Hôsenka : Découverte du film et interview avec son réalisateur Baku Kinoshita au Festival d’Annecy

Après Pompo the Cinephile (2021) et Tunnel to Summer (2022), qui ont été des réussites critiques, Hôsenka est le nouveau film produit par le récent CLAP Animation Studio. Cette fois-ci, le studio s’allie à Baku Kinoshita, réalisateur lui aussi récent, si l’on peut dire.

Kinoshita a présenté son film en personne au Festival d’Annecy. Hôsenka, distribué par Pony Canyon au Japon et Anime Limited en Europe, a surpris tout le monde. Essai confirmé pour le premier long-métrage original de son réalisateur ?

Baku Kinoshita : Un réalisateur à la frontière du naturalisme

Hôsenka est le nouveau long-métrage du jeune réalisateur Baku Kinoshita, devenu célèbre après la diffusion de la série animée Odd Taxi, qu’il a également dirigée. Kinoshita n’a pas vraiment un parcours classique. Il ne rêve pas depuis l’enfance de devenir animateur. En effet, il a découvert le métier durant ses études à l’université, et a depuis déployé tout son talent. Il a grimpé les échelons, depuis l’animation sur des publicités et des clips musicaux, jusqu’à la réalisation de sa propre série, puis désormais donc de ce Hôsenka, que l’on a pu découvrir à Annecy.

Hôsenka n’est techniquement pas le premier long-métrage de son réalisateur, étant donné que la série Odd Taxi avait été déclinée en film compilant les événements de la série. C’est néanmoins, dirons-nous, son premier long-métrage pensé comme tel. Il convient de noter également, que tout comme sur Odd Taxi, Kinoshita s’occupe ici du character design et en partie de l’animation.

Les dernières pensées d’un condamné

L’histoire est racontée d’après les souvenirs d’Akutsu, un vieux prisonnier condamné à la perpétuité. Dans sa cellule, il discute avec une fleur parlante, une balsamine des jardins, qui se dit hôsenka en japonais, d’où le titre. La plante a un ton assez moqueur, tandis qu’Akutsu est apathique. Ses souvenirs se situent dans les années 1980, au Japon. Il est un yakuza désabusé qui s’est quelque peu éloigné de ses activités, et qui s’est installé avec une mère célibataire prénommée Nana, et son fils Kensuke.

Le film va alors alterner entre longues séquences dans le passé, durant un épisode où Akutsu va tout donner pour sauver sa nouvelle famille, et le présent, où il croupit dans sa cellule en supportant la fleur qui se rit de lui. Nous sommes donc face à une histoire de yakuza et de famille recomposée, et l’alliage des deux mène forcément à des discordes. L’enfant de la famille, Kensuke, a une maladie grave au cœur, qui nécessite une opération très chère. C’est le point de départ d’une nouvelle vie pour Akutsu, ancien yakuza, mais dont le passé continue de lui coller aux baskets, puisque plusieurs de ses anciens collègues viennent lui rendre visite. 

La fleur « Hôsenka » ou « Balsamine » © Kazuya KONOMOTO / Comité de production Housenka

Mise au vert, puis retour au rouge

Le ton du film n’est pas vraiment à la défouraille. On est beaucoup plus proches des yakuzas de Takeshi Kitano que de ceux de Kinji Fukasaku. Le spleen, le retour à une vie simple, autant que possible. Kinoshita apprécie ce thème, le retour à la simplicité. C’était déjà le sujet principal de son court-métrages étudiant, Indoor. Ce yakuza d’âge mûr qui entreprend de s’occuper d’un enfant, cela fera certainement écho à L’été de Kikujiro pour ceux qui l’ont vu. Tout comme chez Kitano, les plans sont longs, pas forcément très mobiles, et si le terme naturalisme est un peu fort pour cette œuvre, notamment à cause de cette plante parlante qui se retrouve également dans le passé d’Akutsu, on flirte clairement avec. L’animation ne contient presque pas d’exagérations, de smears ou autres effets. La première partie du film est faite de moments de vie, la visite des anciens collègues qui paraissent très sympathiques, le “couple” qui s’amuse avec les objets chez eux (dans une belle séquence musicale), le pas-vraiment-papa qui apprend à connaître son enfant “adoptif”. Parfois des moments moins amusants, des disputes, des mauvaises nouvelles… Mais toujours crédible.

L’ambiance ère Shôwa, que n’a pas connu Kinoshita, est vraiment bien rendue, grâce à l’aspect général de la maison, ainsi qu’aux discussions, les personnages parlant comme de vraies personnes. Par exemple, un personnage au détour d’une conversation dit “les prix de l’immobilier ont augmenté”. Si l’on connaît l’histoire récente du Japon, le lien avec l’explosion de la bulle spéculative est vite fait. Cela parlera aux connaisseurs.
Lorsque le film s’emballe, et qu’Akutsu doit malgré lui reprendre ses activités illégales, là encore, l’accent est au réalisme. La violence est crue, les fusillades sont courtes car le moindre coup est fatal. Encore une fois, ce n’est pas sans rappeler les mises à mort chez Kitano, notamment dans son premier film Violent Cop.


Le film ne fait pas non plus dans l’austérité, notamment en ce qui concerne les discussions et les émotions. C’est représenté et joué de façon à ce que tout soit clair, mais sans en faire des caisses. Les character designs sont porteurs de la marque de Kinoshita, avec un accent mis sur les formes et les silhouettes. Akutsu a un visage rectangulaire, et une expression fermée qui rappelle le morse Odokawa dans Odd Taxi, tandis que Nana & Kensuke sont plus arrondis, plus chaleureux. La différence de caractère et de train de vie s’affiche directement sur leurs visages. 
Difficile de continuer à parler du film sans vous révéler toute l’intrigue tant l’intérêt tient plus dans les interactions entre les personnages que dans le scénario en lui-même. Nana & Kensuke représentent pour Akutsu, peut-être encore plus qu’une famille, sa bonne action, sûrement la seule de la vie de ce criminel. L’occasion de se racheter d’un passé que l’on devine lourd, au vu de ses nombreux faits d’armes, célèbres dans toute la profession. Akutsu est un personnage touchant, car il fait de son mieux pour ceux qu’il aime, et est très conscient des conséquences de tout ce qu’il entreprend.

Il semble adopter une attitude résolue face à son incarcération, car il savait depuis le début que cela serait la seule fin possible. La fleur qui parle représente sans doute l’autre partie de ses conflits intérieurs (il est le seul à l’entendre), l’image qu’il a de lui-même, étant donné qu’elle passe son temps à se moquer de lui. Elle participe d’ailleurs grandement au rythme du film, l’empêchant de rester dans la lenteur, car les retours au présent sont parfois annoncés par un cut rapide et une réflexion amusante de la fleur. C’est un film qui est par ailleurs accessible à tous. Non seulement, c’est une histoire originale, mais il n’est pas nécessaire d’avoir les références cinématographiques de Kinoshita pour en apprécier la valeur émotionnelle. Le réalisateur semble très conscient que là réside l’essentiel.

Hôsenka est donc un film émouvant, car qui touche au vrai. Pas besoin d’avoir vécu ce que vit Akutsu pour se reconnaître, ou simplement être touché. Le rythme lent du film et cette plongée dans le passé, en contraste avec nos vies toujours plus stimulées, nous invitent à recommencer à prendre le temps. Prendre le temps d’observer, de réfléchir sur nous-mêmes, de passer du temps avec ceux qui ne seront un jour plus avec nous, oo alors jusqu’au jour où nous, nous ne serons plus avec eux.

Le film sortira le 10 octobre 2025 au Japon. Bien qu’il semble incertain que le film sorte dans les salles françaises, Baku Kinoshita, en signant ce très beau film, nous confirme qu’il est un jeune réalisateur talentueux, et qu’il deviendra sans doute une des figures majeures de l’animation japonaise dans les années, et l’on espère, les décennies à venir. N’hésitez pas à le découvrir, dès lors qu’il sera disponible, en VOD/Blu-ray ou, on l’espère, directement au cinéma !

© Kazuya KONOMOTO / Comité de production Housenka

Interview avec le réalisateur Baku Kinoshita

NB : Les aléas des plannings ont fait que cette interview a été réalisée avant le visionnage du film.

Après le lycée, vous faites le choix d’entrer à l’Université d’Art de Tama, qu’est-ce qui vous a dirigé vers les études d’arts ? Aviez-vous un objectif clair en tête ?

Kinoshita : Quand je suis entré à l’université, je n’avais pas encore de but précis. Il y avait des cours variés, comme de la programmation, mais aussi un cours de vidéo, durant lequel on a fait de l’animation. J’ai eu le sentiment que c’était fait pour moi, j’ai alors réalisé l’intérêt de l’animation. Alors je me suis dit, pourquoi ne pas continuer là-dedans ?

C’est à l’Université d’Art de Tama que vous découvrez l’animation, et vous en faites votre spécialisation pour votre projet de fin d’étude, Indoor (2013). Pouvez-vous nous parler de la création de ce court-métrage ?

Kinoshita : C’est une animation que j’ai créée tout seul durant environ 6 mois, lorsque j’étais en 4ème année. C’était assez instinctif, le personnage principal regarde la télévision dans sa chambre, pendant des années. Sa tête est pleine de rêves, mais ces rêves ne sont que du vide, sans substance. Vers la fin, il se rend compte de la beauté de l’extérieur, en regardant par sa fenêtre. La beauté du vert, le vent qui souffle. Après n’avoir fait que regarder sa télévision, il sort et ressent la liberté. C’est quelque chose qui s’est défini pendant la production. Comme je l’ai créé en me confrontant à moi-même, ces thématiques sont naturellement apparues.

Pourquoi avoir utilisé l’animation américaine des années 50 comme base ?

