50 % ?  Ce WIP illustre alors bien le compromis des coproduction franco-japonaise évoqué en première partie : montrer des designs d’accord, mais ne pas tout révéler et garder le suspens alors ! 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *