Erwin Knipping, au gré des vents : une révolution de la météo japonaise…
À la fin du 19e siècle, Erwin Knipping voit sa vie changer lors d’une escale à Tokyo. Le Japon se transformera avec lui. De professeur de sciences à l’université, il devient responsable des prédictions météorologiques et de la surveillance des tempêtes du pays pendant 10 ans.
Avant Knipping : un pays de typhon et de séisme dans l’ignorance
Le Japon est un pays cerné par la mer, au croisement de quatre plaques tectoniques, confronté inlassablement aux séismes, éruptions volcaniques, tsunamis et typhons depuis les périodes les plus anciennes de son histoire. On aurait alors pu penser que, forgée par la nécessité, leur connaissance des phénomènes météorologiques se serait développée très tôt. Si le pays du Soleil-Levant est aujourd’hui à la pointe sur le sujet, cet intérêt pour les sciences du climat est en fait assez récent. Le travail de synthèse des recherches historiques effectué par Yukitomo Tsutsumi, docteur à l’Institut national des études environnementales (NIES) permet d’avoir une vision globale du développement de la météorologie au Japon.
Lorsque le Japon ouvre à nouveau ses portes au monde au milieu du XIXe siècle, son interprétation du temps et des marées est strictement religieuse. Les différents dieux du panthéon shintoïste sont ainsi les responsables des averses, tempêtes, ou ensoleillements. Cette idée a perduré jusqu’à l’ère Meiji, influencée en partie par le taoïsme chinois. En quête de modernisation, le nouveau gouvernement de cette époque fait venir des professeurs d’Europe…
Erwin Knipping (1844 – 1922), diplômé d’une école de navigation marchande en Allemagne, s’embarque alors sur le navire Courier en tant que premier officier. Lors d’une escale à Tokyo, il parvient à obtenir un poste d’enseignant à l’Université du Sud de Tokyo en 1871, plus tard connue sous le nom de Kaisei Gakkô.
Une modernisation de la météorologie
Sur son temps libre, Knipping effectue des observations météorologiques qu’il publie ensuite dans des magazines allemands. Il étudie notamment les caractéristiques de trois typhons qui frappèrent le Japon entre 1879 et 1880, et ses résultats sont traduits en japonais. En 1881, il lance une pétition demandant au premier ministre Sanjo Sanetomi de permettre la prévention des tempêtes qui détruisent régulièrement les bâteaux sur les côtes ou en mer. Cette même année, l’expiration de son contrat le prive de revenus mais, déterminé à travailler dans la surveillance climatique, il reste au Japon jusqu’à l’épuisement de ses économies. Alors qu’il s’apprête à rentrer en Allemagne, il reçoit une offre de poste du gouvernement au département de géographie, le jour de Noël 1881.
Afin de mettre en place un système de prévention climatique généralisé à tout le Japon, la seule option était d’utiliser le réseau de télégraphie mis en place l’année précédente. Les télégrammes permettaient de transporter l’information plus rapidement que le déplacement des phénomènes climatiques. Mais transmettre des relevés météorologiques d’une station à une autre nécessitait un usage quotidien, d’un coût mensuel équivalent au salaire d’une quinzaine d’employés. Erwin Knipping fait alors la demande d’une prise en charge complète de ce budget par le gouvernement, mais cette requête est rejetée, jusqu’à ce que l’appuie du Ministère de l’intérieur fasse pencher la balance en sa faveur.
Outre cette difficulté, la météorologie au Japon est confrontée à la généralisation du système horaire et des unités de mesure, ainsi qu’à l’emploi de nouveaux instruments d’observation venus d’occident. Cela ne suffit pas à faire faillir la détermination de l’Européen, qui enclenche une mise à niveau par rapport aux normes mondiales, en rédigeant lui-même un résumé envoyé aux vingt-et-une stations réparties dans tout le pays. Depuis 1883, une carte météorologique de l’archipel est publiée quotidiennement, basée sur les observations de ces stations. Knipping y trace lui-même les lignes isobares et isothermes, c’est-à-dire les zones de pression ou de température égales, ensuite mises au propre par un peintre plus qualifié.

Basée sur la carte de la Japan Meteorological Agency
Un démarrage mitigé
“La température augmente et la pression atmosphérique baisse à l’échelle nationale. En raison d’une dépression dont le centre se situe sur la côte sud de Shikoku, les vents sont forts dans les régions de Shikoku et de Kyushu.” C’est le premier avis de tempête annoncé par l’Observatoire Météorologique de Tokyo, le 26 mai 1883. La précision des observations permet d’éviter, le lendemain de l’annonce, la perte de nombreux bateaux dans le port de Kobe. Au mois d’août de la même année, la prévision d’un typhon sur les côtes de Kyushu prouve à nouveau l’efficacité du système mis en place par Knipping.
Cependant, la limite d’un unique télégramme gratuit par jour imposée par le gouvernement ne suffit pas toujours à prévenir les zones à risque à temps, car les typhons se déplacent rapidement (entre 30 et 40 km/h). Une dépression atmosphérique est ainsi constatée le 7 octobre à Kagoshima, mais ne peut être communiquée que le lendemain : trop tard pour les habitants de Shikoku et Osaka, qui en payent les conséquences. Le météorologue allemand demande donc la possibilité d’envoyer trois télégrammes par jour et imagine un plan d’amélioration des prédictions nécessitant l’installation de centres d’observation directement sur le continent asiatique.
Le gouvernement accepte finalement de financer les télégrammes dès 1884, à une condition : l’Européen devra se charger d’annoncer les prévisions météorologiques quotidiennement, en plus des avis de tempête dont il s’occupait déjà. Seulement, cela lui pose un réel problème de pertinence. Il est impossible d’annoncer le temps avec une fiabilité convaincante. Mais Knipping n’a pas le choix, s’il veut pouvoir poursuivre son œuvre, il doit se plier aux exigences de l’Etat. Il s’attelle à cette tâche lui-même pendant trois années, avec acharnement, avant de pouvoir se reposer sur les assistants qu’il forme.
Il continuera ses observations jusqu’à expiration de son contrat en 1891, avant de rentrer en Allemagne, où il travaillera dans l’Observatoire météorologique de la marine. Il laisse tout de même derrière lui un savoir-faire immense qui contribuera grandement à la puissance militaire du Japon au 20e siècle, mais aussi à la recherche scientifique de première classe qui le caractérise en matière de climat.