Kinoshita : A cette époque, je trouvais fantastique les animations de chez Disney. Les court-métrages comiques notamment, que je trouvais particulièrement pertinents, tout en faisant rire. De plus, personne autour de moi ne faisait la même chose. J’ai puisé mon inspiration là-dedans, et j’ai produit mon film en visant ce même aspect.

Il me semble que vous aviez comme professeur l’artiste Daizaburô Harada. Sur quels aspects vous a-t-il apporté sa supervision ? 

Kinoshita : M. Harada était un professeur très honnête, mais dur. Il faisait peur. La première fois que je lui ai présenté un travail d’animation, il a regardé, et a juste dit “Pas mal.”. Comme il ne fait presque jamais de compliments, j’étais content. (rires)
Encore une fois, comme il ne fait pas vraiment dans la flatterie, ses évaluations étaient toujours très justes, et grâce à cela, ses cours étaient très intéressants. A chaque fois que je lui rendais un devoir, j’observais ses réactions, je me disais “Alors ? Qu’est-ce qu’il va en dire?”. Il me corrigeait, me donnait des conseils, et au fur et à mesure de son enseignement, je pense que j’ai bien amélioré mes capacités. Ses compliments étaient brefs, mais c’était devenu une source de motivation.

Une fois sorti de l’université, vous êtes-vous dirigé directement vers le monde de l’animation commerciale ?

Kinoshita : Non, après mon diplôme, j’ai rejoint une entreprise de clip musicaux et de publicité. J’étais totalement impliqué dans mon film de fin d’étude Indoor, je n’ai pas cherché de travail activement. Je ne savais pas où j’allais aller. Mais un professeur de mon cursus, qui était également producteur, a vu mon film et m’a proposé un travail à mi-temps dans son entreprise, comme dit, de clips et de publicités. Il y avait quand même du travail d’animation disponible, ce que j’ai donc demandé à faire, et c’est comme ça que j’ai évolué vers le poste de réalisateur d’animation.

C’est à cette période que vous avez participé au projet collectif What happens before war? (2015 )? Pouvez-vous nous parler de ce projet et de votre participation dessus ?

Kinoshita : Ça remonte ! (rires) J’ai rejoint ce projet grâce à un producteur de l’entreprise dans laquelle je travaillais, qui m’avait proposé de participer, ce que j’ai accepté. Je ne me souviens plus très bien, j’ai travaillé sur environ dix secondes d’animation, je n’ai donc pas fait grand chose. J’ai juste le souvenir que j’avais donné mon maximum sur le dessin, mais pas beaucoup plus, désolé…

Housenka se déroule durant une période que vous n’avez pas vécu (le milieu des années 80) : est-ce que vous aviez à cœur de retranscrire de manière réaliste cette époque ou bien avez-vous pris des libertés ?

Kinoshita : Au départ, je suis parti sur l’idée de faire quelque chose de réaliste. Mais m’enfermer là-dedans allait diminuer le sentiment de nouveauté, de fraîcheur, que je pouvais ressentir en moi. Alors, à certains endroits, j’en rajoute, ou j’invente. Par exemple, lors de la scène de la discothèque, il y a des éclairages de couleurs qu’il n’y avait sans doute pas à l’époque. Mais je me suis dit que c’était nécessaire à l’habillage du film. Il s’agissait donc de trouver le bon équilibre en réalité et invention.

Comme pour Odd Taxi, vous avez choisi d’enregistrer les dialogues avant de faire l’animation, chose peu commune dans l’industrie japonaise. Qu’est-ce qu’apporte cette méthode selon vous ?

Kinoshita : Enregistrer les voix en premier facilite le travail des animateurs. C’est bien plus simple pour dessiner les expressions. En produisant l’animation en s’accordant sur les répliques transforme le jeu d’acteur, comme si l’on collait le jeu d’acteur sur les personnages. Cela rend le tout plus réel, dans les mouvements et l’interprétation. C’est très fréquent que les voix soient enregistrées par rapport aux mouvements des personnages, mais je voulais vraiment un jeu humain, dans les détails des expressions faciales, dans leurs changements, leurs subtilités. C’était donc très important de prendre les voix en amont, et je trouve que ça donne l’impression que les personnages sont vivants.  

En tant que réalisateur, vous nous aviez dit que vous portez un regard attentif sur la mise en scène (演出) et le storyboard/montage (絵コンテ). Est-ce que vous avez également des directions précises concernant l’animation (作画), notamment sur Housenka ?

Kinoshita : Oui, je surveille chaque cut. Je les redessine et les corrige moi-même. Il n’y a pas un seul cut qui ne contienne pas ma propre intention. Sur Hôsenka aussi, j’ai redessiné les mouvements de beaucoup de cut. J’étais impliqué à ce point-là.

Merci beaucoup pour votre temps et vos réponses !

Nous remercions chaleureusement Aurélie Lebrun et Emmanuelle Verniquet pour l’organisation de la rencontre.

Comme précisé dans l’article, le film n’a pas encore de date de sortie française officielle.

Entretien préparé par Elliott Têtedoie, Quentin Dumas et Florian Abbas

Rédaction de l’article et conduite de l’entretien : Florian Abbas

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